La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/11/2010 | FRANCE | N°08/19219

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 2, 26 novembre 2010, 08/19219


Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 2



ARRÊT DU 26 NOVEMBRE 2010



(n° , 12 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 08/19219



Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 Septembre 2008 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 05/07828





APPELANTES :



Madame [A] [P]

[Adresse 7]

[Localité 1] (U.S.A.)



Madame

[S] [Z]

[Adresse 6]

[Localité 1] (U.S.A.)



représentées par la SCP MONIN-D'AURIAC DE BRONS, avoués à la Cour

assistées de Maître Jacques ROHAUT, avocat au barreau de Paris, toque 1109







INTIMES :



...

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 2

ARRÊT DU 26 NOVEMBRE 2010

(n° , 12 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 08/19219

Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 Septembre 2008 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 05/07828

APPELANTES :

Madame [A] [P]

[Adresse 7]

[Localité 1] (U.S.A.)

Madame [S] [Z]

[Adresse 6]

[Localité 1] (U.S.A.)

représentées par la SCP MONIN-D'AURIAC DE BRONS, avoués à la Cour

assistées de Maître Jacques ROHAUT, avocat au barreau de Paris, toque 1109

INTIMES :

Monsieur [D] [F]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Madame [H] [Y]

[Adresse 3]

[Localité 5]

représentés par Maître HUYGHE, avoué à la Cour

assistés de Maître Pierre DEPREZ, avocat au barreau de Paris, toque P 221, plaidant pour la SCP DEPREZ-GUIGNOT, avocats associés

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 21 Septembre 2010, en audience publique, devant la Cour composée de :

Jacques BICHARD, Président

Marguerite-Marie MARION, Conseiller

Marie-Hélène GUILGUET-PAUTHE, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Gilles DUPONT

ARRET :

- contradictoire

- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile

- signé par Jacques BICHARD, Président et par Gilles DUPONT, Greffier

***

Mme [A] [P] et Mme [S] [Z] (les consorts [N]), filles et héritières de l'artiste [X] [N], décédé en [Date décès 9] 1976, revendiquent auprès de M. [D] [F] et de Mme [H] [Y] (les consorts [F]), enfants et héritiers de M. [C] [F], décédé en [Date décès 11] 1981, la propriété de 14 oeuvres d'art dont la liste suit, que ceux-ci détiendraient ensuite du dépôt qui en aurait été fait par M. [X] [N] entre les mains de M. [C] [F], qui en sa qualité de galeriste et marchand d'art aurait été chargé de les vendre et de rétrocéder à l'artiste le prix de vente après déduction de sa commission :

- araignée (maquette)

- bobine (maquette)

- bourges (mobile)

- cactus provisoire (maquette)

- pointes et courbes (maquette)

- poissonnagerie (mobile)

- tamanoir (maquette)

- toile d'araignée (mobile monumental)

- trois bollards (maquette)

- un verre et deux cuillères (mobile suspendu)

- six feuilles noires (mobile)

- chasse-neige (maquette)

- porc-qui-pique (stabile monumental)

- dents de sagesse (maquette).

C'est dans ces conditions que Mme [A] [P] et Mme [S] [Z] ont engagé une action devant le tribunal de grande instance de Paris dont le jugement est déféré à cette cour.

***

Vu le jugement rendu le 3 septembre 2008 par le tribunal de grande instance de Paris qui a :

- déclaré Mme [A] [P] et Mme [S] [Z] irrecevables en leurs demandes comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt rendu le 26 octobre 2006 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence et les a déboutées de leur demande subsidiaire de mise en oeuvre d'une mesure d'expertise,

- débouté les consorts [F] de leurs demandes pour procédure abusive,

- condamné in solidum Mme [A] [P] et Mme [S] [Z] à payer aux consorts [F] une indemnité de 50 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Vu la déclaration d'appel déposée le 9 octobre 2008 par Mme [A] [P] et Mme [S] [Z] au greffe de cette cour.

