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19/10/2010 | FRANCE | N°09/08997

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 8, 19 octobre 2010, 09/08997


Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 8



ARRÊT DU 19 OCTOBRE 2010



(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 09/08997



Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Mars 2009 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2007039374





APPELANTE



S.A.S COLIN [Localité 8]

prise en la personne de ses représentants légaux

ayant son

siège [Adresse 4]

[Localité 8]



représentée par la SCP PETIT LESENECHAL, avoués à la Cour

assistée de Me Christian MULLER, avocat au barreau de THIONVILLE







INTIMÉES



Société ECOGEST AED A...

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 8

ARRÊT DU 19 OCTOBRE 2010

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 09/08997

Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Mars 2009 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2007039374

APPELANTE

S.A.S COLIN [Localité 8]

prise en la personne de ses représentants légaux

ayant son siège [Adresse 4]

[Localité 8]

représentée par la SCP PETIT LESENECHAL, avoués à la Cour

assistée de Me Christian MULLER, avocat au barreau de THIONVILLE

INTIMÉES

Société ECOGEST AED AUDIT EXPERTISE DEVELOPPEMENT

prise en la personne de ses représentants légaux

ayant son siège [Adresse 1]

[Localité 9]

représentée par la SCP ARNAUDY - BAECHLIN, avoués à la Cour

assistée de Me Brigitte AUBRY GLAIN, avocat au barreau de PARIS, toque : P133

(SCP RAFFIN et Associés)

CABINET KOLB

pris en la personne de ses représentants légaux

ayant son siège [Adresse 7]

[Localité 5]

représenté par la SCP ARNAUDY - BAECHLIN, avoués à la Cour

assisté de Me MANGIN, avocat au barreau de PARIS, toque R94

Société SOCAUDIT

prise en la personne de ses représentants légaux

ayant son siège [Adresse 6]

[Localité 5]

représentée par la SCP ARNAUDY - BAECHLIN, avoués à la Cour

assistée de Me MASSOT, Avocat au barreau de PARIS, Toque R098

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 14 septembre 2010, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Nicole MAESTRACCI, Présidente

Madame Marie-Paule MORACCHINI, Conseillère

Madame Evelyne DELBES, Conseillère

qui en ont délibéré

Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues à l'article 785 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Marie-Claude HOUDIN

ARRÊT :

- contradictoire

- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Nicole MAESTRACCI, présidente et par Mme Marie-Claude HOUDIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La SAS Colin [Localité 8] exerce une activité de concessionnaire automobile Renault. Elle procédait elle-même à la tenue de sa comptabilité au sein d'un service dirigé jusqu'au 27 juin 2006, date de son licenciement, par Mlle [S] [L].

Selon lettre de mission des 8 et 12 juillet 1996, la société Colin [Localité 8] a confié à la société Ecogest AED Audit Expertise (Ecogest) la surveillance de sa comptabilité, l'assistance fiscale et sociale courante et l'examen de ses comptes annuels en vue de leur clôture. Cet expert comptable a officié au titre des exercices 1996 à 2005. En juillet 2006, il a été remplacé par la société CHD Paris.

Le 12 juin 1998, l'assemblée générale des associés de la société Colin [Localité 8] a confié le mandat de commissaire aux comptes à la SA Cabinet Kolb. Les fonctions de celle-ci ont pris fin en 2003. Le 24 août 2004, elle a été remplacée par la Sarl Socaudit.

Le remplaçant de Mlle [L], M. [G], a relevé au mois de mars 2007 des écritures comptables anormales qu'il a signalées à la société CHD Paris, laquelle a mis en évidence, après investigations, des détournements de fonds commis par l'ancienne responsable comptable, Mlle [L].

Le 30 avril 2007, la société Colin [Localité 8] a déposé plainte avec constitution de partie civile à l'encontre de Mlle [L], auprès du doyen des juges d'instruction du tribunal de grande instance de Nanterre, des chefs d'abus de confiance, d'escroquerie, de recel, de faux et usage de faux et de vol.

C'est dans ces circonstances que, par actes du 8 juin 2007, la société Colin [Localité 8] a assigné la société Ecogest, la société Cabinet Kolb et la société Socaudit devant le tribunal de commerce de Paris en responsabilité et paiement des sommes de 947 599,49 euros, 100 658 euros et 20 000 euros à titre de dommages et intérêts, faisant grief aux intéressés d'avoir manqué à leurs obligations professionnelles et contractuelles.

