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16/04/2010 | FRANCE | N°07/07639

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 16 avril 2010, 07/07639


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRET DU 16 Avril 2010

(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 07/07639 - MPDL



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 18 Octobre 2007 par le conseil de prud'hommes de CRETEIL section encadrement RG n° 04/02427



APPELANT



1° - Monsieur [B] [W] [L]

[Adresse 2]

[Localité 3]

comparant en personne, assisté de Me Isabelle GRELIN, av

ocat au barreau de PARIS, toque : C 1930



INTIMEE



2° - SAS AMAFILTER anciennement dénommée SA EUROFILTEC

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Jean-Chri...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRET DU 16 Avril 2010

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 07/07639 - MPDL

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 18 Octobre 2007 par le conseil de prud'hommes de CRETEIL section encadrement RG n° 04/02427

APPELANT

1° - Monsieur [B] [W] [L]

[Adresse 2]

[Localité 3]

comparant en personne, assisté de Me Isabelle GRELIN, avocat au barreau de PARIS, toque : C 1930

INTIMEE

2° - SAS AMAFILTER anciennement dénommée SA EUROFILTEC

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Jean-Christophe BRUN, avocat au barreau de PARIS, toque : P241

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 Mars 2010, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Marie-Pierre DE LIEGE, Présidente, chargée d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Marie-Pierre DE LIEGE, Présidente

Mme Irène LEBE, Conseillère

Mme Marie-Antoinette COLAS, Conseillère

Greffier : Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Mme Irène LEBE, Conseillère, par suite d'un empêchement de la présidente et par Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LES FAITS :

M [T] [L] a été engagé par la SA Eurofiltec, devenue la SAS Amafilter par contrat à durée indéterminée le 5 février 190 au poste de «responsable du groupe d'études matériel», ce contrat faisant suite à une longue série de contrats précaires, quasiment ininterrompue depuis le 10 octobre 1983.

En 1991 il est devenu chef de bureau d'études, coefficient 365.

En 1998 il a été élu membre du comité d'entreprise puis, le 14 février 2001 a été désigné par son syndicat FO en qualité de délégué syndical, créant alors une section syndicale (qui sera dissoute le 11 mars 2004 à la demande du syndicat FO).

Aux dires du salarié c'est à compter de cette date qu'ont débuté des faits de harcèlement moral à son encontre, ces faits prenant place dans un contexte plus général de déstabilisation développé selon M [T] [L] par les responsables de l'entreprise à l'encontre de la section syndicale FO, mais aussi des délégués du personnel et du comité d'entreprise.

L'état de santé de M [T] [L] se détériorant, de manière liée, selon lui, aux pressions qu'il subissait au sein de l'entreprise, il a fait l'objet de nombreux arrêts maladie pour dépression et se trouvait dans l'obligation de saisir le conseil de prud'hommes, le 8 novembre 2004, afin de solliciter la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur.

Parallèlement il a saisi le tribunal correctionnel pour les faits, commis à son encontre dans le cadre de la société par M. [S], directeur général et M. [J], responsable qualité de la société.

Quelques jours après l'audience correctionnelle du 17 novembre 2004, la médecine du travail constatait l'inaptitude de M [T] [L] à tout poste de travail se fondant, vue la gravité de la situation sur l'article R.241-51-1 du code du travail dans sa numérotation de l'époque. Le 30 novembre 2004 l'employeur proposait un reclassement sur un poste de «magasinier», proposition refusée le 13 décembre 2004.

Le salarié était convoqué le jour même à un entretien préalable à licenciement.

Le 3 février 2005 après avoir obtenu l'accord de l'inspection du travail «compte tenu des circonstances du cas d'espèce» la SA Eurofiltec licenciait le salarié.

Contestant, devant la formation de référé, le solde de tout compte qui était remis, comme ne lui reconnaissant pas le statut de cadre et faisant valoir que l'employeur n'avait pas dénoncé la clause de non-concurrence dans les délais prévus par son contrat et avait refusé de lui verser la contrepartie financière, M [T] [L] obtenait devant cette juridiction, par ordonnance du 20 juillet 2005, une condamnation de la société à lui verser une provision de 1.000 € sur l'indemnité de clause de non-concurrence et 150 € pour frais irrépétibles en application de l'article 700, du code de procédure civile, la formation de référé se disant incompétente pour statuer sur les autres chefs de demandes.