Vu les dernières conclusions déposées le :

* infirmer le jugement déféré sauf en ce qu'il a rejeté la demande en dommages intérêts formulée par les consorts [F],

* ordonner sous astreinte de 3 000 euros par jour et par objet, la restitution des objets suivants :

- araignée (maquette)

- bobine (maquette)

- cactus provisoire (maquette)

- pointes et courbes (maquette)

- tamanoir (maquette)

- trois bollards (maquette)

- un verre et deux cuillères (mobile suspendu)

* ordonner une expertise pour les oeuvres suivantes :

- six feuilles noires (mobile)

- chasse-neige (maquette)

- porc-qui-pique (stabile monumental)

- dents de sagesse (maquette) - porc-qui-pique (stabile monumental)

- Bourges (mobile)

- poissonnagerie (mobile)

- toile d'araignée (mobile monumental)

* subsidiairement au cas où la cour ne croirait pas devoir leur accorder la propriété en l'état, ordonner une mesure d'expertise afin de retracer pour chacune des 14 oeuvres litigieuses l'histoire de la chaîne des possessions et en général leur histoire et, en ce qui concerne les oeuvres vendues, rechercher les prix de vente, leur valeur au jour de l'expertise et déterminer qui a encaissé le prix de vente.

* en tout état de cause débouter les consorts [F] de toutes leurs demandes et les condamner solidairement à leur payer la somme de 20 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

- à titre principal, au visa de l'article 1351 du Code Civil et 4 et 480 du code de procédure civile, confirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré l'action engagée par Mme [A] [P] et Mme [S] [Z] comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée et donc irrecevable,

- à titre subsidiaire :

* au visa de l'article 2052 du Code Civil déclarer Mme [A] [P] et Mme [S] [Z] irrecevables en leurs demandes comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée attachée à la transaction de 1986,

* au visa de l'article 2262 du Code civil déclarer prescrite l'action engagée par Mme [A] [P] et Mme [S] [Z],

- à titre très subsidiaire sur le fond :

* déclarer sans objet la demande portant sur les oeuvres : six feuilles noires (mobile), chasse-neige (maquette), porc-qui-pique (stabile monumental), dents de sagesse (maquette) - porc-qui-pique (stabile monumental) qu'ils n'ont jamais possédées,

* dire non fondées les demandes portant sur les oeuvres : araignée (maquette), bobine

(maquette), cactus provisoire (maquette), pointes et courbes (maquette), tamanoir

(maquette), trois bollards (maquette), un verre et deux cuillères (mobile suspendu), Bourges (mobile), poissonnagerie (mobile), toile d'araignée (mobile monumental),

- à titre infiniment subsidiaire, au visa de l'article 2268 (ancien article 2236) du Code Civil débouter Mme [A] [P] et Mme [S] [Z],

- en tout état de cause :

* débouter Mme [A] [P] et Mme [S] [Z] de toutes leurs demandes,

* condamner solidairement Mme [A] [P] et Mme [S] [Z] à leur verser la somme de 300 000 euros à titre de dommages intérêts pour procédure abusive et celle de 100 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile .

Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 9 septembre 2010.

SUR QUOI LA COUR

Considérant que les consorts [N] et Maître [U], ès qualités d'administrateur judiciaire de la succession de M. [C] [F] ont signé en 1986 la transaction suivante :

' Il A D'ABORD ÉTÉ EXPOSE CE QUI SUIT :

une contestation est née entre la Succession [N] et la Succession [C] [F] au sujet d'oeuvres peintes par M. [X] [N] et dont celui-ci avait confié un mandat de vente à la Galerie [C] [F].

Selon la succession [N], un certain nombre d'oeuvres auraient été vendues par la Galerie [C] [F] qui aurait perçu le prix de vente sans désintéresser l'artiste ou sa succession.