Par jugement du 16 mars 2009, le tribunal de commerce de Paris a débouté la société Colin [Localité 8] de toutes ses demandes et l'a condamnée à payer la somme de 1 000 euros à chacune des défenderesses.

Par déclaration du 14 avril 2009, la SA Colin [Localité 8] a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières écritures signifiées le 13 septembre 2010, elle demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau, de constater que l'expert comptable a manqué à l'obligation de surveillance et d'examen des comptes en ne décelant pas les mouvements comptables ayant permis la fraude commise par Mlle [L], de constater que les commissaires aux comptes ont manqué à leur obligation de vigilance et de contrôle permanent en ne mettant pas en oeuvre les moyens appropriés qui auraient permis de déceler la fraude, de constater que les mêmes ont certifié un montant inexact de rémunération pour Mlle [L], de dire que son préjudice est égal au montant des sommes détournées et que les détournements ont pour fait générateur exclusif les défaillances des intimées, de condamner solidairement les intéressés à lui payer la somme de 475 852,97 euros, de dire que la société Socaudit ne sera tenue qu'à hauteur de 81 881,50 euros, de dire que l'expert comptable devra les intérêts capitalisés à compter du 1er janvier 1997, la société Cabinet Kolb à compter du 1er janvier 1999 et la société Socaudit à compter du 1er janvier 2005, de condamner solidairement les intimées au paiement, à titre de dommages et intérêts supplémentaires, des sommes de 50 000 euros au titre de la reconstitution de son bilan et de la passation d'écritures nouvelles, de 11 000 euros au titre des frais d'expert comptable engendrés pour ces travaux, et de 80 000 euros en réparation du trouble engendré dans son organisation, de condamner les intimées à restituer les honoraires qu'elles ont perçus pendant la durée de leurs fonctions, de condamner solidairement les intéressées à lui payer la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, d'ordonner enfin la publication de l'arrêt à intervenir dans le Bulletin National des Commissaires aux Comptes sous astreinte de 200 euros par jour de retard.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 23 juin 2010, la société Ecogest demande à la cour de confirmer le jugement dont appel, de débouter la société Colin [Localité 8] de toutes ses demandes et de la condamner à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières écritures signifiées le 28 juin 2010, la société Cabinet Kolb demande à la cour de constater la prescription partielle de l'action engagée à son encontre, de dire qu'elle ne peut être concernée qu'au titre des diligences accomplies à l'occasion du contrôle des comptes de l'exercice clos au 31 décembre 2003 et postérieurement au 8 juin 2004, de débouter l'appelante de toutes ses demandes et de la condamner au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 7 septembre 2010, la société Socaudit demande à la cour d'ordonner la communication de l'entier dossier pénal ayant fait l'objet de l'ordonnance de renvoi rendue le 19 janvier 2010 à l'encontre de Mlle [L], d'écarter des débats les pièces 53 et 54 produites par la société Colin [Localité 8], de dire celle-ci irrecevable et non fondée en ses demandes, de confirmer le jugement déféré en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes, de la condamner au paiement de la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

SUR CE

Considérant que la société Socaudit sollicite la communication de l'entier dossier pénal ; que la cour constate que l'intéressée qui pouvait, si elle estimait cette production utile, saisir le conseiller de la mise en état d'un incident aux fins de l'obtenir, n'en a rien fait au cours d'une procédure qui a duré une année et demie; que sa demande est purement dilatoire et sera rejetée ;

Considérant que la même société demande à la cour d'écarter des débats les pièces 53 et 54 communiquées par la société Colin [Localité 8], correspondant au réquisitoire définitif du procureur de la République de Nanterre en date du 15 octobre 2009 et à l'ordonnance du 19 janvier 2010 renvoyant Mlle [L] devant le tribunal correctionnel des chefs d'abus de confiance commis entre 1996 et 2006 et de faux et usage de faux ;

Considérant que la partie civile qui n'est pas tenue au secret de l'instruction peut produire dans une instance civile ou commerciale les pièces de la procédure pénale clôturée qui lui ont été régulièrement communiquées en cette qualité ; qu'il ne peut être fait grief à la société Colin [Localité 8], qui a aussi versé aux débats le procès-verbal de garde à vue de Mlle [L], d'avoir limité sa production à ces pièces, alors que le société Socaudit n'a pas estimé utile de solliciter la communication du dossier pénal auprès du conseiller de la mise en état ;

