Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 2
ARRET DU 26 NOVEMBRE 2010
(n° 287, 13 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 09/18639.
Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Février 2006 - Tribunal de Grande Instance de PARIS 3ème Chambre 3ème Section - RG n° 98/07043.
APPELANTE et INTIMÉE SIMULTANÉMENT :
SA 'SAVERGLASS' (Société SAV) anciennement dénommée SOCIETE AUTONOME DE VERRERIES
prise en la personne de son représentant légal,
ayant son siège social [Localité 2],
représentée par la SCP FISSELIER - CHILOUX - BOULAY, avoués à la Cour,
assistée de Maître François BAYLE du Cabinet BAYLE & Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : P 398.
INTIMÉE et APPELANTE SIMULTANÉMENT :
SA SAINT GOBAIN EMBALLAGE
prise en la personne de son Président du conseil d'administration,
ayant son siège social [Adresse 1],
représentée par la SCP HARDOUIN, avoués à la Cour,
assistée de Maître Michel-Paul ESCANDE de la SELARL M-P ESCANDE, avocat au barreau de PARIS, toque : R266.
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 910 - 1er alinéa du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 octobre 2010, en audience publique, devant Madame DARBOIS, conseillère chargée du rapport, les avocats ne s'y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur GIRARDET, président,
Madame DARBOIS, conseillère,
Madame NEROT, conseillère.
Greffier lors des débats : Monsieur NGUYEN.
ARRET :
Contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Monsieur GIRARDET, président, et par Monsieur NGUYEN, greffier présent lors du prononcé.
La société Autonome de Verreries (ci-après SAV) est titulaire d'une marque figurative, déposée en couleurs le 11 septembre 1990 en renouvellement du dépôt effectué le 25 septembre 1980 sous le numéro 574 454 et enregistré sous le numéro 1 153 706, enregistrée sous le numéro 1 614 673 et régulièrement renouvelée, pour désigner, notamment, les 'verre brut et mi-ouvré (à l'exception du verre de construction), verrerie, porcelaine et faïence non comprises dans d'autres classes. Boissons alcooliques (à l'exception des bières)' en classes 21 et 33.
Selon les mentions figurant à ce dépôt, cette marque revendique la couleur suivante : «Nuance de vert-brun telle que, d'après sa courbe de transmission de lumière, elle assure une protection contre les rayons ultraviolets, parfaite dans la gamme des longueurs d'ondes comprises entre 350 et 450 nm et a une longueur d'onde dominante de 576-577 nm, définie par les coordonnées trichromatiques suivantes, respectivement sous une épaisseur de 5 et 7 mm : x = 0,4719 - 0,4849 et y = 0,5052 - 0,5027».
La société SAV exploite cette marque pour des produits de verre et de verrerie et plus particulièrement pour des bouteilles destinées à contenir de l'alcool et du vin, qu'elle commercialise sous la dénomination 'Antique'.
Ayant constaté que la société [Adresse 8] fabriquait et commercialisait des bouteilles destinées à contenir de l'alcool et du vin, d'une nuance de couleur reproduisant, selon elle, la marque n° 1 614 673 et sous la dénomination 'Antique', la société SAV, après avoir fait procéder à des opérations de saisie-contrefaçon, le 20 juin 1997, dans les locaux de la société L.R. MONOPRIX DISTRIBUTION 'Magasin Gourmet-Lafayette' à Paris et, le 23 juin 1997, dans les locaux de la société [Adresse 8] à [Localité 9], a, par acte d'huissier du 4 juillet 1997, fait assigner la société [Adresse 8] en contrefaçon de la marque précitée et en concurrence déloyale devant le tribunal de grande instance de Paris.
Par jugement avant dire droit rendu le 14 novembre 2000, la troisième chambre, troisième section, de ce tribunal a ordonné une consultation confiée à MM. [D] [S] et [I] [A] avec pour mission d'indiquer :
* si les caractéristiques de la marque figurant à son enregistrement, ci-dessus énoncées, définissent une nuance de couleur précise pour un produit en verre et, dans l'affirmative, laquelle,
* si le procédé décrit par le brevet EP 0 037 346 dont la société [Adresse 8] est titulaire permet d'obtenir la nuance de couleur(s) revendiquée par le dépôt de la marque pour un produit en verre ;
- dans l'affirmative, si cette nuance de couleur(s) ne peut être obtenue exclusivement que par le procédé décrit par ledit brevet,
- dans la négative, quelle(s) nuance(s) de couleur(s) est ou sont obtenue(s) et quelles sont les différences entre la nuance de couleur revendiquée par la société SAV dans sa marque et celle(s) issue(s) du brevet de la société [Adresse 8].
