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07/09/2010 | FRANCE | N°07/18502

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 5, 07 septembre 2010, 07/18502


Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 5



ARRET DU 07 SEPTEMBRE 2010



(n° , 10 pages)











Numéro d'inscription au répertoire général : 07/18502



Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Octobre 2007 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2005082557









APPELANTES





S.A. ALLIANZ IARD anciennement dénommée

ASSURANCES GENERALES DE FRANCE IART, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux

[Adresse 5]

[Localité 4]



S.A. AXA CORPORATE SOLUTIONS, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux

[Ad...

Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 5

ARRET DU 07 SEPTEMBRE 2010

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 07/18502

Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Octobre 2007 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2005082557

APPELANTES

S.A. ALLIANZ IARD anciennement dénommée ASSURANCES GENERALES DE FRANCE IART, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux

[Adresse 5]

[Localité 4]

S.A. AXA CORPORATE SOLUTIONS, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux

[Adresse 1]

[Localité 4]

Société CHARTIS nouvelle dénomination de la S.A. AIG EUROPE, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux.

[Adresse 8]

[Adresse 8]

[Localité 4]

S.A. ZURICH INTERNATIONAL FRANCE, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux

[Adresse 7]

[Localité 6]

SOCIETE XL INSURANCE COMPANY LIMITED, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par la SCP GRAPPOTTE-BENETREAU JUMEL, avoué

Assisté de Me Alexandra COHEN JONATHAN, avocat plaidant pour le cabinet HASCOET et associés

INTIMEES

S.A. LAFARGE

[Adresse 3]

[Localité 4]

SOCIETE BLUE CIRCLE INDUSTRIES,

Siège Social [Adresse 9] ROYAUME UNI.

Chez la Société LAFARGE

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représenté par la SCP FISSELIER - CHILOUX - BOULAY, avoué

Assisté de Me Guillaume BRAJEUX, et Me LEPOUTRE, avocats plaidant pour le cabinet HFW

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats et du délibéré :

PRESIDENT : Madame Sabine GARBAN

CONSEILLERS : Mme Janick TOUZERY-CHAMPION et Mme Sylvie NEROT

GREFFIER

Dominique BONHOMME-AUCLERE

DEBATS

A l'audience publique du 07.06.2010

Rapport fait par Mme Sabine GARBAN, président en application de l'article 785 du CPC

ARRET

Rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

Signé par Mme S. GARBAN, président, et par D. BONHOMME-AUCLERE, greffier

***********************

En octobre 2001, la société LAFARGE SA, premier cimentier mondial, a acquis par OPA la société anglaise BLUE CIRCLE INDUSTRIES PLC, sixième cimentier mondial. Cette dernière a conservé son autonomie et son identité sociale, en prenant le nom de société LAFARGE CEMENT UK.

Celle-ci possédait huit cimenteries, dont l'une, située à Westbury dans le Wiltshire, produisait pour l'essentiel du ciment prêt à l'emploi dit 'Portland', à teneur en alcalis modéré. Ce ciment, soumis à la norme EN-BS 197-1 limitant la teneur en alcalis (oxydes de sodium et de potassium) à 0,75 %, est vendu à des producteurs de béton prêt à l'emploi.

Pendant une période sur l'étendue de laquelle les parties divergent, l'équipe de contrôle qualité de l'usine de Westbury a dissimulé le fait que le taux limite d'alcalis était fréquemment dépassé, en fournissant dans la base de données techniques dites Techbase, consultable par les clients, des données falsifiées faisant état d'une teneur en alcali voisine de 0,68 %. Le taux d'alcali déjà contenu dans le ciment détermine la recette finale du béton. Les producteurs de béton se servent des données qui leur sont fournies pour établir les certificats relatifs au béton qu'ils vendent.

Cette dissimulation est potentiellement dangereuse car, s'il est utilisé avec des granulats ayant une teneur en silicate élevée (granulats réactifs), le béton fabriqué avec un ciment ayant une teneur en alcali elle aussi élevée est susceptible à terme (de 10 à 15 ans, voire plus) d'être affecté, en présence d'eau, par une dégradation due à une réaction alcali-silicate.

La société LAFARGE CEMENT/BLUE CIRCLE bénéficie, en tant que filiale du groupe LAFARGE du programme d'assurance responsabilité civile mis en place par le groupe, constitué par un système de polices d'assurances par lignes. Le contrat est en date du 12 novembre 2002, à effet au 1er mai 2002, et renouvelé le 1er juillet de chaque année.