Sur la prescription

Considérant que la société Cabinet Kolb fait plaider qu'aucune dissimulation ne lui étant reprochée, la prescription lui est acquise pour les exercices comptables antérieurs à celui de 2003 qui a donné lieu à une certification de sa part en date du 28 juillet 2004 ;

Considérant que l'appelante, qui fait valoir que l'on ne peut pas prescrire si l'on ne connaît pas, réplique que les détournements commis par Mlle [L] n'ont été découverts qu'en mars 2007 ; qu'elle ajoute que la prescription repose sur une notion de faute continue et non de faute instantanée ;

Considérant qu'en application des articles L 822-18 et L 225-254 combinés du code de commerce, l'action en responsabilité contre les commissaires aux comptes se prescrit par trois ans à compter du fait dommageable ou s'il a été dissimulé, de sa révélation ;

Considérant que le point de départ du délai de prescription est donc le fait dommageable, soit ici la certification fautive des comptes annuels qui clôt les investigations du commissaire aux comptes, sauf dissimulation de la part de celui-ci; que la dissimulation à laquelle se réfèrent les dispositions légales précitées s'entend de la volonté du commissaire aux comptes de cacher des faits dont il a eu connaissance par la certification des comptes ;

Considérant qu'il n'est pas établi ni soutenu que la société Cabinet Kolb aurait eu connaissance, à l'occasion de la certification des comptes de la société Colin [Localité 8], des faits commis par Mlle [L] et qu'elle les aurait cachés à sa cliente; que par suite, il n'existe point de motif de reporter à 2007, le point de départ de l'action en responsabilité visant la société Cabinet Kolb ;

Considérant que celle-ci a été nommée commissaire aux comptes de la société Colin [Localité 8] par assemblée générale du 12 juin 1998 et a été remplacée le 24 août 2004 par la société Socaudit ; que les derniers comptes annuels qu'elle a certifiés sont ceux de l'exercice 2003 et ce, aux termes d'un rapport en date du 28 juillet 2004 ;

Considérant que l'action ayant été engagée par assignation délivrée le 8 juin 2007, la prescription de trois ans imposée par la loi est acquise à la société Cabinet Kolb pour les exercices comptables 1998 à 2002 par elle certifiés plus de trois ans avant la délivrance de cet acte ; que l'action est en revanche recevable en ce qui concerne l'exercice comptable clos le 31 décembre 2003 objet d'un rapport de certification en date du 28 juillet 2004 ;

Sur le fond

Considérant que l'existence des détournements commis de 1996 à 2006 par Mlle [L], qui les a reconnus, n'est pas contestée ; qu'il est constant que le montant de ces détournements s'élève à 475 852,97 euros ;

Considérant que des pièces mises au débat, il ressort que Mlle [L] s'est octroyée et a prélevé sur les comptes de son employeur, un salaire supérieur à celui qui lui était dû ; qu'elle s'attribuait un acompte en milieu de mois dont elle ne diminuait pas la paie qui lui revenait mensuellement et qu'elle se versait donc en totalité en fin de mois ; que de 1996 à 2006, elle a ainsi bénéficié d'un indu, constitué de la somme des acomptes, d'un montant total de 475 852,97 euros ; qu'elle explique dans le procès-verbal de garde à vue qu'elle débitait le compte courant normal de la société (n° [XXXXXXXXXX03]) du montant global de tous les salaires à payer pour le mois pour créditer un compte bancaire de rémunération 'bis' ouvert également dans les livres de la Banque Populaire Rives de Partis (n° [XXXXXXXXXX02]), à partir duquel elle se virait acomptes et salaires vers trois de ses comptes bancaires ; qu'il est constant que ce compte rémunération 'bis' n'était pas comptabilisé et que Mlle [L] s'en faisait adresser personnellement les relevés sous le libellé 'Sté Colin [Localité 8] SA - Mme [L]' ; que pour masquer ses détournements et compenser le compte salaire, la comptable utilisait le compte Cogera, compte fournisseur Renault (1004 du plan général comptable), dont elle falsifiait les justificatifs, en y portant comme payées des sommes dont la société était en réalité débitrice vis à vis de ce fournisseur ;