MM. [D] [S] et [I] [A] ont déposé leur rapport de consultation le 30 janvier 2003.
Par jugement contradictoire rendu le 22 février 2006, le tribunal de grande instance de Paris a :
- prononcé pour défaut de distinctivité la nullité de la marque n° 1 614 673 pour les 'verre brut et mi-ouvré (à l'exception du verre de construction), verrerie, porcelaine et faïence non comprises dans d'autres classes. Boissons alcooliques (à l'exception des bières)',
- dit que la décision devenue définitive sera transmise à l'Institut national de la propriété industrielle pour inscription sur le registre national des marques,
- déclaré irrecevable la demande reconventionnelle en déchéance des droits de la société SAV sur la marque n° 1 614 673 pour désigner les autres produits et services visés à son enregistrement,
- dit que la société [Adresse 8], en commercialisant à compter de 1996 des produits verriers (bouteilles) d'une nuance quasiment identique à celle exploitée par la société SAV depuis 1980 sous la dénomination 'antique', a commis et commet des actes de concurrence déloyale au détriment de cette dernière société qu'elle a assistée depuis 1980 dans la fabrication de son produit verrier 'antique',
- interdit la poursuite des actes illicites ainsi définis, sous astreinte de 1 500 euros par infraction constatée passé le délai de quatre mois après la signification de la décision,
- débouté les parties de leurs autres demandes,
- condamné la société [Adresse 8] aux dépens comprenant les frais des saisies-contrefaçon et les honoraires des consultants.
La société Autonome de Verreries, aussi dénommée commercialement SAVERGLASS, et la société [Adresse 8] ont relevé appel de cette décision respectivement le 4 avril et le 4 mai 2006, les instances étant enrôlées sous le même numéro.
L'affaire a fait l'objet d'un retrait du rôle selon ordonnance du 13 septembre 2007 et a été rétablie le 24 août 2009 à l'initiative de la société SAVERGLASS, anciennement dénommée société Autonome de Verreries.
Par ordonnance rendue le 16 septembre 2010, un conseiller de la mise en état de cette chambre de la cour a débouté la société [Adresse 8] des fins de son incident tendant à voir déclarer l'instance périmée, rejeté les demandes réciproques des parties au titre de leurs frais non répétibles et condamné ladite société aux dépens de l'incident.
Aux termes de ses dernières écritures signifiées le 30 septembre 2010, la société SAVERGLASS, anciennement dénommée société Autonome de Verreries, demande à la cour de :
- dire que l'instance n'est pas périmée,
- la déclarer recevable en son appel,
- débouter la société [Adresse 8] de ses demandes,
- confirmer le jugement entrepris sur les actes de concurrence déloyale, la mesure d'interdiction sous astreinte et les condamnations relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile,
- l'infirmer pour le surplus et, statuant à nouveau,
- condamner la société [Adresse 8] au titre des actes de contrefaçon par reproduction de la marque n° 1 614 673,
- prononcer les mesures d'interdiction, de confiscation, de destruction et de publication d'usage,
- condamner la société [Adresse 8] à lui payer deux provisions d'un montant de 500 000 euros chacune à valoir sur les dommages et intérêts des chefs des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale, qui seront à fixer à dire d'expert dont il est sollicité la désignation,
- condamner la société [Adresse 8] au paiement de la somme complémentaire de 30 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.
