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21/10/2010 | FRANCE | N°08/09241

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 21 octobre 2010, 08/09241


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRET DU 21 Octobre 2010

(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 08/09241 - MAC



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 14 Mai 2008 par le conseil de prud'hommes de PARIS section encadrement RG n° 06/07336



APPELANT



1° - Monsieur [A] [I]

[Adresse 2]

[Localité 4]

comparant en personne, assisté de Me Florence BRASSEUR, avocat au

barreau de PARIS, toque : C 2322



INTIMEE



2° - SAS SPRINTLINK FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Jean-Baptiste MARTIN, avocat au barreau de PARIS, toque :...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRET DU 21 Octobre 2010

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 08/09241 - MAC

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 14 Mai 2008 par le conseil de prud'hommes de PARIS section encadrement RG n° 06/07336

APPELANT

1° - Monsieur [A] [I]

[Adresse 2]

[Localité 4]

comparant en personne, assisté de Me Florence BRASSEUR, avocat au barreau de PARIS, toque : C 2322

INTIMEE

2° - SAS SPRINTLINK FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Jean-Baptiste MARTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : E0721

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 Septembre 2010, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Irène LEBE, Conseillère, chargée d'instruire l'affaire, en présence de Mme Marie-Antoinette COLAS, Conseillère,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Marie-Pierre DE LIEGE, Présidente

Mme Irène LEBE, Conseillère

Mme Marie-Antoinette COLAS, Conseillère

Greffier : Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Mme Marie-Pierre DE LIEGE présidente et par Mlle CAYRE Sandrine, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

La SA Sprintlink a pour activité la fourniture et la vente de services et de produits liés aux télécommunications.

M. [I], de nationalité américaine, a été embauché par la SA Sprintlink à compter du 1er août 1995 en qualité de 'senior sales représentative'. À compter du 10 février 1997, il a exercé les fonctions de 'Major Account Manager'.

À partir de 1999, M. [I] a exercé ses fonctions en France tout en restant salarié de la société américaine.

Suivant un contrat à durée indéterminée du 8 décembre 2004, avec reprise d'ancienneté au 1 août 1995, M. [I] a été engagé par la SA Sprintlink France. Ce contrat lui a conféré la classification de cadre, groupe E niveau 1.

Les fonctions de M. [I] ont consisté à développer les ventes du groupe Sprintlink auprès d'une clientèle d'entreprises multinationales, établies en France ou aux États-Unis.

Il a exercé ses fonctions sous la responsabilité du directeur régional Benelux - Europe du Sud, M. [R] [Y].

Ce contrat prévoyait une rémunération fixe de 84.000 € et une part variable pouvant atteindre jusqu'à 50% de la rémunération fixe.

La partie variable de la rémunération devait être établie sur les bases d'un plan de rémunération fixant un accélérateur variable sur un double objectif :

- l' objectif qualifié ' A end' relatif aux comptes franco-français,

- l'objectif qualifié ' B end' relatif aux contrats internationaux gérés administrativement et comptablement via le siège aux USA.

D'après le plan de rémunération pour l'année 2005, les objectifs de M. [I] étaient de :

- 2'.275,962 $ sur l'objectif A,

- 312.500 $ sur l'objectif B.

M. [I] a rempli l'objectif A à hauteur de 131,40% et l'objectif B à hauteur de 684,35%.

À compter du mois de novembre 2005, M. [I] a tenté de tenir le paiement des commissions qu'il estimait lui être dues auprès de son employeur au regard du dépassement des objectifs qui lui avaient été assignés et au delà du plafond de commission prévu dans le plan de rémunération 2005, en vain.

C'est dans ces conditions, que par une lettre du 2 mai 2006, M. [I] a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur et a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 21 juin 2006 aux fins d'obtenir paiement des sommes suivantes :

- 607.006 € bruts au titre d'arriérés de commission pour l'année 2005,

- 60.700,60 € au titre des congés payés afférents,

- 841.312,08 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 210.328,02 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 21.032,80 € au titre des congés payés afférents,

- 294.459,20 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 2.415 € à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par un jugement du 14 mai 2008, le conseil de prud'hommes de Paris, section encadrement, a débouté M. [I] de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné aux dépens.

M. [I] a relevé appel de ce jugement.

Dans des conclusions déposées et soutenues à l'audience, M. [I] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris, de constater que la SA Sprintlink a refusé à tort de verser des commissions contractuelles qui lui étaient dues au titre de l'année 2005.

M. [I] demande en conséquence, à titre principal, la condamnation de la SA Sprintlink à lui verser les sommes suivantes :

- 607.006 € bruts au titre d'arriérés de commission pour l'année 2005,

- 60 700,60 € au titre des congés payés afférents,

ces sommes majorées de l'intérêt légal à compter du 21 juin 2006, date de la saisine du conseil de prud'hommes, avec capitalisation annuelle des intérêts et pour la première fois à compter du 21 juin 2007.

À titre subsidiaire, il sollicite la condamnation de la SA Sprintlink à lui verser la somme de 900'000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par l'employeur du fait du refus d'appliquer les engagements professionnels, cette somme étant majorée de l'intérêt légal à compter de la décision à intervenir, avec capitalisation annuelle des intérêts et pour la première fois à compter du 21 juin 2007.

En tout état de cause, M. [I] entend voir dire que la prise d'acte de la rupture du 2 mai 2006 doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il sollicite en conséquence la condamnation de la SA Sprintlink à lui verser la somme de 841'312,08 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, cette somme étant majorée de l'intérêt légal à compter du prononcé de la décision à intervenir avec capitalisation annuelle des intérêts.

Il réclame aussi le versement des sommes suivantes :

- 210.328,02 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 21.032,80 € au titre des congés payés afférents,

- 294.459,20 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

ces sommes pourtant intérêts au taux légal à compter du 21 juin 2006 de la saisine du conseil de prud'hommes, avec capitalisation annuelle des intérêts pour la première fois à compter du 21 juin 2007,

- 4.784 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Il sollicite également que la SA Sprintlink soit tenue à lui remettre des bulletins de salaire, un certificat de travail, une attestation ASSEDIC, conformes aux termes de l'arrêt à intervenir, sous astreinte comminatoire définitive de 100 € par jour et par document à compter de la décision et jusqu'à parfaite remise.

Aux termes d'écritures reprises oralement lors des débats, la SA Sprintlink demande à la cour de confirmer le jugement déféré et de condamner M. [I] au paiement d'une indemnité de 10.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

À titre subsidiaire, la SA Sprintlink entend voir limiter les réclamations formulées par M. [I] aux sommes suivantes :

- 251.390 € au titre des commissions .

- 25.139 € au titre des congés payés afférents,

- 78.665 € au titre de l'indemnité de licenciement, très subsidiairement : 137.313,75 €,

- 131.978,86 € au titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, très subsidiairement : 173.876,33 €,

- 79.070,40 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 7.907,04 € au titre des congés payés afférents.

Il est expressément renvoyé au jugement, aux conclusions respectives des parties visées par le greffier pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens développés.

MOTIFS,

Sur la demande d'arriérés de commissions :

Selon le contrat de travail du 8 décembre 2004, le salarié devait percevoir une rémunération fixe annuelle brute de 84.000 € à laquelle pouvait s'ajouter une rémunération variable dont le principe était fixé de la manière suivante :

Cette rémunération variable pouvait atteindre 50% de la rémunération fixe visée ci-dessus. La méthode de calcul de la rémunération variable figurait en annexe II.

Cette limite n'a toutefois jamais été mise en oeuvre par l'employeur puisque que, dès l'année 2004 mais aussi pour 2005, celui-ci a proposé à son salarié un autre mode de calcul de la rémunération variable, d'ailleurs nettement plus favorable à celui-ci.

L'annexe jointe au contrat de travail consiste en un plan de rémunération variable établie pour l'année 2004 et dûment accepté par M. [I].

Il résulte de l'examen d'une pièce produite par l'employeur que M. [I] a accepté le plan pour l'année 2004 par la voie d'une signature électronique après avoir pris connaissance des modalités du plan . Il est à noter que ce plan prévoyait que M. [I] pourrait percevoir des commissions sur les ventes en fonction de la réalisation des objectifs de vente qui lui était assignés. Le montant maximum des commissions perceptibles avaient été fixé à 35.000 $ par mois et 500.000 $ annuels.

Pour l'année 2005, un nouveau plan de rémunération prévoyant un commissionnement sur deux types d'objectifs A et B a été proposé à M. [I].

L'objectif A été fixé à la somme de 2.275.982,04 dollars.

L'objectif B était fixé à 312.499,98 dollars.

Il était mentionné que les commissions sur les objectifs B étaient plafonnées et ne pouvaient excéder l'équivalent d'un dépassement de 200% des objectifs B., les commissions sur objectifs A end n'étaient quant à elles soumises à aucun plafond.

À l'instar de ce qui avait été prévu dans le plan de rémunération variable de l'exercice 2004, il était précisé que le montant des commissions sur objectifs versé sur l'année ne pourrait excéder 500.000 $ sur l'année, objectifs A et B confondus.

Ce plan de rémunération pour l'exercice 2005, rédigé en langue anglaise a été soumis à M. [I] le 21 février 2005. Après un échange de courriels, M. [I] a accepté le plan commissionnement pour l'exercice 2005 en transmettant sa signature électronique le 28 février 2005.

M. [I] réclame à son employeur le versement des commissions dues conformément aux modalités de calcul appliquées pour l'exercice 2004.

Il soutient que le plan de commissionnement contractuel pour l'exercice 2005 fixant un plafonnement des commissions :

- lui est inopposable, comme étant rédigé en langue étrangère.

- est nul car entaché d'un vice de consentement,

- est léonin et résulte du seul exercice fautif de son pouvoir par l'employeur.

Sur le moyen tiré de l'inopposabilité du plan de commissionnement pour l'exercice 2005 :

M. [I] se fonde sur les dispositions de l'article L.1221-3 du code du travail selon lesquelles le contrat de travail établi par écrit est rédigé en français pour soutenir que La SA Sprintlink ne peut se prévaloir de l'avenant comportant le plan de commissionnement pour l'exercice 2005, celui-ci ayant été rédigé en anglais.

Toutefois l'alinéa 3 de l'article L.1221-3 du code du travail prévoit que lorsque le salarié est étranger et le contrat constaté par écrit, une traduction du contrat est rédigée, à la demande du salarié, dans la langue de ce dernier. Les deux textes sont également foi en justice. En cas de discordance entre les deux textes, seul le texte rédigé dans la langue du salarié étranger peut être invoqué contre ce dernier.

M. [I] est américain.

Dans ces conditions, alors que le contrat de travail établi en 2004 avait été rédigé dans les deux langues, l'avenant au contrat de travail rédigé en langue anglaise peut être invoqué utilement par la société, puisqu'en tout état de cause, en présence d'un même texte rédigé dans les deux langues, seul le texte rédigé dans sa langue maternelle pouvait être invoqué contre lui .

Ce moyen tiré de l'inopposabilité du plan de commissionnement rédigé en anglais pour l'exercice 2005 est inopérant.

Sur le moyen tiré de la nullité de l'accord contractuel portant modification des modalités de la rémunération variable :

M. [I] soutient qu'après avoir reçu le plan de commissionnement pour l'exercice 2005, il a été amené à formuler plusieurs questions à propos du plafonnement des commissions apporté pour les objectifs 'B end' et avoir accepté ledit plan de commissionnement 2005 le 28 février 2005 sous la menace exercée par la société de ne pas lui verser les commissions dues à compter du mois de janvier 2005 à défaut d'accord de sa part avant le 28 février 2005 et à la condition de pouvoir ajouter des commentaires sur cette question du plafonnement restée en suspens.

Il ressort des pièces produites que le plan de rémunération pour l'exercice 2005 a été communiqué M. [I] le 22 février 2005, qu'il a alors échangé plusieurs courriels avec M. [P] [N] à qui il a posé les questions relatives au plafonnement pour les résultats 'B end.'

À la question de savoir 'si la limitation était enlevée avec le dernier paiement au 31 décembre', une réponse claire et non équivoque lui a été apportée à ce propos de la façon suivante :

'si votre résultat 'B end'de personne/mois de décembre est de 250 %, votre paiement sera limité à 200% et vous perdrez 50 % restants. Est-ce plus clair '

Le 23 février 2005, M. [I] a fait part de sa surprise de ce que le plan pour les 'B end' apparaissait restrictif.... l'impact de ne pas enlever la limitation pour le dernier paiement apparaît très pénalisant pour les résultats des différents scénarios prévus ci-dessus...

En réponse M. [N] lui écrivait : ' je comprends ton souci et j'en parlerai à [O] [M]. Il a été décidé d'inclure cette limitation pour la composante de revenus 'B end'...

Rappel que vous devez accepter votre plan et [R] doit l'approuver avant le 28 pour s'assurer que vous serez payés pour les personne/mois de janvier'.

Le 28 février 2005, M. [I] a adressé à M. [Y] et à M. [N] un courriel ainsi libellé '[R], comme discuté, j'ai accepté le plan pour 2005. Il n'y a pas d'espace pour ajouter des commentaires sur la question que j'ai encore sur le mail ci dessous. Merci pour votre aide'.

Il en résulte que M. [I] avait parfaitement compris que les commissions pour les objectifs B end seraient plafonnées à 200% des objectifs, qu'il a le 28 février 2005 accepté le plan, après discussion ainsi qu'il l'a relevé lui-même.

Il convient de rappeler que M. [I] disposait d'une grande expérience professionnelle, avait un niveau de cadre et avait exprimé ses interrogations sur ce point précis pour lesquelles des réponses précises et non équivoques lui avaient été apportées.

L'acceptation donnée par lui pour le plan 2005 est claire et non équivoque.

M. [I] a déploré ensuite de ne pas pouvoir ajouter des commentaires mais n'a pas, ce faisant, subordonné son accord à une réserve explicite, ni à une condition clairement posée.

Il ne peut arguer utilement de ce que la mise en paiement imminente des commissions pour le mois de janvier 2005 ait rendue nécessaire qu'il prît position à cet égard pour le 28 février 2005, pour soutenir qu'il a été menacé du non paiement de salaires et qu'ainsi son consentement a été obtenu à l'aide de violence. Son niveau de responsabilité, son expérience et son niveau de cadre lui permettaient de réagir et de ne pas accepter le dit plan dès lors que l'enjeu n'était en réalité qu'un paiement différé de ses commissions pour le mois de janvier.

Au surplus, l'analyse du comportement adopté ultérieurement par M. [I] confirme qu'il avait accepté les objectifs qui lui avaient été assignés et le plan de rémunération pour l'année 2005, en ce qu'il a poursuivi son contrat de travail pendant toute l'année 2005 et jusqu'au 2 mai 2006 sans contester les commissions versées, sauf celle à laquelle il prétendait après la conclusion d'un contrat avec Motorola.

A cet égard, il sera fait remarquer que conscient du plafonnement des commissions pour les objectifs 'B end', M. [I] a sollicité le paiement d'une compensation financière hors plan par une requête présentée lors d'une réunion du 11 novembre 2005, en faisant valoir son implication particulière et la satisfaction de l'équipe américaine pour le travail réalisé spécifiquement sur ce dossier.

Il a aussi par un courriel du 3 mars 2006, demandé à ses supérieurs hiérarchiques et plus spécialement à M. [S] [C] de lui apporter des explications sur les raisons pour lesquelles il n'y avait pas lieu d'offrir 'une compensation appropriée' pour Motorola .

Le consentement de M. [I] n'est pas entaché de vice au sens des dispositions de l'article 1112 du Code civil.

Sur le caractère léonin des dispositions contractuelles et l'exécution fautive de l'employeur et sur la demande de dommages-intérêts au visa des articles 1134 et 1382 du code civil.

M. [I] s'appuie sur les dispositions contenues dans le plan pour soutenir son employeur pouvait décider de manière discrétionnaire de la manière selon lesquelles les revenus, la valeur contractuelle, la marge de profit ou tout autre avantage reçu ou devant être reçu par la société seront distribués ... il en déduit que la rémunération variable résulte du seul pouvoir de l'employeur, que celui-ci a refusé de manière fautive d'assumer ses engagements à son égard.

Il est avéré que la SA Sprintlink se réserve d' inclure de manière discrétionnaire des paiements en application de promotion, de programmes de bonus ou autre système de compensation au-delà des prévisions contractuelles.

En toute hypothèse, et nonobstant ces dispositions figurant dans le plan de rémunération de 2005, M. [I], qui avait d'abord été embauché par la société américaine, avant d'être engagé par la filiale française, n'avait jamais connu de plafonnement de commissions comparable à celui qui lui a été proposé pour l'année 2005.

Par ailleurs, il ressort des courriels échangés et tout spécialement d'un courriel rédigé par [L] [Z], à l'intention de M. [T] [D], le 9 juin 2005, que l'opportunité d'un contrat important avec Motorola a été identifiée par [G] [U] en 2004. L'auteur de ce courriel précise que '[G] et son homologue européen, [A] [I], ont fait un travail remarquable en vendant cette solution extrêmement complexe à un client des plus exigeants'.

Dans la demande de paiement d'une compensation financière hors plan pour le contrat Motorola, M. [I] a rappelé que des réunions avec le directeur senior des réseaux mondiaux et de l'équipe EMEA de Motorola ont eu lieu pendant le dernier trimestre de l'année 2004 et le premier trimestre de l'année 2005 pour préparer les demandes de propositions chiffrées.

Ainsi, il apparaît que même si le contrat Motorola dont l'enjeu était de l'ordre de 30 millions de dollars n'a été finalisé qu'en juin 2005, la direction du groupe avait conscience des pourparlers engagés, des enjeux financiers en cours et de l'importance du travail des équipes et notamment de l'équipe européenne de M. [I] pour remporter ce contrat.

En proposant un plafonnement de ses commissions pour l'année 2005 sur le 'B end', correspondant aux commissions relatives aux contrats internationaux gérés administrativement et comptablement via le siège des USA, l'employeur a manifestement voulu limiter le montant des commissions susceptibles d'être versées conformément aux plans de rémunération antérieurs si les négociations engagées avec Motorola devaient aboutir.

Ce comportement confirmé par le refus d'envisager une compensation particulière lors de la présentation de la requête formée hors plan par M. [I] caractérise une exécution fautive du contrat de travail, dès lors que l'employeur a anticipé les conséquences que la conclusion du contrat pouvait avoir sur la rémunération du salarié en mettant au point un plan de rémunération susceptible d'empêcher que la conclusion de ce contrat exceptionnel ne soit l'occasion d'une augmentation sensible de la rémunération du salarié.

Cette exécution fautive du contrat est à l'origine d'un préjudice réel et certain pour le salarié dès lors que les modalités de sa rémunération ont changé pour empêcher que la rémunération du salariée soit impactée par la conclusion de cet important contrat avec Motorola.

M. [I] estime que son préjudice peut être fixé à la somme de 607.006 € ce chiffre ayant été calculé par un représentant du groupe en tenant compte de l'objectif annuel du revenu de l'équipe fixé à 312.500 €, de l' objectif effectivement atteint soit 2.275.982 €, du facteur d'accélération, des sommes déjà versées au titre des commissions du 'B end ' soit 39.455 €, la somme de 3.605 € versée par la société au titre du solde des commissions 'B End' en application du plan de rémunération de 2005.

S'il est patent qu'aux termes de l'article VII du contrat de travail il était prévu que la rémunération fixe annuelle brute de M. [I] était arrêtée à la somme de 84.000 €, qu'une rémunération variable serait susceptible de lui être versée en fonction des résultats de son activité, laquelle rémunération variable pourrait atteindre 50% de la rémunération fixe, force est de constater que l'employeur admettait que cette limitation n'avait pas vocation à être appliquée puisque le cumul des commissions 'A end et B end' versées effectivement a dépassé le seuil de 50% de la rémunération brute. En effet, d'après les documents produits par les deux parties, en application du plan de commission 2005, M. [I] a perçu 77.455 € au total.

Par ailleurs, figure dans le plan de rémunération de 2005 une clause ainsi libellée ' le montant maximum d'intéressement compensatoire que vous pouvez gagner en une seule année est de 500000 $, étant observé que cette limitation annuelle figurait déjà dans le plan de rémunération de 2004 et qu'une telle clause ne pouvait trouver à s'appliquer si la rémunération variable était limitée à 50% de la rémunération brute.

Dans ces conditions, et en tenant compte de l'ensemble de ces éléments, la cour dispose d'éléments suffisants pour fixer à 350.000 € le montant des dommages-intérêts à revenir au salarié à raison du préjudice subi par lui du fait de l'exécution fautive du contrat par l'employeur.

Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du présent arrêt. Ces intérêts pourront être capitalisés dès lors qu'ils seront dus pour une année entière conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil.

Le jugement entrepris sera infirmé.

Sur la prise d'acte de la rupture :

La prise d'acte de la rupture des relations contractuelles formulées par un salarié a les effets d'une démission ou d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse selon qu'elle est justifiée ou non par des manquements suffisamment graves de la part de l'employeur.

Aux termes de la lettre de rupture du 2 mai 2006, M. [I] rappelle qu'en dépit de ses demandes réitérées, l'employeur a refusé de lui verser une commission proportionnée à la réalisation et au large dépassement de son objectif B, en alléguant d'un plafond de commissions hors de proportion avec les modalités habituelles de fixation au sein de l'entreprise.

Ainsi qu'il a été précédemment analysé , le changement intervenu dans les modalités de la rémunération variable alors que le groupe connaissait l'existence des pourparlers engagés avec un client potentiel important conforté par le refus de verser au salarié une compensation appropriée hors plan caractérisent une volonté manifeste de l'employeur de limiter le montant de la rémunération à revenir au salarié en tenant compte du chiffre susceptible d'être atteint par la conclusion de ce contrat important de la part de l'employeur et de le priver d'une part de la rémunération qui lui serait revenue sans l'application jusqu'alors inédite d'un plafond des commissions à 200 % des objectifs.

Dans ces conditions, la prise d'acte de la rupture est justifiée par les manquements graves de la part de l'employeur et doit avoir des effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement déféré sera infirmé.

Sur les conséquences financières d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse :

Sur l'indemnité de licenciement :

M. [I] avait une ancienneté de 11 années, dès lors que l'ancienneté acquise alors qu'il travaillait pour la société américaine avait été reprise lors de la conclusion du contrat en 2004.

En application de la convention collective applicable, à partir de deux années d'ancienneté révolues, le salarié licencié perçoit une indemnité égale à 3 % du salaire annuel brut par année complète d'ancienneté et ce jusqu'à neuf années d'ancienneté révolues et 4% du salaire annuel brut par année entière d'ancienneté pour la tranche comprise entre 10 et 25 ans révolus.

Par ailleurs, le salaire annuel brut à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité de licenciement est le salaire brut soumis à charges sociales versé par l'entreprise au cours des 12 derniers mois de présence effective dans l'établissement.

Dans ces conditions, et au regard des salaires fixes et des commissions perçues, l'indemnité conventionnelle de licenciement sera fixée à la somme de 78.655 €.

Sur l'indemnité compensatrice de préavis :

Dès lors que la prise d'acte de rupture a les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'employeur est redevable d'une indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents.

En l'absence de discussion sur le montant de la somme réclamée, il convient d'allouer à M. [I] la somme de 43.401,39 € à ce titre outre une somme de 4.340,13 € au titre des congés payés afférents.

Sur les intérêts légaux :

Les sommes allouées au titre de l'indemnité de licenciement, de l'indemnité compensatrice de préavis des congés afférents porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l'intimé de la convocation devant le conseil de prud'hommes.

Dès lors qu'elle a été demandée, la capitalisation des intérêts sera ordonnée et appliquée conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil.

Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :

M. [I] disposait d'une ancienneté de 11 années au sein d'une société comptant plus de 10 salariés.

Selon l'article L.1235-3 du code du travail, lorsqu'un salarié, disposant d'une ancienneté supérieure à deux années au sein d'une entreprise comptant plus de 10 salariés, a fait l'objet d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux six derniers mois de salaires.

Dans la présente espèce, M. [I] a trouvé un emploi et n'a pas connu de rupture d'activité postérieurement à la prise d' acte de la rupture.

Dans ces conditions, compte tenu tant de son anciennté et de son implication admise dans la société, une somme de 220.000 € lui sera allouée à titre d'indemnité pour licenciement sans cause est sérieuse.

S'agissant d'une créance indemnitaire, cette somme produira des intérêts au taux légal à compter du présent jugement. La capitalisation des intérêts dus pour une année entière sera ordonnée et devra être appliquée conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil.

Sur la demande de remise des documents sociaux :

La demande de remise par la société Sprintlink France de bulletins de salaire, d'un certificat de travail, d'une attestation ASSEDIC conformes aux termes du présent arrêt est tout à la fois légitime et fondée.

Il y sera fait droit.

Aucune astreinte ne sera pourtant ordonnée. M. [I] pourra saisir utilement le juge de l'exécution compétent en vue de la fixation d'une telle astreinte dans l'hypothèse où la société intimée n'exécuterait pas les obligations mises à sa charge par le présent arrêt.

Sur la demande d'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile :

L'équité commande d'allouer à M. [I] une indemnité de 4.500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile étant observé que l'intimée avait elle-même estimée à 10.000 € le montant des frais engagés par elle au soutien de sa défense devant la cour d'appel..

PAR CES MOTIFS,

Statuant contradictoirement et publiquement,

Infirme le jugement déféré,

Statuant à nouveau,

Dit que la prise d'acte de la rupture doit avoir les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ,

Condamne la société Sprintlink France SA à verser à M. [I] les sommes suivantes:

- 350.000 € à titre de dommages-intérêts pour exécution fautive du contrat de travail,

- 220.000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 78.655 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 43.401,39 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 4.340,13 € au titre des congés payés afférents,

- 4.500 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Dit que les sommes allouées à titre de dommages-intérêts porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, et que la capitalisation de ces intérêts sera appliquée conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil, dès lors qu'ils seront dus pour une année entière,

Dit que les sommes allouées au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement, de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents porteront intérêts à compter de la réception par l'intimé de la convocation devant le conseil de prud'hommes, et seront capitalisés conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil,

Dit que la SA Sprintlink France devra remettre à M. [I] les bulletins de salaire, le certificat de travail, une attestation ASSEDIC conformes aux termes du présent arrêt;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

Condamne la société Sprintlink aux entiers dépens.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 08/09241
Date de la décision : 21/10/2010

Références :

Cour d'appel de Paris K8, arrêt n°08/09241 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2010-10-21;08.09241 ?
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