RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 1
ARRÊT DU 24 Novembre 2010
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 09/05050
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 12 Février 2009 par le conseil de prud'hommes de CRETEIL section RG n° 06/00773
APPELANTE
S.A.S ED
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Dan NAHUM, avocat au barreau de VAL DE MARNE, toque : PC 36
INTIME
Monsieur [E] [X]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 2]
comparant en personne, assisté de Me Inès PLANTUREUX, avocat au barreau de PARIS, toque : B0171
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 11 Octobre 2010, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Yves GARCIN, Président
Madame Marie-Bernadette LEGARS,
Madame Claire MONTPIED, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier : Madame Sandie FARGIER, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Yves GARCIN, président et par Sandie FARGIER, greffier à qui les magistrats ont remis la présente décision.
La cour est saisie de l'appel interjeté par la SAS ED du jugement rendu le 12 février 2009 par le Conseil des Prud'hommes de Créteil dans sa formation de départage l'ayant condamnée à payer à M. [E] [X] la somme de 50.000 € à titre de dommages intérêts toutes causes confondues, et ce, en réparation de l'ensemble des préjudices causés par la discrimination syndicale dont il a fait l'objet, ainsi que la somme de 1.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, lesdites sommes avec intérêts au taux légal à compter du jour du jugement. Parallèlement, le Conseil rejetait la demande de M. [E] [X] tendant à son reclassement au niveau 5 B (qualification de contremaître).
Faits et demandes des parties :
Le 17 juin 1991 M. [E] [X] a été embauché par la SAS ED en qualité de préparateur de commandes-statut employé coefficient 130. Au cours de l'année 1999 M. [E] [X] était classé préparateur coefficient 2 B, en 2002 contrôleur-employé niveau 2B, en 2003 contrôleur 3 B, ceci par application de la NAO 2003, le 1er janvier 2004 employé niveau 3 B contrôleur préparation, statut qui est toujours le sien à la date du présent arrêt.
Au cours de son emploi M. [E] [X] a été investi de mandats de représentation du personnel, délégué syndical CGT, membre titulaire et secrétaire du CE, délégué du personnel et membre du CHSCT.
S'estimant victime de discrimination syndicale dans son évolution de carrière M. [E] [X] a saisi le Conseil des Prud'hommes le 11 avril 2006 pour voir reconnaître cette situation et se voir reconnaître la qualification de contremaître, contexte dans lequel est intervenu le jugement dont appel.
°°°
La SAS ED poursuit l'infirmation du jugement.
A titre liminaire, et avant toute défense au fond, la SAS ED conclut à l'irrecevabilité des demandes de M. [E] [X] en ce que celles-ci sont dirigées contre la SNC ED, qui n'existe pas, selon elle, et non contre la SAS ED, seule société immatriculée au RCS.
Au fond, la SAS ED conclut au rejet de toutes les demandes de M. [E] [X] en faisant valoir, d'une part, qu'il ne rapporte pas la preuve de l'existence des mandats syndicaux qu'il allègue et donc d'une discrimination en relation avec des mandats inexistants, d'autre part, qu'il ne démontre pas avoir été ralenti ou brimé dans sa carrière, le fait de 'tirer des palettes' (fait qu'il incrimine) étant une partie de ses attributions de contrôleur. La SAS ED ajoute que M. [E] [X] a normalement bénéficié de revalorisations de salaire, ceci à titre individuel, et pas seulement en raison d'accords NAO. Elle expose que le salarié n'a, au demeurant, à aucun moment, formulé de demande d'évolution de carrière et qu'en ce qui la concerne, elle n'avait aucune obligation de le faire bénéficier d'un bilan de compétences. Concernant une contestation de M. [E] [X] relative à un changement d'horaires, la SAS ED fait valoir que le salarié a été muté à sa demande d'un entrepôt à un autre, ce qui impliquait le changement d'horaires querellé.
La SAS ED requiert la condamnation de M. [E] [X] à lui payer 1.500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter la charge des dépens de première instance et d'appel.
