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21/01/2010 | FRANCE | N°08/07194

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 21 janvier 2010, 08/07194


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRET DU 21 Janvier 2010

(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 08/07194 - MAC



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 07 Février 2008 par le conseil de prud'hommes de PARIS section encadrement RG n° 06/07013



APPELANT



1° - Monsieur [Y] [G]

[Adresse 1]

[Localité 2]

comparant en personne, assisté de Me Catheine ARDONCEAU, avo

cat au barreau de LILLE



INTIMEE



2°- SA TOCQUEVILLE FINANCE

[Adresse 3]

[Localité 5]

représentée par Me Guillaume NAVARRO, avocat au barreau de PARIS, toque : T03



COMPOS...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRET DU 21 Janvier 2010

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 08/07194 - MAC

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 07 Février 2008 par le conseil de prud'hommes de PARIS section encadrement RG n° 06/07013

APPELANT

1° - Monsieur [Y] [G]

[Adresse 1]

[Localité 2]

comparant en personne, assisté de Me Catheine ARDONCEAU, avocat au barreau de LILLE

INTIMEE

2°- SA TOCQUEVILLE FINANCE

[Adresse 3]

[Localité 5]

représentée par Me Guillaume NAVARRO, avocat au barreau de PARIS, toque : T03

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 10 Décembre 2009, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Marie-Pierre DE LIEGE, Présidente

Mme Irène LEBE, Conseiller, Conseillère

Mme Marie-Antoinette COLAS, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier : Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile.

- signé par Mme Marie-Pierre DE LIEGE, présidente et par Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

La société Tocqueville SA a pour activité la gestion de portefeuilles pour le compte de tiers.

Suivant un contrat à durée indéterminée en date du 19 Décembre 2002, avec effet à compter du 15 janvier 2003 reporté au 15 Mars 2003, Monsieur [G] a été engagé en qualité de gérant de portefeuille, niveau cadre confirmé, échelon C coefficient 850, en application de la convention collective nationale des sociétés financières applicable. La rémunération de Monsieur [G] devait se composer d'un salaire fixe de 95.000 € payable en douze mois, de l'intéressement et de la participation en vigueur dans l'entreprise, ainsi que d'une prime annuelle en fonction des résultats de l'entreprise.

Aucune mention relative à son intégration en tant que gérant de portefeuille salarié dans le capital de l'entreprise ne figure au contrat de travail.

Suivant un acte sous seing privé du 18 Décembre 2003, une cession de cinq actions a été réalisée par Monsieur [O], associé, au profit de Monsieur [G] pour un prix total de 580,30 €.

Au mois de janvier 2005, Monsieur [G] a demandé à la direction de la SA Tocqueville, d'une part, une modification de ses attributions souhaitant être 'reconnu officiellement dans son rôle de responsable du développement international en dehors de la Suisse et du Luxembourg 'et d'autre part, son entrée dans la structure capitalistique de l'entreprise pour pouvoir prendre part 'plus activement aux choix stratégiques de la maison'. Sur ce point, il a évoqué les engagements oraux pris par le directeur lors des pourparlers avant son entrée dans la société en tant que gérant salarié.

Le 24 Avril 2006, il a renouvelé sa demande à pouvoir entrer dans la structure capitalistique de la société.

Se heurtant à la réponse de la société qui lui avait fait savoir à plusieurs reprises qu'elle n'avait pas pu prendre un tel engagement à cet égard, les associés pouvant seuls décider de la vente des actions en leur possession, Monsieur [G] a, le 15 Juin 2006, saisi le conseil de prud'hommes de Paris et réclamé des dommages et intérêts en compensation de la perte de chance de réaliser une plus value potentielle et de la perte de dividendes.

Le 10 octobre 2006, Monsieur [G] a organisé une réunion des salariés actionnaires et a évoqué à cette occasion son intégration capitalistique.

Le 26 Octobre 2006, saluant le nouveau directeur général, Monsieur [G] a évoqué le fait que son 'ancien patron était allé en prison pour des faits qu'il n'avait pas commis'.

Monsieur [G] a été mis à pied à titre conservatoire, convoqué pour un entretien préalable fixé au 23 Novembre 2006 et s'est vu notifier son licenciement pour faute grave par lettre du 1 Décembre 2006.

Monsieur [G] a contesté les motifs de son licenciement devant le conseil de prud'hommes déjà saisi.

Par un jugement du 7 Février 2008, le conseil de prud'hommes de Paris section encadrement, s'est déclaré incompétent pour connaître de la demande de dommages et intérêts pour défaut d'intégration au capital de l'entreprise et renvoyé les parties devant le tribunal de grande instance de Paris.

Le conseil de prud'hommes a par ailleurs considéré que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et a condamné la SA Tocqueville à verser à Monsieur [G] les sommes suivantes :

- 23.794,98 € au titre de l'indemnité de préavis,

- 2.379,99 € au titre des congés y afférents,

- 21.321,21 € au titre de l'indemnité de licenciement,

avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation,

- 47.499,96 € au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 550 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Le conseil de prud'hommes a rejeté les surplus des demandes formulées.

Monsieur [G] a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes des écritures que son conseil a reprises et développées oralement lors de l'audience, Monsieur [G] demande à la cour de :

- in limine litis de déclarer que le conseil de prud'hommes était compétent pour connaître de la demande de dommages et intérêts pour le non respect de l'engagement de l'intégration au capital de la société et en appel dire que la cour peut apprécier l'indemnité dûe à cet égard ;

- par voie de conséquence, condamner la SA Tocqueville à lui verser une somme de 2.840.600 € au titre du préjudice subi à ce titre,

- confirmer le jugement rendu en ce qui a trait au licenciement et aux indemnités allouées,

- condamner en outre la SA Tocqueville à lui verser les sommes suivantes:

* 1.289,66 € au titre des frais professionnels exposés en novembre 2006,

* 53.170 € au titre de la prime de résultats pour l'année 2006,

* 3.500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile .

La SA Tocqueville a formé un appel incident de ce jugement.

Dans des conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience, la SA Tocqueville demande à la cour de confirmer le jugement rendu en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour connaître de la demande de dommages et intérêts pour le prétendu non respect de l'engagement de l'entrée de Monsieur [G] dans les capital de la société, subsidiairement, de constater que Monsieur [G] est irrecevable en sa demande à l'encontre de la société et très subsidiairement de le déclarer mal fondé. En tout état de cause, la société Tocqueville considère qu'un expert doit être désigné pour procéder à l'évaluation de l'indemnité susceptible de compenser la perte évoquée.

S'agissant du licenciement, la SA Tocqueville demande à la cour d'infirmer le jugement, de débouter Monsieur [G] de l'ensemble de ses demandes.

Elle conclut aussi à la confirmation du jugement en ce que Monsieur [G] a été débouté de sa demande de remboursement de frais professionnels.

Il convient de se référer au jugement rendu par le conseil de prud'hommes, aux écritures déposées par les parties auxquels il est expressément renvoyé pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens développés par les parties.

MOTIFS,

Sur la demande tendant au paiement de dommages et intérêts pour la non intégration au capital de la société :

Monsieur [G] estime que la société Tocqueville Finance n'a pas en tant qu'employeur respecté ses engagements au cours de l'exécution du contrat de travail quant à l'évolution de sa carrière au sein de l'entreprise.

Il constate que les gérants de portefeuille salariés se voient attribuer des actions de la société après plusieurs mois de présence et considère que cette attribution étant liée à la qualité de salarié, il existe un lien direct entre le contrat de travail et la participation au capital par la cession d'actions.

La société Tocqueville Finance SA soutient quant à elle que les juridictions prud'homales sont incompétentes pour connaître de ce contentieux relatif au prétendu préjudice 'capitalistique' invoqué, toute cession d'action étant en principe un acte civil.

Elle estime qu'en toute hypothèse, elle ne pouvait prendre vis à vis de son salarié l'engagement de céder des actions, les actionnaires étant seuls en possession d'actions et disposant seuls de la qualité pour les céder. Elle soulève donc en tant que de besoin l'irrecevabilité de l'action engagée à son encontre pour défaut de qualité et d'intérêt.

A titre subsidiaire, elle estime que l'action est mal fondée .

Sur la compétence :

Le conseil de prud'hommes s'est déclaré incompétent pour connaître de la demande d'indemnisation formulée par Monsieur [G] au motif que bien que de nombreux témoignages faisaient état de ce que l'entrée de Monsieur [G] dans le capital de la SA Tocqueville avait été discutée, étudiée et mise au point et a participé des conditions de son accord, le contrat de travail ne faisait aucune référence au processus d'intégration au capital de la société, que cette disposition ne pouvait s'inscrire dans les attributions du conseil de prud'hommes qui ne peut connaître que des différends nés des contrats de travail.

