La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/04/2010 | FRANCE | N°09/05450

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 15 avril 2010, 09/05450


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRET DU 15 Avril 2010

(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 09/05450 - MPDL



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 11 Janvier 2007 par le conseil de prud'hommes de PARIS section encadrement RG n° 04/03666



APPELANT



1° - Monsieur [L] [G] [X]

[Adresse 2]

[Localité 4]

comparant en personne, assisté de Me Didier PETIT, avocat

au barreau de PARIS, toque : E1447



INTIMEE



2° - EPIC COMEDIE FRANCAISE

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Stéphanie STEIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J0...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRET DU 15 Avril 2010

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 09/05450 - MPDL

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 11 Janvier 2007 par le conseil de prud'hommes de PARIS section encadrement RG n° 04/03666

APPELANT

1° - Monsieur [L] [G] [X]

[Adresse 2]

[Localité 4]

comparant en personne, assisté de Me Didier PETIT, avocat au barreau de PARIS, toque : E1447

INTIMEE

2° - EPIC COMEDIE FRANCAISE

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Stéphanie STEIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J014

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 Mars 2010, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Marie-Pierre DE LIEGE, Présidente, chargée d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Marie-Pierre DE LIEGE, Présidente

Mme Irène LEBE, Conseillère

Mme Marie-Antoinette COLAS, Conseillère

Greffier : Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Mme Marie-Pierre DE LIEGE, présidente et par Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LES FAITS :

M [L] [G] [X] a été engagé par l'EPIC Comédie Française, le 2 janvier 1991 en qualité de régisseur de scène, suivant contrat à durée déterminée, pour remplacer M. [O] [J] qui bénéficiait d'un congé sabbatique.

Il a été définitivement recruté, toujours en qualité de régisseur de scène, statut cadre, par contrat à durée indéterminée en date du 1er janvier 1992.

Le 23 décembre 1994 M [L] [G] [X] a été chargé d'assurer l'intérim de M. [K] [E], l'un des deux directeurs adjoints de la scène jusqu'à fin juillet 1995.

M [L] [G] [X] se voyait alors notamment confier la fonction de responsable des ateliers de construction de décors à [Localité 5].

L'absence de M. [E] se prolongeant, son remplacement définitif a été réalisé par recrutement externe et M [L] [G] [X] a réintégré ses fonctions initiales à compter du 1er septembre 1995, retrouvant également son salaire d'origine d'un échelon inférieur.

Le 14 septembre 2001, M [L] [G] [X] était à nouveau chargé d'assurer un remplacement, celui de M. [Z] [V], directeur adjoint de la scène absent pour cause de maladie, avec augmentation de salaire afférente. Ce dernier ayant décidé de faire valoir ses droits à la retraite, le détachement de M [L] [G] [X] a tout d'abord été renouvelé jusqu'au 31 octobre 2002, puis jusqu'au 31 juillet 2003 et finalement jusqu'au 31 décembre 2003.

Entre-temps, par courrier du 12 juin 2003, M [L] [G] [X] avait présenté officiellement sa candidature au poste de directeur adjoint de la scène, en rappelant les dispositions de la convention collective, annexe cadre, article 9, qui prévoit notamment qu'«en cas de vacance, ou de création de poste il sera fait appel de préférence au personnel du théâtre possédant les compétences et aptitudes requises». Il n'était pas répondu à ce courrier.

Le 1er novembre 2003, un nouveau directeur général de la scène, M [R], était engagé par la Comédie-Française.

Par courrier du 22 décembre 2003 M [L] [G] [X] était informé d'une nouvelle organisation de la direction de scène prévoyant la création d'un poste de chef des ateliers de production de [Localité 5] et la suppression du deuxième poste de directeur adjoint de la scène. Ce même courrier l'informait de sa réintégration dans ses fonctions de régisseur de scène à partir du 1er janvier 2004, avec repositionnement dans la grille de salaire correspondante.

Par lettre du 30 décembre 2003, M [L] [G] [X] contestait cette décision de réintégration et faisait part de son sentiment d'être rétrogradé dans ses responsabilités et sa rémunération, souhaitant que cette mesure soit reconsidérée.

Par courrier du 16 janvier 2004 l'EPIC Comédie Française lui rappelait le caractère temporaire de sa position sur le poste de directeur adjoint de la scène, soulignant que sa réintégration dans ses fonctions de régisseur ne constituait pas une rétrogradation mais était simplement la conséquence de la fin de son intérim.

