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01/07/2010 | FRANCE | N°08/08017

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 01 juillet 2010, 08/08017


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRET DU 01 Juillet 2010

(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 08/08017 - MAC



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 20 Novembre 2007 par le conseil de prud'hommes de PARIS section encadrement RG n° 06/10988



APPELANTE



1° - Madame [O] [E]

[Adresse 2]

[Localité 4]

comparant en personne, assistée de Me Guillaume SAUDUBRAY, av

ocat au barreau de PARIS, toque : P 501



INTIMEE



2° - S.A.S. EXCELSIOR Publications

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Annie MOREAU, avocat au barreau de PARIS, t...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRET DU 01 Juillet 2010

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 08/08017 - MAC

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 20 Novembre 2007 par le conseil de prud'hommes de PARIS section encadrement RG n° 06/10988

APPELANTE

1° - Madame [O] [E]

[Adresse 2]

[Localité 4]

comparant en personne, assistée de Me Guillaume SAUDUBRAY, avocat au barreau de PARIS, toque : P 501

INTIMEE

2° - S.A.S. EXCELSIOR Publications

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Annie MOREAU, avocat au barreau de PARIS, toque : R 78 substitué par Me Nadia AGAOUA, avocat au barreau de PARIS, toque : R.78

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 01 Juin 2010, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Marie-Antoinette COLAS, Conseillère, chargée d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Marie-Pierre DE LIEGE, Présidente

Mme Irène LEBE, Conseillère

Mme Marie-Antoinette COLAS, Conseillère

Greffier : Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Mme Irène LEBE, Conseillère, par suite d'un empêchement de la présidente et par Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

La société Excelsior Publications est une société de presse écrite qui édite plusieurs magazines dont le magazine Sciences et Vie et ses hors-série.

Mme [E] a signé un contrat à durée déterminée avec la société Excelsior Publications à compter du 21 août 2000 jusqu'au 14 novembre 2000 pour y exercer les fonctions de chef de service pour la publication 'Science et Vie'.

Dès le 29 septembre 2000, il a été mis fin au contrat à durée déterminée par accord des parties.

Par un nouveau contrat à durée indéterminée du 29 septembre 2000, avec reprise d'ancienneté au 21 août 2000, Mme [E] a été engagée en qualité de rédactrice en chef adjointe, par la société Excelsior Publications.

Elle a rejoint l'équipe alors formée par M. [T], rédacteur en chef, assisté de Mme [K], et par Messieurs [A] et [M], rédacteurs en chef adjoints.

En juillet 2005, une nouvelle formule de publication a été mise en place, Mme [E] a été plus spécialement chargée de la section 'en pratique.'

Le 3 mai 2006, un avertissement a été notifié à Mme [E].

Par une lettre du 11 mai 2006, Mme [E] a été convoquée pour un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 23 mai 2006.

Par une lettre recommandée du 7 juin 2006, Mme [E] s'est vue notifier son licenciement pour cause réelle et sérieuse.

Contestant les motifs de son licenciement, Mme [E] a saisi le conseil des prud'hommes de Paris aux fins d'obtenir le paiement d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et de dommages et intérêts pour préjudice moral et pour harcèlement moral.

Par un jugement du 20 novembre 2007, le conseil des prud'hommes de Paris, section encadrement, a débouté Mme [E] de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée aux dépens.

Mme [E] a interjeté appel de ce jugement.

Dans des conclusions écrites, soutenues oralement à l'audience, Mme [E] demande à la cour de :

- annuler l'avertissement du 3 mai 2006,

- juger que le licenciement notifié le 7 juin 2006 est nul, pour harcèlement de la part de son supérieur hiérarchique, cautionné et amplifié par l'employeur, et aussi pour discrimination liée à son état de santé et à son inaptitude,

- subsidiairement, dire que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Elle sollicite que soit ordonnée sa réintégration au sein de la société Excelsior Publications, à un poste équivalent.