La première ligne d'assurance garantit les sinistres subis par les sociétés du groupe à hauteur de 2 millions d'euros. Si cette police se révèle insuffisante, la police de deuxième ligne couvre le sinistre jusqu'à 50 millions d'euros. Une police de troisième ligne couvre le sinistre pour un montant compris entre 50 et 150 millions d'euros. La société AGF est l'apériteur de ces trois premières lignes.

Une police de quatrième ligne, dont l'apériteur est la société ZURICH, garantit le sinistre jusqu'à un montant maximal de 250 millions d'euros.

Le sinistre a été déclaré sur les quatre lignes d'assurance, la société LAFARGE CEMENT indiquant que les faits lui avaient été révélés en août 2004.

Les assureurs lui ont fait savoir, par courrier du 31 mai 2005, qu'ils refusaient de couvrir le sinistre, au motif que les polices étaient nulles faute d'aléa.

Les sociétés LAFARGE et LAFARGE CEMENT exposent qu'elles ont dépêché des experts auprès des entreprises ayant utilisé le ciment défectueux, de façon à définir les contraintes supportées par les ouvrages et les solutions pouvant être mises en place pour garantir la pérennité de ceux-ci ; qu'elles ont consenti des lettres de confort, sans reconnaissance de responsabilité, offrant de prendre en charge le montant des travaux de réfection sur les sites ; qu'elles ont dans certains cas, compte tenu des relations nouées avec certaines sociétés, transigé avec les propriétaires de bâtiments et/ou les constructeurs et versé des indemnités.

Par acte du 24 novembre 2005, elles ont assigné devant le tribunal de commerce de Paris leurs assureurs, les sociétés AGF IART, AXA CORPORATE SOLUTIONS ASSURANCE, AIG EUROPE, ZURICH INTERNATIONAL FRANCE, XL INSURANCE COMPANY Ltd, demandant dans le dernier état de leurs écritures :

- de condamner les sociétés AGF et AXA à leur verser, en application des polices de première et de deuxième ligne, la somme totale de 3.453.146,16 £, ou sa contre-valeur en euros, correspondant aux dépenses déjà engagées par BLUE CIRCLE, avec intérêts moratoires à compter de l'assignation et capitalisation ;

- de condamner les défenderesses à les indemniser de toutes sommes qu'elles seraient susceptibles de verser à l'avenir au titre du sinistre, dans la limite d'un montant de 250.000.000 € ;

- de leur donner acte de ce qu'elles s'engagent à informer les sociétés AGF, AXA, AIG et ZURICH de toutes autres dépenses et indemnisations qu'elles pourraient être amenées à exposer et de toutes indemnisations réclamées par un tiers au titre du sinistre ;

- de condamner ces sociétés à prendre en charge ces dépenses et indemnisations ;

- de condamner solidairement les défenderesses à leur verser les sommes de 200.000 € à titre de dommages-intérêts et de 50.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 17 octobre 2007, le tribunal a :

- débouté les assureurs de leur fin de non recevoir ;

- condamné les sociétés AGF et AXA à verser à la société BLUE CIRCLE, en application des polices de première et de deuxième lignes :

* la somme de 1.260.183,28 £,

* sur présentation des justificatifs de paiement correspondants, la somme de 655.286,10 £, se répartissant en :

. 86.364,85 £ au titre du dossier Cattedown,

. 69.860 £ au titre du dossier Brittania Construction Robin's Wood,

. 65.901,73 £ au titre du dossier Bankside,

. 41.256,33 £ au titre du dossier [L] [I],

. 391.903,19 £ au titre des frais d'experts techniques (ARUP, HALCROW, ATIS REAL, [F] [P], [A] [B])

ou leurs contre-valeurs en euros au jour du paiement, augmentées des intérêts au taux légal à compter du 24 novembre 2005 ;

- donné acte aux sociétés LAFARGE et LAFARGE CEMENT/BLUE CIRCLE de ce qu'elles s'engagent à informer les assureurs dans un délai de trente jours de l'engagement de toutes autres dépenses et indemnisations qu'elles pourraient être amenées à exposer et de toutes indemnisations réclamées par un tiers au titre du sinistre ;

- condamné les assureurs à prendre en charge les dépenses et indemnisations qui en résultent, sous réserve des exceptions de garantie résultant des polices d'assurance et dans les limites de la garantie ;

- débouté les sociétés LAFARGE et BLUE CIRCLE de leur demande de dommages-intérêts ;

- condamné solidairement les assureurs à payer aux sociétés LAFARGE et LAFARGE CEMENT/BLUE CIRCLE la somme de 50.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

- ordonné l'exécution provisoire.

LA COUR,

Vu l'appel de ce jugement interjeté par les assureurs ;

Vu les conclusions des appelants en date du 3 mars 2008 ;

Vu les conclusions des sociétés LAFARGE et LAFARGE CEMENT UK en date du 6 juin 2008 ;

Vu les conclusions de procédure du 28 mai 2010 de la société ALLIANZ IARD, nouvelle dénomination de la société AGF IART, et de la société CHARTIS EUROPE nouvelle dénomination de la société AIG EUROPE ;

SUR CE,

Sur le caractère aléatoire du contrat

Considérant que les assureurs soutiennent, à titre principal, que le sinistre n'est pas aléatoire, d'une part, dans la mesure où il était connu de l'assuré au moment de la souscription du contrat le 12 novembre 2002, en tout cas lors du renouvellement du contrat le 1er juillet 2004, d'autre part, dans la mesure où il était rendu inéluctable par le comportement de l'assuré ;

Qu'ils déclarent, sur le premier point, que les intimées ne peuvent prétendre à la conclusion du contrat dès le 1er mai 2002, date de la note de couverture portant sur les garanties de première et deuxième lignes, alors qu'ils avaient accepté de faire rétroagir les effets du contrat au 1er mai 2002 pour les seuls faits dommageables commis dans la période du 1er mai 2002 au 12 novembre 2002, qui à la date de la souscription n'étaient pas connus de l'assuré comme susceptible d'engager sa responsabilité ; que, si le contrat est parfait dès la rencontre de volonté des parties, il est nécessaire que l'accord intervienne sur l'ensemble des éléments du contrat ; que la note de couverture est autonome par rapport au contrat et engage l'assureur jusqu'au terme qu'elle fixe, soit jusqu'au 30 juin 2003 ;

Qu'ils font valoir, sur le second point, que la tacite reconduction d'un contrat n'entraîne pas la prorogation du contrat primitif mais donne naissance à un nouveau contrat ; qu'ainsi, les contrats en date du 1er juillet 2004 de première à quatrième ligne dont l'application est revendiquée, seuls susceptibles de s'appliquer puisque la garantie est déclenchée par la réclamation, doivent être considérés comme de nouveaux contrats ; qu'en l'espèce, au 12 novembre 2002, date de la souscription du contrat, et au 1er juillet 2004, date du renouvellement, il n'existait pas d'aléa ;

Que la réalisation du sinistre étant inéluctable, il n'est pas aléatoire ;

Considérant que les sociétés LAFARGE et LAFARGE CEMENT rétorquent, notamment :

- que la police a pris effet le 1er mai 2002, date d'effet des deux notes de couverture émises par l'apériteur, et à laquelle les faits de falsification n'étaient pas connus ; que ces faits ont débuté en septembre 2002, et nullement comme le soutiennent les assureurs dès le début de l'année 2002 ; que le contrat revêt donc bien un caractère aléatoire ;

- que lors de la découverte de cette falsification, elles ont donné mission au professeur [S] d'établir une grille d'importance du sinistre en fonction de la teneur en alcali du ciment ; qu'il a conclu qu'approximativement 255.000 à 260.000 m3 de béton produit à partir du ciment vendu ne présentent qu'un faible risque, que 8.160 à 10.000 m3 présentent un risque moyen et 750 m3 un haut risque ; qu'en conséquence, elles ont contacté 1.500 entreprises, par le biais de leurs principaux clients ; qu'elles ont ainsi reçu un certain nombre de réclamations, qui ne sont qu'une première partie du sinistre qu'elles devront supporter ;

Mais considérant que la charge de la preuve du défaut d'aléa à la date de la conclusion de la police appartient aux assureurs ;

Considérant que l'article 1.3 de la police définit comme suit le sinistre:

'Constitue un sinistre tout dommage ou ensemble de dommages causés à des tiers, engageant la responsabilité de l'Assuré, résultant d'un fait dommageable et ayant donné lieu à une ou plusieurs réclamations.

Il est précisé que la garantie est déclenchée conformément à l'accord des parties, par la réclamation dans le respect des dispositions du 4ème alinéa de l'article L 124-5 du code des Assurances.

Par 'Fait Dommageable', on entend tout fait, acte ou événement constituant la cause génératrice du dommage.