La Succession [C] [F], tout en reconnaissant le principe de la vente d'un certain nombre d'oeuvres, fait valoir la complexité qu'il y avait à établir le prix définitif de vente de ces oeuvres, déduction faite de la commission devant lui revenir, complexité encore accrue par les décès respectifs de MM [C] [F] et [X] [N].

Les parties ayant constaté que les oeuvres suivantes d'[X] [N] : TRAIT NOIR, FOUR WHITE DOTS, LES FLÈCHES, MASQUE POURSUIVI, LE DISQUE PERCE, LE VENTRE, CRINCKLY, avaient été vendues par la Galerie [C] [F] ont décidé de se rapprocher et de convenir ensemble de la présente transaction qui sera régie par les articles 2044 et suivants du Code Civil.

IL A ÉTÉ CONVENU CE QUI SUIT :

1/ La Succession [C] [F] reconnaît que M. [C] [F] ou elle même a vendu pour le compte d'[X] [N] et de sa Succession les oeuvres suivantes : TRAIT NOIR, FOUR WHITE DOTS, LES FLÈCHES, MASQUE POURSUIVI, LE DISQUE PERCE, LE VENTRE, CRINCKLY.

2/ En contrepartie de ces ventes, la Succession [F] remet à la succession [N] la somme forfaitaire et définitive de 1 000 000 F.

La Succession [N] en accuse réception et en donne bonne et valable quittance sous réserve d'encaissement.

3/ En contrepartie du règlement effectué au paragraphe 2, la Succession [N] :

- donne mainlevée pure et simple de la saisie-arrêt effectuée en vertu d'une ordonnance rendue sur requête par M. Le Président du Tribunal de Grande Instance de Paris le 21 mars 1984, à concurrence de la somme de 2 000 000 F et pratiquée entre les mains de Me Guy Loudmer, Commissaire-Priseur ;

- se désiste de l'instance et de l'action introduite par une assignation en validité par exploit de Mes [M] et [G], Huissiers de Justice, en date du 29 mars 1984, ladite assignation tendant tant à la reconnaissance de la validité de la saisie-arrêt ci-dessus décrite, que du paiement en principal de la somme de 335.716 US dollars.

Par les présentes la Succession [N] donne tous pouvoirs à ses avocats pour régulariser auprès des juridictions compétentes les actes de désistement qui s'avérerons nécessaires.

4/ La Succession [C] [F] se désiste de la demande d'expertise qu'elle avait formulée par conclusions signifiées en date du 23 avril 1985.

Elle déclare accepter le désistement d'instance et d'action de la succession [N] et se désister elle même en tant que de besoin de toute instance et action.

5/ Du fait des engagements pris au paragraphe 2 et des versements qui sont prévus, ainsi que des désistements d'instance et d'action ci-dessus prévus au paragraphe 4, chaque partie considère que l'intégralité du différend né du non règlement des oeuvres d'[X] [N] par la succession [C] [F] se trouve avoir pris fin.

6/ D'une façon générale, chaque partie s'engage à ne formuler à l'encontre de l'autre partie quelque revendication que ce soit dont l'origine se trouverait dans les relations commerciales ayant existé entre Monsieur [X] [N] et Monsieur [C] [F] et leurs successions.

7/ Les termes des présentes sont soumis aux articles 2044 et suivants du Code Civil. La partie qui n'en respecterait pas les engagements qui y sont visés s'exposera envers l'autre à des dommages intérêts.'