Elle réclame le versement d'une somme de 110'760 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ou dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Elle conclut également à la condamnation de la société Excelsior Publications à lui verser une somme de 46'150 € à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral et subsidiairement pour non-respect par l'employeur de l'obligation de sécurité de la santé des salariés au titre des préjudices moral et de santé sur la période de septembre 2005 au 10 juillet 2006.

Très subsidiairement, elle sollicite la condamnation de la société Excelsior Publications à lui verser une somme de 4615 € à titre de dommages et intérêts pour irrégularité de la procédure de licenciement, une somme de 1142 € nets de CSG et de CRDS en règlement de la rémunération des heures DIF non payés.

Elle réclame une indemnité de 3000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes d'écritures confirmées lors des débats, la société Excelsior Publications demande à la cour de confirmer le jugement entrepris et de condamner Mme [E] à lui verser la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Subsidiairement, elle propose que les droits au DIF de Mme [E] soient fixés à la somme de 301,95 €.

Il convient de se référer au jugement, aux écritures respectives des parties pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens développés.

MOTIFS :

Sur le licenciement :

Pour qu'un licenciement soit fondé, il doit reposer sur un ou plusieurs griefs imputables au salarié, qui doivent être objectifs, c'est à dire matériellement vérifiables, établis et exacts, et constituant la cause réelle du licenciement.

La cause doit aussi être sérieuse, en ce sens que les faits invoqués doivent être suffisamment pertinents pour fonder le licenciement.

Le juge forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties.

La lettre de licenciement du 7 juin 2006, qui circonscrit les limites du litige, est ainsi rédigée :

'vous avez été embauchée le 21 août 2000 en qualité de rédactrice en chef adjoint du magazine Science et Vie. Malgré différents courriers et un avertissement, nous sommes obligés de constater les faits suivants :

1- par le passé vous avez exprimé la volonté de vous décharger de la rubrique de l'actualité pour une rubrique ayant un cadre de travail plus rigide et prévisible. C'est pour cette raison et d'un commun accord que nous avons décidé de vous nommer responsable de la rubrique 'en pratique' à compter de juillet 2005. En effet, cette rubrique comporte sur 27 pages, 16 pages dites 'froides', ne concernant pas l'actualité. Dès lors, nous estimons, et votre manager l'a exprimé à plusieurs reprises, que ces copies peuvent être gérées avec plusieurs mois d'avance afin de pallier à d'éventuels retards de livraisons liées aux auteurs. Malgré cette souplesse de gestion, nous sommes contraints de constater que vous ne respectez pas les délais imposés, ces retards pouvant mettre en péril la fabrication du magazine.

2 - Par ailleurs, nous vous avons déjà rappelé à plusieurs reprises qu'en qualité de rédactrice en chef adjointe, vous auriez dû prendre l'initiative de créer une base de copies froides et non attendre les directives de votre manager. Force est de constater que vous n'avez pas suivi les directives de votre manager, la conséquence a été de trouver le même sujet traité dans différentes rubriques d'un même numéro du magazine. Cette pauvreté de copies d'avance, à laquelle vous auriez dû pallier en votre qualité de rédactrice en chef adjointe n'a pas pu éviter le télescopage.

Ce manquement est symptomatique d'un réel défaut de management. En effet, vos fonctions vous amènent à devoir et à savoir gérer votre réseau d'auteurs et non pas à simplement constater les retards pris par vos auteurs. Il est dans vos attributions d'appliquer les mêmes exigences à vos auteurs que celles de votre manager envers vous.

3 - En plus des griefs ci-dessus, nous vous avons également demandé à plusieurs reprises d'abandonner tout esprit de polémique et de vous consacrer à vos fonctions insuffisamment assumées. Très rapidement après votre arrivée dans la société, vous avez exprimé l'envie d'évoluer vers des fonctions de rédactrice en chef. Nous ne pouvons en aucun cas vous reprocher votre envie d'évoluer vers des fonctions plus importantes. Soucieux de vouloir vous aider à vous épanouir et à trouver votre place au sein du magazine, nous vous avons financé un coaching d'un an et proposé un bilan de compétences que vous avez refusé. Malgré ces aides, votre esprit polémique n'a cessé de croître en contestant très régulièrement les décisions de votre manager, en n'acceptant pas le cadre de travail défini, en refusant malgré différents courriers de respecter les usages de présence au travail de la rédaction. Tous ces faits sont symptomatiques d'une volonté de rupture du lien de subordination. En plus de contester ouvertement l'autorité de votre manager, vous avez adopté un comportement ironique à mon égard, en m'imposant quotidiennement le rapport de vos déplacements, à la suite de l'avertissement que vous avez reçu.

Fort de constater le refus du lien de subordination ainsi que votre insuffisance professionnelle, nous considérons que ces éléments sont préjudiciables aux intérêts du magazine.

C'est la raison pour laquelle nous avons pris la décision de mettre fin à votre contrat de travail pour raisons personnelles'.

Mme [E] conclut à la nullité du licenciement, ainsi que de l'avertissement du 3 mai 2006 du fait du harcèlement dont elle dit avoir été victime et pour discrimination liée à son état de santé.

Sur le harcèlement :

Aux termes des articles L.1152-1 et L.1152-2 du Code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. L'employeur doit en conséquence prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir de tels agissements

Selon l'article L.1154-1 du même code, en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Ces obligations, relatives à la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise, sont des obligations de sécurité de résultat, de sorte que l'absence de faute de la part de l'employeur ne peut l'exonérer de sa responsabilité à ce titre.

Selon Mme [E], les faits de harcèlement qu'elle reproche à M. [T] résident dans le type de management adopté son égard, en lien avec l'absence de définition précise de son poste et de la charge de travail que cela lui imposait.

Elle soutient que le harcèlement ressort également des réponses adressées à ses questions et aux prises de décisions qu'elle sollicitait, M. [T] ne prenant pas position ou reportant à plus tard ou ne lui permettant pas de s'appuyer sur des directives précises alors qu'il exerçait la fonction de rédacteur en chef et de directeur de la rédaction. Elle considère que l'attitude entretenue par M. [T], ses omissions, sa volonté réelle de ne laisser aucune initiative possible dénotent un comportement pervers à son égard.

Comme faits de nature à caractériser aussi le harcèlement, elle évoque le déclassement notifié dans la lettre qui lui a été adressée le 21 novembre 2005, l'avertissement injustifié du 3 mai 2006, et le sort réservé à sa demande de congé d'avril 2006.

Elle relate enfin le fait que peu avant l'entretien préalable, M. [T] a tenté de l'acculer à la faute.

Elle produit les divers documents médicaux pour démontrer l'atteinte en résultant sur sa santé.

Mme [K] [H] affectée à la rédaction du journal comme assistante de 1996 à 2006, précise avoir travaillé sous les ordres de [B] [T], directeur de la rédaction, et des rédacteurs en chef adjoint dont Mme [E]. Dans l'attestation qu'elle a rédigée, Mme [K] souligne que les rédacteurs adjoints avaient beaucoup de travail, particulièrement Mme [E], qu'elle a vu à maintes reprises obligée de rester au bureau tard dans la soirée pour venir à bout de sa charge de travail, que ce soit parce qu'elle-même avait une tâche à terminer, soit par les courriels qui lui étaient adressés à une heure tardive.

Mme [K] précise que lorsque Mme [E] devait en référer au directeur de la rédaction, celui-ci se trouvait indisponible pour lui parler alors que d'autres chefs de rubrique n'éprouvaient pas la même difficulté pour être reçus et obtenir une décision à l'issue de leur conversation avec lui. Mme [K] explique qu'elle était intérieurement étonnée de ce manque de latitude, compte tenu du grade de Mme [E] et du fait que cette situation se reproduisait régulièrement en ce qui la concernait.