Considérant que la société Colin [Localité 8], qui soutient que le procédé employé par Mlle [L] et son camouflage ne présentaient aucune complexité, reproche à la société Ecogest d'avoir manqué à ses obligations contractuelles et à celles issues des normes professionnelles en se bornant à affirmer que la comptabilité était régulière et sincère et constituait l'image fidèle des comptes annuels :

- sans avoir vérifier l'intégralité des éléments remis par le service comptable,

- sans avoir procédé à la vérification de l'adéquation entre l'assiette des engagements et celle de leur exécution qui lui aurait révélé la non adéquation entre le montant des salaires dus et celui des salaires versés,

- sans avoir surveillé ni circularisé le compte Cogera, soit celui du fournisseur Renault, spécifique à la concession automobile qu'elle exploite et qui a été utilisé par Mlle [L] pour masquer ses détournements,

- sans avoir collecté l'intégralité des éléments probants lui permettant d'effectuer sa mission, ce qui l'a conduite à ignorer l'existence du compte bancaire de rémunération 'bis' ouvert au nom de la société Colin [Localité 8] dans les livres de la Banque Populaire Rives de [Localité 5], non comptabilisé, et à partir duquel Mlle [L] a procédé aux virements indus au bénéfice de trois de ses comptes personnels ;

Considérant que la société Ecogest soutient que la mission que lui avait confiée la société Colin [Localité 8], limitée à l'établissement des comptes annuels et s'opérant a posteriori, ne portait que sur la régularité formelle de la comptabilité et s'effectuait par épreuves et sondages ; que dans ces conditions, elle ne pouvait pas s'apercevoir des détournements, au procédé très sophistiqué, commis par Mlle [L] ; qu'elle fait valoir qu'au 31 décembre 2005, date de la clôture du dernier exercice comptable la concernant, les comptes personnels avaient été soldés et ne présentaient pas de soldes significatifs ; que les comptes fournisseurs, et spécialement le compte Cogera, présentaient des soldes identiques dans les balances générales et auxiliaires et que les soldes de ces dernières étaient appuyées de justificatifs émanant de Renault ; que tous les comptes bancaires comptabilisés étaient justifiés, leur état de rapprochement vérifié ; que cette cohérence ne lui a pas permis de nourrir le moindre doute sur la comptabilité de sa cliente ; qu'elle ne connaissait pas et ne pouvait connaître le compte bancaire ponctionné par Mlle [L] qui n'était pas comptabilisé et dont cette dernière se faisait adresser personnellement et cachait les relevés ; qu'elle fait enfin plaider que la seule façon de détecter la fraude aurait été de circulariser les banques et le fournisseur Renault, diligences qui ne faisaient pas partie de sa mission ; qu'elle fait valoir qu'elle ne peut répondre des détournements commis avant le mois de mai 1997 et postérieurement à l'exercice 2005 avec lequel sa mission a pris fin ;

Considérant qu'aux termes de la lettre de mission des 8 et 12 juillet 1996, la société Colin [Localité 8] a confié à la société Ecogest la surveillance de sa comptabilité, une assistance fiscale et sociale courante et l'examen de ses comptes annuels en vue de leur clôture ; que les conditions générales annexées à cette lettre précisent que la mission exclut la confirmation auprès des tiers mais s'appuie, notamment, 'sur une collecte d'éléments probants par examen analytique, contrôle par épreuves, contrôles sur pièces, rapprochements, recoupement' ;

Considérant que la surveillance de la comptabilité s'entend nécessairement, sauf à priver la mission de la société Ecogest de toute substance et utilité, du contrôle de cette comptabilité et, partant, de son analyse, sans laquelle tout contrôle est dénué de sens ; qu'elle comporte, par suite, l'obligation de procéder à des comparaison des mouvements comptabilisés par l'entreprise et par ses comptes bancaires ; qu'en l'espèce, la seule comparaison entre le compte paie du plan général comptable de la société Colin [Localité 8] et/ou des bulletins de paie, qui précisent tant le salaire brut que le salaire net, avec les sommes portées puis débitées sur le compte courant rémunération normal au titre des salaires, aurait permis de détecter la manoeuvre de Mlle [L] ; que ce compte courant, parfaitement comptabilisé et dont il n'est pas soutenu que les relevés auraient été dissimulés, servait à Mlle [L] à alimenter, par le biais de virements, le compte rémunération 'bis' non comptabilisé ; que le seul examen des relevés du compte normal permettait de déceler l'existence du compte 'bis', destinataire de ces virements et en tout cas le montant total des sommes payées au titre des salaires par la société ; que le virement sur le compte 'bis' permettait seulement à Mlle [L] de dissimuler qu'elle était la destinataire de la différence entre salaires dus et salaires versés ;