Considérant que les consorts [F] soulèvent l'irrecevabilité des demandes présentées par les consorts [N] en invoquant l'autorité de la chose jugée qui serait attachée à l'arrêt rendu le 26 octobre 2006 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence, à l'occasion d'une instance ayant également porté sur la revendication par les consorts [N] de trois oeuvres réalisées par leur père et alors que le pourvoi en cassation ayant frappé cette décision a été rejeté ;

qu'ils demandent en conséquence la confirmation du jugement déféré en ce que celui-ci a retenu que 'la cour d'appel d'Aix-en-Provence a défini la portée de la transaction de 1986 en y incluant non seulement l'ensemble des oeuvres qui n'auraient pas été payées par M. [F] à M. [N] et objet du différend initial des cocontractants mais l'ensemble des revendications issues de leurs relations commerciales. Dès lors, l'autorité de la chose jugée de cette décision s'étend à la portée ainsi définie qui fonde la fin de non recevoir' ;

Considérant que l'article 1351 du Code Civil énonce que 'L'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formées par elles et contre elles en la même qualité .' ;

que la cour d'appel d'Aix-en-Provence a statué dans le cadre d'un litige ayant opposé les parties portant sur trois oeuvres réalisées par l'artiste [N] dont il est constant qu'elles sont différentes de celles qui sont à l'origine de la présente affaire ;

que l'objet du présent litige étant l'affirmation par chaque partie de son droit de propriété sur des oeuvres déterminées de l'artiste [N] et non pas, ainsi que le soutiennent les consorts [F], la fin de non recevoir qu'ils opposent tirée de l'autorité de la chose jugée attachée à la transaction de 1986, il ne peut en conséquence être retenu que l'arrêt rendu par la cour d'appel d'Aix-en-Provence aurait à son égard, autorité de la chose jugée ;

qu'au demeurant il sera rappelé que dans un autre litige opposant les parties et portant également sur la revendication d'oeuvres de l'artiste [N], l'arrêt rendu le 27 avril 2007 par la cour d'appel de Versailles à l'encontre duquel le pourvoi en cassation formé par les consorts [F] a été rejeté, a estimé que la fin de non recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée supposée attachée à l'arrêt prononcé par la cour d'appel d'Aix-en-Provence devait être rejetée ;

Considérant que les consorts [F] invoquent également l'autorité de la chose jugée attachée à la transaction de 1986 dont ils estiment qu'elle a vocation à régir l'ensemble des oeuvres concernées par les relations commerciales ayant existé entre l'artiste [N] et M. [C] [F] et que son objet, de par la volonté commune des parties exprimée dans son article 6, a été de mettre un terme à la contestation portant sur les sept oeuvres qu'elle vise expressément mais également de prévenir toute contestation ultérieure;

qu'il sera cependant observé que le préambule et l'article 1er de la transaction litigieuse inscrivent celle-ci, sans ambiguïté aucune, dans le cadre strictement défini de l'accord à intervenir portant sur la vente par la succession [C] [F] ou M. [C] [F] des sept tableaux listés : 'TRAIT NOIR, FOUR WHITE DOTS, LES FLÈCHES, MASQUE POURSUIVI, LE DISQUE PERCE, LE VENTRE, CRINCKLY' ;

que les dispositions subséquentes s'articulent par rapport à la vente de ces sept oeuvres comme le suggère l'emploi au début du paragraphe 2 de l'expression 'En contrepartie de ces ventes';

que dans ces conditions l'article 6 n'apparaît que comme la reprise, certes

redondante et maladroite, des dispositions précédemment définies, destinée à résumer l'accord auquel étaient parvenues les parties ;

que certes la succession [F], ainsi qu'elle le fait valoir à l'appui de sa

démonstration, a renoncé à sa demande d'expertise dont l'objet, à savoir le compte à faire entre les parties, eu égard aux conclusions par elle prises à l'occasion de la procédure de validation de la saisie-arrêt pratiquée par les consorts [N], peut apparaître comme ayant porté sur un volume d'oeuvres à tout le moins supérieur à celui énoncé dans la convention transactionnelle ;

que cette renonciation n'est pas pour autant la preuve que celle-ci devait avoir une portée générale, dès lors que trouvant un terrain d'entente avec les consorts [N], la succession [F] avait un intérêt évident à ce que le litige ne soit pas éventuellement relancé par les constatations et conclusions des experts qui auraient été désignés ;

qu'en conséquence c'est à juste titre que les consorts [N] font valoir que la transaction de 1986 ne peut leur être valablement opposée à l'occasion du présent litige ;

