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14/12/2010 | FRANCE | N°10/11125

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 8, 14 décembre 2010, 10/11125


Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 8



ARRÊT DU 14 DÉCEMBRE 2010



(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 10/11125



Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 Avril 2010 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2008093211





APPELANTS ET INTIMES



Monsieur [N] [R]

domicilié [Adresse 7]

[Adresse 7]

[Localité 3]r>


représenté par la SCP ARNAUDY - BAECHLIN, avoués à la Cour

assisté de Me Frédéric MENGES, avocat au barreau de PARIS, toque : D284



SOCIÉTÉ BAYARD MONTAIGNE

prise en la personne de son gérant, M. [N]...

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 8

ARRÊT DU 14 DÉCEMBRE 2010

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 10/11125

Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 Avril 2010 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2008093211

APPELANTS ET INTIMES

Monsieur [N] [R]

domicilié [Adresse 7]

[Adresse 7]

[Localité 3]

représenté par la SCP ARNAUDY - BAECHLIN, avoués à la Cour

assisté de Me Frédéric MENGES, avocat au barreau de PARIS, toque : D284

SOCIÉTÉ BAYARD MONTAIGNE

prise en la personne de son gérant, M. [N] [R]

ayant son siège [Adresse 7]

[Localité 3]

représentée par la SCP ARNAUDY - BAECHLIN, avoués à la Cour

assistée de Me Frédéric MENGES, avocat au barreau de PARIS, toque : D284

SARL ARCADE INVESTISSEMENTS CONSEIL

prise en la personne de son gérant

ayant son siège [Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par la SCP ARNAUDY - BAECHLIN, avoués à la Cour

assistée de Me Frédéric MENGES, avocat au barreau de PARIS, toque : D284

APPELANTE ET INTIMÉE

SA CONTINENTAL INVESTMENTS AND MANAGEMENT

prise en la personne de deux de ses administrateurs

ayant son siège [Adresse 2]

[Localité 9]

représentée par Me Frédéric BURET, avoué à la Cour

assistée de Me Sandra DOS SANTOS, avocat au barreau de PARIS, toque : L211

(SELARL HUET ET ASSOCIES)

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 9 Novembre 2010, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Nicole MAESTRACCI, Présidente

Madame Marie-Paule MORACCHINI, Conseillère

Madame Evelyne DELBES, Conseillère

qui en ont délibéré

Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues à l'article 785 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Marie-Claude HOUDIN

ARRÊT :

- contradictoire

- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Nicole MAESTRACCI, présidente et par Mme Marie-Claude HOUDIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Vu le jugement rendu le 14/4/2010 par le tribunal de commerce de Paris qui a dit Monsieur [N] [R] fondé à exercer son droit de retrait à la date du 20/6/2007, a dit que le rapport de l'expert, Madame [Z], ne serait pas retenu pour servir de base à l'évaluation des actions dans le cadre de l'exercice du droit de retrait de Monsieur [N] [R], a débouté la société Bayard Montaigne, Monsieur [N] [R], la société Arcade Investissement Conseil de leurs demandes tendant, d'une part, à entendre dire que la vente des titres était définitivement formée, et d'autre part, à voir ordonner le remboursement des sommes versées à l'expert, a dit n'y avoir lieu à faire application de l'article 700 du code de procédure civile et a débouté les parties de leurs autres demandes ;

Vu les appels interjetés le 3/6/2010 par Monsieur [N] [R], la société Bayard Montaigne et la société Arcade Investissements Conseil, d'une part, et par la société Continental Investments and Management (CIM), d'autre part, cette dernière ayant limité son recours aux dispositions par lesquelles le tribunal a dit Monsieur [R] fondé à exercer son droit de retrait à la date du 20/6/2007 et dit qu'il appartiendra à Monsieur [R] de saisir à nouveau le juge des référés pour obtenir la désignation d'un expert conformément aux dispositions de l'article 1843-4 du code civil ;

Vu les conclusions signifiées le 2/11/2010 par Monsieur [N] [R], la société Bayard Montaigne et la société Arcade Investissements Conseil, qui demandent à la cour 'de confirmer le jugement en ce qu'il a dit et jugé que Monsieur [N] [R] était bien fondé à exercer son droit de retrait à la date du 20/6/2007, en application de l'article 1843-4 du code civil, puisqu'il n'a pas été révoqué au motif d'une inconduite grave mais au motif d'un désaccord avec son associé majoritaire, et que l'expert n'avait pas commis d'erreur grossière, et pour le surplus, de constater que le tribunal, qui n'en était au demeurant pas saisi, n'avait pas qualité et compétence pour remettre en cause l'ordonnance de son tribunal en date du 27/10/2007, ayant désigné un expert dans les conditions de l'article 1843-4 du code civil, alors, au surplus, que celle-ci a force de chose jugée, de dire et juger qu'il ne pouvait la priver d'effet et qu'en conséquence, le rapport de l'expert désigné dans les conditions d'ordre public de l'article 1843-4 du code civil "sans recours possible' et les conclusions du dit rapport s'imposaient à lui, sauf erreur grossière, qu'il exclut par ailleurs, de dire et juger qu'en ordonnant de re-missionner l'expert, en saisissant une seconde fois le même juge des référés, sans élément ou événement nouveau pour juger la même cause entre les mêmes parties avec le même objet, le premier juge a, non seulement, méconnu l'autorité de la chose jugée attachée à l'ordonnance du 24/10/2007, mais a, aussi, sans base légale, tenté de donner à un juge, le pouvoir ou l'obligation de juger une seconde fois, et de façon différente, la même cause, subsidiairement, et pour le cas où par impossible, il serait jugé que le premier juge pouvait passer la force de chose jugée de l'ordonnance du 24/10/2007 et ordonner que soit saisi à nouveau le même juge pour juger la même cause : de constater que, contrairement à ce qu'il a cru juger, l'expert désigné par cette ordonnance ne s'est vu fixer aucun critère ou méthode d'évaluation du prix mais s'est seulement vu indiquer la date à laquelle l'évaluation devait être faite, la date retenue étant celle des derniers bilans publiés lorsque Monsieur [R] a été révoqué et a mis en oeuvre son droit de retrait, de constater, en tout état de cause, que l'expert a évalué les titres en toute liberté, en retenant librement sa méthode, conformément à la jurisprudence de la cour de cassation, et que le juge n'a pas le pouvoir d'écarter un prix fixé par un rapport dépourvu d'erreur grossière et que l'erreur ne saurait s'évincer du fait que Madame [Z] a retenu les derniers comptes publiés au jour de son évaluation, conformément à l'ordonnance la désignant, de constater que la vente est définitivement formée depuis le 20/6/2007, et que c'est à cette date qu'a été définitivement évaluée la valeur des parts de Monsieur [R] en fonction des éléments connus au jour de l'évaluation, l'expert ayant au surplus mis à la charge de CEH le coût des travaux que voulait lui faire supporter CIM et pris en compte l'ensemble des dires des parties et prévisionnels qui lui ont été fournis, d'infirmer en conséquence sur tous les points ci-dessus le jugement entrepris et confirmer au fond son arrêt du 12/10/2010, en ce qu'il a confirmé l'ordonnance du 16/9/2008, et en ce qu'il a prononcé l'exécution forcée de la vente, de dire que la vente des actions est d'ores et déjà parfaite avec effets à la date de mise en oeuvre de son droit de retrait par Monsieur [R], soit le 27/6/2007, et de condamner CIM à payer, à chacun d'eux, les sommes suivantes : 4.514.460 € à la société Bayard Montaigne, 4.020 € à Monsieur [N] [R], 4.020 € à la société Arcade Investissements Conseil, pour le prix de la valeur arrêtée par l'expert de leurs actions, et contre remise par les appelants des actions qu'ils font à nouveau offre réelle de remettre contre paiement , soit pour la société Bayard Montaigne 2.246 actions, pour Monsieur [N] [R], 2 actions, pour la société Arcade Investissements Conseil, l2 actions, ... avec intérêts de droit sur les dites sommes à compter du 20/6/2007... ou, subsidiairement, à la date du 30/5/2008, date à laquelle le prix a été a été définitivement fixé par l'expert, de condamner CIM pour résistance abusive et manoeuvres dilatoires à leur verser .... la somme de 328.801,80 € à titre de dommages-intérêts, montant équivalent aux soldes déficitaires des comptes bancaires des appelants, subsidiairement, de retenir que ........en l'absence de toute erreur de fond ... le rapport de Madame [Z] fixe définitivement la valeur de la participation des appelants dans CEH et de condamner, en tout état de cause, CIM à verser la somme de 4.522.500 € , à titre de dommages-intérêts compensatoires, qui viendront, le cas échéant, en déduction des sommes dues par CIM au titre du prix fixé par le nouvel expert ..., à titre tout aussi subsidiaire, et pour le cas où il serait jugé que le prix n'est pas encore déterminé, de dire que le prix est déterminable, et en application des dispositions conjuguées des articles 1583 et 1843-4 du code civil, de réformer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé qu'il n'y avait pas vente au 20/6/2007, en tout état de cause, de condamner CIM à verser à chacun des appelants une somme de 20.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile' ;

Vu les conclusions signifiées le 2/11/2010 par la société CIM qui demande à la cour de confirmer le jugement déféré, en ce qu'il lui a donné acte de ce que la société GMH n'est pas dans la cause, a dit que le rapport de l'expert, Madame [Z], ne sera pas retenu pour servir de base à l'évaluation des actions, dans le cadre de l'exercice du droit de retrait de Monsieur [N] [R], a débouté la société Bayard Montaigne, Monsieur [N] [R], la société Arcade Investissements Conseil de leur demande de dire que la vente des titres est définitivement formée et de leur demande de remboursement des sommes versées à l'expert, d'infirmer le jugement déféré, en ce qu'il a dit Monsieur [N] [R] fondé à exercer son droit de retrait à la date du 20/6/2007 et en ce qu'il l'a déboutée de sa demande reconventionnelle de dommages-intérêts, statuant à nouveau , à titre préliminaire, de dire et juger que les premiers juges n'ont pas statué ultra petita et n'ont pas statué en juge d'appel de l'ordonnance du 24/10/2007, en conséquence, de débouter les appelants des demandes faites à ce titre, à titre principal, de dire et juger que Monsieur [R] a été révoqué de son mandat de président et de directeur général de la société CEH, en raison de son inconduite grave qui est caractérisée par l'ensemble des griefs opposés à Monsieur [R] et qu'il ne pouvait, par conséquent, exercer son droit de retrait en application de l'article 5 du pacte d'actionnaire du 9/1/1996, à tout le moins, de déclarer non écrite la clause du pacte d'actionnaire conditionnant la révocation du président à une inconduite grave, en violation du principe d'ordre public de libre révocabilité des mandataires sociaux, en conséquence, de juger qu'aucune cession de titres ne pouvait intervenir sur le fondement de la clause de sortie prévue par le pacte d'actionnaires, en conséquence, de débouter les appelants de l'intégralité de leurs demandes, de rejeter leur demande de dommages-intérêts, de dire qu'en application du pacte d'actionnaires, il incombe à Monsieur [R] de régler les frais d'expertise, de faire droit à ses demandes reconventionnelles et de condamner les appelants, solidairement, au paiement de la somme de 100.000 € à titre de dommages-intérêts, à titre subsidiaire, si la cour considérait que seul Monsieur [R] pouvait exercer son droit de retrait , de dire que seul Monsieur [R] pourrait faire jouer son droit de retrait, que les sociétés Bayard Montaigne et Arcade Investissements Conseil ne démontrent pas être substituées à Monsieur [R] et ne peuvent donc exercer leur retrait, de juger que le rapport d'expertise est inapplicable sur le fondement de l'article 1134 du code civil, ainsi que sur celui de l'article 1843-4 du code civil, compte tenu du défaut d'existence d'une obligation légale de céder les titres, de juger que l'évaluation des titres n'aurait pu intervenir que dans le cadre de l'article 1592 du code civil, en tout état de cause, d'écarter l'application du rapport d'expertise en raison des manoeuvres dolosives des appelants, de juger que l'évaluation des titres de la société CEH dans le cadre de l'exercice du droit de retrait, ne pourrait en aucun cas intervenir plus de deux ans avant l'exercice du droit de sortie, comme l'a fait Madame [Z], mais seulement à la date du retrait de Monsieur [R] ou à une date très proche comme il a été procédé dans le rapport Sofidec, de retenir exclusivement l'évaluation des titres de CEH faite par la société Sofidec, le 26/10/2009, à titre infiniment subsidiaire, si la cour jugeait régulier l'exercice du droit de retrait de Monsieur [R] et applicable le rapport du 30/5/2008, de constater que le rapport de Madame [Z] doit être écarté en raison de l'existence d'une erreur grossière, en tout état de cause, de condamner les appelants à lui verser, chacun, la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

