Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 2
ARRET DU 11 JUIN 2010
(n° 145, 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 09/13709.
Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Décembre 2006 - Tribunal de Grande Instance de PARIS 1ère Chambre Section Sociale - RG n° 2005/14437.
APPELANT :
Organisme de Retraite et de Prévoyance des Employés des Sociétés de Courses - ORPESC
prise en la personne de son représentant légal,
ayant son siège social [Adresse 1],
représentée par la SCP FANET - SERRA, avoués à la Cour,
assistée de Maître Bruno SERIZAY plaidant pour le Cabinet CAPSTAN LMS, avocats au barreau de PARIS, toque : K0020
INTIMÉE :
Madame [R] [X]
demeurant [Adresse 2],
représentée par Maître Chantal BODIN-CASALIS, avoué à la Cour,
assistée de Maître Zoran ILIC plaidant pour la SELARL GRUMBACH & Associés, avocats au barreau de PARIS, toque : K 0137.
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 910 - 1er alinéa du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 6 mai 2010, en audience publique, devant Madame DARBOIS, conseiller, et Madame SAINT-SCHROEDER, conseiller chargé du rapport, les avocats ne s'y étant pas opposés.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries au troisième magistrat dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur GIRARDET, président,
Madame DARBOIS, conseiller,
Madame SAINT-SCHROEDER, conseiller.
Greffier lors des débats : Madame BLAQUIERES.
ARRET :
Contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Monsieur GIRARDET, président, et par Monsieur NGUYEN, greffier présent lors du prononcé.
Madame [X] a travaillé pour le Groupement d'intérêt économique PARI MUTUEL HIPPODROME (GIE PMH) à temps partiel du 2 août 1987 au 31 mars 2004, date de son départ à la retraite.
Les salariés du GIE PMH peuvent bénéficier du versement d'une allocation de retraite supplémentaire (ci-après l'ARS), versée par l'ORGANISME DE RETRAITE ET DE PRÉVOYANCE DES EMPLOYÉS DE SOCIÉTÉS DE COURSE, ci-après dénommé ORPESC, selon l'article 21 de ses statuts, ce régime de retraite étant financé par les gains non réclamés.
Cet article stipule que les bénéficiaires doivent avoir travaillé au minimum 200 heures par trimestre durant quinze années. Madame [X], estimant que cette condition constituait une discrimination indirecte au regard de l'article 141 du Traité de la Communauté européenne (ancien article 119 du Traité de Rome), du principe constitutionnel d'égalité de traitement et de l'article L.212-4-5 du Code du travail, la majorité des salariés à temps partiel étant des femmes, a fait assigner l'ORPESC afin de se voir reconnaître le bénéfice de l'ARS.
Par jugement contradictoire du 12 décembre 2006, la section sociale de la première chambre du tribunal de grande instance de Paris a dit que l'article 21 des statuts de l'ORPESC était inopposable à Madame [X], dit que celle-ci avait droit au bénéfice de l'ARS prévue par les statuts de l'ORPESC à compter de son départ en retraite le 1er avril 2004 et a, avant dire droit sur le surplus des demandes, commis Madame [V] [F] née [O] en qualité d'expert avec mission de donner au tribunal tous éléments lui permettant de déterminer les sommes dues à Madame [X] depuis le 1er avril 2004, le montant des sommes qui pourraient lui être dues depuis le 1er avril 2004 et le montant de la pension supplémentaire lui revenant mensuellement. Elle a, en outre, condamné l'ORPESC à verser à Madame [X] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du (nouveau) Code de procédure civile et aux dépens déjà exposés.
Dans ses dernières conclusions signifiées le 3 mars 2010, l'ORPESC, appelante, prie la cour de constater que l'article 22 de ses statuts/règlement n'établit aucune discrimination prohibée, en conséquence d'infirmer le jugement entrepris et de condamner Madame [X] à lui verser la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Madame [X], intimée, conclut dans ses dernières écritures du 18 mars 2010 à la confirmation de la décision déférée et à la condamnation de l'ORPESC à lui payer la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Il est renvoyé aux dernières conclusions précitées des parties en date des 3 et 18 mars 2010 pour plus ample exposé de leurs moyens et prétentions et ce, conformément aux dispositions des articles 455 et 753 du Code de procédure civile.
SUR CE,
Considérant que l'ORPESC critique le jugement entrepris en soutenant que l'article 22 de ses statuts/règlement, en ce qu'il conduit à ne pas valider de droits de retraite au titre d'un trimestre lorsque le nombre d'heures travaillées est inférieur à 200, ne viole pas le principe d'égalité ni au regard du Traité de la Communauté européenne ni au regard de la Constitution française ;
Que Madame [X] maintient que dès lors que les femmes sont plus nombreuses à travailler à temps partiel au sein du GIE PMH, l'article 21 crée une discrimination indirecte entre les hommes et les femmes en privant celles-ci du bénéfice du versement de l'Allocation de Retraite Supplémentaire (ARS).
Considérant qu'il convient de relever à titre liminaire que le tribunal s'est prononcé sur l'inopposabilité de l'article 21 des statuts de l'ORPESC à Madame [X] qui l'avait saisi d'une telle demande et non de celle de l'article 22 qui porte sur le calcul de l'ARS.