Aux termes de ses dernières écritures signifiées le 22 septembre 2010, la société SAINT- GOBAIN EMBALLAGE demande à la cour de :
- déclarer l'instance périmée et, en conséquence, de constater le caractère définitif du jugement entrepris,
- en tout état de cause, débouter la société SAV de son appel,
- dire que l'enregistrement de la marque déposée le 25 septembre 1980 par la société SAV et enregistrée sous le numéro 1 614 673 en classes 21 et 33 est nul pour ne pas comporter une description claire, précise, complète pour elle-même, facilement accessible, intelligible, durable et objective,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a annulé l'enregistrement de ladite marque et ceci, tant pour les motifs retenus en première instance, à savoir le défaut de distinctivité, que pour ceux développés dans les conclusions,
- en ce qui concerne le critère du défaut de distinctivité, confirmer la décision en ce qu'elle a jugé que la notoriété exceptionnelle invoquée à tort par la société SAV n'est pas établie au 4 juillet 1997, date de l'assignation,
- dire que la contrefaçon alléguée n'est pas établie,
- en conséquence, dire la société Autonome de Verreries - SAV irrecevable et mal fondée en sa demande en contrefaçon de la marque n° 1 614 673,
- prononcer la déchéance des droits de la société SAV sur cette marque pour les produits visés dans les conclusions et pour lesquels la marque n'a pas été annulée par le tribunal, la prononcer également si par impossible la marque n'était pas annulée pour les boissons alcooliques (à l'exception des bières),
- dire que le préjudice allégué par la société SAV après plus de douze ans de procédure n'est pas établi,
- la débouter de ses demandes de ce chef ainsi que des demandes d'expertise destinées à pallier une totale carence de preuve de sa part depuis le mois de juillet 1997,
- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a estimé qu'elle-même s'est rendue coupable de concurrence déloyale à l'égard de la société SAV,
- débouter cette dernière de sa demande de ce chef,
- constater, en tout état de cause, que les faits constitutifs de la faute qualifiée à tort par le tribunal de concurrence déloyale ont cessé dans les quatre mois de la signification du jugement,
- condamner la société SAV à lui verser la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- en tout état da cause, condamner la société SAV au paiement de la somme de 50 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.
L'instruction du dossier a été clôturée le 14 octobre 2010 et par conclusions de procédure signifiées le 18 octobre suivant, la société [Adresse 8] sollicite le rejet des débats des pièces 45 à 59, communiquées par la société Autonome de Verreries SAVERGLASS le 14 octobre 2010.
Il est renvoyé aux dernières conclusions précitées des parties pour plus ample exposé de leurs moyens et prétentions.
SUR CE, LA COUR,
Sur la péremption d'instance :
Considérant que la société [Adresse 8] soulève la péremption de l'instance aux motifs que la sommation de communiquer ses pièces n° 1 à 63 que lui a signifiée la société SAVERGLASS le 4 septembre 2007 constitue la dernière diligence effectuée par les parties dans la présente procédure, avant le retrait du rôle, qu'elle constitue donc le point de départ du délai de péremption et que la nouvelle signification, le 24 août 2009, par la société SAVERGLASS de ses conclusions signifiées le 4 août 2006, sans modification, dans l'unique but d'interrompre le délai de péremption, n'était pas de nature à faire progresser l'affaire et ne peut dès lors pas être retenu comme une diligence interruptive au sens de l'article 386 du code de procédure civile.
Mais considérant que, ce faisant, la société [Adresse 8] réitère devant la cour l'exception de péremption d'instance qu'elle avait soulevée devant le conseiller de la mise en état et que celui-ci a rejetée par ordonnance du 16 septembre 2010 ;
Que, conformément aux dispositions de l'article 771 du code de procédure civile, le conseiller de la mise en état était seul compétent jusqu'à son dessaisissement pour statuer sur cet incident mettant fin à l'instance, formée postérieurement à sa désignation, en sorte que l'incident soulevé aux mêmes fins devant le juge du fond est irrecevable.
Sur la demande de rejet de pièces :
Considérant que la société [Adresse 8] sollicite, sur le fondement des articles 15 et 16 du code de procédure civile, le rejet des pièces n° 45 à 59, communiquées par la société SAVERGLASS le 14 octobre 2010, jour de la clôture.
Considérant que la pièce n° 51 porte sur le rapport de consultation de MM. [D] [S] et [I] [A], lequel constitue une pièce du dossier de première instance dont chaque partie a reçu, le 30 janvier 2003, un exemplaire original ainsi qu'il ressort de la page 44 de ce rapport ; que ce document a fait l'objet d'un débat non seulement devant le tribunal mais encore dans les écritures échangées par les parties devant la cour, ce qui démontre que la société [Adresse 8] n'a pas été empêchée de conclure en dépit de la signification tardive de cette pièce ; qu'il n'y a donc pas lieu de l'écarter des débats.