A l'audience du 20 octobre 2010 la SAS ED sollicite, au principal, le renvoi de l'examen de l'affaire à une date ultérieure motif pris de ce qu'elle aurait été destinataire tardivement, soit le 18 octobre 2010, d'une communication de pièces, où, subsidiairement, à défaut de renvoi, le rejet des débats des dites pièces. L'incident sur ce point a été joint au fond à l'audience.
°°°
M. [E] [X] conclut au rejet de la SAS ED de toutes ses exceptions, fins de non-recevoir, moyens et demandes et à la confirmation du jugement en ce qu'il a retenu qu'il était victime de discrimination.
Il requiert la condamnation de la SAS ED à procéder à sa reclassification au niveau 5 B à effet au 1er mai 2006 et à procéder à la reconstitution des salaires et congés payés en résultant.
Il sollicite la condamnation de la même à lui payer 90.000 € au titre du préjudice matériel résultant de l'absence d'évolution de carrière et 50.000 € en réparation du préjudice moral, lesdites sommes avec intérêts à compter de la saisine du conseil, outre une somme de 5.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
SUR CE,
Considérant qu'il convient de se référer expressément aux conclusions des parties visées à l'audience et à leurs explications orales développées au soutien de celles-ci ;
Sur le moyen d'irrecevabilité soulevé par la SAS ED au motif que M. [E] [X] aurait, à tort, dirigé ses demandes contre la SNC ED qui n'existe pas et non contre la SAS ED :
Considérant que force est de constater que, contrairement à ce que soutient la SAS ED, M. [E] [X] a, dès l'introduction de sa demande devant le Conseil des Prud'hommes (lettre de saisine du 7 avril 2006), et postérieurement dans ses conclusions, dirigé ses demandes contre la SAS ED et non contre une SNC ED ;
Considérant que le moyen d'irrecevabilité soulevé par la SAS ED est donc dénué de pertinence et sera rejeté ;
Sur le moyen d'irrecevabilité soulevé par la SAS ED au motif que M. [E] [X] ne pouvant justifier de l'existence de ses mandats syndicaux serait infondé à arguer d'une discrimination trouvant son origine dans des mandats inexistants :
Considérant que M. [E] [X] justifie être titulaire de manière continue depuis 1995 de mandats de délégué syndical CGT, membre du CE, délégué du personnel et membre du CHSCT, mandats dans le cadre desquels il a été l'interlocuteur régulier de la direction de son entreprise, négociant des protocoles pré-électoraux (pièce 50) et signant des protocoles de fin de conflit (pièces 49 et 100), avec l'observation que la direction n'a, à aucun moment, remis en cause sa présence dans ces différentes instances ;
Que ce moyen d'irrecevabilité sera également, en conséquence, rejeté ;
Sur la demande de rejet des pièces communiquées le 18 octobre 2010 :
Considérant que les pièces communiquées le 18 octobre 2010 par M. [E] [X], dont la SAS ED requiert le rejet à l'audience , sont produites sous cote par la société et portent les numéros 92, 93, 108, 109, 110, 111, 112, 113, 114, 115, 116, 117, 118, 119, 120 ;
Que les pièces 92 et 93 émanent de la SAS ED elle-même, étant afférentes à la description des fonctions de contrôleur préparateur et d'agent de quai, circonstance qui rend leur rejet non fondé ; que les pièces 108 et 109 sont sans intérêt pour le litige étant insusceptibles d'induire des conséquences défavorables pour l'une ou l'autre partie ce qui rend sans objet la demande de rejet les concernant ; que la pièce 110 est un tract syndical classique ne pouvant faire grief à qui que ce soit, aucun argument ne pouvant en être tiré; que les pièces 111, 112, 113, 114, 115, ne concernent pas M. [E] [X] ; que les pièces 116, 117, 118, 119 s'analysent en courriers administratifs relatifs aux modalités de justification de l'utilisation des heures de délégation ; qu'aucune circonstance n'impose en conséquence le rejet des dites pièces qui n'appellent aucune observation particulière ; que, de même, n'est pas opportun le rejet des débats d'un arrêt de la cour d'appel de Caen (pièce 120) en raison de son caractère public ;
Que la demande de rejet de pièces formulée par la SAS ED à l'audience du 20 octobre 2010 sera donc écartée dans son intégralité ;