SUR CE

Considérant que Monsieur [R], les sociétés Bayard Montaigne et Arcade Investissements Conseil, se sont associés, en 1995, avec une société holding de droit luxembourgeois, la société Continental Cargo, devenue la société CIM, au sein de la société Compagnie Européenne d'Hôtellerie (CEH), société de droit français, qui a pour objet la gestion et l'administration de résidences de tourisme par le biais de filiales opérationnelles exploitant des fonds de commerce à [Localité 6], [Localité 5] et la [Localité 8] ; qu'ils détenaient 45 % des actions de CEH, tandis que la société CIM en possédait 55 % ; que CIM, majoritaire en parts, était également majoritaire au conseil d'administration avec 3 représentants contre 2 pour Monsieur [R], les sociétés Bayard Montaigne et Arcade Investissements ; que ces derniers, professionnels du tourisme, avaient pour mission de gérer et administrer la société CEH ; que Monsieur [R] a été nommé président directeur général de la société CEH, le 1/2/1996 ;

Considérant que Monsieur [R] et la société Continental Cargo, ont signé, le 9/1/1996, un pacte d'actionnaires, rédigé en langue anglaise ( 'shareholders agreement') définissant les conditions de leur partenariat ; qu'il y est précisé, que, si Monsieur [R] était révoqué, sauf pour cause d'inconduite grave ('except for gross misconduct' ), il aurait le droit, pendant une période de six mois, de faire acquérir les actions qu'il détient, ou la société qui les porte, par la société CIM, à un prix déterminé amiablement ou, à dire d'expert nommé par le président du tribunal de commerce de Paris, aux frais de Monsieur [R], et fixé, en tout état de cause, à 45 % de la valeur de la société ;

Considérant que le 22/3/2007 et le 17/4/2007, Monsieur [R] a été révoqué, successivement, de ses fonctions de président et de celles de directeur général ; que par jugements des 8 avril et 1er juillet 2009, le tribunal de commerce de Paris a jugé régulières les réunions des conseils d'administration et valides ces révocations ;

Considérant que, par lettre du 20/6/2007, Monsieur [R] a mis en oeuvre la clause de sortie prévue par le pacte ; qu'il a proposé de se référer à l'expertise amiable, réalisée par le cabinet Grant Thornton, qui avait fixé la valeur de la société à 10.389.000 € et proposé, en conséquence, un prix de 4.675.000 € ; que cette proposition est restée sans réponse ; que les appelants ont donc assigné la société CIM en référé ; qu'un expert, Madame [Z], a été désigné par ordonnance du 24/10/2007 ; qu'il a déposé son rapport le 30/5/2008, et retenu une valorisation de 10.050.000 € pour la totalité du capital social de CEH, et évalué la part revenant à Monsieur [R] et aux sociétés qu'il contrôle (45 %), à 4.522.500 € ; que par lettres du 9/6/2008, les appelants ont mis la société CIM en demeure de payer le prix ainsi fixé et fait offre réelle de remettre en échange du paiement, les ordres de mouvement correspondant aux actions qu'ils détenaient ; que toutes les demandes amiables sont demeurées infructueuses ; que le refus de CIM de payer le prix a généré un très important contentieux ;