Mme [K] et M. [L] témoignent tous deux du traitement irrespectueux, voire méprisant de M. [T] à l'égard de Mme [E], lors de réunions. L'un de ces témoins précise qu'il est arrivé à plusieurs reprises que les interventions de Mme [E] soient l'objet de réflexions de la part du directeur de la rédaction et qu'il la désavoue devant l'ensemble des personnes qu'elle avait sous ses ordres, jetant un froid parmi les participants qui n'osaient pas intervenir.

L'examen des courriels échangés entre Mme [E] et M. [T] conforte le constat selon lequel M. [T] n'a pas apporté à Mme [E] des réponses précises à certaines questions posées pour lui permettre d'aboutir dans les délais requis. Ainsi par exemple, à propos des 'technofolies', de manière récurrente entre le 19 mai 2005 et le 2 juillet 2005, Mme [E] a posé des questions précises auxquelles il n'a pas été répondu de façon exhaustive. En conclusion d'un courrier du 2 juillet 2005 à ce propos, Mme [E] écrivait : 'tu m'as dit que tu avais des remarques à propos de ces pages. Merci de m'en faire part'.

Parfois, il lui était répondu par ces formules 'faut qu'on s'en cause'... ou ' faut qu'on trouve un moment pour s'en causer... ou encore 'compte tenu de la taille de la bête, je demande un petit délai.... faudrait qu'on trouve cinq minutes pour jeter un oeil sur cette proposition.... ou ' parlons-en avec [P] et Pierre des qu'on peut, pas tout de suite, demain on essaie cinq minutes...' ou à la question quand programme-t-on la prochaine réunion de rédaction ' ' je me tâte. Tout le monde sait ce qu'il y a à faire la semaine prochaine (même s'il y a certaines choses à repréciser en face-à-face)... je ne suis pas là mardi après-midi, mercredi et jeudi. Pourquoi pas plutôt en tout début de semaine après...

M. [C] [V], présent au sein de la rédaction entre 1991 et 2003, fait état de ce que la confusion régnait dans l'attribution précise des fonctions et des pouvoirs décisionnels. Il évoque un flou probablement volontairement entretenu qui permettait à M. [T], alors rédacteur en chef de régner sur la rédaction par la crainte en jouant sur un certain sentiment de précarité voire d'inutilité et n'hésitant pas à remplacer les liens de collaboration cordiale entre rédacteurs par des liens de concurrence.

Il précise que les conférences de rédaction auxquelles Mme [E] tenait particulièrement, qui permettaient d'échanger des avis n'ont plus eu lieu qu'à des dates puisqu'aléatoires, une table de ping-pong ayant même été installée dans la salle prévue à cet effet.

M. [C] confirme le constat précédemment évoqué selon lequel Mme [E] s'est vue attribuer la responsabilité de la gestion d'un nombre sans cesse croissant de dossiers... qu'en 2003, elle était dans un état de surmenage important, lié à un cumul de tâches qui n'avaient guère de raison d'être.

Par ailleurs, dans la lettre du 3 mai 2006 notifiant un avertissement à la salariée, il est clairement exposé à Mme [E] que la question de ses autres attributions ne se posera que lorsqu'elle aurait apporté la démonstration de sa capacité à mener à bien la tâche parfaitement définie qui lui incombait.

L'employeur verse aux débats le témoignage de M. [U] qui écrit que Mme [E] pouvait se focaliser sur une partie de son travail de manière tellement scrupuleuse que c'était alors au détriment du reste de son travail, ce qui du coup occasionnait parfois des retards dans le travail qu'elle devait rendre et partant dans la chaîne de production.

Toutefois, il ressort de quelques courriels produits que M. [T] n'hésitait pas, avec une forme de désinvolture patente, à confier à Mme [E] des tâches qui lui incombaient, sous couvert qu'elle l'assistait et le suppléait.

