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11/06/2010 | FRANCE | N°08/05419

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 2, 11 juin 2010, 08/05419


Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 2



ARRET DU 11 JUIN 2010



(n° 139, 12 pages)







Numéro d'inscription au répertoire général : 08/05419.



Décisions déférées à la Cour : Jugement du 06 Juin 2000 - Tribunal de Grande Instance de PARIS 3ème Chambre 3ème Section - RG n° 99/10385.



Mode de saisine : ' Déclaration d'appel. ' Déclaration de saisine après le renvoi par arrêt de l

a Cour de cassation en date du 29 Janvier 2008 (n° 177F-P+B), cassant et annulant partiellement l'arrêt mixte du 28 Juin 2006 de la Cour d'appel de PARIS, 4ème Chambre S...

Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 2

ARRET DU 11 JUIN 2010

(n° 139, 12 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 08/05419.

Décisions déférées à la Cour : Jugement du 06 Juin 2000 - Tribunal de Grande Instance de PARIS 3ème Chambre 3ème Section - RG n° 99/10385.

Mode de saisine : ' Déclaration d'appel. ' Déclaration de saisine après le renvoi par arrêt de la Cour de cassation en date du 29 Janvier 2008 (n° 177F-P+B), cassant et annulant partiellement l'arrêt mixte du 28 Juin 2006 de la Cour d'appel de PARIS, 4ème Chambre Section A (RG 06/01630).

APPELANTS & INTIMÉS :

DEFENDEURS À LA SAISINE :

- S.A. [R]

prise en la personne de son Président du conseil d'administration,

ayant son siège social [Adresse 1],

- Monsieur [T] [J]

demeurant [Adresse 3],

représentés par Maître François TEYTAUD, avoué à la Cour,

assistés de Maître François BERBINAU plaidant pour le Cabinet BFPL Avocats AARPI, avocat au barreau de PARIS, toque : P 0496.

INTIMÉE & APPELANTE :

DEMANDERESSE À LA SAISINE :

S.A. GEO CONCEPT

prise en la personne de son Président du conseil d'administration,

ayant son siège social [Adresse 2],

représentée par la SCP NABOUDET-VOGEL - HATET-SAUVAL, avoués à la Cour,

assistée de Maître Pierre-Michel SAUVAGE et de Maître Pierre SAUREL de la SELARL SAUREL SAUVAGE, avocats au barreau de PARIS, toque : R 294.

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 7 mai 2010, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur GIRARDET, président,

Madame DARBOIS, conseiller,

Madame SAINT-SCHROEDER, conseiller.

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame BLAQUIERES.

ARRET :

Contradictoire,

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Monsieur GIRARDET, président, et par Monsieur NGUYEN, greffier présent lors du prononcé.

La société Géo Concept , créée le 28 juin 1990, édite des logiciels dans le domaine du géomarketing, technique de marketing consistant en la production de cartes, de données statistiques et de logiciels au profit de sociétés voulant optimiser leurs cibles ; la société [R] fut constituée le 29 janvier 1999 par trois anciens salariés de la société Géo Concept, auxquels s'ajoutèrent dans la même année, plusieurs autres salariés provenant de cette société.

La société [R] se lança aussitôt dans une activité de recherche et de développement informatique d'un logiciel dénommé Business Géointelligence et dans une activité commerciale ;

Ayant appris que la société [R] entendait commercialiser un logiciel concurrent des siens, la société Géo Concept fit procéder à des opérations de saisie-contrefaçon ; la société [R], après avoir elle aussi fait procéder à de telles opérations, assigna la société Géo Concept en contrefaçon de son logiciel Business Géointelligence, action à laquelle la société Géo Concept répliqua en formant une demande reconventionnelle en concurrence déloyale ;

Par un premier arrêt du 30 avril 2003 partiellement confirmatif du jugement du tribunal de grande instance de Paris en date du 6 juin 2000, la cour d'appel condamna la société Géo Concept à verser à la société [R] la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts et, avant dire droit sur les demandes de Géo Concept, ordonna une mesure d'expertise confiée à Monsieur [P] [U] ;