Considérant que les consorts [F], soulèvent également la prescription tirée des dispositions de l'article 2262 ancien du Code Civil, exposant que les consorts [N] ne se sont pas manifestés dans le délai de trente ans dont ils disposaient pour présenter leur demande en revendication ;

qu'il convient cependant d'observer que la prescription acquisitive qu'ils invoquent implique que celle-ci présentent les conditions requises par l'article 2229 ancien du Code Civil ;

que ce débat relève du fond du litige qui, dès lors doit être abordé avant qu'il ne soit répondu sur ce moyen d'irrecevabilité ;

Considérant sur le fond du litige que les consorts [F] indiquent :

- six feuilles noires (mobile)

- chasse-neige (maquette)

- porc-qui-pique (stabile monumental)

- dents de sagesse (maquette)

- Bourges (mobile)

- poissonnagerie (mobile)

- toile d'araignée (mobile monumental),

- araignée (maquette)

- bobine (maquette)

- cactus provisoire (maquette)

- pointes et courbes (maquette)

- tamanoir (maquette)

- trois bollards (maquette)

- un verre et deux cuillères (mobile suspendu) ;

Considérant, sur les oeuvres autrefois et encore en possession des consorts [F] (10), que ceux-ci, en l'absence à leur profit de tout document justifiant le transfert de la propriété desdites oeuvres, se prévalent des dispositions de l'article 2276 alinéa 1 du Code Civil (ancien article 2279 alinéa 1) ;

Considérant que les consorts [F] font valoir à juste titre que la présomption de propriété édictée par cet article est applicable à la propriété corporelle des oeuvres d'art ;

qu'il appartient en conséquence aux consorts [N] qui soutiennent que M. [X] [N] avait conservé au jour de sa mort, le [Date décès 9] 1976, la propriété des oeuvres litigieuses et qui revendiquent la propriété en leur qualité d'héritiers de l'artiste, de rapporter cette preuve et de renverser la double présomption dont bénéficient les intimés par application des articles 2256 (ancien article 2230) et 2276 du Code Civil ;

Considérant que les consorts [N] exposent que la possession invoquée par les intimés ne présente pas les caractères requis par l'article 2229 du Code Civil et ne permet pas à ceux-ci d'invoquer utilement les dispositions de l'article 2261 du même code qui énonce que 'pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire.', alors que l'article 2262 dispose que 'Les actes de pure faculté et ceux de simple tolérance ne peuvent fonder ni possession ni prescription' ;

que les consorts [N] indiquent que la relation unissant l'artiste au marchand d'art était celle d'un contrat de dépôt : M. [C] [F] assurant la vente des oeuvres et remettant à M. [X] [N] le prix de vente minoré du montant de la commission lui revenant, alors que les consorts [F] soutiennent que la relation entre les deux personnes 'reposaient sur un mécanisme d'avance de sommes d'argent à l'artiste en contrepartie de cessions d'oeuvres d'art au marchand, à charge pour lui de les vendre, ou le cas échéant de les conserver dans le cadre d'un compte' soldé en fin d'année : soit l'artiste disposait d'une créance réglée par le marchand, soit celui-ci était créancier de l'artiste et pouvait alors conserver la propriété des oeuvres ;

Considérant que la qualité de commerçant de M. [C] [F] permet aux consorts [N] de combattre par tous moyens la présomption de propriété qui est simple, instaurée par l'article 2276 du Code Civil ;

que les appelants produisent à cet effet aux débats une attestation établie par M. [E], ancien directeur de la galerie [F] dont la sincérité ne peut être a priori remise en cause et dont la pertinence est certaine puisque cette personne a été un très proche collaborateur de M. [C] [F] et connaissait donc parfaitement les rapports entretenus par celui-ci avec M. [X] [N] ;