Considérant, en revanche, que les autres pièces ayant été communiquées le jour même de la clôture intervenue à six jours des plaidoiries, la société [Adresse 8] n'a disposé d'aucun délai pour les examiner et en débattre utilement dans le cadre de sa défense ; qu'une telle signification, tardive, porte atteinte au principe de la contradiction et commande, par conséquent, de rejeter des débats les pièces n° 45 à 50 et 52 à 59.
Sur la validité de la marque n° 1 614 673 :
Considérant qu'au soutien de son appel, la société SAVERGLASS fait grief aux premiers juges d'avoir prononcé le nullité de la marque pour défaut de distinctivité et prétend que, contrairement à ce qu'allègue la société [Adresse 8], le dépôt de la marque n° 1 614 673 n'avait pas pour objet de permettre la protection d'une caractéristique des produits qui serait en l'espèce la protection contre les rayons ultraviolets assurée par cette couleur, puisque l'effet technique d'atténuation des rayons ultraviolets est lié à la composition chimique du verre et non pas à sa couleur, qu'il s'agit d'une nuance de couleur totalement arbitraire qui permet au public pertinent de distinguer ses propres produits de ceux de ses concurrents, que le dépôt de cette nuance remplit donc bien sa fonction de marque ainsi que le démontre d'ailleurs le succès important qu'elle a connu dès son adoption ;
Que, de son côté, la société [Adresse 8], si elle approuve le tribunal d'avoir retenu l'inaptitude du signe à constituer une marque pour les produits en cause, soutient toutefois que la marque en question est nulle pour n'être pas définie de manière complète et précise, faute d'indication du facteur de luminance.
Considérant, ceci exposé, que la marque en cause ayant été déposée par la société SAV le 25 septembre 1980, c'est au regard des dispositions de la loi n° 64-1360 du 31 décembre 1964 que doit s'apprécier la validité de ce titre.
Considérant que le droit des marques étant un droit d'occupation qui confère à son titulaire un monopole, une nuance de couleur doit, pour bénéficier de la protection par le droit des marques conformément aux dispositions de l'article L. 711-1 du code de la propriété intellectuelle, d'une part, faire l'objet d'une représentation graphique dans la demande d'enregistrement, c'est-à-dire être représentée visuellement de sorte qu'elle puisse être identifiée avec exactitude, et, d'autre part, remplir sa fonction, c'est-à-dire permettre au public pertinent de distinguer les produits visés à l'enregistrement de ceux des concurrents.
Considérant que la représentation graphique d'une nuance de couleur, nécessaire pour permettre à toute personne de déterminer le périmètre de la protection, doit, ainsi que l'a rappelé la Cour de justice des Communautés européennes dans son arrêt Libertel du 6 mai 2003, être 'claire, précise, complète par elle-même, facilement accessible, intelligible, durable et objective'.
Considérant qu'en l'espèce, la demande d'enregistrement associe un échantillon d'une couleur et la description verbale suivante, énoncée ci-dessus : «Nuance de vert-brun telle que, d'après sa courbe de transmission de lumière, elle assure une protection contre les rayons ultraviolets, parfaite dans la gamme des longueurs d'ondes comprises entre 350 et 450 nm et a une longueur d'onde dominante de 576-577 nm, définie par les coordonnées trichromatiques suivantes, respectivement sous une épaisseur de 5 et 7 mm : x = 0,4719 - 0,4849 et y = 0,5052 - 0,5027».
Considérant qu'aux termes de leur rapport, MM. [S] et [A] relèvent que 'les indications de la marque déposée en 1990 sous le n° 1 614 673 reprenant intégralement les indications de celle déposée en 1980 sous le n° 1 153 706 définissent bien :
- une couleur de nuance vert brun ;
- de coordonnées trichromatiques x et y connues ;
- de longueur d'onde dominante mesurable et de pureté lumineuse calculable à partir des indications précédentes'
et ajoutent que 'le facteur de luminance non spécifié dans la marque serait considéré comme implicitement décrit par le terme vert brun'
pour conclure que 'la marque telle que décrite en 1990 par répétition d'un texte établi en 1980 et en l'état des connaissances de l'époque définit donc bien, au regard de la norme NF X 08 012 de décembre 1974 valable à l'époque du dépôt de 1980, -pour des professionnels- la nuance de couleur mais elle :
- pouvait faire l'objet de précision concernant le facteur de luminance ;
- n'a pas tenu compte des modifications introduites dans un modèle de procès-verbal donné en annexe de l'édition de juillet 1983 de la norme NF X 08 012, particulièrement en ce qui concerne l'illuminant, l'observateur de référence et bien évidemment le facteur de luminance.