Puis, par arrêt du 28 juin 2006, cette même cour, infirmant le jugement en ce qu'il avait débouté Géo Concept de ses demandes reconventionnelles, dit qu'[R] avait commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire, condamna la société [R] à verser à Géoconcept les sommes de 80 000 euros en réparation de son préjudice moral et une provision de 250 000 euros à valoir sur la réparation de son préjudice matériel pour la détermination de laquelle elle ordonna une mesure d'instruction confiée Monsieur [S] [E] ;

Par arrêt du 29 janvier 2008 , la Cour de cassation annula l'arrêt du 28 juin 2006, 'mais seulement en ce qu'il a dit que la société [R] a commis un acte de concurrence déloyale en désorganisant par débauchage le fonctionnement de la société Géo Concept et en ce qu'il a dit que le débauchage par [R] de deux salariés liés par une clause de non concurrence à la société Géoconcept caractérisait un comportement déloyal' ;

Vu les dernières écritures en date du 15 avril 2010 de monsieur [J] et de la société [R] qui tout en soulignant que des éléments nouveaux démontreraient l'absence de débauchage et de désorganisation dont aurait été victime la société Géo Concept, font valoir que les clause de non concurrence imposées aux salariés de cette société sont nulles pour en déduire qu'il y aurait lieu de remettre en cause dans sa totalité l'arrêt du 28 juin 2006 ; subsidiairement, ils font valoir que la société Géo Concept n'a subi aucun préjudice, son chiffre d'affaires étant d'ailleurs en progression sur la période concernée 1997/1999, qu'ils ne peuvent être tenus pour responsables du refus de l'ANVAR de lui octroyer une aide pour son projet de logiciel GCES, et qu'il convient de remettre en cause les condamnations prononcées par l'arrêt du 28 juin 2006 ;

Vu les dernières écritures en date du 8 mars 2010 de la société Géo Concept qui expose que la cassation n'est intervenue que sur les questions de la désorganisation liée au débauchage et sur celle de la validité de la clause non concurrence, le reste, à savoir les actes de concurrence déloyale relevés étant définitivement jugés ; s'agissant de la réparation de son préjudice , elle fait grief à l'expert [E] de la façon dont il a conduit ses opérations , sans transparence , en omettant de recueillir de nombreux éléments , en outrepassant sa mission par des considérations juridiques ou techniques personnelles, en ne répondant pas aux dires qu'elle lui adressa et en ne respectant pas le principe de la contradiction, griefs qui la conduisent à demander à la cour d'annuler les opérations expertales ; elle énumère les postes de son préjudice qu'elle fixe au terme de ses écritures à la somme de 9 160 652 euros outre 913, 064, 92 euros du chef du débauchage fautif et 20 000 euros en réparation de son préjudice moral du chef des éléments non définitifs de l'arrêt du 28 juin 2006 (lequel avait fixé à 80 000 euros la réparation de son préjudice moral); elle sollicite en outre la publication de la décision à intervenir et sa mise en ligne sur le site d'[R] ;

Sur ce, la cour ,

Sur le rejet des écritures :

Considérant que la société Géo Concept fait valoir que la présente instance est le fruit d'une jonction de deux procédures l'une sur renvoi de cassation partielle, l'autre en ouverture du rapport d'expertise et que les dernières écritures d'[R] en date du 15 avril dernier en réponse aux siennes prises cinq semaines plus tôt, appelaient une réplique qu'elle n'a pu prendre que par des écritures signifiées le 6 mai ;

Considérant cependant que les écritures de 65 pages toujours dactylographiées en petits caractères, signifiées la veille du jour des plaidoiries, et comprenant un nombre de pages supérieur à celui des précédentes écritures en date du 8 mars, ne respectent d'évidence pas le principe de la contradiction et seront rejetées des débats, tout comme le seront les pièces nouvelles n° 185 à 188 versées à leur soutien ;

Sur la validité des opérations expertales de [S] [E] :

Considérant qu'il est fait grief à l'expert d'avoir manqué à ses devoirs en ne respectant pas le principe de la contradiction, en omettant d' entendre des sachants comme en négligeant de recueillir de nombreuses informations et en outrepassant sa mission ;

Considérant qu'il sera tout d'abord relevé que nombre de ces griefs furent déjà présentés au conseiller de la mise en état au soutien d'une demande de changement d'expert qui fut rejetée par ordonnance du 3 septembre 2007 ;