Constitue un seul et même sinistre :

. Un ensemble de faits dommageables ayant la même cause technique,

. Un ensemble de dommages imputables au même fait dommageable.

Par 'Réclamation', on entend toute demande en réparation amiable ou contentieuse formée par la victime d'un dommage ou ses ayants droit et adressée à l'Assuré ou à l'Assureur.

Est assimilée à une réclamation, la déclaration faite par l'Assuré à l'Assureur d'un dommage ou d'un événement susceptible de mettre en jeu les garanties du présent Contrat.'

Considérant que le tribunal a pertinemment retenu par des motifs que la cour adopte que la falsification sur la teneur en alcali du ciment produit par le site de Westbury avait commencé le 18 octobre 2002 ; que la contestation sur cette date apportée par les assureurs qui prétendent sans grande conviction qu'elle aurait débuté au début de l'année 2002, n'est étayée par aucun élément ;

Considérant que le tribunal a également à juste titre fixé la date à laquelle la falsification a été révélée au 1er septembre 2004, à la suite d'une réunion le 25 août 2004 au cours de laquelle les participants ont constaté une stabilité en alcali du ciment, étonnante compte tenu de l'existence de composants d'origine naturelle (argile et calcaire), et des aveux de M. [R] [E], chimiste de l'équipe qualité, puis de Mme [J] [H], responsable de cette équipe ;

Considérant, sur la date de formation de la police, qu'il résulte des documents produits que deux notes de couverture ont été émises à effet au 1er mai 2002, date qui, selon les assureurs, ne peut être retenue comme date de formation du contrat, dans la mesure où l'accord de volonté entre les contractants n'était alors pas intervenu sur l'ensemble des éléments du contrat, cet accord ne s'étant réalisé qu'au 12 novembre 2002, date de la signature ;

Considérant, toutefois, que si, lors de la délivrance de la note de couverture, l'assureur et le souscripteur se sont accordés sur les éléments essentiels du contrat, la note de couverture fait la preuve du contrat en attendant la délivrance de la police ; qu'en l'espèce, les assureurs n'apportent aucun élément démontrant que lors de l'émission des deux notes de couverture, le contrat restait en discussion sur des points essentiels ; qu'il s'ensuit que les deux notes de couverture à effet au 1er mai 2002 font la preuve du contrat, qui a donc pris effet au 1er mai 2002, comme l'a exactement retenu le tribunal ;

Considérant que l'existence de l'aléa s'apprécie à la date de conclusion de la police, qu'au 1er mai 2002 la falsification n'avait pas été révélée, puisqu'elle n'est apparue qu'au 1er septembre 2004 ;

Considérant que le contrat contenait une clause de tacite de reconduction d'année en année, à compter du 1er juillet de chaque année, qu'ainsi, un nouveau contrat s'est formé le 1er juillet 2003 et le 1er juillet 2004 ; que l'aléa existait encore à ces deux dates puisque le risque n'était pas apparu ;

Considérant qu'au terme de la jurisprudence, lorsque le contrat est souscrit au nom d'une personne morale, la faute intentionnelle au sens de l'article L 113-1 du code des assurances s'apprécie en la personne du dirigeant de droit ou de fait de celle-ci ; que les polices en cause reprennent cette disposition en stipulant à l'article 4.1.1 que sont exclues de la garantie :

'les conséquences pécuniaires d'un dommage rendu inéluctable par le fait volontaire, conscient et intéressé de la direction de la société assurée et tous dommages qui, par leurs caractéristiques, feraient perdre au contrat d'assurance son caractère aléatoire.

Ne sera pas assimilé à un membre de la Direction, un préposé même investi d'une procuration générale.'

Considérant qu'il ressort des documents produits que la falsification a été commise par des préposés de la société LAFARGE CEMENT travaillant sur le site de Westbury, Mme [J] [H], responsable de l'équipe qualité du site, et ses deux adjoints, MM. [V] [C] et [R] [M], ces deux derniers ayant indiqué qu'à leur connaissance, l'enregistrement de données fausses n'était pas connu des dirigeants de la société ; qu'il ressort des rapports diligentés, à la requête des sociétés LAFARGE et LAFARGE CEMENT, par le cabinet SEMS & BLANC et par le cabinet CLAUSEN MILLER, que Mme [J] [H] a déclaré que M. [A] [Y], directeur technique de l'usine de Westbury, et Mme [O] [W] étaient au courant de la falsification, qu'à supposer que ces déclarations soient exactes et que les responsables de l'usine de Westbury n'ignoraient pas les falsifications opérées, elles sont inopérantes dans la mesure où ces personnes étaient elles-mêmes des préposés de la société LAFARGE CEMENT et nullement des représentants de la société ; que les renseignements falsifiés étaient transmis à la direction de la société qui, aux termes du rapport SEMS & BLANC, a manqué des occasions de procéder à des vérifications et de se rendre compte des tromperies, sans que toutefois rien ne permette d'affirmer qu'elle avait connaissance de ces tromperies ; que les assureurs n'apportent donc aucun élément démontrant que le représentant légal de la société ait eu connaissance des falsifications ;