que l'attestant indique avoir été chargé de choisir des oeuvres afin qu'elles soient commercialisées ; que les prix de vente se faisaient avec le concours du représentant de M. [X] [N] à New York ; que les comptes étaient opérés en fin d'années entre les sommes versées à l'artiste et celles lui étant encore dues et qu'il arrivait à l'artiste de demander à la galerie de ne pas proposer à la vente afin de les conserver pour sa collection personnelle, un certain nombre d'oeuvres ;

qu'en revanche aucune allusion n'est faite quant à un éventuel transfert de propriété au profit de M. [C] [F], susceptible de corroborer la présentation faite par les intimés des relations juridiques ayant lié l'artiste à son marchand ;

que dans ces conditions la seule déclaration de M. [X] [N] rapportée dans son autobiographie de ce qu'en 1959, en vue d'une exposition, M. [C] [F] lui avait acheté toute sa production exposée, en bloc et comptant, ne peut être généralisée à l'ensemble des relations entretenues par les deux hommes ;

que sont également versés aux débats des documents intitulés 'bulletins de prêt', certes dénués de toute signature mais portant l'adresse de la Fondation [F] ainsi que des renseignements sommaires sur les dimensions, la date et la signature de l'oeuvre concernée ;

que ces documents, dépourvus de toute ambiguïté dans leurs diverses mentions et qui constituent des commencements de preuve par écrit, contrairement à ce que soutiennent les consorts [F] qui, au demeurant, ne remettent pas en cause leur authenticité, ont été établis à l'occasion de l'exposition [N] organisée en avril 1969 ;

qu'ils concernent les oeuvres suivantes : 'Bourges', 'Poissonnagerie', 'Cactus Provisoire' et mentionnent M. [X] [N] comme prêteur ;

que par ailleurs les catalogues raisonnés qui ont été établis sur les indications fournies par M. [C] [F] ou par les consorts [F], à l'occasion de diverses expositions s'étant déroulées en 1969, 1975 mais aussi en 1986, 1988, 1993, 1996, 1997/1998, 1998, soit postérieurement au décès de l'artiste, pour les oeuvres :

- toile d'araignée (mobile monumental),

- araignée (maquette)

- bobine (maquette)

- cactus provisoire (maquette)

- pointes et courbes (maquette)

- tamanoir (maquette)

- trois bollards (maquette)

portent selon l'oeuvre concernée, la seule mention 'Provenance Galerie [F]' ou 'Collection [O] [F]- galerie [F]'souvent présentée en qualité de préteur de l'oeuvre ;

qu'en ce qui concerne les oeuvres :

- Bourges (mobile)

- poissonnagerie (mobile)

- un verre et deux cuillères (mobile suspendu)

il ne résulte pas explicitement des divers catalogues concernés que celles-ci, contrairement à ce qu'écrivent les consorts [F], ont été présentées comme étant leur propriété ;

que pas davantage les polices d'assurances établies à l'occasion de diverses expositions (exposition organisée en 1993 au musée [10], exposition organisée en 1997 à [Localité 8]) ne comportent d'indication sur le nom du propriétaire, à l'exception de celle contractée lors de l' exposition de Lisbonne ;

qu'enfin les documents relatifs à l'oeuvre 'Toiles d'Araignée' à l'exception de celui intitulé 'Work Order (constituant la pièce n° 99-24 et qui ne porte aucune signature) ne font nullement référence au propriétaire de l'oeuvre ;

Considérant qu'il sera relevé l'absence de tout acte concret susceptible de manifester le transfert de propriété en faveur de M. [C] [F] et qu'il n'est pas allégué par les intimés que les oeuvres en cause ont pu être acquises auprès de tiers ou faire l'objet d'un don ;

que l'absence des oeuvres en cause dans l'inventaire de la succession [N] et leur présence dans celui de la succession d'[C] [F] ne constituent pas pour autant la preuve de l'acquisition de leur propriété par celui-ci,

que l'absence de toute revendication du vivant de l'artiste s'explique aisément en raison des relations étroites, rappelées par les consorts [F], qu'il entretenait avec son marchand ;

qu'en l'état de ces constatations il s'avère que la possession de M. [C] [F] et donc celle de ses héritiers que sont les intimés est entachée de précarité de sorte que ceux-ci ne peuvent utilement bénéficier de la présomption de propriété instaurée par l'ancien article 2279 du Code Civil ;