Considérant par ailleurs, que l'expert a organisé plusieur réunions, notamment les 21 décembre 2006, 13 et 22 mars, 15 mai 2007 et 5 décembre 2007 ; qu'elles furent suivies de notes retraçant sommairement les échanges et informations obtenues ; qu'il importe peu que Géo Concept n'ait pas pu exposer la situation de concurrence entre les parties puisque cette question avait été définitivement tranchée par l'arrêt de la cour d'appel ; que de même si l'expert n'a pas répondu à certains des dires de Géo Concept portant notamment sur les développements insuffisants qu'il consacre à la méthode de valorisation du préjudice, ces silences ne caractérisent pas une violation du principe de la contradiction dès lors que les opérations ont été conduites contradictoirement et que les parties ont pu faire connaître les critiques ou réserves que la méthode suivie par l'expert pouvait appeler de leur part ;

Considérant que les griefs tenant à l'absence de rigueur scientifique, comme à l'absence d'investigations menées auprès de l'ANVAR, ou l'insuffisance des informations financières recueillies auprès d'[R], comme le caractère lacunaire des données chiffrées rendant compte de l'importance des investissement consacrés par Géo Concept et des conséquences du détournement de clientèle opéré par [R], ne sont pas de nature à invalider les opérations d'expertise mais à en réduire ou à en annihiler la portée ;

Considérant ensuite que l'audition de Monsieur [U] ne s'imposait nullement ;

Considérant enfin que les appréciations d'ordre juridique ou technique portée par l'expert sont inopportunes mais n'entachent pas de nullité l'appréciation qu'il a faite du préjudice de Géo Concept ;

Que la demande d'annulation sera dès lors rejetée ;

Sur la portée de l'arrêt de la cassation et les points définitivement jugés :

Considérant que l'arrêt du 28 juin 2006 a, dans un premier temps, relevé que la société Géo Concept, qui avait déposé en 1998 et 1999 à l'ANVAR des dossiers de demande d'aide de financement pour son projet de logiciel Geo Concept, était connue pour être un des principaux prestataires en géomarketing dont les applications du logiciel Géo Concept étaient présentées dans la presse spécialisée dès 1997 ;

Qu'il conclut s'agissant d'[R], que cette société a eu dès 1999 une activité commerciale effective et que les sociétés en présence étaient donc bien en situation de concurrence ;

Considérant que l'arrêt s'emploie ensuite à comparer les logiciels , à savoir d'une part, le logiciel Géo Concept, les projet Geomarketer et le projet GCES de la société Géo Concept et d'autre part, le logiciel Business Géo Intelligence de la société [R] pour déduire de cette comparaison qu'il existe 'une similitude certaine tant au plan fonctionnel que technologique entre les logiciels en cause et les projets élaborés par l'une ou l'autre des sociétés' ;

Considérant que l'arrêt analyse enfin les conditions de création et de développement des logiciels et projets pour dire, en s'appuyant sur l'analyse de l'expert, que la charge de travail disponible chez [R] entre février et novembre 1999 était insuffisante pour réaliser la solution Internet qu'elle mit en ligne en novembre 1999 et que le travail de conception du logiciel Business Géo Intelligence n'a pu commencer qu'avant la création de la société [R] ;

Considérant s'agissant de la concurrence déloyale, que l'arrêt, souligne tout d'abord les transferts de personnels intervenus entre les deux sociétés, puis retient au fondement de la condamnation qu'il prononce sur le terrain de la concurrence déloyale, le débauchage des principaux cadres et ingénieurs de Géo Concept pour profiter de la connaissance qu'ils avaient des réalisations et projets de la société Géo Concept et, en outre, la désorganisation du fonctionnement de cette société que ce débauchage a provoquée ; qu'enfin, l'arrêt retient au titre du parasitisme que la société [R] s'est emparée du savoir- faire de Géo Concept relatif à la conception et au développement des logiciels en cause, et a 'bénéficié des importants investissements réalisés par la société Géo Concept tant financiers que humains de nature à permettre cette conception et ce développement' ;

Considérant que la Cour de cassation, par son arrêt du 29 janvier 2008, a cassé l'arrêt précité uniquement sur le quatrième moyen pris en sa première branche et en sa troisième branche, aux motifs d'une part, qu'il n'avait pas établi en quoi les recrutements litigieux avaient eu pour effet de désorganiser la société Géo Concept, et d'autre part, qu'il n'avait pas recherché, comme il lui avait été demandé, si la clause de non concurrence qui liait deux salariés, n'était pas nulle ;

Considérant que Monsieur [J] et la société [R] font valoir en substance que l'arrêt de cassation ayant sanctionné plusieurs des motifs adoptés pour caractériser 'la concurrence déloyale et parasitaire', aucun des motifs de fait ou de droit retenus par la cour d'appel pour qualifier une telle concurrence ne subsiste ; qu'ils ajoutent que la cour doit d'autant plus juger à nouveau l'existence d'un débauchage que des éléments nouveaux parmi lesquels un compte rendu de réunion interne du 21 décembre 1997 révèlent les graves difficultés que traversait la société Géo Concept et la démotivation de certains de ses personnels; que ce sont les options stratégiques prises par ses dirigeants qui ont conduit de nombreux salariés à quitter l'entreprise , en sorte que le départ des salariés pour [R] ne représente, comme l'a souligné l'expert [E], que 14% des départs ;

Mais considérant que l'arrêt de cassation qui ne porte que sur deux des éléments retenus par la cour d'appel pour fonder sa condamnation, ne peut affecter les autres fautes retenues par la cour pour caractériser la concurrence déloyale dès lors qu'elles n'en sont pas dépendantes ;

Considérant que sauf à se méprendre sur sa portée, la cassation partielle ne porte en effet que sur l'appréciation de la validité de la clause de non concurrence et ses conséquences, ainsi que sur la relation faite par la cour d'appel entre le débauchage et la désorganisation de l'entreprise ;

Considérant qu'il suit que les dispositions de l'arrêt concernant le parasitisme et plus spécialement, l'appropriation du savoir- faire relatif à la création et au développement des logiciels en cause, ne sont nullement affectées par la cassation ;

Que ne l'est pas plus, la constatation que des fondateurs d'[R] avaient déployé une activité réelle au profit de cette société en formation alors qu'ils étaient toujours salariés de Géo Concept ;

Considérant que de même est définitivement retenu le fait que les dispositions relatives au secret professionnel et à 'l'exclusivité de service' figurant au contrat de travail de Monsieur [J] et des autre salariés qui rejoignirent [R], n'ont pas été respectées ;

Sur la validité de la clause de non concurrence :

Considérant que trois salariés - Messieurs [J], [G] et [K] -, étaient liés par une clause de non concurrence figurant dans leur contrat de travail et aux termes de laquelle chacun d'eux s'engageait, en cas de cessation de ses fonctions, et quelle qu'en soit la cause, à n'exercer aucune activité en concurrence avec l'activité de la société Géo Concept pendant une durée de trois ans, cette clause s'étendant à toute activité qui s'exercerait totalement ou en partie sur le territoire français et couvrant toute activité commerciale relative à la vente ou la distribution de logiciels à usage cartographique ou géographique ;

Considérant que l'absence, non contestée, de toute contrepartie à cet engagement, en affecte la validité en sorte que ne peut être retenu à faute à l'encontre d'[R] l'emploi de salariés liés par une clause de non concurrence ;

Sur la désorganisation du fonctionnement de Géo Concept :

Considérant que trois créateurs d'[R], [T] [J], [A] [B] et [V] [G] ont, comme indiqué plus haut, développé une activité réelle au profit de cette société en formation alors qu'ils étaient toujours les salariés de Géo Concept ; qu'au moins quatre autres salariés ont rejoint la société [R] ; que parmi ces transfuges, quatre d'entre eux étaient membre du département recherche et développement de Géo Concept et les autres étaient membres de la structure commerciale et donc, en contact avec la clientèle de leur employeur ;

Considérant que Géo [L] fait valoir que ces départs ont affecté les résultats que devait atteindre la société comme le prévoyait Monsieur [J] lui même sur un 'Powerpoint' de novembre 1997, qui prévoyait un chiffre d'affaires de 34 millions de francs au 31 mars 2008 alors qu'à cette date le résultat ne fut que de 23 millions, la différence s'expliquant selon eux par les agissements de Monsieur [J] qui aurait retenu les commandes de clients plutôt que les réaliser ;

Considérant que la cour observe qu'il n'est ni contestable ni d'ailleurs sérieusement contesté, que Géo Concept eut à faire face à partir de la fin de l'année 1997 à des départs volontaires (14 démissions) et procéda par ailleurs en juillet 1998 à des licenciements de personnes qualifiées, en sorte que les salariés engagés par [R] ne représentent, selon l' expert [E], que 14% des départs ;

Considérant qu'il suit que si les départs litigieux sont intervenus dans un contexte délicat que traduit le compte rendu d'une réunion interne du 21 décembre 1997 qui énonce des difficultés d'organisation et de communication notamment, il demeure que ces départs concernent des ingénieurs hautement qualifiés du département de recherche et développement dont [R] louera la compétence dans le dossier qu'elle présentera à l'ANVAR , et des responsables du secteur commercial - le directeur et son adjoint -, en sorte qu'ils n'ont pu qu'affecter aussi le fonctionnement de l'entreprise ;

Considérant qu'il sera statué ci-après sur le préjudice lié au débauchage au regard de l'ensemble de ces circonstances ;

Sur l'appréciation du préjudice subi par Géo Concept :

Considérant que Géo Concept expose que son préjudice comprend les postes suivants pour ce qui relève des chefs définitifs de l'arrêt du 28 juin 2006 :

- appropriation du savoir-faire : 18 545 448 euros ou 20 105 000 euros,

- manque à gagner du fait de l'appropriation du savoir faire et des investissements humains et financiers : 3 091 800 euros,

- non obtention de l'aide de l'ANVAR : 1 768 408 euros,

- perte de marges prévisionnelles sur les projets GCES et GC3D : 3 029 924 euros,

- perte de chance d'obtenir des fonds propres : 2 286 735 euros ;

Que s'agissant des éléments atteints par la cassation, Géo Concept soutient que son préjudice recouvre la caractère fautif du débauchage évalué à la somme de 913 064 euros outre un préjudice moral complémentaire valorisé à hauteur de 20 000 euros ;

Sur le préjudice lié à l'appropriation du savoir faire :

Considérant que Géo Concept critique la méthode suivie par l'expert [E] au motif qu'il conviendrait de prendre en compte le gain de temps de développement du logiciel qu'[R] s'est approprié augmenté d'une partie du temps consacré à la conception des logiciels GCES et Geomarketer de Géo Concept non développés ; qu'elle remarque que l'expert [E] n'a pas pris en compte le travail de conception du logiciel GCES antérieur à l'exercice 1998/1999, dont l'ampleur était supérieure au travail que nécessita la conception du logiciel Geomarketer ;

Que selon une méthode dite addictive, il conviendrait de fixer le préjudice à la somme de 4 millions d'euros représentant 40 années /hommes pour le logiciel Géo Concept, 651 666 euros représentant 6, 8 années/hommes pour le logiciel Geomarketer, et 1 600 000 euros correspondant à 16 années /hommes, soit un total de 6 251 666 euros ;

Qu'à cette somme, il conviendrait d'ajouter selon Géo Concept 3 250 000 euros au titre de la perte d'une équipe expérimentée, 3 250 000 euros en réparation de la perte de savoir- faire et les connaissances du marché et 3 250 000 euros au titre du temps de latence avant d'arriver à lancer un produit en phase avec le marché ;

Considérant que Monsieur [J] et [R] opposent que cette méthode n'est pas réaliste et n'a d'ailleurs pas été retenue par les experts ; qu'ils insistent sur le fait que la reprise de savoir- faire ne peut concerner éventuellement que la première phase des logiciels dont les salariés avaient connaissance et qui a pu les influencer dans leur travail ultérieur chez [R] ; que cependant la première phase ne constituerait pas à proprement parler un savoir- faire puisque les idées de fonctionnalités réunies lors de cette phase relèveraient du domaine public en sorte que les similitudes relevées par l'expert [U] correspondraient à des modules standards ; qu'il en irait de même des similitudes observées entre le projet Geomarketer et le logiciel d'[R], Géo concept étant incapable de définir le savoir-faire qui aurait été repris ; qu'ils insistent enfin sur le fait que la valeur du logiciel d'[R] tient à ses spécificités technologiques propres et notamment ses fonctionnalités prédictives de très haut niveau ;

Considérant ceci exposé, que la cour dans les dispositions de son arrêt non atteintes par la cassation a, au terme de son analyse comparative, conclu à l'existence d'une similitude certaine tant au plan fonctionnel que technologique, entre les logiciels en cause et les projets élaborés par l'une et l'autre sociétés, y compris entre le projet GCES de Géo Concept et le projet Géo Intelligence d'[R] ;

Considérant que pour ce qui concerne le logiciel Géoconcept, l'expert [U] a estimé que la charge de travail pouvait être estimée à 20 années /Hommes ; qu'il a par ailleurs estimé que le travail nécessaire pour le développement du logiciel Géointelligence pouvait être appréhendé dans une fourchette de 5 à 10 ans /Hommes, alors que le temps de travail des salariés d'[R] a été de 4,4 années /hommes ;

Considérant qu'en suivant l'approche déductive de l'expert, l'appropriation du savoir faire peut correspondre à 5, 5 années /homme soit 250 000 euros ;

Considérant qu'il est indifférent à cet égard que ce savoir-faire comprenne notamment des données qui sont de libre parcours , puisque que ce savoir-faire comprend un ensemble de données et d'informations choisies et pertinentes au regard du logiciel à développer, fruit d'investissements dont [R] a précisément fait l'économie par son appropriation ;

Considérant qu'aucun motif ne justifie que soit retenue l'intégralité de la charge de travail qu'a nécessité la réalisation du logiciel Géoconcept (20 années/homme selon l'expert [U]) puisque celui-ci précise (page 239 du rapport), après avoir entendu divers sachants , que la charge de travail nécessaire à l'élaboration de la solution d'[R] telle qu'elle fut présentée au public en novembre 1999 n'était en tout cas pas supérieure à 10 ans ;

Considérant par ailleurs que, comme l'a relevé l'arrêt du 28 juin 2006, le projet GCES et le projet géointelligence présentent des similarités certaines qui reflètent également une appropriation de savoir faire ; qu'il est pareillement indifférent et pour les motifs sus exposés, que ce savoir faire intègre des modules tels que celui dénommé 'Oracle' largement utilisés dans la 'communauté des programmeurs'selon [R] ;

Que cependant l'estimation de la charge de travail du projet (62,8 années/homme) alléguée par Géo Concept n'étant assise sur aucune analyse rigoureuse il convient de limiter à la somme de 150 000 euros la réparation due à ce titre, ce qui conduit la cour à fixer à la somme globale de 400 000 euros le montant de la réparation de l'appropriation du savoir-faire, étant observé que celle liée au projet Géomarketer ne peut donner lieu à des dommages et intérêts, dans la mesure où ce projet était constitué du noyau du logiciel Géo Concept et de fonctionnalités principales déjà implantées au sein de ce logiciel ;

Sur le manque à gagner résultant de l'exploitation de ce savoir-faire :

Considérant que Géo Concept propose deux méthodes, l'une consistant à affecter à Géo Concept le chiffre d'affaires réalisé par [R] depuis sa constitution diminué de de ses propres investissements , l'autre que la cour retiendra comme étant la plus exacte, fondée sur l'évaluation de son manque à gagner ;

Considérant que selon l'approche développée par l'expert [E], à laquelle la cour se réfère, rien ne permet de dire que Géo Concept aurait dégagé des résultats supérieurs à ceux de la société [R] et qu'elle aurait maintenu un taux de marge opérationnel de 17,4% ;

Qu'au regard des résultats négatifs générés pendant les premières années d'exploitation du logiciel de géomarketing, la réparation du préjudice subi par Géo Concept sera limitée à la somme de 150 000 euros ;

Sur les autres éléments de mesure du capital immatériel :

Considérant que Géo Concept fait état de postes qui ne peuvent cependant être pris en compte en raison de leur caractère subjectif et de l'insuffisante identification du préjudice qu'ils prétendent couvrir ;

Qu'il en est ainsi du coût du 'time to market' ou coût de latence supporté par l'entreprise afin de décider du meilleur moment où le projet de logiciel doit être lancé, ou encore de 'la qualité d'une équipe expérimentée déjà constituée' ;

Considérant que pareillement le savoir-faire lié à la connaissance du marché n'est pas quantifiable en l'état des documents fournis, d'autant qu'il n'est pas précisé en quoi cette connaissance aurait facilité l'obtention de contrats ;

Considérant enfin que s'il est vrai que Géo Concept avait des partenaires privilégiés avec lesquels [R] a pu contracter, à savoir deux entreprises dont la société B1B Market, le préjudice lié à la reprise par [R] de ce partenariat apparaît très peu significatif au vu du chiffre d'affaires qu'elle réalise avec eux, comme le souligne l'expert [E] dans son rapport ;

Sur l'aide au financement de l'ANVAR :

Considérant que Géo Concept expose que la demande d'aide qu'elle avait faite à l'ANVAR d'un montant de 1 768 408,60 euros avait pour objet le développement et l'exploitation du programme d'innovation relatif aux projets CGES et GC3D ; que dans la mesure où le prêt qu'elle aurait dû obtenir aux lieu et place d'[R] n'est remboursable qu'en cas de réussite du programme d'innovation, le préjudice qu'elle subit correspond au minimum au montant du prêt ; qu'elle ajoute encore que le rejet de sa demande de financement a eu pour effet direct une perte de la marge prévisionnelle des projets GCES et GC3D correspondant à 3 029 924, 22 euros ;

Considérant ceci rappelé, que l'expert [E] souligne que même s'il n' y est pas fait expressément mention, le dossier [R] a profité du prestige de Geo Concept dont était issue l'équipe d'informaticiens (Page 129) ;

Considérant qu'il a été dit que les deux projets CGES et Géointelligence présentaient des éléments communs comme l'ont révélé les documents transmis à l'ANVAR ; que le rapport d'expertise technico-économique, en date du 4 août 1999, établi à la demande de l'ANVAR, relève les mêmes similarités ;

Considérant que quand bien même Géo Concept et [R] ont-elles soumis leur projets à l'ANVAR à quelques mois de distance, il demeure d'évidence que le projet de Géo Concept n'a pu que pâtir de celui présenté à l'ANVAR par [R] ;

Que certes, une incertitude demeure sur le montant de l'aide que Géo Concept aurait pu obtenir, mais il est acquis que le type de projet qu'elle présentait était de ceux que l'ANVAR aidait ; que la présentation d'un projet concurrent, ne pouvait qu'hypothéquer la demande faite par Géo Concept ;

Que le préjudice de Géo Concept sera donc égal à la somme retenue par l'expert calculée sur l'avantage d'un prêt de 4 millions de francs sur trois ans, soit 131 716 euros ;

Sur la perte de chances de bénéficier d'apports en fonds propres :

Considérant que Géo Concept soutient encore que dès lors qu'elle n'a pas obtenu d'aide de l'ANVAR, elle a perdu une chance de bénéficier de fonds propres pour développer son programme d'innovation d'un montant minimum de 2 286 735, euros ;

Mais considérant que quand bien même le soutien apporté par l'ANVAR à des projets est-il une référence positive pour des investisseurs potentiels, il demeure que Géo Concept ne justifie pas de la réalité de ses appels de fonds et ne démontre pas que l'accueil qui leur aurait été réservé aurait été subordonné à l'obtention du soutien de l'ANVAR ;

Sur les conséquences financières liées au débauchage :

Considérant qu'il sera simplement rappelé ici que les personnes qui ont rejoint [R] sont des ingénieurs expérimentés (4) du département R&D dont il n'est pas contesté qu'ils avaient participé à l'écriture du code source des logiciels de Géo Concept ; que comme le relève cette dernière, [R] a d'ailleurs mis en avant dans son dossier présenté à l'ANVAR la qualité de son équipe composée précisément de ces ingénieurs ; que pour ce qui concerne l'équipe commerciale qui rejoignit [R], il s'agit également de personnels confirmés qui avaient une expérience certaine du marché puisqu'il s'agit notamment du directeur commercial et membre du comité de direction de Géo Concept et de son adjoint, directeur des ventes France ;

Considérant qu'il suit que le préjudice subi par Géo Concept réside ainsi dans le fait d'avoir été privée d'une équipe expérimentée et de devoir rechercher et former les personnels appelés à succéder aux personnels expérimentés ;

Que l'expert [E] estime que ce préjudice s'élève aux sommes de 7599 euros au titre du recrutement, 55 000 euros au titre de la formation auxquelles il convient d'ajouter les somme dépensées pour le remplacement de l'équipe commerciale et celles correspondant à la rémunération servie aux nouveaux ingénieurs pendant le temps qui leur fut nécessaire pour relire les codes sources et prendre connaissance des projets ;

Considérant en conséquence qu'il sera alloué à Géo Concept une somme de 110 000 euros en réparation des conséquences financières du débauchage ;

Sur le préjudice moral :

Considérant que le préjudice moral ne peut être lié, pour les motifs sus exposés, au recrutement par [R] de deux salariés tenus par une clause de non concurrence ;

Considérant en revanche que les autres chefs retenus par l'arrêt du 28 juin 2006 qui stigmatise le comportement d'[R] contraire à la morale des affaires, justifie de fixer ce préjudice à la somme de 60 000 euros, aux lieu et place de celle fixée par l'arrêt précité ;

Sur le préjudice né des opérations de saisie-contrefaçon du 19 mai 1999 :

Considérant qu'[R] a cru pouvoir faire procéder à des opérations de saisie-contrefaçon au siège de Géo Concept notamment, opérations que ne légitimaient pas les droits dont elle pouvait se prévaloir ;

Que le caractère abusif de celles-ci appelle la condamnation d'[R] à verser la somme de 10 000 euros à Géo Concept ;

Sur les autre mesures réparatrices :

Considérant qu'il ne sera pas fait droit à la mesure de publication sollicitée dans la mesure où l'arrêt du 28 juin 2006 a déjà fait l'objet d'une telle mesure ;

Sur les demandes d'[R] :

Considérant que le sens du présent arrêt et de ceux qui l'ont précédé démontre que les prétentions de Géo Concept n'étaient nullement abusives ;

Considérant qu'ayant été autorisée à faire publier l'arrêt du 28 juin 2006, il était loisible à cette dernière d'espacer ces publications sur une période de plusieurs mois, sans que cette attitude puisse en elle même être considérée comme fautive ;

Sur l'article 700 du Code de procédure civile :

Considérant que l'équité commande de condamner [R] à verser à Géo Concept la somme de 20 000 euros au titre de la présente procédure qui s'ajoute à la somme de 100 000 euros alloués au titre des frais irrépétibles par l'arrêt du 28 juin 2006 partiellement cassé ;

PAR CES MOTIFS,

Vu l'arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 28 juin 2006 et l'arrêt de la Cour de cassation en date du 29 janvier 2008,

Rejette des débats les écritures de la société Géo Concept du 6 mai 2010 et les pièces n° 185 à 188,

Rejette la demande d'annulation des opérations d'expertise menées par [S] [E],

Condamne la société [R] à verser à la société Géo Concept les sommes suivantes en réparation des actes de concurrence déloyale et de parasitisme qu'elle a commis :

- 400 000 euros en réparation de l'appropriation indue d'un savoir-faire,

- 150 000 euros en réparation de l'exploitation de ce savoir-faire,

- 131 176 euros en réparation de la perte d'une chance d'obtenir une aide de l'ANVAR,

- 110 000 euros en réparation des conséquences financières du débauchage,

- 10 000 euros en réparation des opérations de saisie-contrefaçon,

- 60 000 euros en réparation de son préjudice moral,

Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions fixées par l'article 1154 du Code civil,

Rejette le surplus des demandes de dommages et intérêts,

Rejette la demande complémentaire de publication,

Rejette les demandes de la société [R],

Condamne la société [R] à verser à la société Géo Concept la somme de 20 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les entiers dépens d'appel, y compris ceux de l'arrêt du 28 juin 2006 et les frais des deux expertises dont recouvrement conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Le greffier,Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 08/05419
Date de la décision : 11/06/2010

Références :

Cour d'appel de Paris I2, arrêt n°08/05419 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2010-06-11;08.05419 ?
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