Ainsi par exemple, le 4 novembre 1003, M. [T] a adressé à Mme [E] un courriel en lui indiquant : triplement désolé, pour l'accueil, pour le déjeuner raté, pour la consigne qui suit. Le forum est sur mon bureau (en bordel grave). Il se décompose en deux. 1- du vrac non encore trié, posé en pile à l'endroit le plus visible. 2- un forum, marron, posé sur le bureau également, ce dossier se décompose en deux.... Peux-tu t'emparer de l'ensemble ' Et prioritairement te rapprocher d'[P] dossier religions en mains ' Elle est informée, merci, bon courage, à tout à l'heure. Autre exemple, le jeudi 15 janvier 2004 ' PS : avec cette maudite journée, je plante en particulier... toi (point sur forêts notamment) tout le monde...

En réponse à une interpellation faite par M. [S] sur la mise en place d'une opération spéciale à l'occasion de la relance de la revue, M. [T] répond : 'je suis présentement un poil à la bourre, et pas là demain, but (mais) [O], en charge de la chose, devrait pouvoir te renseigner au mieux...'.

L'examen des documents montre également l'importance du travail accompli par Mme [E] pour les journalistes stagiaires, tâche minimisée par son supérieur hiérarchique et qu'elle a dû pourtant assumer à une période au cours de laquelle des retards lui était concomitamment et régulièrement reprochés pour la production de ses articles.

A cet égard, M. [D] [G], chef du service infographie du magazine témoigne du professionnalisme de Mme [E] et du plaisir qu'il a eu à travailler avec elle de 2003 à mai 2006. Il précise qu'il était lui-même très souvent occupé jusqu'au bouclage et qu'il lui était difficile d'être prêt immédiatement et à fournir les infographies des rubriques de Mme [E] pour le numéro suivant. Pour remédier à cette situation, ils étaient convenus d'une liste de sujets à lancer en avance de façon à préparer plus en amont le contenu des rubriques... il fait le constat qu'au moment du licenciement de Mme [E], en mai 2006, celle-ci avait déjà lancé les sujets des numéros des mois de juin, juillet, août et septembre 2006, programmé d'autres sujets. Il considère que Mme [E] oeuvrait activement pour créer un matelas confortable de sujets d'avance de façon à assurer le bon fonctionnement de sa rubrique.

Dans ce contexte, les reproches réitérés pour des retards qui ne lui étaient pas tous imputables, et alors que d'autres missions lui étaient concomitamment et parallèlement confiées étaient de nature à participer à la pression importante exercée sur la salariée.

Il ressort également de l'analyse de plusieurs documents que Mme [E] avait un reliquat de congés (18 jours) à prendre avant le 31 mai 2006, qu'elle a sur interpellation de Mme [K] formulé dès le 2 février 2006 une demande de congés pour avril mai 2006. Il résulte des pièces et du témoignage de Mme [K] que cette demande de congés n'a pas été analysée par M. [T], alors que sur la fiche individuelle de celui des congés payés de Mme [E], la DRH avait apposé son paraphe, celui de M. [T] n'y figurant pas.

Lors d'une réunion en date du 31 mars 2006 au cours de laquelle Mme [E] s'est inquiétée de son remplacement pendant son absence, M. [T] a interrompu la réunion affirmant n'être pas informé de ce projet de congés. Non seulement M. [T] n'a pas fait connaître sa décision à cet égard mais a écrit un courriel à Mme [E] ainsi rédigé : ...j'ai eu la désagréable surprise d'apprendre ce matin en réunion de rédaction que, compte-tenu de tes congés, tu ne serais vraisemblablement pas en mesure de tenir tous les engagements formalisés l'avant-veille. Tu as alors demandé à l'assemblée si certains pourraient se rendre disponibles pour t'épauler ou prendre le relais. Tu dois comprendre que ce comportement, outre qu'il est fort peu professionnel et en particulier de la part d'une adjointe est parfaitement inadmissible. Il est source de désorganisation collective et de confusion pour chacun. Chacun d'entre nous sait parfaitement que ses congés ne doivent pas perturber la bonne réalisation du journal et justifier la non tenue des engagements pris. Je t'invite fermement à te conformer à ce qui garantit la bonne marche collective de la rédaction et je ne signerai tes congés qu'à cette condition expresse. Si à l'avenir, tu éprouves des difficultés pour mener à bien ton travail merci de me demander mon accord avant de solliciter les uns ou les autres pour te venir en aide.