Considérant que les assureurs, se fondant sur un arrêt de la cour de cassation du 22 septembre 2005, font valoir que le comportement de l'assuré aurait fait perdre au risque son caractère aléatoire ; que, toutefois, il ressort de l'arrêt en cause que la faute intentionnelle commise émanait de la société en cause elle-même et non pas de ses préposés ; que ce moyen ne peut donc prospérer ;

Considérant, ainsi, que les assureurs ne démontrent pas que la police aurait été privée de son caractère aléatoire ;

Sur l'existence d'une dette de responsabilité

Considérant que les assureurs déclarent que les engagements pris par les intimées pour indemniser les utilisateurs du ciment falsifié ne constituent pas des dettes de responsabilité dans les termes du contrat ; qu'ils font valoir que de l'aveu même des experts du groupe LAFARGE, aucun dommage aux ouvrages n'a été à ce jour démontré ;

Qu'en effet, la société LAFARGE CEMENT a pris un certain nombre d'engagements sur la base de la classification théorique opérée par le professeur [S] qu'elle a commis, et ce en dehors de tout constat objectif des désordres ; que le Dr [Z] [G] qu'elle a désigné avec mission d'évaluer l'impact pour les clients de l'excès d'alcali dans le ciment, a conclu qu'il n'y avait aucune évidence de l'excès d'alcali dans les bétons mis en oeuvre dès lors que le pourcentage d'alcali dans les agrégats est inconnu, que la non conformité des bétons avec la norme EN-BS 206-1ne peut être démontrée, alors surtout que l'éventuel taux d'alcali autorisé dans le béton ne permet pas de conclure de manière certaine au développement d'un processus d'alcali réaction ;

Que par conséquent, en émettant des garanties et en versant des sommes d'argent, la société LAFARGE CEMENT n'a pas payé une dette de responsabilité mais a effectué, à titre commercial, des paiements ou pris des 'initiatives de confort' ; que, n'ayant conservé aucune traçabilité du ciment vendu, elle a pris des initiatives parfaitement aléatoires ; qu'elle a versé à titre transactionnel à certains clients une indemnité, sans que le lien de causalité avec les faits litigieux soit établi ;

Qu'elle s'est abstenue de demander aux bétonniers une contribution, alors que ceux-ci ont l'obligation d'effectuer des tests de solidité à 28 jours, dont les résultats sont nécessairement en liaison avec le taux d'alcali ;

Que les assureurs soutiennent que la demande a pour objet des préjudices futurs, comme la société LAFARGE l'a indiqué elle-même dans sa lettre du 24 février 2005 ; qu'aucune condamnation ne peut donc intervenir, les demanderesses tentant d'obtenir une décision de règlement ;

Considérant que les sociétés LAFARGE et LAFARGE CEMENT rétorquent que les dommages sont nés et actuels, contrairement aux allégations des assureurs;

qu'elles déclarent :

- que la société LAFARGE CEMENT procède d'ores et déjà à la surveillance des ouvrages, que les frais relatifs à cette surveillance constituent des dommages immatériels couverts par les polices ;

- que, conformément à ses conditions de vente, la société LAFARGE CEMENT ne garantit que le remplacement du ciment ; que, toutefois, le ciment étant maintenant intégré au béton qui a servi à la fabrication des ouvrages, il serait plus coûteux pour elle de remplacer le ciment vendu, ce qui impliquerait les coûts de destruction/reconstruction des ouvrages, plutôt que de prendre en charge les travaux de réfection ;

- qu'il ne peut leur être reproché le caractère commercial des paiements auxquels il a été procédé, alors que cette initiative a permis une meilleure gestion du sinistre et a évité d'éventuels accidents dont les conséquences auraient pu être dramatiques ;