Considérant dès lors et pour répondre au moyen d'irrecevabilité qu'ils ont soulevé, les consorts [F], faute de remplir les conditions prévues par l'article 2229 ancien du Code Civil ne peuvent en conséquence valablement opposer aux appelantes la prescription trentenaire tirée des dispositions de l'ancien article 2262 du Code Civil ;

Considérant que par ailleurs les consorts [F] arguent des dispositions de l'article 2268 du Code Civil (ancien article 2238) qui énonce : 'Néanmoins, les personnes énoncées dans les articles 2236 et 2237 peuvent prescrire, si le titre de leur possession se trouve interverti, soit par une cause venant d'un tiers, soit par la contradiction qu'elles ont opposée au droit du propriétaire' ;

qu'ils font valoir qu'à plusieurs reprises ils ont opposé à la succession [N] une contradiction sur la propriété des oeuvres revendiquées qui vaut à tout le moins interversion du titre à leur profit ; qu'ainsi à l'occasion de l'ouverture de la succession ils ont fait connaître aux tiers, en l'occurrence les consorts [N], leur propriété sur des oeuvres de l'artiste sans réaction de leur part ; qu'ils se sont comportés comme les propriétaires desdites oeuvres en les exposant, et en assurant leur conservation ; que la transaction de 1986 en ce que les héritiers [N] se sont engagés à n'émettre aucune contestation ultérieure vaut interversion du titre ;

qu'il vient cependant d'être constaté que, à l'exception de la police d'assurances souscrite lors de l'exposition de Lisbonne et dont il n'est pas certain que les appelants aient eu connaissance, les documents produits aux débats relatifs aux expositions internationales organisées autour de l'oeuvre d'[X] [N], certes parfaitement connues des consorts [N], font seulement référence à leur provenance : collection [F] ou Fondation [F], souvent présentée en qualité de préteur de l'oeuvre, expressions équivoques en ce qu'elles ne sont nullement affirmatives d'un droit de propriété ;

que par ailleurs il vient d'être démontré que la convention de 1986 ne concernait que sept oeuvres déterminées et ne pouvait s'appliquer à l'ensemble des oeuvres revendiquées par les consorts [N] ;

que dès lors le moyen invoqué par les consorts [F] ne peut prospérer ;

Considérant que dans ces conditions les consorts [F] auquel leur auteur a transmis une possession entachée de précarité qui les empêche de prescrire utilement doivent être en conséquence condamnés à restituer, dans les conditions fixées au dispositif de cette décision, les 7 oeuvres qu'ils reconnaissent détenir, à savoir :

- araignée (maquette)

- bobine (maquette)

- cactus provisoire (maquette)

- pointes et courbes (maquette)

- tamanoir (maquette)

- trois bollards (maquette)

- un verre et deux cuillères (mobile suspendu) ;

que s'agissant des 3 oeuvres qu'ils prétendent avoir vendues, à savoir :

- Bourges (mobile)

- poissonnagerie (mobile)

- toile d'araignée (mobile monumental)

il convient préalablement à toute décision que soient produits aux débats touts documents relatifs à leur cession, notamment quant à leur prix de vente ;

Considérant sur les oeuvres suivantes : Porc-qui-pique, Dent de sagesse, Six Feuilles Noires, Chasse-Neige que les consorts [F] soutiennent ne pas les posséder ;

qu'ils indiquent que celles-ci ont été exposées en 1969 à la Fondation [F], présentées comme étant la propriété de M. [X] [N] et restituées à l'artiste à la fin de la manifestation ;