Devant le conseil de prud'hommes, en formation de jugement, M [T] [L] soutenant que son ancienneté devait remonter au 10 octobre 1983, que sa fonction relevait du statut cadre et que son employeur avait fait preuve à son égard d'une résistance abusive, a demandé la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur pour harcèlement moral, violation du statut protecteur, ainsi que diverses indemnités ou compléments d'indemnités consécutifs, notamment, au licenciement, en application du statut cadre.

Par décision du 18 octobre 2007 le conseil de prud'hommes de Créteil, section encadrement, a débouté le salarié de sa demande de reprise d'ancienneté à la date du 10 octobre 1983 ainsi que de sa demande de statut 'cadre' faisant notamment référence aux mentions portées sur le bulletin de salaire.

Il a accordé une somme de 162.7,28 € au titre de la clause de non-concurrence, celle-ci ayant été, selon les premiers juges, levée 20 jours après la rupture du contrat de travail et a débouté le salarié de sa demande de résiliation judiciaire pour harcèlement moral. Il lui a été accordé 1.000 € pour frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile, les parties étant déboutées de leurs autres demandes.

M [T] [L] a régulièrement formé le présent appel.

Il demande à la cour de lui reconnaître le statut de cadre, de fixer son ancienneté au 10 octobre 1983, de prononcer la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur, de constater la violation de son statut protecteur, et, renouvelant dans leur intégralité les demandes formulées en première instance, de condamner en conséquence la SAS Amafilter à lui verser les sommes suivantes :

-. 39.862,76 € pour complément d'indemnité conventionnelle de licenciement, ou subsidiairement 26.958,19 €.

- 12.204,81 € pour complément d'indemnité de préavis, congés payés de 10 % en sus ;

- 45.063,96 € d'indemnité pour violation du statut protecteur ;

- 135.191,90 € pour indemnité de licenciement sans cause réelle ni sérieuse ;

ou, à titre subsidiaire, la même somme pour préjudice professionnel et moral subi par le salarié ;

- 346,65 euros d'indemnité de congés payés (trois jours) ;

- 28.291,52 € d'indemnité de non-concurrence avec intérêts au taux légal à compter du 25 juillet 2005 ;

- remise de bulletins de paie conformes de mai 2005 à avril 2006 sous astreinte de 100 € par jour de retard ;

- établissement d'un certificat de travail et d'une attestation ASSEDIC conformes à la décision à intervenir sous même astreinte ;

- 10.000 € de dommages et intérêts pour résistance abusive.

En cause d'appel le salarié sollicite 6.000 € pour frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La SAS Amafilter qui vient aux droits de la SA Eurofiltec soutient que les demandes de M [T] [L] ne sont pas fondées et demande à la cour, de le débouter de l'intégralité de celles-ci.

Pour l'employeur, M [T] [L] qui avait échoué en mars 2000 devant le conseil de prud'hommes de Villejuif dans son action visant à faire annuler les élections des délégués du personnel, a manifesté une hostilité certaine à l'égard de la société et de ses collègues, notamment après l'échec de sa candidature aux élections des délégués du personnel, multipliant les procédures à l'encontre de la société ou de ses dirigeants, cherchant, selon l'employeur, à assouvir ainsi sa rancoeur et obtenir un départ négocié.

Aussi, rappelant que la procédure pénale engagée par le salarié à l'encontre de deux responsables de l'entreprise pour des agissements de harcèlement moral a échoué, en première instance comme devant la cour d'appel, et que la CPAM a rejeté par décision du 23 septembre 2005 la demande d'indemnisation au titre des accidents du travail, l'employeur, qui souligne qu'en tout état de cause, il n'avait pas d'autre choix que de licencier M [T] [L] du fait de son inaptitude, demande à la cour de débouter le salarié de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail à ses torts, et de toutes demandes en découlant.

L'employeur souligne en outre l'absence du syndicat FO aux côtés de M [T] [L] et rappelle la démission de M. [X] [J], initiateur à ses côtés de la section FO, mais disant ne plus s'y reconnaître.

Il rappelle en outre que le salarié étant protégé, le licenciement de l'intéressé a fait l'objet d'une autorisation par l'inspection du travail délivrée le 2 février 2005, décision d'autorisation qui n'a jamais été contestée par le salarié et est donc devenue définitive et ne saurait être remise en cause par le juge judiciaire.