L'employeur acceptait toutefois de le faire bénéficier du délai légal d'un mois prévu en cas de modification du contrat de travail, afin de faire part de son acceptation ou de son refus.

À compter du 1er janvier 2004 M [L] [G] [X] intervenait à nouveau comme régisseur, rattaché à la régie générale avec sa rémunération de décembre 2003.

Le 16 février 2004 M [L] [G] [X] indiquait qu'il souhaitait connaître précisément le motif qui, selon la direction, justifierait la décision d'une modification structurelle des services techniques de la scène et soulignait que le délai d'un mois qui lui était laissé n'était pas conforme à la convention collective.

Le 19 février 2004 la Comédie-Française confirmait à l'intéressé que conformément aux dispositions de la convention collective, il avait jusqu'au 15 mars pour accepter ou refuser cette proposition de réintégration dans ses fonctions antérieures, tout en précisant que le poste de M. [V] n'existait plus depuis le 1er janvier 2004.

Par courrier du 22 février 2004 M [L] [G] [X] prenait acte de cette suppression et soutenait que les modifications apportées à son contrat de travail constituaient un motif de rupture de celui-ci.

Le délai de réflexion ayant expiré, la Comédie-Française convoquait M [L] [G] [X] à un entretien préalable à éventuel licenciement qui s'est tenu le 23 mars 2004. Lors de cet entretien préalable il était demandé au salarié de ne pas se présenter dans l'enceinte du théâtre, indépendamment des plannings du mois de mars, demande que contestait M [L] [G] [X].

M [L] [G] [X] saisissait le conseil de prud'hommes le 9 avril 2004.

La Comédie-Française, de son côté, adressait le 14 avril 2004 une lettre au salarié portant licenciement pour motif économique.

Par ce courrier, le salarié était dispensé d'effectuer son préavis de trois mois, prenant fin au 15 juillet 2004.

Contestant la cause économique de ce licenciement, M [L] [G] [X] abandonnait sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur, formulée lors de la saisine du conseil de prud'hommes de Paris le 15 mars 2004, sollicitant notamment des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse, des dommages et intérêts pour inexécution fautive du contrat de travail ainsi que non-respect de la procédure et des dommages et intérêts pour discrimination à l'embauche.

Le poste de directeur adjoint de la scène restant s'étant trouvé vacant en octobre 2005 et un avis de vacance ayant été ouvert le 30 décembre 2005, M [L] [G] [X] a fait acte de candidature par courrier du 19 janvier 2006. Reçu le 7 mars 2006 sa candidature ne sera toutefois pas retenue au bénéfice d'un choix interne.

Après désignation le 21 novembre 2006 d'un nouvel administrateur général, M [L] [G] [X], souhaitant renouer le dialogue avec la nouvelle direction générale, se verra opposer une fin de non-recevoir.

Par décision du 11 janvier 2007, ce conseil de prud'hommes, section encadrement chambre 6, a dit qu'il ne lui appartenait pas d'apprécier la pertinence des choix de gestion de l'employeur mais qu'il était établi que la réorganisation mise en oeuvre par la Comédie-Française avait abouti à la suppression du second poste de directeur adjoint de la scène.

Aussi, après avoir rappelé que le salarié avait refusé de reprendre, à titre de reclassement, son poste initial de régisseur, et jugé que le poste de responsable des ateliers de Sarcelles nécessitait une compétence d'ingénieur que l'intéressé n'aurait pu acquérir à travers une formation le rendant opérationnel dans des délais raisonnables, le conseil de prud'hommes a dit le licenciement pour motif économique fondé sur une cause réelle et sérieuse, l'employeur ayant satisfait à son obligation de reclassement.

En conséquence, le conseil de prud'hommes, après avoir considéré que l'ensemble des autres critiques formulées par le salarié était également sans fondement, a débouté M [L] [G] [X] de l'ensemble de ses demandes.

M [L] [G] [X] a régulièrement fait appel de cette décision.

Il plaide que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et sollicite à cet égard 110.000 € de dommages et intérêts.

À titre subsidiaire il demande la même somme pour non-respect des règles relatives à l'ordre de licenciement ainsi que 3.635,56 € pour non-respect de la procédure.