Sur le fond :
Sur la discrimination syndicale alléguée :
Considérant que le déroulement de carrière de M. [E] [X] a été rappelé en en-tête ;
Que s'il est exact que le salarié est passé de 'préparateur de commande' à 'contrôleur', force est de constater que sa classification n'a pas évolué si ce n'est par le jeu des accords collectifs, le changement d'intitulé de poste ayant été sans incidence sur sa classification, ceci alors même que :
- d'autres salariés de la société avaient une évolution de carrière satisfaisante : à savoir, notamment, : Mme [O] passée de préparateur de commande en 2005 (lors de son entrée dans la société) à contrôleur en 2010, Mme [R], qui, entrée en 2003, perçoit en 2005 le même salaire que M. [E] [X], M. [C] qui, recruté en 1994 devient préparateur 2B en 2000 et passe réceptionnaire en 2002 avec un salaire supérieur à M. [E] [X], M. [W], qui passe en quelques mois d'agent de quai, à contrôleur de commandes puis à chef de quai ... ;
- contrairement à ce que soutient la SAS ED, le salarié a sollicité d'évoluer, demandant à son employeur en mars et avril 2004 de devenir 'chef de quai', en avisant parallèlement l'Inspection du travail de cette demande, laquelle Inspection interpellait, vainement, la SAS ED sur cette situation le 4 mai 2004, étant observé que, ce faisant, la SAS ED n'a pas respecté les dispositions de l'accord conclu en 2003 prévoyant le droit des salariés à une évolution de carrière ;
- que le salarié avait également sollicité des formations, ce à quoi la SAS ED n'a pas donné de suite ;
- que dans les faits, les tâches effectuées par M. [E] [X] consistent toujours à 'tirer des palettes' comme cela est attesté par plusieurs témoins alors que, en qualité de contrôleur, il aurait dû compter le nombre de colis et vérifier leur bon acheminement ;
Considérant que les éléments de fait ci-dessus rapportés laissent supposer l'existence d'une discrimination au sens des articles L.1132-1, L.1134-1 et L.2141-8 du code du travail, ceci dès lors que l'employeur ne fait valoir aucun élément objectif justifiant la situation de désavantage précitée ;
Considérant que le jugement dont appel sera en conséquence confirmé en ce qu'il a jugé que M. [E] [X] a été victime dans son emploi d'une discrimination syndicale, cette discrimination se manifestant encore par l'interdiction de circuler au sein de la société (pièce 10) et l'interdiction à des salles de réunion (pièce 70), ainsi que le non-affichage des informations CGT sur les panneaux ;
Considérant que le frein apporté à l'évolution de carrière de M. [E] [X] est générateur d'un préjudice matériel que la cour évaluera à 20.000 € ;
Qu'il est aussi générateur d'un préjudice moral que la cour évaluera à la somme de 30.000 € ;
Que, pour le surplus, la cour fera droit, réformant sur ce point le jugement dont appel, à la reclassification de M. [E] [X] au niveau 5 B à effet, non du 1er mai 2006, dès lors qu'elle a indemnisé le salarié en raison de l'absence de reclassification jusqu'à aujourd'hui, mais à compter du présent arrêt, ceci avec les conséquences financières et salariales afférentes ;
Considérant que l'équité commande de condamner la SAS ED à payer à M. [E] [X] la somme de 2.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS,
Rejette les moyens d'irrecevabilité soulevés par la SAS ED ;
Rejette la demande de rejet de pièces formulée à l'audience par la même ;
Confirme le jugement dont appel en ce qu'il a retenu que M. [E] [X] était victime dans son emploi de discrimination syndicale ;
Réformant partiellement le jugement,
Condamne la SAS ED à payer à M. [E] [X], avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, les sommes de 20.000 € en réparation de son préjudice matériel, et 30.000 € en réparation de son préjudice moral ;
Ordonne la reclassification de M. [E] [X] au niveau 5 B à compter du présent arrêt, ceci avec les conséquences financières et salariales afférentes ;
Condamne la SAS ED à payer à M. [E] [X] la somme de 2.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SAS ED aux dépens.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT