Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 5
ARRET DU 8 JUIN 2010
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 08/10678
Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Mai 2008 -Tribunal de Grande Instance de CRETEIL - RG n° 06/08000
APPELANTE
S.A. AIG EUROPE pris en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 7]
[Localité 4]
représentée par la SCP BOLLING - DURAND - LALLEMENT, avoués à la Cour
assistée de Me Joaquim RUIVO, avocat au barreau de PARIS, toque : A700
INTIME
Société LESEIN pris en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée par la SCP DUBOSCQ - PELLERIN, avoués à la Cour
assistée de Me William MODERE, avocat au barreau de CRETEIL, toque : PC41
INTIME
Société MAAF ASSURANCES assureur de la société LESEIN pris en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 6]
[Localité 3]
représentée par la SCP GOIRAND, avoués à la Cour
assistée de Me Bertrand LEFEBVRE, avocat au barreau de PARIS, toque : D 1226
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats :
Mme Janick TOUZERY-CHAMPION , conseiller, siégeant en application de l'article 786 du code de procédure civile à laquelle les avocats ne se sont pas opposés.
Lors du délibéré :
Mme S. GARBAN, président
Mme Janick TOUZERY-CHAMPION et Mme Sylvie NÉROT, conseillers
GREFFIER
Lors des débats :
Mme Marine RIGNAULT
DEBATS
A l'audience publique du 05.05.2010
Rapport fait par Mme [E] [G] en application de l'article 785 du CODE DE PROCÉDURE CIVILE
ARRET
Rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
Signé par Mme S. GARBAN, président, et par D. BONHOMME-AUCLERE, greffier
*************************
La société DUBOIS, assurée auprès de la société AIG EUROPE, exploite un magasin de meubles et de produits électroménagers sous l'enseigne BUT composé d'un hall d'exposition et d'un dépôt de stockage, situé [Adresse 2] dans le Val de Marne.
Selon devis du 9 janvier 2003, la société DUBOIS a confié à la société LESEIN , entreprise de couverture plomberie, des travaux de réfection de deux fuites sur la toiture du magasin, nettoyage et réparation partielle des chéneaux.
Le 19 mars 2003 se déclarait dans ces locaux un violent incendie détruisant la charpente, la toiture des réserves n° 5 et 6 et le stock de produits et matériels entreposés.
Par ordonnance du 2 avril 2003 le juge des référés du Tribunal de grande instance de Créteil a désigné M.[P] en qualité d'expert pour rechercher les causes du sinistre et les préjudice subis.
Les 11 et 20 juillet 2006, la société AIG EUROPE a fait assigner la société LESEIN et l'assureur de cette dernière la société MAAF ASSURANCES devant le Tribunal de grande instance de Créteil, qui par jugement du 6 mai 2008 l'a déboutée de toutes ses demandes.
Par conclusions récapitulatives du 17 octobre 2008, la société AIG EUROPE, appelante, requiert l'infirmation de la décision entreprise. Elle soutient que la société LESEIN est entièrement responsable de l'incendie survenu le 19 mars 2003 et sollicite la condamnation solidaire de cette dernière et de la compagnie MAAF ASSURANCES à lui payer en sa qualité de subrogée dans les droits de la société DUBOIS la somme de 4.102.072 € au titre des préjudices subis avec intérêts au taux légal à compter du 11 juillet 2006 outre la somme de 10.000 € par application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par conclusions récapitulatives du 16 janvier 2009, la société LESEIN, intimée formant appel incident, poursuit la confirmation du jugement querellé. Elle prétend que la preuve de l'incendie n'est envisagée par l'expert que de façon purement hypothétique, sans aucune certitude sur son origine exacte et que la preuve de sa faute ou négligence contractuelle en lien de causalité avec le dommage n'est nullement rapportée. Elle souhaite l'allocation d'une somme de 10.000 € en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile. A titre subsidiaire, elle fait valoir que la défaillance du système de sécurité incendie imputable à la société DUBOIS, aux droits de laquelle se trouve la société AIG EUROPE a occasionné une aggravation supérieure à 50 % des dommages matériels et immatériels allégués. Elle ajoute que la preuve des pertes d'exploitation n'est aucunement établie dans le principe et le quantum en l'absence de prise en considération des choix stratégiques commerciaux de la direction et des aggravations de dommages qui lui sont imputables. Plus subsidiairement encore, elle souhaite la garantie de la société MAAF, conformément à sa police d'assurance qui prévoit un plafond de garantie à hauteur d'une somme de 1.524.491 € dont 152.450 € au titre des préjudices immatériels.
Par conclusions récapitulatives du 27 janvier 2009, la société MAAF ASSURANCES intimée formant appel incident, s'associe à la demande de confirmation du jugement et au rejet des prétentions de la société AIG EUROPE. Elle affirme que la cause du sinistre n'est pas établie et que les conclusions de l'expert sont contestables et non justifiées. Dans l'hypothèse où la Cour retiendrait la responsabilité de la société LESEIN, elle estime que le recours de la société AIG EUROPE est limité à la somme de 829.017 € au titre des dommages matériels et 2.300.000 € au titre des dommages immatériels. Elle oppose ses limites de garantie, la franchise et le plafond de garantie, soit une somme de 1.524.491 € dont la somme de 152.450 € au titre des dommages immatériels. Elle réclame l'octroi d'une somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
La Cour renvoie pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR:
Sur la responsabilité de l'incendie:
Considérant que l'expert M.[P], après avoir examiné diverses causes possibles de l'incendie, a retenu que les travaux en cours d'exécution par l'entreprise LESEIN, qui consistaient à assurer l'étanchéité de la toiture et des chenaux du magasin BUT en bouchant les fissures par des produits bitumeux, étaient à l'origine de ce sinistre ;
Que l'expert a d'abord déterminé le lieu d'origine de l'incendie grâce aux photos prises alors que le feu n'était pas entièrement éteint et à ses constatations matérielles; qu'il a remarqué que la dalle de matériau élastomère bitumeux présentait des indices d'une température maximale, qu'il en a déduit que le feu avait pris naissance dans le coin nord-est du bâtiment,' en partie haute de la réserve n°6 à l'emplacement où, à trois mètres de hauteur des meubles en bois de pin étaient stockés sur une mezzanine construite en bois', sous la mezzanine au niveau du sol il ne reste que quelques éléments métalliques des canapés ;
Qu'il a expliqué que pour qu'un incendie prenne naissance, trois conditions sont nécessaires dans un même lieu: la présence de combustibles, la disponibilité d'un comburant, la possibilité d'un apport d'énergie, lesquelles conditions ont été remplies selon l'expert avec les travaux effectués par l'entreprise LESEIN ;
Que lors de la première réunion cette entreprise avait affirmé à l'expert que ses employés avaient effectué des travaux à froid, ce qui était en contradiction avec les termes du devis et la présence sur le toit d'une bouteille à propane, attestée par les photographies prises le jour de l'incendie; que l'utilisation d'un chalumeau par les ouvriers de l'entreprise LESEIN au moins le 18 mars 2006, veille de l'incendie est reconnue par celle-ci dans ses dernières écritures ;
Que l'homme de l'art a examiné tous les tronçons de chenaux et notamment ceux situés à l'extrémité de la réserve n° 6 dans la zone où il avait situé le départ du feu, chenaux qui présentaient des perforations importantes comme le montrent les photographies en page 31 du rapport ; qu'il en a déduit que la pose d'un produit bitumeux à chaud dans ces chenaux provoquait inévitablement la chute de gouttes à une température supérieure à 300 °, sinon enflammées, et qu'il était également inévitable que des étincelles traversent les chenaux défectueux et que des gouttes d'acier en fusion se détachent des lèvres des trous et tombent sur la mezzanine en bois, où étaient stockés des meubles en bois de pin ;
Qu'il a donc considéré que la source d'énergie la plus probable est constituée de gouttes de bitume enflammées ou d'étincelles métalliques incandescentes produites par le chalumeau au propane utilisée le 18 ou 19 mars 2006; qu'il en est résulté un feu couvant qui a ensuite évolué pour devenir un incendie développé ;
Que l'expert a vérifié, contrairement aux allégations des sociétés intimées, les autres hypothèses possibles ; qu'ainsi il a écarté l'hypothèse d'une origine électrique en raison de la qualité de l'installation récente ainsi que de la distance entre les lampadaires et le stockage, de l'absence de chauffage des locaux et d'orage le jour du sinistre ;
Que de même il n'a pas retenu l'hypothèse accidentelle d'un mégot de fumeur, du fait du lieu de naissance du feu dans la zone de stockage des meubles en pin et de la circonstance qu'une cigarette non éteinte au contact de bois récent, qui contient trop d'humidité, ne peut donner naissance à un incendie, le bout de cigarette allumé ne produisant pas suffisamment d'énergie pour provoquer la pyrolyse ;
Qu'en ce qui concerne un acte de malveillance, il a souligné qu'il n'existe aucun indice tangible, aucune effraction et mobile; que par ailleurs, il était impossible de mettre le feu dans les meubles en pin ou dans le plancher de la mezzanine directement avec la flamme d'un briquet ou d'une allumette; qu'enfin il aurait été nécessaire de constituer un foyer primaire constitué de papiers ou de bois, ce qui est d'autant plus improbable qu'il aurait été facile de provoquer la mise à feu directement dans la zone où étaient stockés les matelas ou les salons; Qu'il a encore écarté comme cause de l'incendie l'hypothèse du chariot électrique, dans la mesure où les températures qu'il a subies n'ont pas été suffisantes pour en déformer les tôles et où un câble de jonction des batteries n'a pas fondu; qu'il a enfin procédé à un essai au chalumeau sur le bitume au sol démontrant son caractère ininflammable ;
Que les objections opposées par les intimées à propos des autres hypothèses, qui ne sont étayées par aucune pièce, n'ont pas un caractère sérieux face à l'hypothèse d'un feu couvant en partie haute retenue par l'expert, dont les manifestations peuvent ne pas avoir été remarquées; que les perforations des chenaux si elles sont susceptibles de laisser passer des gouttes de bitume ou des étincelles ne peuvent en aucun cas entraîner, comte tenu de leur petitesse, une inondation des lieux en cas de pluie; que l'entreprise LESEIN ne précise ni ne justifie de la formation et de l'expérience des ouvriers ayant utilisé le chalumeau; que l'expert a procédé à toutes les investigations possibles, soulignant que compte tenu de l'enchevêtrement des vestiges de la toiture, de la charpente et des meubles, il n'est pas possible de déterminer une zone particulière où il serait instructif d'effectuer des prélèvements ;
Que l'expert a estimé en définitive que la société LESEIN n'avait pas respecté les règles de l'art en ce qu'elle n'avait pas mis en place, dans un établissement recevant du public dont l'activité était poursuivie, des mesures de sécurité appropriées , notamment en établissant un permis de feu, en protégeant le stockage par une distance de 15 mètres au droit des travaux ou par la couverture des marchandises de bâches ininflammables, en surveillant le stockage pendant et après la fin des travaux et en ce qu'elle a posé un produit d'étanchéité sur des chenaux en mauvais état; que ces fautes, qui ont permis la survenue du sinistre, engagent donc la responsabilité contractuelle de la société LESEIN sur le fondement de l'article 1147 du Code civil;
Que néanmoins, M.[P] a relevé, d'une part, que l'absence de fermeture de la porte coupe-feu (entravée par des matériels) qui séparait les réserves 5 et 6, a provoqué la propagation de l'incendie à la réserve n° 5, d'autre part, que le système de sécurité incendie n'a pas fonctionné puisque le personnel n'a pas pu armer les lances à incendie du réseau RIA, causes constitutives d'une aggravation du sinistre ;
Que c'est donc à juste titre que les sociétés intimées se prévalent des imprudences imputables à la société DUBOIS (qui n'a pas respecté les règles relatives aux établissements recevant du public) en relation de causalité avec l'aggravation du dommage dont celle-ci se plaint ;
Sur le préjudice et la garantie de la société :
Considérant que l'expert a estimé que le montant total des dégâts (comprenant les dommages directs et la perte d'exploitation) évalué à la somme 4.102.072 € aurait pu être réduit à la somme de 3.268.550 € si la porte coupe-feu n'avait pas été bloquée ;
Qu'il n'a pas, comme le prétend à tort la société LESEIN, constaté que les dommages matériels auraient été limités à 829.017 € HT si les portes coupe-feu avaient fonctionné mais a réduit tant les dommages directs que la perte d'exploitation d'une somme globale de 833.522 €, pour tenir compte de l'imprudence de la société DUBOIS qui a contribué à l'aggravation des dommages; que la société LESEIN, qui ne verse aux débats aucune analyse comptable ou pièce contraire , ne saurait sérieusement critiquer ces chiffres ;
Que par conséquent la société DUBOIS n'est fondée à réclamer à la société LESEIN que la somme de 3.268.550 €;
Qu'en revanche, la société MAAF ASSURANCES soutient , sans être contredite par la société AIG EUROPE, que les sommes de 131.671 € pour clause de conversion et 66.402 € au titre des pertes indirectes lui sont opposables eu égard à la convention d'abandon de recours pour le rachat de la valeur à neuf, les honoraires de l'expert d'assuré et les pertes indirectes en sa qualité d'adhérente à la FFSA ;
Que par conséquent, le droit de recours de l'appelante est limité à l'égard de la société MAAF ASSURANCES à la somme de 829.017 € au titre des dommages matériels et de 2.300.000 € au titre des dommages immatériels ;
Qu'en toute hypothèse la société MAAF ASSURANCES ne peut être tenue au-delà des limites de garantie de la police souscrite par la société LESEIN soit pour le plafond de garantie une somme de 1.524.491 € dont 152.450 € au titre des dommages immatériels et la franchise,
Considérant qu'aucune circonstance d'équité ne commande l'application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, en faveur de l'une ou l'autre des parties ;
PAR CES MOTIFS:
Infirme le jugement en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Déclare la société LESEIN responsable du sinistre survenu le 19 mars 2003 ,
Mais dit que la faute commise par la société DUBOIS a occasionné une aggravation du dommage qu'elle a subi;
Condamne la société LESEIN à régler à la société AIG EUROPE, subrogée dans les droits de la société DUBOIS la somme de 3.268.550 €,
Dit que le droit à recours de la société AIG EUROPE à l'égard de la société MAAF ASSURANCES est limité à la somme de 829.017 € au titre des dommages matériels et de 2.300.000 € au titre des dommages immatériels
Dit que la société MAAF ASSURANCES ne peut être tenue à l'égard de son assurée la société LESEIN que dans la limite de 1.524.491 € dont 152.450 € au titre des dommages immatériels, constituant son plafond de garantie et dans la limite de la franchise;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de quiconque,
Condamne in solidum les sociétés LESEIN et MAAF ASSURANCES aux dépens de première instance et d'appel comprenant les frais d'expertise, à hauteur de 3/4 et la société DUBOIS à hauteur d'un quart, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le Greffier, Le Président,