Mais si les informations données en 1980 étaient suffisantes pour définir la couleur, elles l'étaient encore en 1990 même si formellement elles ne prenaient pas en compte les modifications introduites dans la norme NF X 08 012' ;
Que les premiers juges ont tiré de ces éléments que la représentation graphique de la marque était claire, précise, complète par elle-même, facilement accessible, intelligible, durable et objective et que l'adjonction aux caractéristiques des coordonnées trichromatiques et de la longueur d'onde, de considérations sur la protection contre les rayons ultraviolets dont bénéficient les produits revêtus de la marque est sans incidence sur la représentation graphique elle-même qui n'est pas modifiée par ces précisions superflues.
Considérant, cependant, que, pour parvenir à leur conclusion, les experts, se référant à l'ouvrage d'[I] [J] 'Couleur et colorimétrie', indiquent, page 6/15 de leur rapport, qu''une couleur, qu'il s'agisse de la couleur d'un objet ou de la couleur d'une lumière, est la résultante de trois composantes :
' la teinte ou tonalité chromatique qui est une des couleurs de l'arc en ciel comprise dans le spectre des longueurs d'onde visible du violet (= 400 nm) au rouge (= 780 nm) définie par sa longueur d'onde dominante,
' la pureté colorimétrique (désignée parfois par le terme de «saturation») qui est le pourcentage de couleur pure (par exemple le rouge) qui donne avec le blanc la couleur étudiée (par exemple le rose),
' la clarté ou facteur de luminance qui peut être assimilée à la brillance ou luminosité d'une couleur : par exemple, les bruns sont des couleurs peu lumineuses contrairement aux jaunes.
La colorimétrie s'est efforcée de mesurer quantitativement ces trois composantes (...).
La teinte et sa pureté sont donc parfaitement définies par des chiffres précis et relativement reproductibles.
Les spectro colorimètres sont programmés pour déterminer également la luminance.' ;
Qu'ils rappellent en outre la modification apportée par l'édition 1983 de la norme française applicable NF X 08 012 en ce que le procès-verbal d'essais doit mentionner l'illuminant ;
Qu'ils relèvent que dans le dépôt de marque initial de 1980, à l'époque où l'édition de 1974 de la norme précitée était en vigueur, la société SAV a entendu protéger une nuance vert-brun, une longueur d'onde dominante 576 à 577 nm et des coordonnées trichromatiques sous épaisseur de 5 et 7 mm : x = 0,4719 - 0,4849 et y = 0,5052 - 0,5027 mais n'a mentionné ni l'illuminant, ni la pureté, ni la luminosité ;
Qu'ils indiquent que, 'les coordonnées x et y des illuminants C et D dans le diagramme de chromaticité étant connues, il est possible de déterminer graphiquement : la longueur d'onde dominante du verre faisant l'objet du dépôt de marque observé sous 5 et 7 mm d'épaisseur (... et) la pureté (en pourcentage)' ;
Qu'ils soulignent que 'par contre, le facteur de luminance Y n'est pas donné et les indications numériques fournies dans le dépôt de marque de 1980 ne permettent pas de le connaître et sur ce point, la définition de la couleur dans la marque apparaît insuffisante' avant de préciser 'mais, dans la définition de la couleur, il est dit qu'il s'agit de verre de nuance vert brun. Le qualificatif de brun implique une couleur sombre, donc à faible teneur de luminescence. La société SAV dans la note de son Conseil s'appuie sur la «classification méthodique générale des couleurs - classification simplifiée des couleurs CCR» correspondant à la norme NF X 08-010 pour indiquer que le facteur de luminescence est de l'ordre de 20' ;
Qu'enfin, ils observent que 'dans son dépôt de marque de 1990, la société SAV reprend intégralement le descriptif de sa marque déposée en 1980 mais à cette époque la norme NF X 08 012 en vigueur était l'édition de 1983, laquelle imposait un formalisme descriptif qui a été omis pour la précision de l'illuminant et de la pureté. La luminosité fait l'objet de la même imprécision que dans la marque de 1980'.
Considérant que la situation de monopole conférée par le droit de marque suppose une exigence d'identification du signe qui soit fiable, ne laissant prise à aucune interprétation par le public pertinent ;
Qu'il ressort de leur rapport de consultation que les experts, tout en affirmant que les informations données en 1980 étaient 'suffisantes pour définir la couleur', sont pourtant eux-mêmes imprécis s'agissant du facteur de luminance présenté par la nuance de couleur revendiquée, qu'ils estiment, après l'avoir défini comme étant 'implicitement décrit par le terme vert brun', 'faible' puisque le brun implique 'une couleur sombre' ;
Que, dans la mesure où c'est la luminance qui donne à une teinte sa nuance, une telle définition est incomplète et ne répond pas davantage à l'exigence de précision et d'objectivité ; qu'en outre, la caractéristique qui lui est prêtée d'assurer 'd'après sa courbe de transmission de lumière une protection contre les rayons ultraviolets parfaite', qu'elle soit ou non superfétatoire, contribue à rendre la représentation graphique de cette nuance de couleur moins intelligible ;
Que pas plus la note technique de M. [H] [O] en date du 27 juin 2002, communiquée par la société SAVERGLASS aux experts qui ont considéré qu'elle n'apportait pas 'd'éléments fondamentaux', n'est-elle de nature à établir que la description de la couleur revendiquée répond aux critères posés par la CJUE ; qu'il ne suffit pas d'exposer que la nuance vert-brun encadre avec précision la valeur d'un facteur de luminance 'Y', même si cette dernière n'est pas indiquée dans une formulation mathématique, et de soutenir que ce facteur n'est pas pertinent en matière d'appréhension de la couleur à travers le verre, dès lors que 'l'oeil reconnaît bien l'existence d'une même couleur bien que la lumière qu'il reçoit varie en intensité', pour conclure qu'il ne peut y avoir aucun doute sur la nature exacte de la couleur déposée et définie par ladite société.
Considérant que l'insuffisance de la définition de la nuance de couleur revendiquée n'est pas compensée par la reproduction d'un échantillon figurant sur le certificat d'enregistrement que, d'ailleurs, la société SAVERGLASS n'invoque même pas tant cet échantillon, tel qu'il ressort de l'exemplaire versé aux débats par la société [Adresse 8], est, par sa dominante de jaune, éloigné du vert-brun quelle qu'en soit la nuance ;
Qu'il s'ensuit que la marque n° 1 614 673 est nulle pour insuffisance de description.
Considérant, dans ces conditions, que, sans qu'il soit nécessaire de rechercher si la marque n° 1 614 673 remplit sa fonction, il convient, en infirmant le jugement entrepris en ce qu'il l'a annulée pour défaut de distinctivité, de prononcer la nullité de la marque précitée pour insuffisance de description.
Sur la déchéance des droits de la société SAVERGLASS sur la marque n° 1 614 673 :
Considérant que la société [Adresse 8] fait grief aux premiers juges de l'avoir déclarée irrecevable à solliciter, par voie reconventionnelle, la déchéance des droits de la société SAVERGLASS sur la marque n° 1 614 673 pour les autres produits visés à son enregistrement alors qu'étant spécialisée dans la fabrication de récipients tels que des pots destinés à recevoir des denrées alimentaires et autres produits de verrerie tels que des bouteilles destinées à contenir des boissons alcooliques dont la commercialisation constitue une de ses activités principales, elle a intérêt à invoquer cette déchéance pour défaut d'exploitation de ladite marque, depuis l'origine, par la société SAVERGLASS s'agissant des produits suivants : 'ustensiles et récipients pour le ménage ou la cuisine (ni en métaux précieux, ni en plaqué), peignes et éponges, brosses (à l'exception des pinceaux) ; matériaux pour la brosserie, matériel de nettoyage, paille de fer, verre brut ou mi-ouvré (à l'exception du verre de construction), verrerie, porcelaine et faïence non comprises dans d'autres classes. Boissons alcooliques (à l'exception des bières)', et ce, à effet du 28 décembre 1996, terme du délai de cinq ans après l'entrée en vigueur de la loi du 4 janvier 1991.
Considérant que la marque n° 1 614 673 ayant été annulée pour les 'verre brut ou mi-ouvré (à l'exception du verre de construction), verrerie, porcelaine et faïence non comprises dans d'autres classes. Boissons alcooliques (à l'exception des bières)', la demande de déchéance formée en tout état de cause pour ces produits par la société [Adresse 8] n'a plus d'objet.
Et considérant que, dès lors que la société SAVERGLASS n'oppose, dans le cadre de son action en contrefaçon, aucun des autres produits précités visés à l'enregistrement de cette marque, la société [Adresse 8] ne justifie pas d'un intérêt à obtenir la déchéance des droits de son adversaire sur la marque en cause pour les 'ustensiles et récipients pour le ménage ou la cuisine (ni en métaux précieux, ni en plaqué), peignes et éponges, brosses (à l'exception des pinceaux) ; matériaux pour la brosserie, matériel de nettoyage, paille de fer' ;
Que le jugement sera donc confirmé de ce chef.
Sur les actes de contrefaçon :
Considérant que du fait de l'annulation de la marque pour les produits qu'elle invoque à ce titre, la société SAVERGLASS sera déclarée irrecevable à agir en contrefaçon, par infirmation du jugement qui avait, pour le même motif, relevé que ses demandes n'avaient plus d'objet.
Sur les actes de concurrence déloyale :
Considérant que la société [Adresse 8] reproche aux premiers juges de l'avoir condamnée pour concurrence déloyale pour avoir commercialisé des produits d'une teinte proche de celle revendiquée par la société SAVERGLASS en combinaison, comme celle-ci, avec le terme 'antique' alors que cette société ne peut pas s'approprier la couleur qu'elle oppose et que le qualificatif 'teinte antique', étant utilisé depuis le 18ème siècle pour désigner des teintes similaires à celle dont elle fait usage, ne peut pas davantage faire l'objet d'une appropriation ; qu'elle rappelle en outre que c'est elle-même qui a apporté son savoir-faire à la société SAVERGLASS pour parvenir à la fabrication d'un verre de la teinte incriminée.
Considérant qu'il est constant que, selon contrats signés le 29 janvier 1976 et le 31 mars 1987, la société [Adresse 8] apportait à la société SAV son assistance technique pour la fabrication du verre ; qu'il ressort particulièrement de l'échange de correspondances entre les parties relatif à l'assiette de calcul des redevances dues au titre de cette assistance que la société [Adresse 8] a 'beaucoup aidé [la société SAV] dans la réalisation du verre ANTIQUE' (lettre SGE du 21 octobre 1980 et réponse de SAV du 7 novembre 1980); que la société SAVERGLASS ne peut donc sérieusement prétendre que l'intimée, par sa présence en son sein pendant plusieurs années, aurait acquis des données qu'elle ne possédait pas alors au contraire que cette société lui a apporté son savoir-faire industriel dans la mise au point de la teinte litigieuse ;
Que le contrat d'assistance technique a été rompu en 1995 à l'initiative de la société [Adresse 8] ; qu'il n'est pas prétendu qu'elle se serait, en raison de ce partenariat ayant duré plus de quinze années s'agissant de la nuance de couleur en cause, interdit de fabriquer un verre d'une teinte, sinon identique, en tout cas voisine de celle qu'elle avait contribué à élaborer ; qu'au regard du principe de la liberté du commerce et de l'industrie, le fait qu'elle ait elle-même débuté la production de bouteilles sous cette teinte dès après la rupture des relations contractuelles ne caractérise pas un comportement déloyal.