Selon les dispositions de l'article L.1411-1du code du travail, le conseil de prud'hommes 'règle les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis au code du travail entre les employeurs et les salariés qu'ils emploient'.

Pour établir que la société Tocqueville a pris l'engagement, au cours de l'exécution du contrat de travail de lui permettre de connaître une évolution de carrière au sein de l'entreprise passant par l'attribution d'actions, Monsieur [G] verse aux débats plusieurs documents dont :

- le justificatif de la cession d'actions consentie par Monsieur [O] le 18 Décembre 2003,

- deux lettres adressées à Monsieur [W] [X] aux termes desquelles sont formulées diverses propositions relatives aux relations contractuelles liées à la localisation de l'exercice de l'activité, les modalités de rémunérations (fixe , variable basée sur des commissions) mais aussi est évoquée 'la possibilité offerte de rentrer au capital de Tocqueville SA pour un montant de 1% soit 304 titres sur la base de 30 388 titres ...ou l'équivalent en pourcentage en cas d'augmentation de capital...', puis de 0,75% avec l'ajustement garanti en cas d'augmentation de capital...'.

- l'attestation de Monsieur [F] , ancien directeur général et fondateur de la société Tocqueville Finance SA qu'il a quittée fin Juin 2003, selon laquelle 'au cours du dernier trimestre 2002, ... Monsieur [U] ... a présenté Monsieur [G] ...qui souhaitait trouver une position dans une structure indépendante au sein de laquelle il pourrait développer une clientèle et dans laquelle il serait intéressé au capital afin de bénéficier pleinement de son implication et des fruits de son travail... Monsieur [F] précise ' c'était ma stratégie de développement de faire des collaborateurs gérants des associés dans un esprit de partner-ship'. Il ajoute que 'lors de discussions préalables à son embauche, Monsieur [G] nous a fait part de ce qu'il bénéficiait d'un plan de stock options du CCFqu'il serait contraint d'abandonner . Tocqueville France SA s'est engagée au moins oralement je pense à donner accès au capital de TFSA, le plus rapidement au vu des réalisations professionnelles, afin de compenser la perte de ce plan et de sanctionner les efforts entrepris, cela outre son salaire prévu dans son contrat'.

- l'attestation de Monsieur [B] ainsi rédigée 'étant administrateur ...avant de devenir directeur général , j'ai été informé de l'embauche de Monsieur [G], des engagements d'intégration capitalistique pris en sa faveur par la société Tocqueville Finance SA, conjointement par Monsieur [F], PDG de l'époque, [A] [L] et [R] [U], principaux actionnaires. Lorsque je suis devenu Président Directeur Général, mon prédécesseur m'a rappelé ces engagements parmi plusieurs autres concernant plusieurs salariés...'.

- des procès verbaux de réunion du conseil d'administration

* du 24 Octobre 2006 où figurait à l'ordre du jour la mention 'autorisation de rachat d'actions en vue de les attribuer à des salariés,'

* du 20 Septembre 2006 au cours de laquelle a été évoquée la situation de Monsieur [G] qui montre que le principe d'une indemnisation et l'octroi d'une indemnité de l'ordre de 550.000 € ont été envisagée, outre l'agrément pour une cession d'actions à concurrence de 1,75% du capital,

- le procès verbal des délibérations de l'assemblée générale à caractère mixte du 7 Décembre 2006 dans lequel sont rapportés les constatations de Monsieur [L], actionnaire relatives au fait que 'la recherche de gérants confirmés est difficile et ceux-ci ne sont intéressés que s'ils ont la possibilité d'accéder à l'actionnariat'.

- le projet confidentiel émanant des associés préalablement à la signature du contrat de travail de Monsieur [G] et adressé à Monsieur [Z] faisait état des éléments définissant leurs attentes et la mission du candidat.

Dans une rubrique intitulée 'fonctionnement' , était évoquée l'évolution de la situation du candidat de la façon suivante ' gérant salarié, puis actionnaire, puis associé selon les échéances et le barême indiqué ci dessous...

1- Acquisition actions TFSA dans le PEE à hauteur de 150 à 180 actions O soit environ 1 % du capital en actions ordinaires(délai : 6 mois/1 an),

2- après dépassement du point mort évalué ( assistante comprise) à 27/30 M€ d'actifs gérés passage de salarié actionnaire à associé suivant le barème ci-dessous :

50% des flux nets sur clientèle transférée avant 18 mois.

40% des flux nets sur clientèle apportée par le gérant après 18 mois,

20% des flux nets sur clientèle apportée par la structure (client spontané, client transféré, commerciaux...).

Au terme de deux ans, détention d'une part de capital TFSA en actions environ(2 à 2,5%)

(rapportés aux flux nets) son PEE compte tenu de sa situation personnelle sera constitué au départ par les versements d'intéressement, participation et abondement ( très faible épargne personnelle)'.

Dans sa lettre du 12 Janvier 2005 adressée à Monsieur [U], Monsieur [G], dans un paragraphe intitulé 'mon positionnement au sein de TFSA' expose 'j'ai maintenant besoin de ton aide pour défendre mes intérêts au sein des associés...le temps commence à être long pour la reconnaissance au sein de mes pairs...'.

Il en résulte que la société Tocqueville SA n'a certes pas pris l'engagement de verser à Monsieur [G] une rémunération complémentaire (non expressément prévue au contrat de travail) sous la forme d'une attribution d'actions dont elle n'est d'ailleurs pas propriétaire.

En réalité, pour recruter Monsieur [G] et tout au long du contrat de travail, Tocqueville Finance SA s'est portée fort de ce que des actionnaires lui céderaient en qualité de gérant de portefeuille salarié des actions pour lui permettre d'entrer au capital de l'entreprise et devenir à terme actionnaire puis associé, cette accession au capital étant conditionnée par les performances de son activité professionnelle.

C'est donc à raison de sa qualité de gérant salarié de Tocqueville Finance SA et ayant satisfait aux exigences de performance posées dans le cadre de son activité professionnelle que Monsieur [G] entend obtenir de la dite société qu'elle l'indemnise du préjudice résultant pour lui de n'avoir pu bénéficier de cessions d'actions de la part des actionnaires, de sorte que le différend est né à l'occasion du contrat de travail.

Le jugement déféré sera infirmé en ce que le conseil de prud'hommes s'est déclaré incompétent pour en connaître.

Sur le moyen tiré de l'irrecevabilité :

Le moyen tiré de l'irrecevabilité de la demande en ce qu'elle est dirigée contre Tocqueville SA sera rejeté, puisqu'en l'absence de cession par les actionnaires des actions auxquelles il pouvait prétendre, Monsieur [G] est recevable à agir en indemnisation du préjudice consécutif à cette absence d'entrée dans le capital de l'entreprise à l'encontre de Tocqueville Finance SA qui promettait cette cession par les actionnaires.

Sur le fond :

Pour déterminer son préjudice, Monsieur [G] se réfère notamment à l'attestation de Monsieur [Z] qui expose qu'au cours de l'année 2006,... pour avoir assisté à de nombreuses réunions sur le sujet y compris avec les avocats qui ont beaucoup travaillé sur le cas de Monsieur [Y] [G], le rachat des parts de M. [Z]. devait permettre à ce dernier de respecter les engagements de la société notamment vis à vis de Monsieur [G] à hauteur de 1,75% du capital de la société .... j'ai également beaucoup travaillé avec les avocats à cette période afin de trouver une solution en vue de réparer le préjudice financier subi par Monsieur [G]...

M. [G] réclame en conséquence une somme de 1.777.728 € correspondant à la perte subie au titre de la plus value dont il aurait bénéficié en vendant les actions qu'il aurait acquises s'il avait pu bénéficier de la cession d'actions promise outre une somme de 550.000 € pour compenser le retard pris pour la mise en place de cette procédure d'acquisition des actions, le prix d'acquisition et des dividendes qu'il aurait perçus.

Contrairement à ce que soutient Tocqueville Finance SA, les dispositions de l'article 1843-4 du code civil n'ont pas vocation à s'appliquer dans la présente espèce, puisqu'il ne s'agit pas de procéder à une évaluation de droits sociaux dans le cadre d'une cession ou d'un rachat, mais d'une évaluation de préjudice financier et plus spécialement une perte de chance d'avoir pu bénéficier d'une plus value lors de la vente d'actions qu'il aurait acquises et d'obtention de dividendes, la perte de chance ayant été mise dans le débat par la cour.

Aux termes du procès verbal des délibérations de l'assemblée générale à caractère mixte du 28 juin 2006, il est précisé que le capital social est divisé en 32 211 actions.

Il résulte de l'attestation de Monsieur [Z] et du document émis par les actionnaires lors de l'analyse de la candidature de Monsieur [G] que celui-ci aurait pu prétendre être intégré pour au moins 1,75% du capital social ce qui représentait en conséquence 32 211 X 1,75% = 564 actions, dont il aurait eu à régler le prix d'acquisition qui était en Juin 2006 de 982,23 € par action, soit 553.978 €.

Monsieur [G] verse aux débats un extrait du procès-verbal du conseil d'administration en date du 13 Novembre 2007 qui fait état que dans le cadre d'une réduction de capital, les membres du conseil d'administration ont pris une résolution pour que tous pouvoirs soient donnés à Monsieur [D], en sa qualité de Directeur général pour procéder au rachat de 9.603 actions et à leur annulation.

Les 9603 actions représentaient 39.852.450 €, soit 4.150 € par actions.

Il résulte aussi des documents produits que les dividendes par actions ordinaires versés en 2006 correspondaient à 400 € par action.

Dans la mesure où la réparation de la perte de chance d'obtenir des plus values, des gains et dividendes grâce aux actions qu'il aurait acquises si la promesse de porte fort avait été ratifiée ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée, la cour dispose d'éléments suffisants, sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise pour arrêter à 1.800.000 € le montant du préjudice dont Monsieur [G] est fondé à se prévaloir.

Tocqueville Finance SA sera condamnée à verser à Monsieur [G] une somme de 1.8000.000 € en réparation du préjudice résultant de ce qu'elle n'a pas tenu l'engagement de porte fort pris.

Sur le licenciement :

Selon l'article L.1235-1 du Code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier non seulement la régularité de la procédure suivie mais aussi le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties...  ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

Est ou sont constitutifs d'une faute grave un fait ou un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations découlant du travail ou des relations de travail, d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

Il appartient à l' employeur qui s'est placé sur le terrain disciplinaire d'établir la réalité des faits visés par lui dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige.

La lettre du 1 décembre 2006 est ainsi libellée :

'- 1 - le 10 octobre 2006, vous avez personnellement décidé d'organiser et d'animer une réunion des salariés actionnaires ..;sur le lieu de travail et à un horaire correspondant aux heures de travail..... pour informer les participants sur le prétendu non respect par la société de ses engagements contractuels à votre égard et sur l'existence d'une instance prud'homale...

Cette réunion sur le lieu et au temps du travail et fautive en ce qu'elle a notamment pour objectif et pour effet de nuire à la confiance des salariés de l'entreprise en leur employeur.

- 2- le 26 octobre 2006, vous avez tenu à l'encontre de Monsieur [I] ès qualités de Directeur général des propos destinés à le féliciter pour son courage 'car votre ancien patron est allé en prison pour des faits qu'il n'avait pas commis'. Vous avez confirmé ces propos le 30 Octobre 2006 devant M.[K].[H], directeur général adjoint.

De tels propos s'apparentent clairement à une menace formulée à l'encontre du nouveau directeur général de la société relative à des faits antérieurs à sa nomination.

Chacun de ces faits pris isolément et constitutif d'une faute grave...'.

La simple tenue d'une réunion de salariés actionnaires sur le lieu et le temps du travail ne peut caractériser une faute dès lors que selon le contrat de travail, le temps de travail du gérant de portefeuille salarié est forfaitaire, du fait de la nature de sa mission, que l'organisation du travail est défini par le salarié lui même qui n'est tenu à aucun horaire précis.

Chaque gérant salarié actionnaire avait toute latitude pour organiser son temps et faire face à ses obligations de salarié tout en décidant de se rendre ou à cette réunion.

Par ailleurs, la société produit plusieurs témoignages sur l'objet et le contenu de la dite réunion.

Le témoignage de Monsieur [H] est dépourvu de force probante dans le débat pour être indirect . En effet il expose en effet 'n'avoir pas participé à cette réunion, les propos tenus lui ayant été rapportés...'.

Monsieur [J] précise que 'l'objet de la réunion était d'informer les différents actionnaires de l'attitiude qu'il (Monsieur [G]) comptait adopter pour les semaines à venir ' Il indique avoir décliné l'invitation... le jour, l'heure et le lieu lui semblant inadaptés pour avoir ce type de discussion entre actionnaires'.

Monsieur [C] affirme 'avoir assisté à cette réunion, au cours de laquelle, Monsieur [G] a fait part de son profond mécontentement et des préjudices qu'il estimait avoir subi du fait du non respect de promesses qui lui auraient été faites concernant son entrée dans le capital...lassé de cette situation qui n'évoluait pas depuis de nombreux mois, il ( Monsieur [G]) a précisé s'être adjoint les services d'un avocat spécialisé et entendait dénoncer le fonctionnement du plan épargne entreprise qualifiant les dividendes reçus par les actionnaires de complément de rémunérations'.

Monsieur [M] témoigne quant à lui 'avoir assisté à cette réunion en vidéo conférence et avoir été choqué par les propos tenus par Monsieur [G]. Il ajoute que celui-ci s'est fait menaçant dans ses propos en direction de tous les salariés actionnaires de [Localité 5]. Le but de ces pressions était de tenter de contraindre les personnes présentes à se soucier de ses problèmes d'actionnariat qui ne sont que des problèmes personnels aucunement liés à l'activité du groupe et donc incompatibles avec une convocation et une réunion pendant les heures de travail des salariés du groupe. Face à cette attitude inadmissible de la part d'un collaborateur qui se doit de préserver la confiance totale indispensable au métier que nous exerçons, je me suis extrait outré de cette réunion en interrompant la ligne téléphonique'.

Outre que ces témoignages émanent de personnes soumises à un lien de subordination avec la société Tocqueville Finance et doivent être accueillis avec prudence, étant observé que Monsieur [Z] atteste qu'il lui a été demandé de témoigner contre Monsieur [G], il sera fait remarquer que ces deux collègues ayant attesté n'ont pas eu une perception similaire du déroulement de la réunion puisque le caractère prétendument violent des propos tenus par Monsieur [G] tel qu'évoqué par Monsieur [M] n'est pas confirmé par Monsieur [C].

Au surplus, en réunissant des collègues qui, comme lui, pouvaient avoir la double qualité de salarié et d'actionnaire, Monsieur [G] ne pouvait pas nuire à l'entreprise en tant qu'employeur, l'enjeu de cette réunion étant d'évoquer sa difficulté en rapport avec son accession à la qualité d'actionnaire puis d'associé, la qualité d'actionnaire étant déjà acquise par les personnes conviées.

Il n'est pas établi que dans ce cadre, le positionnement de Monsieur [G] ait eu pour effet de 'nuire à la confiance des salariés de l'entreprise en leur employeur' étant observé qu'il a été précédemment analysé que des engagements pris par la société n'avaient pas été respectés, que la société Tocqueville par sa carence effective pouvait elle-même ébranler la confiance que ses salariés avaient en elle.

S'agissant du second grief invoqué dans la lettre, l'employeur considère que la phrase rapportée et confirmée devant Monsieur [H] est constitutive de menaces.

Or, ainsi que l'a pertinemment relevé le conseil de prud'hommes, outre qu'elle ne caractérise pas une menace en soi, aucun événement ultérieur n'est intervenu de nature à relever qu'elle constituait le prémisse d'une volonté malveillante à l'encontre du supérieur hiérarchique à qui cette phrase a été dite. Monsieur [G] rapporte au contraire la preuve de l'estime qu'il a toujours eu pour cette personne laquelle estime est confirmée par un tiers.

Les griefs évoqués dans la lettre de licenciement se sont pas pertinents et ne pouvaient justifier le licenciement pour faute grave de Monsieur [G].

Le jugement sera confirmé tant en ce qui a trait au licenciement lui-même qu'en ce qui a trait aux conséquences financières de ce licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur la demande de remboursement de frais professionnels :

Monsieur [G] demande le remboursement d'une somme de 1.289,66 € représentant le remboursement de frais engagés au titre :

- d'un billet d'avion sur la compagnie TAM entre [Localité 4] et [Localité 6] en date du 4 Novembre 2006 pour un montant de 824,66 €,

- du coût du taxi au Brésil pour 100 €,

- du coût des pourboires et divers pendant 7 jours : 280 €

- du taxi entre l'aéroport et son domicile à son retour soit 85 €.

La société Tocqueville conteste que ce voyage ait été fait pour la société, souligne que Monsieur [G] ne justifie pas d'un ordre de mission et rappelle que Monsieur [G], étant mis à pied à compter du 16 Novembre 2006, elle ne doit supporter le coût d'un voyage réalisé à compter de cette date.