Considérant que Monsieur [R], les sociétés Bayard Montaigne et Arcade Investissements Conseil, ont, par assignation du 7/7/2008, saisi le président du tribunal de commerce statuant en référé, pour faire constater que la vente était parfaite en application des dispositions conjuguées des articles 1583 et 1843-4 du code civil et obtenir paiement, par provision, des sommes fixées par l'expert ; que, par ordonnance du 16/9/2008, le juge des référés a constaté, d'une part, que CIM ne caractérisait pas l'inconduite grave de Monsieur [R], d'autre part, qu'aucune erreur grossière ne pouvait être sérieusement invoquée et que l'obligation de rachat de CIM n'était pas sérieusement contestable ; qu'il a donc ordonné la cession à CIM des actions de CEH moyennant paiement du prix fixé par l'expert ; que sur appel interjeté par CIM, la cour d'appel de Paris a, le 20/3/2009, infirmé la décision en retenant que seul le juge du fond pouvait trancher la question du motif de révocation et de la contestation de l'exercice du droit de retrait ; que cet arrêt a été cassé par la cour de cassation le 21/1/2010, qui a dit que le juge des référés commerciaux avait le pouvoir d'ordonner l'exécution d'une obligation non sérieusement contestable, même lorsque le juge du fond était saisi ; que par arrêt sur renvoi du 12/10/2010, la cour d'appel de Paris a dit que la contestation élevée par CIM pour se soustraire à son obligation contractuelle n'était pas sérieuse, contrairement à celle relative au prix de rachat, le tribunal de commerce de Paris, saisi au fond, ayant écarté le rapport d'expertise ;

Considérant que de nombreux litiges opposent les parties à propos des mesures d'exécution, entreprises par les appelants, et contestées par CIM, pour garantir leur créance reconnue par l'ordonnance de référé du 16/9/2008 ;

Considérant que par assignation du 9/12/2008, Monsieur [R], les sociétés Bayard Montaigne et Arcade Investissements Conseil, ont attrait la société CIM devant le tribunal de commerce de Paris ; qu'ils ont, notamment, fait valoir que Monsieur [R] n'avait pas été révoqué pour inconduite grave, que l'expert évaluateur avait déterminé le prix des parts de CEH dans les conditions fixées par l'ordonnance du 24/10/2007, et que le prix était définitif depuis le dépôt du rapport, le 30/5/2008, en application de l'article 1843-4 du code civil ; qu'aucune erreur grossière, au sens du texte précité, n'était caractérisée, ni même invoquée ; qu'ils ont demandé au tribunal de dire que Monsieur [R] était fondé à exercer son droit de retrait, que la vente des titres était définitivement formée depuis le dépôt du rapport de l'expert, le 30/5/2008, d'ordonner l'exécution forcée de la cession des titres en faisant injonction, sous astreinte, à la société CIM de régulariser les ordres de mouvement des titres en sa possession ; que la société CIM a répliqué que Monsieur [R] avait été révoqué de ses mandats en raison de son inconduite grave et qu'il ne pouvait par conséquent exercer son droit de retrait en application de l'article 5 du pacte d'actionnaires et qu'aucune cession de titres ne pouvait intervenir sur le fondement de la clause de sortie ; qu'à titre subsidiaire, elle a fait valoir, notamment, que l'évaluation des titres ne pourrait en aucun cas intervenir plus de deux ans avant l'exercice du droit de sortie, comme l'avait dit Madame [Z] dans son rapport qui, dès lors, ne pouvait servir de base à ladite évaluation, mais seulement à la date du retrait ou à une date très proche de celui-ci, ainsi que cela était dit dans le rapport Sofidec du 26/10/2009 ;

Considérant que par le jugement déféré, le tribunal, après avoir relevé que le terme inconduite grave ou 'gross misconduct' n'avait pas été utilisé et que l'absence de travaux et de provisions, qui était invoquée comme constituant un désaccord sur la politique de gestion, ne pouvait constituer une inconduite grave au sens du pacte, compte tenu du fait qu'elle n'avait jamais été critiquée auparavant, a dit que Monsieur [R] avait exercé son droit de retrait de façon régulière, à la date du 20/6/2007 ; que, faute d'accord entre les parties dans les trois mois, le prix final devait être fixé à dire d'expert selon les dispositions de l'article 1843-4 du code civil ; que selon ce texte, le président qui doit désigner l'expert n'a pas le pouvoir de préciser les critères sur lesquels doit se fonder celui-ci ; qu'en l'espèce, le juge a dit que l'expert devrait évaluer la valeur de la société CEH à la date de clôture du dernier bilan enregistré au greffe du tribunal de commerce, lors de la révocation du mandat de Monsieur [R], à la date du 31/12/2005 ; que l'expert, qui a exécuté la mission, n'a donc pas eu la liberté de l'évaluation ; que les premiers juges ont, donc, décidé que le rapport ne pouvait être retenu pour servir de base à l'évaluation des actions et qu'il appartiendrait à Monsieur [R] de saisir à nouveau le juge des référés pour obtenir la désignation d'un expert au visa de l'article 1843-4 du code civil ; qu'ils ont également écarté le rapport Sofidec, au motif qu'il n'avait pas été établi dans les conditions prévues par l'article 1843-4 du code civil ; qu'ils ont donc jugé que la vente n'était pas définitivement formée et dit qu'il n'y avait pas lieu à cession forcée des titres et à paiement du prix ;