- qu'il ne peut non plus leur être reproché de ne pas avoir agi contre les bétonniers, alors que le test de solidité à 28 jours à la charge de ces derniers, dont les assureurs font état, ne permet pas de mesurer le taux d'alcali ;

Mais considérant que les sociétés LAFARGE et LAFARGE CEMENT ne rapportent pas la preuve de dommages nés et actuels ;

Considérant, en effet, que les experts qu'elles ont commis ont conclu à des potentialités de risques, variant en fonction de certains paramètres ; que le professeur [S], désigné pour définir les risques liés à la présence d'alcali dans le ciment, a établi une classification théorique entre quatre niveaux de risque suivant la teneur en alcali du béton (négligeable, faible, moyen, élevé), classification qui diffère suivant la présence ou non de fumée de silice ; que les sociétés LAFARGE et LAFARGE CEMENT exposent que c'est sur la base de ces données qu'elles ont informé les entreprises du défaut présenté par le ciment vendu, que toutefois il y a lieu de relever que ces données sont purement théoriques ;

Considérant qu'il ressort du rapport du 5 octobre 2004 du professeur [Z] [G], qui avait pour mission, notamment, 'd'évaluer les implications techniques des données erronées mentionnées dans la Techbase ou bien figurant sur les certificats de test du ciment (qui sont produits via Techbase), d'identifier, partout où cela est possible, les clients et/ou projets qui sont techniquement les plus risqués du fait de la production de ces fausses données', que la seule non-conformité à la norme du béton fabriqué à partir du ciment falsifié ne permet pas de conclure de manière certaine au développement d'une réaction alcali-silicine, cette réaction dépendant notamment des agrégats utilisés, dans la mesure où ces agrégats sont classifiés comme de basse réactivité ou de réactivité normale ; que le professeur [Z] [G] conclut :

'Dans certains cas, du fait de la falsification des données LCUK, du béton non conforme aux limitations de teneur en alcali des standards anglais relatifs au béton aura été vendu. Les producteurs de béton sont tenus d'informer les utilisateurs finaux de la non-conformité du béton.

Une analyse fondamentale sur la potentialité de ce béton de développer l'ASR (réaction alcali-silicine), suggère que ce risque potentiel est très faible. Toutefois, cela n'altère pas le fait que les fausses données fournies par LCUK concernant l'alcali ont peut-être conduit à l'utilisation d'un béton non conforme.'

Considérant qu'il apparaît que les sociétés LAFARGE et LAFARGE CEMENT, confrontées à la grave question que leur a posée la vente de ciment non conforme, ont choisi, d'une manière tout à fait compréhensible tant pour leur image que pour leur loyauté vis-à-vis de leurs clients, de prévenir ceux-ci et les utilisateurs finaux du béton, sans attendre d'éventuels sinistres et réclamations, qu'elles ont ainsi à titre préventif versé des indemnisations ou délivrer des lettres de confort ; que, cependant, aucun dommage avéré n'a été démontré, ainsi d'ailleurs que la société LAFARGE l'a elle-même indiqué dans sa lettre du 24 février 2005 à la société AGF où elle écrit : 'Aucun dommage matériel ne s'est réalisé à ce jour. Le risque de survenance de dommages sur les constructions réalisées avec le ciment litigieux est extrêmement faible. Il est susceptible de se matérialiser ou non, au terme d'une longue période de dix à quinze ans.' ; qu'il s'ensuit que les assureurs font à juste titre valoir que les dépenses que les sociétés LAFARGE et LAFARGE CEMENT ont ainsi engagées ne constituent pas des dettes de responsabilité dans les termes des contrats ;

Considérant qu'il y a lieu en conséquence d'infirmer le jugement déféré et de débouter les sociétés LAFARGE et LAFARGE CEMENT de toutes leurs demandes ;

PAR CES MOTIFS

Infirme en toutes ses dispositions le jugement du 17 octobre 2007 ;

Déboute les sociétés LAFARGE CEMENT UK et LAFARGE SA de toutes leurs demandes ;

Déboute les sociétés ALLIANZ IARD, anciennement dénommée AGF IART, AXA CORPORATE SOLUTIONS ASSURANCE, CHARTIS EUROPE, anciennement dénommée AIG EUROPE, ZURICH INTERNATIONAL FRANCE et XL INSURANCE COMPANY Ltd de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne les sociétés LAFARGE CEMENT UK et LAFARGE SA aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 07/18502
Date de la décision : 07/09/2010

Références :

Cour d'appel de Paris C5, arrêt n°07/18502 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2010-09-07;07.18502 ?
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