L'employeur soutient par ailleurs que «le simple statut d'assimilé cadre n'entraîne pas la reconnaissance du statut cadre» qui, en outre, ne résulte pas uniquement de l'adhésion à un régime de retraite de cadres. Il soutient donc que le salarié, qui bénéficiait du coefficient 365 correspondant à un statut d'agent de maîtrise, doit être débouté de ses demandes découlant du statut cadre.

La SAS Amafilter demande donc à la cour de débouter le salarié de l'ensemble de ses demandes, d'ordonner le remboursement des 563 €correspondant selon l'employeur à un trop-perçu au titre de l'indemnité de licenciement et de le condamner à verser 4.000 € pour frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile.

À titre subsidiaire et pour l'hypothèse où la cour reconnaîtrait à M [T] [L] le statut de cadre, il demande d'ordonner le remboursement des primes d'ancienneté perçues en qualité d'agent de maîtrise à hauteur de 25.567 €.

L'entreprise compte plus de 11 salariés.

Le salaire brut moyen mensuel de M [T] [L], sur les 12 derniers mois est de 4.068,27 €, 13e mois inclus.

La convention collective applicable est celle de la métallurgie ingénieurs et cadres

LES MOTIFS DE LA COUR :

Vu le jugement du conseil de prud'hommes, les pièces régulièrement communiquées et les conclusions des parties, soutenues oralement à l'audience, auxquels il convient de se référer pour plus ample information sur les faits, les positions et prétentions des parties.

Sur la reprise d'ancienneté au 10 octobre 1983 :

Le salarié qui dit avoir bénéficié de manière continue d'une série de 26 contrats 'à durée déterminée d'intérim' depuis cette date jusqu'au 5 février 1990, date de son CDI, sollicite une reprise d'ancienneté à compter de la conclusion de son premier contrat en application de l'article L.122-3-10, alinéa 3 du code du travail, devenu L.1243-11. Il revendique donc une ancienneté de 21 ans et 8 mois, à la place des 17,5 ans reconnus par l'employeur.

L'employeur, suivi par le conseil de prud'hommes distingue les trois premiers contrats, des contrats à durée déterminée ayant pris fin le 31 décembre 1987, des 23 contrats de durée variable conclus postérieurement sous le régime de l'intérim et pour des emplois qu'il dit différents, invoquant les dispositions de l'article L.1251-38 du code du travail qui limitent, dans ce cas, la reprise d'ancienneté à trois mois.

Il ressort de l'examen des 26 certificats de travail ou contrat produits que l'essentiel des missions confiées au salarié, sous la forme initialement de contrats à durée déterminée, pendant plus de 4 ans, puis de contrats intérim, correspondaient dans leur grande majorité à des tâches de 'dessinateur, projeteur tuyauterie', parfois 'dessinateur projeteur chaudronnerie tuyauterie', le salarié étant pour l'ensemble de ces missions affecté au sein de la SA Eurofiltec.

De même, en ce qui concerne les 23 contrats d'intérim qui ont suivi, ceux-ci ne pouvaient davantage avoir pour objet ou pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice (Article L.1251-5 et suivants du code du travail numérotation de l'époque).

Aucune des parties ne produisant les contrats eux-mêmes, les motifs de recours aux contrats à durée déterminée sont invérifiables par la cour, et rien ne confirme que les parties se seraient trouvées dans l'une des exceptions prévues par l'alinéa 2 de l'article L.122-3-10 du code du travail, ni que les délais de carence ont été respectés.

Le seul contrat produit correspondant à la période du 8 janvier 1990 au 2 février 1990 ne porte mention d'aucun motif de recours.

L'enchaînement quasiment parfait et ininterrompu de ces contrats, et pour une durée largement supérieure aux délais légaux, démontre, au contraire, que M [T] [L] a, en réalité, occupé de manière durable un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice, le recours successivement à la formule du contrat à durée déterminée puis du contrat d'intérim, et les légers changements de dénomination quant aux missions ne visant manifestement qu'à écarter, de manière frauduleuse, les dispositions légales limitant le recours à ces formes de contrats à durée déterminée.

L'employeur ne peut invoquer des contrats d'intérim irréguliers pour limiter l'ancienneté à une durée de trois mois, en invoquant l'article L.1251-38 du code du travail, alors que la succession de contrats à durée déterminée puis de contrats d'intérim implique de faire droit à la demande de requalification en CDI formulée par le salarié, et ce depuis l'origine.

De la même manière l'employeur n'est pas recevable à invoquer l'accord des parties sur la date du 31 janvier 1989, dans la mesure où celle-ci ne résulte en tout état de cause que d'une lettre d'embauche signée par le seul employeur, datée du 5 février 1990 et non pas d'un document contractuel.

Aussi, la cour, infirmant également en cela le conseil de prud'hommes, fera droit à la demande du salarié qui revendique une ancienneté à compter du 10 octobre 1983.

Le salarié justifiait donc une ancienneté totale de 21 ans et 8 mois

Sur le statut cadre et les demandes afférentes :

Le litige à ce sujet a surgi à propos du solde de tout compte.

Le salarié, tout en admettant que ses bulletins de salaire portaient la mention « assimilé cadre» soutient qu'il n'en était pas moins cadre du fait de ses fonctions, ses responsabilités, son expérience professionnelle, rappelant qu'en outre il bénéficiait d'une caisse de retraite et prévoyance «cadre».

L'employeur conteste cette revendication rappelant que les bulletins de salaire portaient la mention «cadre assimil» et que M [T] [L] bénéficiait du coefficient 395 correspondant à un statut d'agent de maîtrise. Il rappelle que le protocole national de la métallurgie appliquée aux OETAM est applicable aussi aux «assimilés» et conteste que le salarié ait disposé d'une autonomie et de responsabilités correspondant à un statut de cadre, rappelant qu'il ne bénéficiait pas non plus de convention de forfait et avait toujours reçu la prime d'ancienneté, obligatoire pour les agents de maîtrise, mais à laquelle les cadres n'ont pas droit.

L'employeur soutient donc n'avoir jamais souhaité faire bénéficier M [T] [L] du statut cadre.

La cour relève tout d'abord, que si le statut de M [T] [L] peut effectivement donner matière à discussion, la responsabilité première en incombe à l'employeur qui a pour obligation évidente de proposer à ses salariés les dispositions contractuelles claires.

Or, le document fondateur du contrat à durée indéterminée concédé par l'employeur le 5 février 1990, n'est pas un document contractuel mais une simple lettre d'embauche.

Ce document précise la qualité de «responsable de groupe d'études matériel», avec un coefficient 365.

Il ne précise en revanche aucun statut de rattachement.

De la même manière, et par une note signée du seul employeur, en date du 20 décembre 1991 le salarié était informé qu'à compter du 1er janvier 1992 il prendrait «la responsabilité de l'ensemble du BE y compris l'activité qui concerne les filtres [M]. La lettre précise «cette promotion s'accompagne des modifications suivantes : nouvelle position de chef de bureau d'études coefficient 365, votre salaire mensuel brut est porté à 17'200 F».

Un seul document contractuel est versé au débat et fait t état du statut de M [T] [L]. Il s'agit de la fiche de définition des fonctions signée des deux parties le 15 janvier 1996. Ce document mentionne le titre de «chef de bureau d'études en précisant «classification cadre coefficient 365 niveau 5 échelon 3».

Ce document, de valeur contractuelle, prime sur les autres éléments invoqués par l'employeur pour soutenir la thèse d'un statut d''assimilé cadre', il est conforté par plusieurs autres éléments, tels que :

- le fait que le salarié cotisait à une caisse de retraite cadre ;

- le fait qu'il se présentait aux élections professionnelles pour le collège cadre, ce que l'employeur ne pouvait ignorer mais n'a pas contesté.

- le fait que depuis 1991 M [T] [L] exerçait des fonctions de chef de bureau, ce qui implique tout à la fois, nécessairement, une certaine autorité, à tout le moins déléguée, sur les membres du personnel composant ce bureau, ainsi qu'une certaine autonomie dans le travail. La fiche de fonction de 1996 sus visée vise d'ailleurs tout à la fois le 'personnel du BE', et les missions confiées au chef de ce bureau.

- la liasse fiscale et les comptes annuels de la SA Eurofiltec mentionnent qu'au 31 juillet 2000 aucun ETAM ne compose les effectifs de la société qui compte en revanche 12 cadres.

- le 9 mars 2001 l'employeur écrivait au salarié : «vous bénéficiez des congés supplémentaires de la convention cadre ; vous ne pouvez donc pas cumuler avec ceux de la convention OETAM».

- depuis 2002 l'employeur payait au salarié trois jours supplémentaires de congés prévus par l'article 14 de la convention collective cadre.

Aussi, au vu de l'ensemble de ces éléments, la cour considère que l'employeur ne combat pas utilement les arguments du salarié quand celui-ci prétend au statut cadre, quand bien même la SA Eurofiltec a pu, de manière délibérée ou non, entretenir l'incertitude sur le statut exact du salarié, comme par exemple :

- en lui versant une prime d'ancienneté en principe réservée aux agents de maîtrise, ou, quand, par la lettre, non datée, adressée par Eurofiltec après réception d'un courrier du 23 octobre 2000, celui-ci, tout en relevant que le salaire correspondait à la catégorie OETAM, écrivait à [B] [W] «vous êtes parmi le personnel d'encadrement l'un des membres les plus anciens et les plus expérimentés...».

La cour dira donc que M [T] [L] relevait du statut cadre.

Sur les conséquences de ce statut au regard des différentes indemnités dues au salarié :

Compte tenu de ce statut et de l'ancienneté retenue la cour fera droit aux demandes formulées par le salarié :

- à titre de rappel d'indemnité de licenciement, pour 26.958,19 €,

- de rappel d'indemnité de préavis (six mois, en fonction de la convention collective pour tout salarié de plus de 50 ans) pour 12.204,81 €, congés payés 2.220,48 € en sus,

ces montants sollicités et justifiés par le salarié n'étant pas contestés utilement dans leur quantum par l'employeur.

- le salarié relevant du statut cadre devait bénéficier pour l'année 2004/2005 de trois jours de congés supplémentaires qui ne lui ont pas été réglés. L'employeur sera donc condamné à lui verser 346,65 € de rappel à ce titre.

Sur l'indemnité de non-concurrence :

La lettre d'embauche signée de l'employeur le 5 février 1990 disposait «l'article 26 de la convention collective est applicable à l'issue du présent contrat, sauf à ce que la SA Eurofiltec y renonce par lettre recommandée dans le mois suivant la rupture définitive».

Pour combattre la demande du salarié à cet égard, l'employeur fait valoir que l'article 26 de la convention collective mentionnée dans cette lettre ne correspond aucunement à une question de clause de non-concurrence, ni dans les accords nationaux, ni dans la convention collective de la région parisienne.

Cependant, c'est à juste titre, que le salarié indique que la convention collective de la métallurgie, accords nationaux (ouvriers, etam, ingénieurs et cadres) prévoit dans son article 7 l'existence de clause de non-concurrence, le montant de la contrepartie financière due et le fait que l'employeur doit en libérer le salarié dans les huit jours suivant la notification de la rupture du contrat de travail. Aussi, les dispositions de la convention collective doivent-elles s'appliquer, en dépit de l'erreur, d'ailleurs imputable à l'employeur, concernant le numéro de l'article de la convention collective mentionné dans la lettre d'embauche.

En l'espèce le salarié s'est vu notifier son licenciement le 3 février 2005, sans que l'employeur ne le relève de la clause de non-concurrence, ce qui a d'ailleurs amené M [T] [L] à solliciter une ordonnance qui, le 20 juillet 2005, a condamné la société à lui verser une provision de 1.000 € à valoir sur l'indemnité de non-concurrence.

Il n'est pas contesté que le salarié a respecté cette clause de non-concurrence.

Aussi, en application des dispositions de la convention collective, accords nationaux, et le salarié n'ayant pas retrouvé d'emploi, l'employeur qui ne justifie pas avoir libéré M [T] [L] de cette clause, sera condamné à lui verser une indemnité mensuelle correspondant à 6/10 de son salaire, soit sur une année une somme de 28.291,52 €, déduction faite des 1.000 € de provisions déjà obtenus.

Sur la rupture du contrat de travail de M [T] [L] :

La rupture du contrat de travail ayant fait l'objet d'une demande de résiliation judiciaire pour harcèlement moral et manquements à l'obligation de sécurité, antérieure à l'engagement de la procédure de licenciement pour inaptitude, la cour devra tout d'abord examiner le bien-fondé de cette demande de résiliation judiciaire puis, à défaut, le bien-fondé du licenciement pour inaptitude.

La cour relève que le salarié travaillant au sein de la SA Eurofiltec, en réalité depuis l'année 1983, a pendant de nombreuses années manifestement donné toute satisfaction à son employeur, qui a renouvelé ses contrats à durée déterminée à de très nombreuses reprises, avant de le faire bénéficier en 1990 d'un contrat à durée indéterminée et de lui confier en 1991 des responsabilités accrues de chef de bureau.

De toute cette période il n'est fait mention, de part ni d'autre, d'aucun incident.

Il est constant qu'en 1992 la SA Eurofiltec qui comptait alors plus de 50 salariés a été rachetée par un groupe anglais.

En 1998 M [T] [L] a été élu membre titulaire du comité d'entreprise s'engageant immédiatement, ce qui n'est pas discuté, dans un certain nombre d'actions visant notamment à obtenir de la direction le versement de participation due aux salariés pour les années 1992 et 1993, assistant neuf salariés dans le cadre de procédures de licenciement, le comité d'entreprise étant notamment amené à protester à plusieurs reprises contre le défaut d'information dont il disait être victime.

En 1999 un nouveau directeur général était nommé à la tête de l'entreprise, M. [A] [S].

En février 2001 M [T] [L] était désigné comme délégué syndical Force Ouvrière et s'efforçait de créer une section syndicale au sein de l'entreprise.

À partir de ce moment, le salarié soutient qu'il a fait, à cause de son engagement syndical, l'objet de nombreuses difficultés, directement imputables à l'entreprise ou induites par sa direction, vis-à-vis de lui, comme vis-à-vis d'autres délégués du personnel, difficultés qu'il analyse comme constitutives d'un harcèlement moral et qu'il interprète comme le refus par l'employeur du droit d'expression des salariés et de leur organisation sous la forme de section syndicale.

M [T] [L] soutient que tout a été mis en oeuvre par M. [A] [S] et M. [J] (contrôleur qualité) pour porter atteinte à l'image et à la fonction des représentants du personnel, dont lui-même, et accréditer auprès des salariés l'idée de leur inutilité au sein de l'entreprise, le comité d'entreprise n'étant plus convoqué régulièrement et le délégué syndical se voyant privé de tout pouvoir ainsi que les délégués du personnel,

M [T] [L] supportant mal cette situation a alors été victime d'une importante « dépression », médicalement attestée.

De manière évidente, M [T] [L], salarié sérieux et apprécié, s'est trouvé de par sa double qualité de délégué du personnel et représentant syndical, et alors que les pièces du dossier démontrent qu'il était un représentant actif et efficace (réintégration de M. [N], interventions et demandes d'explications diverses dans le cadre des réunions institutionnelles etc.), confronté à une situation de plus en plus dure au sein de l'entreprise, tendant d'une part à réduire l'efficacité de son action et d'autre part à le marginaliser, voire le décrédibiliser.

Des pièces versées au dossier par le salarié (notamment pièces 21 et 22) il ressort que :

- M. [J] secrétaire général du CHSCT contestait, s'adressant notamment au directeur général, la nécessité d'avoir un comité d'entreprise, allant même jusqu'à s'interroger sur l'intérêt de l'existence du CHSCT dont il avait la charge.

- Qu'il en est résulté un premier tour des élections en février 2002 aboutissant à un vote blanc, aucun salarié ne votant pour les délégués FO.

- qu'a ensuite été rédigée une pétition signée par 17 salariés demandant aux syndiqués Force Ouvrière de remettre leur démission d'élus du comité d'établissement Eurofiltec de Rungis, pétition qui aurait été proposée à la signature par M. [X] [J] lui-même signataire du document, selon témoignage d'un stagiaire de l'entreprise.

- que le 24 avril 2002 de M. [K] [I] directeur du personnel adressait un courrier au directeur général proposant explicitement à celui-ci, une stratégie destinée à faire barrage à M [T] [L] dans la perspective des futures élections

- que finalement, le 25 mars 2003 l'inspection du travail a décidé la suppression du comité d'entreprise à la demande du directeur général, les effectifs étant devenus inférieurs à 50 salariés.

Par ailleurs, les éléments produits au dossier et au débat établissent que les tensions étaient fortes, au quotidien, entre la direction et une partie du personnel, d'une part, et la section syndicale Force Ouvrière, d'autre part : apposition d'affiche offensante sur la porte du local syndical, graffitis et notes agressives circulant dans l'entreprise, bande dessinée insultante diffusée dans l'entreprise sans réaction de la part de l'employeur, pétition de février 2002 demandant la démission des syndiqués Force ouvrière... mais aussi termes inutilement agressifs et quelque peu étonnants de la lettre signée du chef du personnel le 1er décembre 2003 à l'attention de M [T] [L] lui reprochant à la suite d'une absence au travail le 3 et 17 novembre un «manquement à son poste» et de n'avoir pas «l'obligeance ou du moins la civilité de (nous) en tenir informé, pas même a posteriori», ceci alors que le salarié justifiait de 20 ans d'ancienneté dans l'entreprise, avait, ce qui n'a pas été utilement contredit, pris contact avec l'assistante du service du personnel pour excuser son absence et finalement adressé un arrêt de travail pour une durée de cinq jours.

L'ensemble de ces éléments atteste de la situation difficile dans laquelle s'est trouvée la section syndicale FO au sein de la SA Eurofiltec, situation qu'a manifestement particulièrement mal supportée M [T] [L], dont tout laisse penser qu'il prenait effectivement à coeur son mandat syndical et était le plus exposé.

Cependant, la cour rappelle que Messieurs [A] [S] et [X][J] ont été relaxé au plan pénal en ce qui concerne les faits de harcèlement moral qui leur étaient reprochés, décision qui s'impose à la cour en ce qui concerne les reproches qui pourraient leur être personnellement réservés.

C'est toutefois à juste titre que le salarié souligne que la relaxe prononcée à l'encontre de deux individus n'implique pas nécessairement qu'il y ait eu l'absence de harcèlement moral de la part de l'entreprise elle-même.

En réalité, les attestations contradictoires produites par chacune des parties et émanant en général de membres du personnel, les unes disculpant la direction et critiquant les délégués syndicaux, les autres accusant la direction de l'entreprise quant à ses agissements vis-à-vis de la section syndicale FO et plus particulièrement de M [T] [L], démontrent la gravité des tensions, induites ou spontanées, qui s'était développées au sein du personnel

ainsi qu'entre certains représentants du personnel et certains représentants de l'équipe de direction.

Pour autant, le débat et les éléments produits au dossier, ne permettent d'établir qu'il y ait lieu de la part de l'équipe de direction, ou de ses 'proches' une stratégie dépassant les limites du 'combat' syndical et anti-syndical admissibles, pouvant s'analyser comme un harcèlement moral au sens que lui donnent la loi et la jurisprudence ; ceci même si la direction de l'entreprise n'a manifestement souvent réagi que mollement et tardivement, refusant d'utiliser son pouvoir disciplinaire comme le lui demandait le représentant de FO, pour tenter de faire baisser la pression et ramener le calme au sein de l'entreprise. (Note d'information du 29 octobre 2002 et courrier du 7 avril 2003 signés de M. [A] [S]).

Aussi, si les circonstances relatées, ne correspondent ni à une situation de harcèlement moral, ni, par conséquent, à un manquement caractérisé de l'employeur à son obligation de sécurité vis-à-vis du salarié, pour autant, les éléments du dossier établissent le lien étroit existant entre l'engagement syndical de M [T] [L], salarié qui justifiait déjà en 2000, de 17 ans d'ancienneté dans l'entreprise, et la rapide et grave détérioration de son positionnement et de sa situation personnelle au sein de celle-ci, tant vis-à-vis de sa hiérarchie que d'un certain nombre de ses collègues, voire de ses subordonnés (M. [P]).

Cette détérioration, flagrante, importante et rapide, en dehors de toute autre circonstance particulière, a manifestement trouvé sa source dans le «dérangement» causé au sein de l'entreprise par l'existence récente et l'activité certaine de la section syndicale FO et de son leader M [B] [W] [L].

Cette dérive a été facilitée par l'attitude adoptée par certains responsables de l'entreprise n'hésitant pas à exprimer clairement leur agacement, voire à encourager par leur laxisme la désolidarisation et au-delà parfois l'agressivité d'une partie du personnel à l'encontre des responsables syndicaux.

Cette attitude de l'employeur, qui n'a pas pris toutes les dispositions nécessaires pour prévenir la détérioration des relations entre les salariés, caractérise une absence de bonne foi dans l'exécution du contrat de travail, fût-ce le contrat de travail d'un représentant syndical peut être 'dérangeant', et constituait une cause réelle et sérieuse de rupture de ce contrat de travail, imputable à l'employeur.

La cour infirmera donc également sur ce point la décision des premiers juges et prononcera la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur, rupture produisant dès lors les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse à la date du 3 février 2005.

Compte tenu des circonstances de l'espèce, de l'ancienneté dans son emploi du salarié, de son âge lors du licenciement et du préjudice qu'il établit avoir subi à la suite de celui-ci la cour fixe à 80.000 € la somme due en application de l'article L.1235-3 du code du travail.

En conséquence, la cour ne statuera pas sur le caractère régulier ou bien-fondé de la procédure de licenciement engagée par l'employeur ultérieurement à la saisine du conseil de prud'hommes pour résiliation.

Mais ce licenciement n'a pas définition pas fait l'objet d'une autorisation de l'inspection du travail alors que le salarié relevait du statut protecteur attaché à sa qualité de délégué syndical en fonction.

En effet, l'autorisation donnée le 2 février 2005 par l'Inspection du Travail concernait son licenciement ultérieur pour inaptitude jugé inopérant par la présente décision.

M. [L] a en conséquence droit à l'indemnité qu'il réclame pour violation de son statut protecteur.

Sur les dommages et intérêts pour résistance abusive :

En l'absence de préjudice clairement établi et distinct de ceux indemnisés à d'autres titres dans le cadre de la présente décision, le salarié sera débouté de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive.

Sur la remise de documents sociaux :

L'employeur devra remettre à M [T] [L] des documents sociaux, certificat de travail, bulletins de salaire rectificatifs et attestation ASSEDIC conformes à la présente décision, aussi bien en ce qui concerne l'ancienneté qu'en ce qui concerne les sommes dues, sans qu'il y ait lieu à prononcer d'astreinte mais rappel étant fait qu'en cas d'inexécution, le salarié pourra saisir le juge de l'exécution.

Sur la demande de dommages et intérêts au titre de l'article 700 du Code de procédure civile :

La Cour considère que, compte tenu des circonstances de l'espèce, il apparaît inéquitable de faire supporter par M [T] [L] la totalité des frais de procédure qu'il a été contraint d'exposer. Il sera donc alloué une somme de 3000 euros, à ce titre pour la procédure d'appel.

PAR CES MOTIFS,

En conséquence, la Cour,

Infirme la décision du Conseil de prud'hommes sauf en ce qui concerne l'indemnité allouée pour frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance,

Statuant à nouveau et y ajoutant :

Dit que M [T] [L] était fondé à solliciter la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur, et que la rupture de ce contrat produit les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et prononcé en outre en violation du statut protecteur du salarié,

Fixe l'ancienneté de M [T] [L] au 10 octobre 1983.

Dit que le salarié bénéficiait du statut cadre.

Condamne la SA Eurofiltec devenue la SAS Amafilter à payer à M [T] [L] :

- 39.862,76 €à titre de complément d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 12.204,81 € d'indemnité de préavis et 1.220,48 € de congés payés afférents,

- 346,65 € de rappel d'indemnité de congés payés 2004/2005,

- 28.291,52 € d'indemnité de non-concurrence, compte tenu de la provision de 1.000 € déjà acquise,

ces sommes avec intérêts au taux légal à compter du jour de leurs demandes devant le conseil de prud'hommes,

- 80.000 € à titre d'indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision,

- 45.063,96 € à titre de dommages-intérêts pour violation du statut protecteur,

Ordonne à l'employeur de délivrer des bulletins de salaire, un certificat de travail et une attestation ASSEDIC rectifiés et conformes à la présente décision,

Déboute les parties de leurs demandes complémentaires ou contraires,

Condamne la SA Eurofiltec devenue la SAS Amafilter à payer à M [T] [L] la somme de 3.000 € pour frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile,

La condamne aux dépens.

LE GREFFIER, LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 07/07639
Date de la décision : 16/04/2010

Références :

Cour d'appel de Paris K8, arrêt n°07/07639 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2010-04-16;07.07639 ?
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