Considérant que le pacte d'actionnaires prévoit, en son article 5, que 'si le président du conseil d'administration devait être révoqué, sauf pour le cas d'inconduite grave, (en anglais except for gross misconduct), ou si son mandat de président du conseil n'était pas renouvelé, Monsieur [R], ou la société substituée, aura le droit pendant une période de 6 mois de faire acquérir les actions qu'il détient ou la société qui les porte par Continental Cargo, dans ce cas, le prix de ses actions sera décidé, par accord mutuel, dans les trois mois de la date de l'avis par [N] [R] qu'il souhaite vendre, si les parties ne sont pas d'accord pendant cette période, le prix final des dites actions sera décidé par une évaluation à dire d'expert nommé par le tribunal de commerce de Paris aux frais d'[N] [R], le prix pour les actions d'[N] [R] sera fixé à 45 % de la valeur de la société' ;

- sur l'exercice du droit de retrait :

Considérant que CIM conteste l'exercice du droit de retrait et soutient que Monsieur [R] a fait l'objet d'une révocation de ses mandats de président directeur général et de directeur général de la société CEH pour des motifs particulièrement graves justifiant son départ de la société sans indemnité ni délai ; qu'elle précise que l'expression anglaise ' gross misconduct' doit être traduite par 'faute grave' ou 'mauvaise administration ou mauvaise gestion' ; que le tribunal de commerce, dans un jugement du 8/4/2009, a validé ces révocations en qualifiant de légitimes les motifs invoqués et en déboutant Monsieur [R] de toutes demandes indemnitaires ; qu'elle expose que les griefs opposés à Monsieur [R] sont constitutifs, ensemble, d'une inconduite grave ; que les fautes de gestion reprochées à Monsieur [R], qui disposait de la pleine et entière confiance de son partenaire et qui percevait une rémunération très importante, sont notamment caractérisées, d'abord, par un défaut d'entretien, de réparation et de fourniture de mobiliers des résidences de tourisme en contravention avec le mandat qui lui avait été consenti à cet effet, ensuite, par le non respect des contrats signés pour le compte de la société et notamment la violation des dispositions des baux, qui prévoyaient qu'il entretienne les locaux et les meubles et réalise les investissements nécessaires, encore, par un défaut d'investissement au profit d'une politique systématique de distribution de dividendes destinée à privilégier ses intérêts personnels au détriment des intérêts sociaux, ainsi que par un délaissement de la gestion du personnel avec l'exposition de la société à un risque de contentieux élevé, enfin par la fermeture de la résidence de [Localité 6] qu'il a unilatéralement imposée à son partenaire ; qu'elle indique que toutes ces erreurs de gestion ont conduit à un appauvrissement de la société CEH ; qu'elle qualifie également d'inconduite grave le refus de Monsieur [R] de convoquer une assemblée malgré la demande des actionnaires, et plus généralement, son opposition obstinée à rendre des comptes sur la gestion et à présenter les choix réalisés dans le respect des intérêts sociaux et des engagements de la société, l'engagement et le maintien de force de procédures infondées et injustifiées au détriment des intérêts sociaux et des intérêts des administrateurs ; qu'elle conclut que l'ensemble de ces motifs constitue l'exception à l'exercice du droit de retrait prévu par le pacte d'actionnaires ;