Considérant, par ailleurs, que si de nombreuses pièces doivent être écartées comme étant relatives à la fabrication de verre plat (vitraux) ou ne concernant pas avec certitude la fabrication de verre creux (tel le cahier de formules de composition des verres fabriqués par la société [Adresse 6], [Localité 4] et [Localité 5] comprenant la formule de verre 'vert antique' - pièce n° 40 de l'intimée) ou encore comme n'étant pas datées ou étant postérieures à l'année 1980 correspondant au premier usage du terme 'antique' par la société SAVERGLASS pour désigner une nuance de bouteille de couleur vert-brun et si l'attestation relatant la présence, au musée du vin à [Localité 7], de bouteilles dites de teinte antique remontant aux 18ème et 19ème siècles, accompagnée de photographies (pièces n° 41 à 44 de l'intimée) se révèle imprécise, il reste que divers documents versés aux débats par l'intimée attestent de la fabrication, sans discontinuer depuis 1972, de bouteilles destinées à contenir le vin d'appellation Château de Pommard, par la société de verrerie Tourres & Cie située à Graville (Seine-Maritime), sous la dénomination 'teinte antique', assurant 'une protection maximum' -'protection 95 à 100%'- contre les rayons ultraviolets et appliquée par la suite à 'cinq modèles pour les grands crus de Bourgogne, de [Localité 3] et de Champagne', pour laquelle cette société a d'ailleurs reçu une citation décernée par la chambre d'agriculture de Côte-d'Or au salon 'vinibeaune' 1986 ;
Qu'en outre, le numéro du 1er trimestre 1977 de la 'Revue française d'oenologie' a publié une étude de J.G. OTT intitulée 'Quelle peut être l'influence de la teinte du verre sur l'évolution du vin en bouteille' dans laquelle l'auteur se livre à une comparaison de bouteilles de vin, précisant disposer 'd'une dizaine de nuances de teintes vertes et brunes dans lesquelles la mise en bouteille expérimentale du vin rouge paraît intéressante' et joint un tableau d'échantillons en couleurs de ces teintes, parmi lesquelles se trouve la teinte 'vert antique' de 'Graville' pour le 'Bourgogne', sous la référence 'AF' donnant à voir une nuance vert-brun qu'il date de '1975' ;
Que l'intimée démontre ainsi un usage du terme 'antique' pour qualifier une bouteille d'une nuance vert-brun, antérieur à la production revendiquée par l'appelante.
Considérant, dans ces conditions, que l'association par la société [Adresse 8] de l'appellation 'antique' à la nuance de couleur vert-brun dans la présentation sur le marché à compter de 1996 de bouteilles destinées à contenir de l'alcool ou du vin n'est pas constitutive de concurrence déloyale ;
Que la décision déférée sera donc infirmée de ce chef.
Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive :
Considérant que la société SAVERGLASS ayant pu se méprendre sur l'exacte portée de ses droits, il ne saurait lui être fait grief d'avoir engagé la présente procédure, sauf à prouver, ce que la société [Adresse 8] ne fait pas, qu'elle ait agi avec l'intention de lui nuire ;
Que par ces motifs se substituant à ceux des premiers juges, la décision déférée sera confirmée en ce qu'elle a rejeté la demande reconventionnelle de dommages et intérêts formée par la société [Adresse 8] pour procédure abusive.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :
Considérant que la société SAVERGLASS qui succombe sera condamnée aux dépens de première instance, en ce compris les frais de la consultation, et d'appel et, pour des motifs tirés de l'équité, à payer une indemnité de procédure à la société [Adresse 8].
PAR CES MOTIFS,
Déclare la société [Adresse 8] irrecevable en son exception de péremption ;
Rejette des débats les pièces communiquées par la société SAVERGLASS, anciennement dénommée société Autonome de Verreries, sous les n° 45 à 50 et 52 à 59 du bordereau signifié le 14 octobre 2010 ;
Dit n'y avoir lieu à rejeter des débats la pièce communiquée par la société SAVERGLASS, anciennement dénommée société Autonome de Verreries, sous le n° 51 du bordereau signifié le 14 octobre 2010 ;
Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a déclaré la société [Adresse 8] irrecevable à solliciter la déchéance des droits de la société SAVERGLASS, anciennement dénommée société Autonome de Verreries, sur la marque n° 1 614 673 pour les autres produits visés à son enregistrement et rejeté la demande de dommages et intérêts formée par la société [Adresse 8] pour procédure abusive ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Prononce pour insuffisance de description la nullité de la marque n° 1 614 673 dont est titulaire la société SAVERGLASS, anciennement dénommée société Autonome de Verreries, déposée en couleurs le 11 septembre 1990 en renouvellement du dépôt effectué le 25 septembre 1980 pour les 'verre brut et mi-ouvré (à l'exception du verre de construction), verrerie, porcelaine et faïence non comprises dans d'autres classes. Boissons alcooliques (à l'exception des bières)' ;
Déclare la société SAVERGLASS, anciennement dénommée société Autonome de Verreries, irrecevable à agir en contrefaçon de marque ;
Rejette les demandes formées par la société SAVERGLASS, anciennement dénommée société Autonome de Verreries, au titre de la concurrence déloyale ;
Condamne la société SAVERGLASS, anciennement dénommée société Autonome de Verreries, à payer à la société [Adresse 8] la somme de 35 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société SAVERGLASS, anciennement dénommée société Autonome de Verreries, aux dépens de première instance, en ce compris les frais de la consultation, et d'appel dont recouvrement conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT