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10/06/2010 | FRANCE | N°08/10383

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 10 juin 2010, 08/10383


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRET DU 10 Juin 2010

(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 08/10383 - MAC



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 27 Mai 2008 par le conseil de prud'hommes de PARIS section encadrement RG n° 07/05367



APPELANT



1° - Monsieur [M] [W]

[Adresse 2]

[Localité 4]

comparant en personne, assisté de Me Sébastien BOURDON, avocat au b

arreau de PARIS, toque : D1394



INTIMEE



2° - SARL TELEGATE FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Roseline SAUSER, avocat au barreau de PARIS, toque : P 261



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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRET DU 10 Juin 2010

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 08/10383 - MAC

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 27 Mai 2008 par le conseil de prud'hommes de PARIS section encadrement RG n° 07/05367

APPELANT

1° - Monsieur [M] [W]

[Adresse 2]

[Localité 4]

comparant en personne, assisté de Me Sébastien BOURDON, avocat au barreau de PARIS, toque : D1394

INTIMEE

2° - SARL TELEGATE FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Roseline SAUSER, avocat au barreau de PARIS, toque : P 261

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Mai 2010, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Marie-Antoinette COLAS, Conseillère, chargée d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Marie-Pierre DE LIEGE, Présidente

Mme Irène LEBE, Conseillère

Mme Marie-Antoinette COLAS, Conseillère

Greffier : Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Mme Irène LEBE, Conseillère, par suite d'un empêchement de la présidente et par Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

La société Telegate France est une filiale du groupe allemand Telegate AG et a pour activité la fourniture de renseignements téléphoniques.

Ce domaine a connu, à la fin de l'année 2005, une profonde mutation consécutivement à l'ouverture à la concurrence du marché des renseignements téléphoniques. Cette ouverture s'est opérée en deux étapes, l'attribution de numéros au préfixe 118 à différents opérateurs de renseignements téléphoniques à compter du 2 novembre 2005, puis la suppression définitive du '12' à compter du 3 avril 2006.

M. [W] a été engagé suivant un contrat de travail à durée indéterminée du 12 avril 2005 en qualité de directeur des opérations de la société Telegate France qui s'appelle désormais :

'118 000'.

La mission qui lui était confiée dans le cadre de ce contrat de travail consistait à mettre en place un service de renseignements téléphoniques opérationnel de haute qualité et de gérer son exploitation après son lancement.

La rémunération annuelle prévue comportait une partie fixe de 140'000 € bruts versés sur 12 mois et une partie variable d'un montant annuel maximal de 60'000 € bruts, versés chaque trimestre selon les objectifs fixés et réalisés.

Le 1er janvier 2006, un avenant au contrat de travail a porté à 142 000 € la part fixe de la rémunération.

Le 1er septembre 2006, la société Telegate France a convoqué M. [W] à un entretien préalable fixé au 8 septembre 2006 en vue d' un éventuel licenciement.

Par une lettre recommandée du 12 septembre 2006, le licenciement lui a été notifié. Aucune qualification n'était alors donnée par l'employeur au licenciement prononcé.

Contestant les motifs de son licenciement, M. [W] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris.

Par un jugement du 27 mai 2008, le conseil de prud'hommes de Paris, section encadrement, a condamné la société Telegate France à verser à M. [W] les sommes suivantes :

- 15'323,25 € à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,

- 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le conseil de prud'hommes a débouté M. [W] du surplus de ses demandes.

M. [W] a interjeté appel de ce jugement.

Dans des écritures reprises oralement lors des débats, M. [W] demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a qualifié d'abusive la mesure de licenciement prise à son encontre, mais de le réformer en ce qui concerne le quantum de la somme allouée et de porter à 184'000 € le montant des dommages-intérêts alloués. Il réclame aussi une indemnité de 2000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans des conclusions soutenues à l'audience, la société Telegate France demande à la cour de constater le caractère bien fondé du licenciement, l'ensemble des carences énumérées dans la lettre du 12 septembre 2006 constituant un motif réel et sérieux de licenciement. Elle conclut en conséquence à l'infirmation du jugement du 27 mai 2008, et sollicite que M. [W] soit débouté de l'intégralité de ses demandes.

Il convient de se référer au jugement, aux écritures respectives des parties pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et moyens développés.

MOTIFS :

Sur le licenciement :

Selon l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties.... si un doute subsiste, il profite au salarié.

La lettre de licenciement du 12 septembre 2006, qui circonscrit le litige, fait état des motifs suivants :

'1- carence dans le suivi de notre système de tarification.

Depuis le 2 novembre 2005, notre société Telegate France procède à la tarification de ses prestations de renseignements téléphoniques selon un système qui lui est particulier (DTMF) et la différencie de ses concurrents. En votre qualité de directeur des opérations, vous aviez l'entière responsabilité du fonctionnement de ce système, responsabilité qui se justifiait d'autant mieux que vous étiez le promoteur à l'origine de la mise en place de ce système dans notre société Telegate France.

Nous avions décidé d'opter pour ce système en prenant en compte :

- l'avantage concurrentiel qu'il nous procurait,

- vos assurances quant à un risque de difficultés de fonctionnement limité à des erreurs marginales.

Début juin 2006, nous vous avons demandé par oral à plusieurs reprises de procéder à un changement de tarification de nos prestations pour lequel n'interviendrait plus qu'une facturation à la minute pleine.

Mardi 20 juin 2006, vous nous avez informés que notre système de tarification induisait une surfacturation pour la phase de mise en relation en n'opérant pas de distinction tarifaire avec la phase antérieure de fourniture de renseignements téléphoniques.

Selon vos indications, ce problème intervenait pour une proportion variant de 10 à 15% des mises en relation.

La gravité de ce dysfonctionnement qui perdurait depuis novembre 2005 est évidente. Une telle proportion d'erreurs dépasse, en effet, largement le cadre du risque habituel d'exploitation qu'une entreprise comme la nôtre, intervenant sur un nouveau marché, peut accepter puisque nous étions en contradiction avec l'ensemble de notre politique de communication. Par ailleurs il ne pouvait plus être question, dans ces conditions d'appliquer le nouveau système de facturation que nous vous avions demandé quelques semaines plus tôt. Bien au contraire, nous avons été contraints de mettre en place en urgence et pour des motifs évidents d'ordre commercial une autre tarification moins avantageuse pour l'entreprise. Votre responsabilité dans ces événements est incontestable. D'une part, la garantie que vous nous avez donnée lors des discussions initiales sur ce système de tarification quant à un risque d'erreur limitée et contrôlable s'est avéré erronée. D'autre part, vous étiez le seul au sein de notre société Telegate France à être en mesure de détecter ce dysfonctionnement et il est inacceptable que vous ayez mis huit mois pour le faire. En votre qualité de directeur des opérations, vous assumiez au premier chef la mission d'analyse et de suivi du système, mission que vous n'avez manifestement pas remplie.

À ce sujet, nous notons que c'est seulement à la suite de notre demande de changement des principes tarifaires que nous avons été informés de ce dysfonctionnement.

Enfin, vous n'avez pas démontré la réactivité nécessaire que nous étions en droit d'attendre de votre part lorsque nous vous avons demandé l'élaboration d'une solution palliative. Cette demande vous a été faite début juillet 2006 et ce n'est que plusieurs semaines plus tard, fin août, que vous nous avez fourni les premiers éléments.

2- carence dans la gestion de l'équipe placée sous votre responsabilité.

Parmi vos responsabilités, figure également celle d'animer votre équipe et d'assurer sa bonne coordination avec les autres directions de l'entreprise. Or, vous n'avez organisé aucune réunion d'équipe pendant trois mois de début mars à début juin 2006. Par ailleurs, vous n'avez organisé des réunions à compter de début juin qu'avec vos seuls collaborateurs directs sans y intégrer l'ensemble des membres de votre équipe.

Tant cette longue interruption que votre nouvelle organisation des réunions sont grandement préjudiciables au fonctionnement de l'équipe Opérations.

La nécessité de tenir informés vos collaborateurs sur la marche de la société Telegate France et de maintenir avec eux une communication régulière est une donnée si évidente que nous sommes étonnés que vous ne lui accordiez pas le temps et l'attention nécessaires.

Cette situation est d'autant plus négative pour les membres de votre équipe que vous bloquez en parallèle une communication spontanée de ceux-ci avec les autres directions. À plusieurs reprises, tant vos collègues directeurs que moi-même avons constaté de la part de votre équipe une réticence à nous fournir directement des informations en invoquant la nécessité de passer par votre intermédiaire. Un tel schéma de communication est inacceptable. Ces effets négatifs pour l'entreprise sont encore renforcés par la fréquence de vos absences dont quiconque dans l'entreprise n'est averti à l'avance et ne peut donner une indication sur leur durée.

À cet égard, nous ne contestons nullement la liberté dont vous disposez pour l'organisation de votre emploi du temps et le fait que vous n'ayez aucune autorisation à requérir pour vous absenter. Ceci étant, votre statut de cadre dirigeant suppose un accompagnement minimum du travail de votre équipe dont nous avons constaté d'une manière récurrente ses questionnements sur vos absences et sur l'impossibilité de vous contacter autrement que sur votre téléphone mobile.

Dès avant même l'interruption des réunions de votre équipe, il est apparu que vous ne transmettiez pas avec l'efficacité et l'implication requises les décisions prises en Codir.

Nous nous référons notamment à la question des avenants aux contrats de travail de l'ensemble des collaborateurs.... il a fallu vous relancer à plusieurs reprises pour obtenir le retour de ces avenants signés. Le 24 avril 2006, il manquait encore quatre avenants de votre équipe...

3- Carences dans la transmission des informations.

3-1 Transmission des informations à notre actionnaire allemand.

Cette carence a fait l'objet de vives critiques de nos interlocuteurs allemands à différentes reprises. Nous nous référons ici d'une part à la crise de la fin de l'été 2005. Vos interlocuteurs en Allemagne ont été vivement choqués par votre absence de réponse à leurs demandes légitimes d'information sur le déroulement des opérations placées sous votre responsabilité lors de la phase de préparation du lancement de notre service. La situation était devenue telle que nous avons dû détacher une personne du siège du groupe pour contrôler l'avancement du projet.

D'autre part, nous avons de nouveau constaté cette carence dans la transmission des informations nécessaires à propos de la facturation Orange. Cette transmission incombait à [D] [B], placé sous votre responsabilité directe. En dépit de l'importance de cette question, ce dernier n'a démontré aucune implication dans la recherche d'une solution, et ceci tant à l'égard de ses interlocuteurs allemands que de la responsable Finances et Administration de notre société Telegate France. Alors que le problème était déjà signalé en février, il a fallu attendre juin pour que le problème soit résolu.

Une telle attitude démontre, d'une part, votre refus d'une relation de travail transparente avec vos interlocuteurs et d'autre part, le peu de cas que vous faites de notre obligation d'information de l'actionnaire.

3-2 transmission des informations en interne.

Vos défaillances dans la communication des informations que vous détenez du fait de vos fonctions interviennent également dans les relations de travail interne avec vos collègues de travail.

À cet égard, nous avons constaté que vous faites preuve d'une réticence inacceptable à répondre aux questions posées par la responsable Finances et Administration. Soit vous ne répondez pas à ses demandes de renseignements, soit vous répondez dans des délais objectivement injustifiables. Entre autres exemples récents, nous nous référons notamment aux mails du 6 juin, du 28 juin, du 28 juillet.

4- les relations avec les prestataires Nightingale et Legos.

[D] [B] est administrateur de la société Legos et sa femme est gérante de la société Nightingale.

Nous étions informés de cette situation lors de l'embauche de [D] [B] en août 2005 mais nous avons, dès septembre, évoqué le problème avec vous, en vous demandant que des solutions alternatives soient rapidement mises en place pour ces deux prestataires. Or, nous n'avons pu que constater la lenteur du processus de recrutement du responsable de données décidé en février dernier afin de réduire notre dépendance vis-à-vis de Nightingale.

Par ailleurs, vous prenez, dans la passation de commandes à Nightingale, l'initiative de modifier nos conditions de paiement (à réception au lieu de 45 jours) et signez seul ce type de document alors que deux signatures sont requises selon les directives du groupe.

Enfin et surtout, nous constatons que nous travaillons toujours avec ces deux prestataires. Par ailleurs, nous n'obtenons aucune réponse de votre part lorsque nous vous interrogeons sur des comparaisons chiffrées avec d'autres prestataires.

Un tel comportement de votre part est inacceptable. Vous laissez perdurer, sans fournir aucune explication, une situation de conflit d'intérêts entre notre société Telegate France et un collaborateur de votre équipe, ceci alors qu'il vous incombait de trouver une solution alternative et de la mettre en application dans les meilleurs délais.

L'ensemble des éléments ci-dessus mentionnés met en cause la bonne marche de l'entreprise et, lors de notre entretien du 8 septembre dernier, vous en avez reconnu la réalité. Nous nous voyons donc dans l'obligation de mettre fin au contrat de travail qui vous liait à la société Telegate France....'.

M. [W] dénie la réalité de ces motifs.

En ce qui concerne la carence qui lui est reprochée dans le suivi du système de tarification, il considère que le grief est d'ordre disciplinaire et ne relève pas d'une insuffisance professionnelle.

Il fait remarquer qu'il n'a jamais fait l'objet d'un avertissement préalable.

La société Telegate France fait valoir que le licenciement était prononcé pour insuffisance professionnelle, qu'elle n'a jamais fait grief à son salarié d'un manquement délibéré à ses obligations professionnelles.

Force est de relever qu'il résulte de la rédaction même de la lettre de licenciement que les principaux motifs de licenciement évoqués font état de carences dans le suivi des tarifications, dans la transmission des informations tant vis-à-vis du groupe allemand en interne qu'à l'égard des autres directeurs, dans la gestion managériale de l'équipe qu'il avait pour mission de diriger, et du maintien des relations avec des prestataires en dépit du conflit d'intérêts patent, en raison de la présence au sein de l'entreprise d'un salarié ayant des relations d'intérêts avec ces prestataires.

L'énoncé même de ces éléments montre que l'employeur ne formule aucun reproche d'ordre disciplinaire mais considère que les diverses carences constatées révèlent une insuffisance professionnelle, au regard des missions confiées et du périmètre de mission défini.

Sur le motif tiré de la carence du salarié dans le suivi du système de tarification :

D'après les déclarations des parties à l'audience et de leurs écritures non divergentes sur ce point, il apparaît qu'une opération de renseignement téléphonique comprend trois phases :

- une phase d'attente du client,

- une phase de renseignements téléphoniques,

- une phase de mise en relation avec l'interlocuteur recherché mais ceci à la condition que le client y consente ou en fasse la demande.

Les principes de facturation de la société Telegate France étaient les suivantes :

- pas de facturation du temps d'attente,

- facturation de la phase de renseignements à un taux de 0,96 € la minute,

- facturation de la phase de mise en relation à 0,22 € la minute.

Cette facturation différenciée concernant les seuls appels à partir de postes fixes, requiert l'utilisation d'un système d'impulsion d'unités de taxation (ITX) et de signaux DTMF.

Les signaux permettent d'effectuer le changement de tarif entre la phase de renseignements et la phase de mise en relation.

Le risque d'absence de réception des signaux émis par le commutateur pouvait avoir pour conséquence le maintien d'une facturation sur le palier élevé de la phase de renseignements (0,96 € par minute au lieu de 0,22 € par minute).

M. [W] explique, sans être contredit d'ailleurs, avoir alerté la direction de la société Telegate France sur l'absence de fiabilité du système DTMF et produit aux débats un document établi le 19 octobre 2005 en anglais, dans lequel il indiquait : 'en tout état de cause, la solution initiale (ITX) ne sera probablement pas adaptée pour la phase 4 (montée en charge avril septembre 2006). Il existe un risque que la solution DTMF ne soit pas fiable à 100% en charge'.

Ce système a néanmoins été mis en place le 2 novembre 2005 à l'ouverture du service de renseignements téléphoniques.

Par ailleurs, M. [W] justifie par le témoignage de M. [B] , conforté par des échanges de mails de décembre 2005 produits aux débats qu'il avait dans le courant de l'année 2005 pris des contacts avec Genesys qui proposait une solution technique permettant de fiabiliser le système de changement des paliers tarifaires, qu'il avait recommandé de passer commande dès que possible auprès de cette entreprise afin déployer la solution avant le 2 avril 2006, date d'arrêt du '12 'et de la forte augmentation des appels. Il est établi par la communication d'une lettre signée par M. [D] [U], directeur général de la société Telegate France en date du 30 mars 2006, que la commande auprès de l'intégrateur 'Prosodie' du système 'Genesys' susceptible de pallier les difficultés dénoncées n'a été passée que le 30 mars 2006, soit trois jours avant la fin du '12"

M. [W] n'est pas contredit quand il indique que la réunion de lancement du projet en présence de la société Telegate France et Allemagne avec les sous-traitants n'a eu lieu que le 24 Août 2006, soit près d'un an après la proposition faite et cinq mois après la montée en charge du système.

Par ailleurs, M. [W] verse au dossier la note d'information transmise par M. [R], chef de projet Telecom de Telegate France en date du 16 mai 2006 qui précisait que l'intégrateur 'Prosodie' ne serait pas en mesure de garantir la réception systématique des DTMF lors des mises en relation.

L'évaluation chiffrée réalisée le 12 juin 2006 par M. [W] n'a en réalité que confirmé la réalité des défaillances annoncées du système.

Dès lors que les difficultés techniques avaient été évoquées par Monsieur [W] en tant que directeur des opérations dans le courant de l'année 2005, soit peu après son recrutement, qu'il est clairement démontré que l'absence de fiabilité du système DTMF était connue de la direction de la société Telegate France dès le mois d'octobre 2005, que la direction avait reçu l'information précise suivant laquelle les défaillances techniques auraient pour conséquence de maintenir la facturation au niveau du palier de facturation la plus élevée, que M. [W] ne disposait pas d'un pouvoir exclusif sur la fixation des prix, puisque les principes de fixation des prix relevaient au moins de la direction générale de la société Telegate France, c'est en parfaite connaissance de cause que la société Telegate France a mis en place les modalités de facturation malgré l'absence de fiabilité du système, dès le mois de Novembre 2005 alors qu'elle n'ignorait pas pour en avoir été clairement informée par M. [W] que la montée en charge lors de la fin du '12' aggraverait le risque de défaillances.

Il ne peut être utilement soutenu que M. [W] a fait preuve d'incompétence pour n'avoir procédé à l'évaluation chiffrée du pourcentage des défaillances faisant ressortir un taux de l'ordre de 10 à 15%, que le 12 juin 2006, étant observé que la société Telegate France ne produit pas la demande prétendue de M. [U] sur le point de savoir si la marge d'erreur était de l'ordre de 0,02% ou plus.

Il sera fait observer qu'en parfaite connaissance de cause, M. [U] a donné, le 29 juin 2006 les consignes suivantes : 'après discussions croisées, on passe donc avec effet immédiat à 0,96 € la minute pleine entamée, cap à 2 minutes, temps d'attente toujours gratuit et pas de changement sur la call completion...'.

Dans ces conditions, les compétences de M. [W] ne sont pas en cause au regard des orientations prises et maintenues par la direction de la société Telegate France, la direction étant très clairement au fait de la difficulté technique depuis le courant de l'année 2005 et ayant assumé le choix de mettre en oeuvre le système malgré ses défaillances sans attendre la mise en place du système commandé en Mars 2006 sur les recommandations de M. [W].

Ce motif ne pouvait dans ce contexte d'absence d'imputabilité au salarié des problèmes techniques ainsi rencontrés justifier le licenciement pour insuffisance professionnelle de M. [W].

Sur le motif tiré de la carence dans la gestion de son équipe :

La société Telegate France soutient que des insuffisances de la part de M. [W] concernant la communication et la gestion de son équipe avaient été relevées et exprimées lors de l'évaluation de Janvier 2006.

Cette fiche d'évaluation est produite. Dans la rubrique 'managers', le supérieur hiérarchique a évalué les cinq comportements managériaux de M. [W] et a considéré que celui- ci avait 'dépassé de loin les attentes' en ce qui concernait son aptitude à fédérer les talents, qu'il 'convenait très bien' pour le poste pour sa vision stratégique et la responsabilité de l'objectif, pour la mise en place et le suivi opérationnel, et pour la délégation et l'accompagnement et qu'il 'n'était pas ou pas encore au niveau' pour la mise en place et le suivi opérationnel.

En conclusion, il est spécifié que M. [W] 'convenait très bien pour le poste' qu'il pourrait s'imposer en n° 2 indiscutable et incontournable de l'organisation en gardant la main sur les activités opérationnelles, en contribuant encore à l'évolution de la société Telegate France et en utilisant son leadership naturel pour mettre en place un mode de gestion qui lui convienne plus naturellement (forme et rythme de communication à définir et tenir pour 'proposer' plutôt que 'subir').

Aucun document n'est versé pour appréhender la réalité du blocage de communication alléguée entre les membres de l'équipe de M. [W] et des autres directions, et la fréquence des absences sans aucune information préalable sur leur durée.

Par ailleurs, M. [W] explique qu'il a de l'ouverture du service à la montée en charge, en avril 2006 retenu le format des réunions plénières et pendant les deux mois de montée en charge soit en avril et mai 2006, fixé un mode de management resserré avec des réunions avec chacun de ses quatre collaborateurs directs, qu'à compter du mois de Juin 2006, s'est mise en place une instance le 'Codops' avec ses quatre principaux collaborateurs, qui avaient pour consignes d'informer les collaborateurs des décisions de la 'Codir'dont il leur faisait part.

M. [W] n'est pas contredit quand il soutient que ce mode d'organisation a été mis en place au sein de deux autres services les plus importants en termes d'effectifs.

Enfin, n'est pas davantage combattu l'argument opposé par M. [W] sur le fait que la plupart des salariés avaient refusé de signer les avenants au contrat de travail qui leur étaient proposés en raison de la modification du système de bonus.

Les retards pris pour l'envoi à la direction des avenants signés ne lui sont pas imputables puisque les critiques émises par les salariés relevaient de la politique salariale menée par l'entreprise et ne concernaient pas le rôle d'animateur d'une équipe qui incombait à M. [W]. Une lettre de M. [U] qui voulait justifier l'intérêt de la modification proposée conforte cette analyse.

Sur le motif pris de la carence dans les informations tant à l'égard des allemands qu'en interne :

M. [W] admet qu'une crise a eu lieu entre les directions allemande et française à la fin de l'été 2005 liée à un écart culturel important entre les modes de gestion des projets techniques allemands et le mode standard en France.

Il fait aussi état de l'absence de toute décision de M. [U] et des actionnaires pendant l'été.

Cependant, M. [W] justifie avoir, à l'ouverture au mois de novembre 2005, mis en place un système de reporting et un ensemble de documents opérationnels stockés sur un serveur accessible aux équipes allemandes en permanence.

La crise de communication de l'été 2005 qui n'a pas été directement évoquée dans le cadre de l'entretien d'évaluation de Janvier 2006 avait donc été surmontée.

En ce qui a trait à la facturation Orange, il n'est pas établi que M. [W] ait une responsabilité directe sur les difficultés de compréhension de l'équipe allemande à propos de l'erreur qu'elle commettait.

Sur le motif tiré des insuffisances en matière de transmission interne :

Pour prétendre établir la réalité de ce motif, l'employeur verse aux débats plusieurs courriels échangés et dont l'un des auteurs est Mme [S]

Le 23 Août 2006, Mme [S] adressait un mail à Mme [F] aux termes duquel elle faisait le constat suivant 'pas de réponse à aujourd'hui'... Est joint le mail adressé à M [W] le vendredi 28 juillet 2006 à 13h26 aux termes duquel elle demandait à celui-ci un résultat relatif aux suivis des données et du coût des données à propos d'une régularisation de 2005 /2006.

Le 23 Août 2006, Mme [S] adressait un autre mail à Mme [F] aux termes duquel elle faisait état du constat suivant 'pas de réponse'. Est joint le courriel adressé à M. [W] en date du 28 juin 2006 aux termes duquel elle demandait que soit complétée une liste.

Le 23 Août 2006, Mme [S] adressait encore un mail à Mme [F] aux termes duquel elle faisait état du constat suivant 'pas de réponse'. Est joint le courriel adressé à M. [W] en date du 6 juin 2006 qui faisait état des différences existant entre les statistiques du service et celles de '[C] et [Z]'. Mme [S] demandait que fut élucidée la question de cette différence.

Mme [S] concluait ce courriel en précisant 'Urgence faible, si j'ai une conclusion début juillet pour la prochaine facture, cela me suffit'.

M. [W] sur ce dernier courriel justifie avoir transmis la question à l'un de ses collaborateurs et explique dans le message de transfert que la demande deviendrait urgente lors de l'installation du serveur.

Aucune contradiction n'est apportée sur l'appréciation de l'urgence avant l'installation du serveur.

En tout état de cause, l'employeur met en avant trois défauts de réponse toutes constatées le même jour, et qui plus est au cours de la période des vacances d'été.

Ces trois constats ne permettent pas en l'absence de rappels et au cours de la période estivale souvent perturbée par les congés de caractériser une incurie professionnelle sérieuse.

Sur le motif tiré des relations entretenues avec des sociétés prestataires de services :

Il résulte des déclarations et conclusions concordantes des parties que M. [B], l'un des membres de l'équipe de M. [W] avait des liens étroits avec deux sociétés prestataires de service avec lesquelles la société Telegate France entretenait des relations d'affaires au risque de conflits d'intérêts.

Il est établi par les courriels qui étaient effectivement adressés à M. [W] pour connaître le coût des prestations et les comparaisons de prix possible avec d'autres partenaires, que la direction avait une parfaite connaissance et conscience de la situation et ne peut lui imputer la responsabilité de la lenteur du processus de recrutement d'un responsable des données, décidé en février 2006 soit plus de six mois après l'embauche en pleine connaissance de cause de M. [B], pour réduire la dépendance avec l'une des sociétés.

Au surplus, il est reproché à M. [W] d'avoir engagé l'entreprise dans le cadre d'une commande faite le 17 Août 2006 pour un montant de 7000 € à l'une des deux sociétés en prévoyant un paiement à réception, sans respecter les procédures propres à l'entreprises qui exigent deux signatures et n'autorisent aucun règlement à réception.

Toutefois, M. [W] n'est pas contredit quand il explique d'une part, que toute commande fait l'objet de l'apposition d'un numéro lors de sa passation par la responsable administrative et financière qui avait la possibilité de la bloquer si elle n'était pas fondée, d'autre part, que la société Telegate France avait parfaitement connaissance du fait que les relations avec Nightingale étaient rendues nécessaires du fait d'un développement spécifique qu'aucun autre partenaire n'aurait accepté de reprendre à sa charge, sinon à un coût prohibitif.

Il n'est au surplus pas démontré qu'il a été demandé à M. [W] de cesser toutes relations avec ces sociétés malgré le conflit d'intérêts connu avec ces sociétés.

Il s'ensuit que dans le contexte du lancement des renseignements téléphoniques, en deux temps et plus spécialement avec une montée en puissance à compter du 3 avril 2006, avec un système dont le manque de fiabilité technique avec une répercussion sur la facturation avait été évoqué par M. [W] dès Octobre 2005, la société Telegate France ne fait pas état d'éléments assurément imputables au salarié et suffisamment sérieux pour justifier le licenciement prononcé.

Le jugement déféré sera en conséquence confirmé en ce qu'il a considéré que le licenciement ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse.

Sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :

M. [W] avait une ancienneté de 18 mois lorsqu'il a été licencié.

L'indemnité allouée à ce titre doit correspondre au préjudice subi.

Force est de constater qu'alors que les qualités professionnelles de M. [W] lors de l'évaluation en janvier 2006 ont été dûment relevées, son licenciement intervenu en septembre 2006 pour de prétendues insuffisances professionnelles présente un caractère vexatoire.

Par ailleurs M. [W] a créé une société en avril 2007, dont il est le gérant. La société Telegate France fait valoir que cette société a réalisé un chiffre d'affaires de l'ordre de 447 000 € dès la première année, et de près d'un million d'euros l'année suivante, ce qui démontre, au demeurant la réalité de compétences professionnelles de M. [W].

Il a néanmoins perçu des indemnités de chômage jusqu'au 16 août 2008.

Dans ce contexte, l'indemnisation retenue par le conseil de prud'hommes est insuffisante.

Le jugement déféré sera infirmé.

Ce préjudice sera équitablement réparé par l'allocation d'une somme de 75'000 €.

Sur l'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile :

L'équité commande non seulement de confirmer le conseil de prud'hommes en ce qu'il a alloué à M. [W] une indemnité au titre des frais de procédure mais aussi de lui octroyer une indemnité de 2500 € pour les dépenses qu'il a été contraint d'engager en cause d'appel en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Statuant contradictoirement et publiquement,

Confirme le jugement entrepris sauf en ce qui concerne le montant de l'indemnisation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Le réforme sur ce point,

Statuant à nouveau,

Condamne la société Telegate France à verser à M. [W] une somme de 75'000 € à titre d'indemnité pour le licenciement sans cause réelle et sérieuse outre une indemnité de 2500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

Condamne la société Telegate France aux entiers dépens.

LE GREFFIER, LA PRESIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 08/10383
Date de la décision : 10/06/2010

Références :

Cour d'appel de Paris K8, arrêt n°08/10383 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2010-06-10;08.10383 ?
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