Il est admis et non contesté par l'employeur que M. [T] n'a effectivement pas signé l'autorisation de congés pour la période du 18 avril au 2 mai.

Il sera fait observer pourtant qu'en tant que manager de l'équipe, M. [T] ne pouvait ignorer que la salariée disposait d'un reliquat de congé à prendre impérativement avant le 31 mai 2006.

Par ailleurs un avertissement a été notifié à Mme [E] le 3 mai 2006, en lui reprochant notamment des retards.

Or dès le 4 mai, M. [T] a adressé à nouveau à la salariée un courriel pour évoquer des retards et lui faire remarquer qu'elle était responsable du management des auteurs et par voie de conséquence des retards qu'eux-mêmes pouvaient prendre dans la rédaction et l'envoi de leurs articles. sans lui laisser la possibilité d'y remédier à les supposer même imputables à la salariée.

Force est ainsi de constater qu'entre le 3 mai et le 4 mai, M. [T] dont M. [U] soutient qu'il était lui-même très affecté personnellement par la dégradation des relations avec Mme [E], a réitéré les reproches, sans laisser à la salariée la possibilité d'y remédier à les supposer même imputables à celle-ci, et en laissant engager dès le 11 mai 2006 une mesure de licenciement par l'envoi de la convocation à un entretien préalable.

Ce comportement caractérise dès lors une pression fautive sur la salariée.

Ce constat contredit quelque peu l'affirmation selon laquelle des efforts ont été déployés par M. [T] pour trouver une issue honorable à une situation éprouvante pour tous, notamment en cherchant à promouvoir Mme [E] pour un poste à responsabilités équivalentes au sein du groupe (attestation de M. [U]). Il est également largement établi que Mme [E] à plusieurs reprises a manifesté son souhait d'être mutée au sein du groupe sans qu'une suite effective ait été réservée à sa demande.

Mme [E] apporte également aux débats des éléments médicaux confirmant la réalité de sa souffrance psychologique, le psychiatre confirmant la suivre pour un syndrome de souffrance en lien avec son travail.

Par l'ensemble de ces éléments ci-dessus évoqués et relatés, la salariée établit ainsi matériellement une série de faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral.

La société Excelsior Publications , à qui incombe, dès lors, de prouver que les faits établis ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, produit aux débats l'attestation de M. [T] lui-même qui ne peut être qu'écartée compte-tenu de ce qu'il est impliqué dans les relations difficiles avec Mme [E].

L'employeur s'appuie également sur les attestations de M. [U] et de M. [J] pour soutenir que le management de M. [T] à l'égard de Mme [E] a été justifié par les retards qu'elle rencontrait pour accomplir ses missions et son esprit polémique

Or, dans le contexte précédemment décrit et analysé, les reproches formulés régulièrement à cet égard alors que la gestion de dossiers autres lui étaient sans cesse confiés, participaient à la pression exercée régulièrement et de façon de plus en plus soutenue sur la salariée.

Ces pressions réitérées étaient exercées alors que l'état de surmenage et de souffrance de Mme [E] était connu de tous et ne pouvait être ignoré par la direction.

Le 19 mai 2006, 18 personnes membres de la revue ont signé une pétition adressée à M. [Z] directeur délégué, aux termes de laquelle les signataires ont exposé que la qualité des relations professionnelles de Mme [E] les faisait s'interroger sur les raisons qui ont poussé la direction à prendre des décisions de sanctions. Ils ont exprimé aussi leur surprise et leur inquiétude pour leur collègue évoquent leur souci du maintien de la cohésion de la rédaction.