Considérant que, le 22/3/2007, Monsieur [N] [R] a été révoqué de son mandat de président du conseil d'administration 'en raison du désaccord existant entre les actionnaires majoritaires et lui même' ; que par courrier du 4/4/2007, Monsieur [X] [I], qui l'avait remplacé dans ses fonctions, lui a rappelé les motifs de sa révocation ; qu'il a précisé qu'il ressortait clairement de sa gestion qu'il n'avait à aucun moment respecté les baux commerciaux des filiales liant certaines des SNC à leur bailleur, que non seulement, il n'avait jamais réalisé le moindre travaux d'entretien, mais qu'il n'avait pas non plus jugé nécessaire de provisionner des travaux ou de commander le moindre nouveau matériel ; qu'il a stigmatisé une méthode de gestion tout à fait inacceptable pour un gestionnaire de résidences, qui privilégiait la distribution de dividendes aux actionnaires ; que la révocation de ses fonctions de directeur général a été explicitement justifiée, ainsi que cela résulte du procès-verbal du conseil d'administration du 17/4/2007, par les faits suivants : 'Monsieur [R] n'a pas hésité à engager diverses procédures totalement infondées et à retenir des pièces comptables et notamment de trésorerie (relevés de compte bancaire) réclamées depuis plusieurs mois, non seulement par le principal actionnaire, mais également par trois des cinq membres du conseil d'administration et dernièrement, depuis quelques semaines, par le président Monsieur [X] [I]. En effet Monsieur [N] [R], sans requérir l'accord du conseil d'administration, a introduit diverses actions judiciaires et n'a pas hésité à les poursuivre, alors même que la majorité des membres du conseil d'administration lui ont indiqué leur incompréhension concernant lesdites procédures, les jugeant contraires à l'intérêt de la société . Je vous rappelle, à cet égard, que Monsieur [R], au cours du dernier conseil d'administration, a été dans l'impossibilité la plus totale de justifier du défaut de renouvellement du matériel et d'entretien et de rénovation des résidences de tourisme gérées par les filiales de la société . Il a entendu maintenir diverses procédures en cours et interjeter appel notamment au nom de la société et de ses filiales de l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Paris du 22/3/2007. L'ensemble des procédures était notamment fondé sur une prétendue détérioration des comptes de la société CEH et de ses filiales' ; qu'un des administrateurs présents, Monsieur [P], a estimé que la révocation de Monsieur [R] résultait en fait d'un conflit entre actionnaires ; qu'elle n'était pas justifiée par l'intérêt de la société, puisque, ainsi que l'admettait le nouveau président directeur général, il 'n'y avait rien de catastrophique dans les comptes , qui ne sont pas dans l'antichambre du dépôt de bilan' ;

Considérant qu'il s'évince de ce qui précède que les termes 'inconduite grave' ou 'gross misconduct', n'ont pas été employés au moment où la décision de révocation a été prise ; que seul ce motif de révocation, qui doit être expressément visé, est de nature à faire obstacle à la mise en oeuvre de la clause prévue à l'article 5 du pacte ; que la société CIM, qui ne l'a invoqué, en anglais, que dans une lettre du 18/2/2008, ne saurait être autorisée à prouver, a posteriori, que les raisons de l'éviction de Monsieur [R] qu'elle a énoncées, relèvent de la faute grave et de la mauvaise gestion et l'autorisent à exciper du bénéfice de l'exception contractuellement prévue ;

Considérant que l'article 5 du pacte d'actionnaires consacre le droit pour Monsieur [R], dans certaines conditions, précisément et limitativement énumérées, relatives au motif de son départ de la société, de faire acquérir ses actions par la société ; que ces stipulations relèvent de la liberté contractuelle ; que la société CIM est mal fondée à demander que soit déclarée non écrite cette clause sur le fondement du principe d'ordre public de la révocation ad nutum du mandataire social ;

Considérant qu'il n'est pas sérieusement contestable que les sociétés Bayard Montaigne et Arcade Investissements Conseil, contrôlées par Monsieur [R], détiennent toutes les deux, les titres de la société CEH ; que cette situation entre manifestement dans le périmètre de l'article 5 du pacte d'actionnaires qui prévoit le droit pour Monsieur [R] de faire acquérir les actions qu'il détient ou les sociétés qui les porte ;

Considérant que le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a dit Monsieur [N] [R] fondé à exercer son droit de retrait à la date du 20/6/2007 ;

- sur l'erreur grossière :

Considérant que les dispositions de l'article 1843-4 du code civil sont applicables à tous les cas où sont prévus la cession des droits sociaux d'un associé ou le rachat de ceux-ci par la société ; qu'il est dès lors constant que la valeur des droits détenus par les appelants dans CEH doit être déterminée par un expert désigné par le président du tribunal statuant en référé, dans les conditions textuelles ci-dessus indiquées ;

Considérant que par ordonnance du 24/10/2007, le juge des référés a désigné Madame [Z], en précisant qu'elle aurait pour mission 'd'évaluer la valeur de la société CEH à la date de clôture du dernier bilan enregistré au greffe du tribunal de commerce lors de la révocation du mandat de Monsieur [R], président à la date du 31/12/2005" ; que l'expert a conclu son rapport en disant : ' l'ordonnance du 24/10/2007 précise que je dois évaluer la valeur de la société CEH à la date de clôture du dernier bilan enregistré au greffe du tribunal de commerce lors de la révocation du mandat de Monsieur [R] à la date du 31/12/2005 . Bien que la révocation de Monsieur [R] ait eu lieu le 22/3/2007, j'établirai donc, comme me le demande le tribunal, une évaluation de la société CEH au 31/12/2005, date de clôture du dernier bilan enregistré au greffe du tribunal de commerce' ; qu'il résulte de ce qui précède que l'expert a suivi la directive relative à la date d'évaluation des droits sociaux que lui a donnée le président du tribunal de commerce, qui a manifestement commis un excès de pouvoir en ne se contentant pas de le désigner ; que, ce faisant, le rapport est entaché d'une erreur grossière résultant de la méconnaissance par l'expert de ses pouvoirs qu'il tenait de l'article 1843-4 du code civil ;

Considérant que'il y a donc lieu d'annuler le rapport d'expertise de Madame [Z] et de renvoyer les parties à la désignation d'un nouvel expert ;

Considérant que compte tenu de l'annulation du rapport d'expertise, la cour ne peut pas constater l'existence d'une vente parfaite entre les parties depuis le 20/6/2007 ;

Considérant que sur ces points, la décision entreprise sera confirmée par substitution partielle de motifs ;

- sur les demandes indemnitaires :

Considérant que la société CIM ne démontre nullement les manoeuvres dolosives effectuées par Monsieur [R] ; que celui-ci ne prouve, ni la résistance abusive, ni la mauvaise foi de la société CIM ; que les demandes réciproques de dommages-intérêts doivent être rejetées ;

Considérant que la cour ne peut préjuger de ce que dira le nouvel expert désigné et savoir si la valeur qui sera fixée, sera inférieure à celle retenue par Madame [Z] ; que la demande de condamnation de CIM au paiement de la somme de 4.522.500 € à titre de dommages-intérêts, compensatoires de l'atteinte volontaire de CIM à la valeur de ses parts sociales, qui viendrait, le cas échéant, en déduction du prix fixé par l'expert, si ce dernier devait aboutir à une valorisation supérieure, sera donc rejetée ;

Considérant que le pacte d'actionnaires prévoit que les frais d'expertise sont à la charge de Monsieur [R] ; que la cour ne saurait condamner la société CIM à leur paiement ;

Considérant que la société CIM, qui succombe pour l'essentiel et sera condamnée aux dépens, n'est pas fondée à réclamer des sommes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; que l'équité commande au contraire qu'elle soit condamnée à verser la somme de 10.000 € à ce titre à chacun des appelants ;

PAR CES MOTIFS PARTIELLEMENT SUBSTITUES

Confirme le jugement déféré,

Y ajoutant,

Condamne la société Continental Investments and Management à payer la somme de 10.000€ à chacun des appelants au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette toutes autres demandes des parties,

Condamne la société CIM aux dépens et admet l'avoué concerné au bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile .

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

M.C HOUDIN N. MAESTRACCI


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 10/11125
Date de la décision : 14/12/2010

Références :

Cour d'appel de Paris I8, arrêt n°10/11125 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2010-12-14;10.11125 ?
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