En tout état de cause il demande 15.000 € de dommages et intérêts pour préjudice moral et 4.000 € pour frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La Comédie-Française soutient en réponse que gérant une troupe permanente et un 'répertoire', ceci lui impose des rotations permanentes des spectacles et des personnels, ce qui se traduit par une organisation complexe.

Elle soutient qu'en fait, et alors que son employeur souhaitait le garder, M [L] [G] [X], refusant de patienter, a choisi de partir parce que le nouveau directeur général, M. [R] ne lui convenait pas.

Elle expose que ce nouveau directeur général à son arrivée a pensé qu'il fallait moderniser c'est-à-dire en particulier informatiser davantage certaines fonctions, et redéployer certains postes, compte tenu des contraintes budgétaires.

Il a ainsi choisi de supprimer le second poste de directeur adjoint de la scène, celui de M. [V], pour renforcer le potentiel technique, notamment sur le site de [Localité 5] ce qui devait aboutir à « tirer » les postes de régisseur de scène vers des postes de régisseurs généraux, avec, à terme, des fonctions renforcées et clarifiées et à créer un poste de chef des ateliers de production à [Localité 5].

Cette proposition fut toutefois refusée, selon la Comédie-Française, par M [L] [G] [X] qui soutenait qu'il s'agissait d'une modification structurelle des services techniques du théâtre et disait ne pouvoir prendre position, sans en savoir davantage sur ce que seraient les postes de régisseurs généraux.

La Comédie-Française qui accuse le salarié d'avoir ainsi créé les conditions d'un blocage qu'il lui reprochera ensuite, dit n'avoir eu d'autre choix que de procéder au licenciement de M [L] [G] [X], et dit avoir appliqué de manière volontaire la procédure de modification du contrat de travail et donc de licenciement économique ; elle soutient que ceci ne saurait donc lui être reproché.

Elle indique avoir proposé à M [L] [G] [X] son poste d'origine comme poste de reclassement, poste qui devait se transformer au courant de l'été 2004 en poste de régisseur général.

Elle soutient qu'en revanche, le poste de régisseur des ateliers de [Localité 5] ne pouvait lui être proposé car il n'avait pas des compétences techniques requises.

La Comédie-Française soutient que compte tenu du désaccord persistant du salarié vis-à-vis du projet de réorganisation il lui était apparu préférable de le dispenser d'exécuter son préavis.

Par la suite, et alors que la procédure prud'homale était en cours, le poste de directeur adjoint de la scène subsistant s'est libéré et M [L] [G] [X] a fait acte de candidature.

Après avoir été reçu le 7 mars 2005, la Comédie-Française lui a indiqué par courrier du 10 avril qu'il ne serait pas donné suite à sa demande, l'employeur «ayant finalement choisi de privilégier une candidature interne».

L'EPIC Comédie Française demande à la cour de débouter M [L] [G] [X] de l'ensemble de ses demandes et de le condamner à lui verser une somme de 5.000 € pour frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile.

L'entreprise compte plus de 11 salariés.

Le salaire brut moyen mensuel de M [L] [G] [X] est de 3.635,56 €.

La convention collective applicable est celle de la Comédie-Française du 1er avril 1985 et en particulier son annexe concernant les cadres.

LES MOTIFS DE LA COUR :

Vu le jugement du conseil de prud'hommes, les pièces régulièrement communiquées et les conclusions des parties, soutenues oralement à l'audience, auxquels il convient de se référer pour plus ample information sur les faits, les positions et prétentions des parties.

Sur la rupture du contrat de travail de M [L] [G] [X] :

La lettre de licenciement adressée à M [L] [G] [X] est rédigée comme suit : '...Notre directeur général de la scène M. [M] [R] a pris ses fonctions le 1er novembre 2003. Il lui était demandé de procéder à un examen du fonctionnement de la direction de scène et de faire des propositions pour en améliorer l'efficacité. Les aménagements préconisés, que nous avons décidé de mettre en oeuvre, supposent de faire évoluer la fonction de régisseur, ce qui nous conduit à ne pas maintenir le deuxième poste de directeur adjoint de la scène et nous permet de créer un poste à [Localité 5]. Cette décision a été motivée par notre volonté de faire évoluer les pratiques existantes vers une meilleure adaptation aux exigences de la production et de l'exploitation des spectacles pour en accroître la qualité, et par les contraintes inhérentes à notre budget. En effet le deuxième poste de directeur adjoint de la scène n'est plus nécessaire dans la mesure où il a été décidé de renforcer le rôle des régisseurs de scène, lesquelles reprennent la responsabilité des représentations en collaboration étroite avec les sociétaires « semainiers ». Ils sont donc responsables du spectacle en exploitation, dans le respect du concept artistique décliné lors de la première représentation et ont pour objectif de veiller au maintien de la qualité. Cette évolution s'est opérée en étroite concertation avec les régisseurs concernés. Elle entérine une situation antérieure dans laquelle les régisseurs assuraient de fait la responsabilité des spectacles, le directeur adjoint de permanence chaque soir n intervenant en pratique jamais.

Cet aménagement nous a permis de procéder au recrutement d'un chef des ateliers de production de [Localité 5], alors que notre budget ne nous permettait pas de créer purement et simplement ce poste. Or cette fonction est devenue indispensable pour assurer sur place, en permanence, la coordination et le suivi de la production des décors et des interfaces entre les différents sites : il devenait impératif qu'un interlocuteur unique représente la direction de scène à [Localité 5]...

C'est dans ce contexte que, par courrier du 22 décembre 2003, nous vous avons annoncé votre réintégration dans vos fonctions de régisseur de scène (position 7' échelon 4), le deuxième poste de directeur de la scène étant supprimé. Par courrier en date du 30 décembre 2003 vous nous avez indiqué que vous considériez cette réintégration comme un changement de poste. Bien que nous ne partagions pas votre analyse, et afin de mettre un terme à tout débat, nous avons accepté de considérer que cette réintégration constituait une modification de votre contrat de travail. Conformément aux dispositions de l'article L. 321 ' 1 ' 2 du code du travail, nous vous avons donné un délai d'un mois pour faire connaître votre réponse dans notre courrier en date du 16 janvier 2004. Vous avez alors attiré notre attention sur le fait que, d'une part vous refusiez cette nouvelle affectation et que, d'autre part, vous demandiez à bénéficier du délai de huit semaines prévu en cas de modification du contrat de travail par l'annexe des cadres à notre convention collective (article 10). À la suite de quoi vous avez réitéré votre refus de reprendre un poste de régisseur général et vous avez demandé votre rétablissement dans le poste de directeur adjoint de la scène (en particulier dans vos courriers des 16 et 22 février 2004 )

Lors de l'entretien préalable, vous avez de nouveau indiqué que vous refusiez le poste que nous vous proposons. Nous avons procédé à un examen exhaustif des postes qui pourraient vous être proposés ; malheureusement, aucun autre poste correspondant qualification n'est disponible au sein de la Comédie-Française. Nous ne sommes donc pas en mesure de vous proposer un reclassement correspondant à vos qualifications et à vos aspirations en dehors du poste de régisseur...».

Il est établi que du 23 décembre 1994 jusqu'à fin juillet 1995 M [L] [G] [X] a, une première fois, tenu des fonctions de directeur adjoint de la scène en remplacement d'un des deux directeurs absents avec, provisoirement ses avantages de groupe, d'échelon et de salaire, avant d'être réintégré sur son poste d'origine avec retour au salaire initial.

Il est constant qu'à compter du 14 septembre 2001 et jusqu'à fin décembre 2003 M [L] [G] [X] s'est à nouveau trouvé chargé du remplacement de l'autre directeur adjoint de la scène, tout en bénéficiant encore d'une modification à la hausse d'échelon et de salaire.

Il est également établi que le titulaire du poste ayant fait valoir ses droits à la retraite M [L] [G] [X] a sollicité ce même poste qu'il occupait depuis quasiment deux années en juin 2003, lettre qui n'a pas obtenu de réponse, alors que M [L] [G] [X] s'est vu en revanche prorogé sur ce poste jusqu'à la fin de l'année 2003.

Il est constant, que M [L] [G] [X], à qui l'employeur a proposé de reprendre ses fonctions de régisseur qu'il n'a pas acceptées, a abandonné sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail.

Il convient en conséquence d'examiner le caractère bien-fondé ou non du licenciement notifié par la lettre ci-dessus.

Il est également constant, que l'employeur, lui-même, a choisi, notamment dans la lettre de licenciement, de se placer sur le terrain de la modification du contrat de travail de M [L] [G] [X] et par conséquent de faire application de la procédure prévue dans de tels cas.

Analysant la proposition de retour sur son poste de régisseur d'origine comme une modification du contrat de travail, l'employeur a de ce fait admis que le poste de rattachement de M [L] [G] [X] était devenu le poste de directeur adjoint de la scène, précédemment attribué à M. [V] et que l'intéressé occupait depuis 27 mois.

Aussi, l'employeur justifie-t-il le licenciement de M [L] [G] [X] par le refus de celui-ci d'accepter les fonctions de régisseur, qui étaient précédemment les siennes, alors que le poste de directeur adjoint de la scène sur lequel il était affecté, devait être supprimé.

La modification proposée du contrat de travail est donc consécutive à la suppression du poste de directeur adjoint de la scène, et le licenciement intervenu après le refus du salarié de reprendre ses précédentes fonctions s'analyse donc, indéniablement comme un licenciement économique.

Constitue en effet un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification substantielle du contrat de travail, consécutive notamment à des difficultés économiques, à des mutations technologiques, ou à une réorganisation de l'entreprise décidée pour sauvegarder la compétitivité de l'entreprise ou du secteur d'activité du groupe auquel elle appartient.

Ces circonstances doivent être clairement énoncées dans la lettre de rupture qui circonscrit le litige.

Le principe est que la réalité de ces circonstances doit être matériellement vérifiable par le juge.

D'autre part, le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent, à défaut et sous réserve de l'accord exprès du salarié, sur un emploi d'une catégorie inférieure, ne peut être réalisé dans le cadre de l'entreprise ou, le cas échéant dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient ; les offres de reclassement proposé au salarié doivent être écrites et précises.

Il en résulte qu'aux termes mêmes de la loi, ni la simple suppression d'un poste, ni la modification substantielle du contrat de travail ne suffisent en elles-mêmes à justifier le licenciement économique, ces changements devant être consécutifs notamment à des difficultés économiques, des mutations technologiques ou une réorganisation de l'entreprise décidée pour sauvegarder la compétitivité de celle-ci.

Or, force est de constater qu'en l'espèce, l'employeur, se contentant dans ses conclusions d'invoquer la réorganisation et la suppression du poste occupé par M [L] [G] [X] et de dire que celui-ci « ne conteste pas le motif économique du licenciement, n'établit aucunement, ni même n'invoque véritablement des difficultés économiques, pas plus que des nécessités induites par la sauvegarde de la compétitivité de la Comédie-Française ou des mutations technologiques.

La Comédie-Française, pour justifier ce licenciement se borne à invoquer «l'intérêt de l'institution et du service rendu au public», sans démontrer aucunement qu'il s'agissait de répondre à de réelles difficultés économiques ou à des exigences impératives pour la sauvegarde de la compétitivité de l'institution.

Ce licenciement pour motif économique n'est donc pas fondé et est, en tout état de cause, dépourvu de cause réelle et sérieuse.

La cour ajoutera en outre que l'employeur ne rapporte pas la preuve d'avoir satisfait à l'obligation qui pesait sur lui en matière de reclassement en ne proposant en réalité au salarié, et pour la seconde fois, qu'un «déclassement» par retour sur son poste de régisseur, en faisant miroiter des perspectives, à terme, de plus grandes responsabilités liées à ce poste, tout en refusant pendant la procédure de licenciement de préciser exactement ce que seraient ces évolutions, ce qui ne pouvait guère éclairer les choix du salarié.

L'employeur n'a par ailleurs, ni dans la lettre de licenciement, ni dans de quelconques écrits antérieurs, et bien que s'agissant d'un salarié manifestement de valeur à qui par deux fois l'entreprise n'avait pas hésité à recourir pour tenir un poste plus important que le sien, formulé de quelconques autres propositions de reclassement, le cas échéant en apportant au salarié un éventuel appui en termes de formation. L'employeur ne justifie même pas avoir accompli de quelconques recherches en ce sens.

La cour infirmera donc la décision des premiers juges et déclarera le licenciement pour motif économique de M [L] [G] [X] dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Compte tenu des circonstances de l'espèce, de l'ancienneté dans son emploi du salarié, de son âge lors du licenciement et du préjudice professionnel, de carrière et financier qu'il établit avoir subi à la suite de celui-ci, étant notamment resté sans emploi jusqu'au 31 août 2006, la cour fixe à 80.000 € la somme due en application de l'article L.1235-3 du code du travail.

Sur le préjudice moral :

M [L] [G] [X] soutient qu'au-delà des conséquences directes de son licenciement il a subi du fait de l'attitude de l'employeur un préjudice moral distinct pour lequel il demande réparation, préjudice que l'employeur conteste.

La cour considère pourtant que les circonstances de l'espèce, la manière de procéder de l'employeur et le milieu professionnel, restreint et spécifique, qui est celui de M [L] [G] [X] ont nécessairement induit, en l'espèce, un préjudice supplémentaire distinct.

En effet, dans la gestion même du 'cas' de M [L] [G] [X], la Comédie-Française a adopté une attitude de nature à lui occasionner un préjudice personnel particulier, tant au sein de l'entreprise elle-même et à l'égard de ses collègues, que vis-à-vis de l'extérieur dans le milieu professionnel du théâtre.

En laissant le salarié, qui n'avait nullement démérité, mais au contraire avait accepté par deux fois de prendre la responsabilité de remplacer un supérieur hiérarchique absent pour une longue durée, pendant quasiment six mois sans réponse à la suite de la candidature que celui-ci avait formulée, tout en le maintenant sur le poste, pour finalement lui opposer une fin de non-recevoir, l'employeur n'a pas agi de bonne foi.

De la même manière, l'attitude de la Comédie-Française a été contestable en ce que d'une part elle a préféré suspendre le salarié de ses fonctions de régisseur qu'il avait toutefois accepté de reprendre, sans attendre l'aboutissement du litige qui les opposait.

Enfin, de manière étonnante, et alors même que l'employeur a, lui-même, accepté, comme il le dit clairement dans la lettre de licenciement, de se placer sur le terrain de la modification du contrat de travail, celui-ci conteste, à tort, au salarié le droit d'invoquer les dispositions de l'annexe de la Convention collective dans ses articles 9 et 10, précisément applicables en cas de modification du contrat de travail... alors pourtant, qu'après réclamation du salarié, l'employeur lui a octroyé un délai non plus d'un mois, comme le prévoit la loi, mais de deux mois comme le prévoit la convention collective pour se décider quant à l'acceptation au refus de la modification du contrat de travail.

Cependant, l'employeur n'a pas garanti au salarié, comme il le devait également aux termes de la convention collective, le maintien de son salaire de directeur adjoint de la scène pendant six mois à l'issue de son détachement.

La cour relèvera en outre qu'après la rupture du contrat de travail, l'employeur, après avoir licencié M [L] [G] [X] de manière non fondée, et alors que le poste de directeur adjoint de la scène se trouvait vacant, poste sur lequel il avait fait ses preuves antérieurement, lui a préféré une 'candidature interne'.

Le préjudice distinct étant ainsi caractérisé la cour, infirmant également le conseil de prud'hommes sur ce point, allouera à M [L] [G] [X] une somme de 15.000 € à titre de dommages et intérêts

Sur la demande de dommages et intérêts au titre de l'article 700 du Code de procédure civile :

La Cour considère que, compte tenu des circonstances de l'espèce, il apparaît inéquitable de faire supporter par M [L] [G] [X] la totalité des frais de procédure qu'il a été contraint d'exposer. Il sera donc alloué une somme de 3.500 €, à ce titre pour l'ensemble de la procédure.

PAR CES MOTIFS,

En conséquence, la Cour,

Infirme la décision du Conseil de prud'hommes

Et statuant à nouveau,

Dit que le licenciement de M [L] [G] [X] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Condamne l'EPIC Comédie Française à payer à [L] :

- 80.000 €, à titre d'indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse en application de l'article L.1235-3 du code du travail,

- 15.000 € à titre de préjudice moral,

Ces sommes avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision,

Déboute les parties de leurs demandes complémentaires ou contraires,

Condamne l'EPIC Comédie Française à régler à M [L] [G] [X] la somme de 3.500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile pour l'ensemble de la procédure,

Le condamne aux entiers dépens de l'instance.

LE GREFFIER, LA PRESIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 09/05450
Date de la décision : 15/04/2010

Références :

Cour d'appel de Paris K8, arrêt n°09/05450 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2010-04-15;09.05450 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award