Considérant qu'une telle comparaison, fût-ce par sondages et épreuves, sur un seul mois lors du contrôle et de l'établissement des comptes de l'exercice 1996, première année d'exercice de la société Ecogest, aurait révélé la non adéquation entre salaires mensuels dus et salaires mensuels payés et provoqué des investigations, notamment auprès de la banque, lesquelles auraient permis la découverte du compte rémunération 'bis' et la destinataire du trop payé et empêché le renouvellement par Mlle [L] de son procédé les exercices suivants ;

Considérant que la société Ecogest dont la surveillance de la comptabilité n'a pas porté sur ces points a commis une faute dans l'accomplissement de sa mission qui engage sa responsabilité à l'égard de la société Colin [Localité 8] ; que la cour constate que peu de temps après le départ de Mlle [L], la fraude de celle-ci a été découverte par le biais du seul rapprochement entre le compte rémunération du personnel du plan général comptable et les décaissements effectués par l'entreprise ;

Considérant que la société Colin [Localité 8] fait grief aux commissaires aux comptes d'avoir manqué à leur obligation de résultat consistant à communiquer à ses associés, selon les prescriptions de l'article L 225-115 paragraphes 4 et 5 du code de commerce, le montant global certifié exact des rémunérations versées aux cinq personnes les mieux rémunérées dont Mlle [L] faisait partie depuis 1996 ;

Considérant que la société Socaudit oppose justement à cette argumentation que l'alinéa 2 de l'article L 227-1 du code de commerce exclut les dispositions de l'article L 225-115 du dit code des règles applicables aux sociétés par actions simplifiées, telle la société Colin [Localité 8] ;

Considérant que ce grief ne peut donc pas prospérer ;

Considérant que la société Colin [Localité 8] reproche encore aux commissaires aux comptes, qui ont certifié les comptes sans la moindre remarque de 1998 à 2006, d'avoir manqué à leur obligation de vigilance et de contrôle, en omettant, alors qu'ils avaient un pouvoir d'investigation et de renseignement auprès des tiers sur tous les éléments soumis à leur contrôle et à leur censure, de se livrer à la moindre diligence en ce sens, telle la circularisation des banques et du compte Cogera, et en se bornant à prendre pour exacts les comptes arrêtés après la mission de surveillance de l'expert comptable ;

Considérant que la société Cabinet Kolb et la société Socaudit contestent avoir commis la moindre faute ; qu'elles font valoir que, selon les normes professionnelles émanant de la CNCC, la mission du commissaire aux comptes a pour objectif de permettre à ce professionnel du chiffre de formuler une opinion exprimant si les comptes sont établis dans tous leurs aspects significatifs conformément au référentiel comptable qui leur est applicable ; que pour l'accomplir, le commissaire aux comptes n'a pas à vérifier toutes les opérations comptables de sa cliente ni à rechercher toutes les inexactitudes et irrégularités qu'elles pourraient comporter ; que les contrôles du commissaire aux comptes ne sont pas exhaustifs et se font par simples sondages et n'imposent pas la moindre circularisation des fournisseurs et des banques ; qu'elles estiment que la société Colin [Localité 8] n'établit pas qu'elles auraient omis des vérifications et des contrôles qui leur auraient permis de découvrir les détournements ni qu'elles n'auraient pas utilisé les moyens que la loi met à leur disposition à cette fin; qu'elle ne peut pas se contenter de la preuve de l'existence d'irrégularités non dénoncées pour prétendre à la mise en jeu de leur responsabilité ; qu'elles ajoutent que la fraude utilisée était complexe, compte tenu des manipulations comptables, des fabrications de faux et de l'utilisation d'un compte bancaire dissimulé dont les relevés étaient reçus par Mlle [L] seule ; que les caractéristiques de leur mission ne leur permettaient pas de déceler cela ; que la société Socaudit ajoute qu'elle n'avait pas à circulariser le compte Cogera dont les relevés étaient à sa disposition dans les locaux de la société Colin [Localité 8] et chez l'expert comptable et étaient accompagnés du rapprochement effectué par les services de la société justifiant les écarts avec sa comptabilité ; qu'elle a vérifié les apurements de ce compte qui étaient présentés comme justifiant l'écart entre le solde dans les livres de la société et celui représentant la somme des trois relevés du constructeur Renault (véhicules en parc évolution, véhicules Dacia, véhicules neufs) ;

Considérant que le commissaire aux comptes n'est tenu que d'une obligation de moyens ; que le seul fait que les détournements de Mlle [L] n'aient pas été découverts ne suffit donc pas à engager sa responsabilité ; que son client doit rapporter la preuve qu'il n'a pas exercé sa mission comme l'aurait fait un professionnel raisonnablement diligent ; que la mission du commissaire aux comptes n'est pas limitée à un contrôle a posteriori en fin d'exercice ; qu'il est investi d'une mission permanente de vérification des valeurs et des documents comptables de la société et de contrôle de la conformité de la comptabilité aux règles en vigueur ; qu'aux termes de l'article L 823-13 du code de commerce, il opère à toute époque de l'année toutes vérifications et tous contrôles qu'il juge opportuns ; que s'il n'a pas pour mission d'établir les comptes qu'il vérifie, il doit, pour les certifier, les avoir examinés attentivement et avoir fait des sondages suffisants pour en contrôler la véracité ; que rapprochements bancaires et demandes de confirmation auprès des tiers constituent, respectivement, un outil et un moyen à la disposition du commissaire aux comptes pour opérer ses contrôles;

Considérant que la cour constate qu'aucun des commissaires aux comptes intimé n'a exigé la communication du moindre état de rapprochement bancaire de la part de l'expert comptable ; que la société Cabinet Kolb n'a émis aucune demande de confirmation auprès des banques et a opéré une seule circularisation en 2003 et ce, auprès de neuf fournisseurs, parmi lesquels ne figure pas le compte Cogera de la société Renault, pourtant le plus important d'entre eux dans une concession automobile, en termes de mouvements et de montants, et qui requérait donc toute son attention ; que la société Socaudit, concernée par les exercices comptables 2004 à 2006, n'a émis aucune demande de confirmation auprès des fournisseurs ; que sa première et seule demande de confirmation auprès de la Banque Populaire Rives de [Localité 5] date du 31 décembre 2005 ; que la réponse de la banque, qui révèle, bien sûr, l'existence du compte rémunération 'bis', est en date du 22 juin 2006, et donc postérieure à la certification des comptes de cet exercice par le commissaire aux comptes, en date du 9 juin 2006, au départ de Mlle [L] de l'entreprise et à la fin de ses détournements ; que ces seuls sondages opérés par les intimées sont insuffisants et tardifs et ne correspondent pas aux diligences de commissaires aux comptes raisonnablement diligents ; que l'absence de tout contrôle interne sur sa comptabilité de la part de la société Colin [Localité 8] que fustigent les intimées devait les amener à privilégier des contrôles substantifs portant sur les comptes eux-mêmes ;

Considérant que les fautes de l'expert comptable et le manque de diligences des commissaires aux comptes, auteurs de certifications sans réserve des comptes, n'a pas permis de découvrir les détournements et d'en empêcher la poursuite ;

Considérant que le fait que les détournements aient été dissimulés de sorte que les comptes présentaient une apparence de régularité n'est pas de nature à exonérer expert comptable et commissaires aux comptes de leur responsabilité, alors que la fraude commise par Mlle [L] n'était pas élaborée et que rapprochements bancaires et circularisation du fournisseur Renault suffisaient à la révéler ;

Considérant que le fait que Mlle [L] ait eu la maîtrise de la paie des salariés et la signature sur tous les comptes, ne saurait engager la responsabilité de la société Colin [Localité 8] qui avait pris soin de mettre en place un contrôle externe en confiant la surveillance de sa comptabilité à un expert comptable et alors que ni celui-ci ni les commissaires aux comptes n'ont émis la moindre réserve sur la consistance des contrôles internes à l'entreprise ; que les suggestions émises en juin 2006 par la société Socaudit quant à la réorganisation du service comptable après le départ de Mlle [L], qu'elle conseille de confier à un professionnel, sont tardives;