Considérant, ceci ayant été rappelé, que l'article 21 des statuts de l'ORPESC, association qui se compose de membres adhérents dont le GIE PMH, ancien employeur de Madame [X], fait partie, pose les conditions d'admission au régime de l'ARS ; qu'il dispose que :
« Relèvent des ARS en tant que membres participants les salariés comptant quinze années de service auprès des membres adhérents. Par année de service on entend toute période au cours de laquelle le membre participant justifiera avoir été salarié pendant quatre trimestres consécutifs. Par trimestre on entend tout trimestre au cours duquel le salarié aura été rémunéré pendant au moins deux cents heures. Les interruptions d'activités seront validées dans les mêmes conditions que celles du régime de base de la sécurité sociale. » ;
Que cet article conditionne ainsi l'admission au régime de l'ARS à l'ancienneté déterminée par le nombre d'heures travaillées par trimestre ce qui a pour effet d'en priver les salariés à temps partiel et partant, essentiellement les femmes, plus nombreuses que les hommes à exercer des fonctions à temps partiel au sein du GIE PMH, ce point n'étant pas contesté par l'appelant.
Considérant que l'ORPESC prétend, pour la première fois en cause d'appel, que les dispositions de l'article 141 du traité CE selon lesquelles « chaque Etat membre assure l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail ou un travail de même valeur » dont se prévaut Madame [X] ne lui sont pas opposables et, à supposer qu'elles le soient, affirme que le régime de l'ARS ne crée aucune discrimination entre les sexes, la comparaison devant s'opérer globalement en prenant en compte l'ensemble des salariés relevant dudit régime et non pas se restreindre au seul PMH.
Mais considérant que s'agissant des dispositions de l'article 141 précitées dont l'ORPESC estime qu'elles lui sont inopposables au motif que la jurisprudence communautaire ne traiterait que des régimes de retraite institués volontairement par une entreprise ou une profession et matérialisant un lien direct entre l'avantage de retraite et le revenu d'activité ce qui exclurait l'extension de l'application du principe d'égalité aux régime de l'ARS dont le financement est assuré par les seuls gains non réclamés et donc indépendants de l'emploi, cette affirmation est contraire à l'interprétation que la Cour de justice de l'Union européenne a faite de ces dispositions (arrêt C-366/99 et C-206/00 des 29 novembre et 13 décembre 2001) ;
Qu'en effet, d'une part la CJUE a, dans les deux arrêts susvisés, placé au rang des régimes professionnels au sens de l'article 141 du traité CE le régime des pensions civiles et militaires de l'Etat auquel s'applique le principe d'égalité édicté par ledit article ;
Que cette interprétation a été réaffirmée par arrêt du 12 septembre 2002 (C-351-00) ;
Que, d'autre part, la Cour de justice qualifie de rémunération liée à l'emploi les prestations octroyées au titre d'un régime de pension qui est fonction, pour l'essentiel, de l'emploi qu'occupait l'intéressé, ce qui est le cas en l'espèce ; qu'elle rappelle dans l'arrêt précité que les modalités de financement et de gestion du régime de pension ne constituent pas un élément décisif pour apprécier si ledit régime relève de l'article 141 du traité ;
Qu'ainsi, le régime de l'ARS entre bien dans le champ d'application de l'article 141 du traité CE.
Considérant que l'ORPESC soutient qu'en toutes hypothèses, il convient de relever que la démonstration juridique reviendrait non pas à écarter radicalement le principe d'égalité mais à en imposer une application au travers du principe de « discrimination indirecte » ;
Qu'il fait valoir pour la première fois devant la cour qu'il doit être procédé à une comparaison globale, c'est-à-dire une comparaison portant sur l'ensemble des salariés relevant du régime de l'ARS et non pas à une comparaison restreinte au GIE PMH ; qu'il affirme que le résultat de cette comparaison ne révèle aucune différence considérable entre la proportion d'hommes et de femmes employés respectivement à temps partiel pour une durée inférieure à 200 heures par trimestre.
Considérant que l'appelant produit à l'appui de son argumentation un tableau sur lequel figure l'effectif des sept structures relevant du régime litigieux ainsi que la répartition du temps de travail des hommes et des femmes supérieur et inférieur à 200 heures par trimestre.
Mais considérant que ce tableau, outre qu'il concerne un effectif existant au 31 juillet 2009 et non en 2004, est dénué de force probante dès lors que les informations sur lesquelles il repose n'ont pas été communiquées ;
Que, par ailleurs, Madame [X] fait justement remarquer que parmi les sept entreprises relevant du régime ORPESC seules deux employent des salariés à temps partiel, soit le Groupement Technique des Hippodromes Parisiens, GTHP, et le PMH, étant relevé que le GTHP n'en compte que 9 ;
Que la comparaison ne peut porter que sur l'effectif d'un même établissement au sein duquel les conditions de travail des salariés sont les mêmes.
Considérant qu'ainsi que l'a relevé le tribunal, il est établi que le temps partiel affecte essentiellement les femmes du GIE PMH qui employait au 8 novembre 2004 63 % de femmes et 37 % d'hommes et que 81,45 % des salariées étaient employées à temps partiel pour 40 % des salariés, ce qui constitue un écart très important ;
Que l'ORPESC n'apporte aucun élément objectif étranger à toute discrimination fondée sur le sexe justifiant une différence de traitement ;
Que l'article 21 des statuts de l'ORPESC présente donc un caractère discriminatoire indirect en violation des dispositions de l'article 141 du traité de la Communauté européenne ; que partant, il doit être déclaré inopposable à Madame [X] abstraction faite de tout autre moyen surabondant, et le jugement entrepris confirmé.
Considérant que l'équité commande d'allouer à Madame [X] la somme de 4 000 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel.
PAR CES MOTIFS,
Confirme le jugement entrepris.
Condamne l'ORGANISME DE RETRAITE ET DE PRÉVOYANCE DES EMPLOYÉS DE SOCIÉTÉS DE COURSE-ORPESC- à verser à Madame [R] [X] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Le condamne aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Fait et jugé à PARIS, le ONZE JUIN DEUX MIL DIX
LE GREFFIER,LE PRESIDENT,