Considérant que l'oeuvre Six Feuilles Noires a donné lieu à l'établissement d'un bon de restitution ;

qu'en l'état de ce document et alors qu'il n'est pas démontré et au demeurant pas soutenu que cette oeuvre a pu postérieurement à l'année 1969 être remise à M. [C] [F] ou à la succession [F] en vue d'une nouvelle exposition, les consorts [N] ne peuvent qu'être déboutés de leur demande en restitution la concernant ;

que s'agissant de l'oeuvre Dent de Sagesse, seul un bulletin de prêt en vue de l'exposition de 1969 est produit aux débats qui émane de la Fondation [F] qui n'est pas partie à la présente instance de sorte que les consorts [F] sont fondés à soutenir qu'ils ne l'ont jamais possédée ;

qu'il en est de même l'oeuvre Chasse-Neige et du bulletin de prêt la concernant, les photocopies de catalogue de l'exposition organisée en 1975 à Zurich également produites ne mentionnant pas sa provenance ;

que la même constatation peut être faite pour le bulletin de prêt établi à propos de l'oeuvre Porc-qui-Pique, les extraits de catalogues également versés aux débats concernant des expositions antérieures à celle de 1969 ;

Considérant que dans ces conditions les consorts [N] ne peuvent qu'être déboutés de leurs prétentions se rapportant aux dites quatre oeuvres sans qu'il y ait lieu d'ordonner une mesure d'expertise ;

Considérant que la demande aux fins de dommages intérêts présentée par les consorts [F] doit être rejetée en l'état des constatations faites par cette cour ;

Considérant que l'équité commande d'accorder aux consorts [N] une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile d'un montant de 6 000 euros ;

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a débouté M. [D] [F] et Mme [H] [Y] de leur demande en paiement de dommages intérêts pour procédure abusive,

Statuant à nouveau dans cette limite,

Rejette la totalité des moyens d'irrecevabilité opposés par M. [D] [F] et Mme [H] [Y] à Mme [A] [P] et Mme [S] [Z],

Condamne M. [D] [F] et Mme [H] [Y] à remettre à Mme [A] [P] et Mme [S] [Z] dans les quatre mois de la signification de la présente décision et sous astreinte de 500 euros par oeuvre et par jour de retard, passé ce délai en cas d'inexécution, les oeuvres suivantes :

- araignée (maquette)

- bobine (maquette)

- cactus provisoire (maquette)

- pointes et courbes (maquette)

- tamanoir (maquette)

- trois bollards (maquette)

- un verre et deux cuillères (mobile suspendu),

Avant-dire droit sur les demandes présentées par Mme [A] [P] et Mme [S] [Z] sur les oeuvres suivantes :

- bourges (mobile)

- poissonnagerie (mobile)

- toile d'araignée (mobile monumental),

ordonne la réouverture des débats, enjoint M. [D] [F] et Mme [H] [Y] de produire aux débats l'ensemble des documents relatifs à leur vente, invite les parties à conclure et renvoie sur ce point du litige l'affaire à la conférence de mise en état du 13 janvier 2011 à 13 heures,

Déboute Mme [A] [P] et Mme [S] [Z] de leur demande en revendication et d'expertise portant sur les oeuvres suivantes :

- six feuilles noires (mobile)

- chasse-neige (maquette)

- porc-qui-pique (stabile monumental)

- dents de sagesse (maquette),

Déboute M. [D] [F] et Mme [H] [Y] de leur demande en paiement de dommages intérêts pour procédure abusive et de leur demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile .

Condamne M. [D] [F] et Mme [H] [Y] à payer à Mme [A] [P] et Mme [S] [Z] une indemnité de 6 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Réserve les dépens.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 08/19219
Date de la décision : 26/11/2010

Références :

Cour d'appel de Paris C2, arrêt n°08/19219 : Réouverture des débats


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2010-11-26;08.19219 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award