Ce même 19 mai 2006, Mme [F], secrétaire du CE et Mme [K], déléguée du personnel et déléguée syndicale CGT ont alerté le directeur général au sujet de la situation de deux de leurs collègues dont celle de Mme [E]. La mise en oeuvre sans délai de l'enquête prévue par l'article L.422-1-1 du code du travail a expressément été demandée, en vain.

Quelques jours auparavant, le 12 mai 2006, soit le lendemain de la convocation à l'entretien préalable, le médecin du travail avait déclaré Mme [E] inapte temporairement à ses fonctions et préconisé qu'elle rencontre un médecin pour se voir prescrire un arrêt de travail.

En dépit de ces démarches, et de l'état de souffrance patent, notoire de Mme [E], l'employeur n'a pas cru bon de surseoir à la procédure de licenciement initiée, et d'engager une enquête pour cerner la réalité de la situation.

Dans ce contexte, l'employeur n'apporte pas la démonstration que le management réservé à Mme [E] était justifié par des éléments purement objectifs.

Le harcèlement au sens des dispositions légales précitées est établi. Ces obligations, relatives à la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise, sont des obligations de sécurité de résultat, de sorte que l'absence de faute de la part de l'employeur ne peut l'exonérer de sa responsabilité à ce titre.

L'avertissement du 3 mai 2006 sera annulé, de même que le licenciement prononcé le 7 juin 2006.

Le jugement entrepris sera infirmé.

Sur la demande de réintégration :

Dès lors que le licenciement est nul du fait du harcèlement dont la salariée a été la victime, une option est en effet ouverte à celle-ci, entre la réintégration ou l'indemnisation.

Mme [E] sollicite la réintégration au sein de la société ou dans l'une les Publications du groupe un poste équivalent.

En l'absence de démonstration par l'employeur de l'impossibilité de procéder à la réintégration, il sera fait droit à sa demande.

Sur la demande d'indemnisation :

Mme [E] réclame une somme de 110'760 € à titre de dommages-intérêts pour ce licenciement nul représentant 24 mois de salaires.

La salariée a droit à une indemnisation en réparation du préjudice lié à l'absence de rémunération pendant la période au cours de laquelle elle a été privée de son emploi.

Le préjudice ainsi subi sera équitablement réparé par l'allocation de la somme qu'elle réclame soit la somme de 110 760 €, non utilement contestée dans son montant.

Sur la demande de dommages-intérêts pour harcèlement :

Compte tenu du harcèlement dont elle était victime et ce sur une période importante, il convient d'allouer à Mme [E] la somme de 30 000 € à ce titre en réparation des préjudices moral et psychologique en résultant.

Sur la demande d'indemnité en application de dispositions de l'article 700 du code de procédure civile :

L'équité commande d'allouer à Mme [E] une indemnité de 2500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Statuant contradictoirement et publiquement :

Infirme le jugement déféré ;

Statuant à nouveau,

Dit que le licenciement de Mme [E] est nul ;

En conséquence,

Ordonne la réintégration de Mme [E] au sein de la société Excelsior Publications ou dans l'une des Publications du groupe Mandolori à un poste équivalent,

Condamne la société Excelsior Publications à lui verser la somme de 110'760 € à titre de dommages-intérêts pour le préjudice subi du fait de l'absence de rémunération consécutivement à la notification du licenciement nul, la somme de 30'000 € à titre de dommages-intérêts pour le harcèlement moral et une indemnité de 2500 € d'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes

Condamne la société Excelsior Publications aux entiers dépens.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 08/08017
Date de la décision : 01/07/2010

Références :

Cour d'appel de Paris K8, arrêt n°08/08017 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2010-07-01;08.08017 ?
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