Considérant que la responsabilité des professionnels du chiffre est distincte de la faute pénale et le préjudice qu'ils ont causé différent de celui résultant des détournements et du coût global qui en est résulté pour la société ; qu'en l'espèce, les fautes imputables aux intimées ont été à l'origine pour la société Colin [Localité 8] de la perte d'une chance de mettre fin, dès l'exercice 1997 pour la société Ecogest, à l'occasion de la certification des comptes 2003 pour la société Cabinet Kolb et à celles des comptes 2004 pour la société Socaudit, aux détournements et d'en éviter le renouvellement ;

Considérant qu'au vu du tableau récapitulatif par année des virements abusifs opérés par Mlle [L] à son profit et du laps de temps raisonnablement nécessaire aux intimés pour mettre en oeuvre, après leur prise de fonctions, les diligences qui leur auraient permis de découvrir les détournements, il y a lieu de fixer la perte de chance subie par la société Colin [Localité 8] à la somme de 400 000 euros, au paiement de laquelle il y a lieu de condamner in solidum les intimés, étant précisé que la société Cabinet Kolb ne sera tenue qu'à hauteur de 80 000 euros et la société Socaudit qu'à hauteur de 50 000 euros et que ce paiement interviendra, pour éviter tout indu, sous déduction des sommes au paiement desquelles les autres actions judiciaires de la société Colin [Localité 8] auront abouti ;

Considérant que les intérêts au taux légal ne peuvent courir, compte tenu de la nature indemnitaire de la somme allouée à la société Colin [Localité 8], qu'à compter du présent arrêt qui fixe tant le principe que le montant de cette indemnisation; que les intérêts se capitaliseront dans les conditions de l'article 1154 du code civil dès qu'ils seront dus pour une année entière ;

Considérant que la société Colin [Localité 8] ne produit aucune pièce justificative à l'appui de ses demandes en paiement de dommages et intérêts complémentaires ; qu'elle en sera déboutée ;

Considérant que les contrats de l'expert comptable et des commissaires aux comptes n'étant pas annulés, la société Colin [Localité 8], dont le préjudice en lien avec les manquement des intéressés, est réparé par l'indemnisation de la perte de chance qu'elle a subie, ne peut prétendre au remboursement des honoraires perçus par ces professionnels ;

Considérant que la mesure de publication du présent arrêt sollicitée par la société Colin [Localité 8] n'est pas justifiée au regard des faits de la cause ;

Considérant que l'équité commande d'allouer à la société Colin [Localité 8] la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; que les intimées, qui succombent et supporteront les dépens, ne sont pas fondées en leurs prétentions fondées sur ledit article et en seront déboutées ;

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement déféré ;

Statuant à nouveau,

Dit irrecevable comme prescrite l'action engagée à l'encontre de la société Cabinet Kolb pour les exercices comptables antérieurs à l'exercice 2003 objet d'un rapport de certification en date du 28 juillet 2004 ;

Dit que la société Ecogest, la société Cabinet Kolb et la société Socaudit ont commis des fautes qui engagent leur responsabilité professionnelle à l'égard de la société Colin [Localité 8] ;

Condamne in solidum la société Ecogest, la société Cabinet Kolb et la société Socaudit à payer à la société Colin [Localité 8] la somme de 400 000 euros à titre de dommages et intérêts, la société Cabinet Kolb n'étant toutefois tenue in solidum qu'à hauteur de 80 000 euros et la société Socaudit qu'à hauteur de 50 000 euros, le tout sous déduction des sommes au paiement desquelles les autres actions judiciaires de la société Colin [Localité 8] auront abouti ;

Dit que les intérêts au taux légal courront à compter du présent arrêt et qu'ils se capitaliseront dans les conditions de l'article 1154 du code civil dès qu'ils seront dus depuis une année entière ;

Condamne in solidum la société Ecogest, la société Cabinet Kolb et la société Socaudit à payer à la société Colin [Localité 8] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette toute autre demande ;

Condamne la société Ecogest, la société Cabinet Kolb et la société Socaudit aux dépens de première instance et d'appel et dit que ces derniers pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

M.C HOUDIN N. MAESTRACCI


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 09/08997
Date de la décision : 19/10/2010

Références :

Cour d'appel de Paris I8, arrêt n°09/08997 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2010-10-19;09.08997 ?
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