Toutefois, Monsieur [G] verse aux débats divers documents et notamment le reçu passager du voyage de liaison entre [Localité 4] et [Localité 6] des 4 et 7 novembre 2006, soit à des dates où il travaillait encore au sein de la société Tocqueville.

Par ailleurs, Monsieur [G] justifie avoir remboursé à la société le coût d'un voyage dont les frais lui avaient été avancés pour le 23 Novembre 2006 et qu'il n'a pas effectué en raison de la mise à pied intervenue entre temps.

Dans ces conditions, le jugement sera en conséquence infirmé sur ce point et la société Tocqueville Finance condamnée au règlement de la somme de 1.289,66 € à Monsieur [G].

Sur la demande relative à la prime 2006 :

Au soutien de sa demande de versement d'une prime de 53.170 € pour l'année 2006, Monsieur [G] revendique la réalité d'un usage s'imposant à la société.

C'est pertinemment que la société Tocqueville conteste qu'il s'agisse d'un usage constant, fixe et général puisque le contrat de travail prévoit en son article 4, la disposition suivante: 'vous pourrez bénéficier également, en fonction des résultats de la société et sans qu'elle présente un caractère obligatoire, d'une prime individuelle versée après la clôture des comptes'.

Elle estime en conséquence, que la prime ne présentait aucun caractère obligatoire, qu'elle n'était pas tenue de la verser.

Toutefois, les contrats de travail sont soumis comme toute convention à l'article 1134 du code civil, et tiennent lieu de lois à ceux qui les ont signés. Ils doivent au surplus être exécutés de bonne foi.

Il résulte des circonstances propres à l'espèce que la prime contractuellement prévue a été versée à Monsieur [G] chaque année et augmentait régulièrement au regard des résultats de l'entreprise.

Il apparaît aussi que Monsieur [G], qui avait initié une procédure contentieuse à l'encontre de la société Tocqueville Finance, a été licencié en fin d'année 2006, l'employeur n'alléguant en aucune façon, une diminution des résultats de celui-ci.

Le refus de procéder au paiement de la prime dès lors que la société Tocqueville n'établit pas une baisse significative de ses résultats au cours de l'année 2006, apparaît manifestement être en lien avec le litige existant et la décision de procéder au licenciement pour faute de Monsieur [G].

Ce refus de versement de la prime caractérise dans ce contexte, une inexécution de la clause contractuelle de la part de l'employeur exclusive de bonne foi au regard du travail réalisé par son salarié au cours de l'exercice de l'année 2006.

Il sera fait droit à la demande en paiement de la prime.

Par ailleurs, à défaut pour la société Tocqueville Finance de fournir toute précision sur les modalités de calcul d'une telle prime en fonction des résultats de l'entreprise, il sera fait droit à la demande tendant à fixer à la somme de 53.170 € le montant de cette prime annuelle allouée à Monsieur [G].

Le jugement sera en conséquence infirmé sur ce point et la société Tocqueville Finance condamnée au paiement de la somme de 53.170 € au profit de son ancien salarié.

Sur l'indemnité au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile :

Le jugement du conseil de prud'hommes sera confirmé en ce qu'il a alloué une indemnité de 550 € à Monsieur [G] au titre de l'article 700 du code de procédure civile .

L'équité impose par ailleurs d'allouer à Monsieur [G] la somme qu'il réclame au titre des frais irrépétibles qu'il a exposés au soutien de l'appel interjeté.

La société Tocqueville Finance sera en conséquence condamnée à lui verser la somme de 3.500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Statuant contradictoirement et publiquement

Confirme le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Paris en ce qu'il a :

- considéré le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamné Tocqueville Finance SA à régler à Monsieur [G],

* 23.794,98 € au titre de l'indemnité de préavis,

* 2.379,99 € au titre des congés y afférents,

* 21.321,21 € au titre de l'indemnité de licenciement,

ces sommes portant intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation,

* 47.499,96 € au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 550 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Infirme le jugement déféré pour le surplus,

Statuant à nouveau,

Condamne Tocqueville Finance SA à régler à Monsieur [G] les sommes suivantes :

- 1.800.000 € au titre du préjudice résultant du non respect des engagements,

- 1.289,66 € au titre des frais exposés,

- 53.170 € au titre de la prime annuelle,

- 3.500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Condamne Tocqueville Finance SA aux entiers dépens.

LE GREFFIER, LA PRESIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 08/07194
Date de la décision : 21/01/2010

Références :

Cour d'appel de Paris K8, arrêt n°08/07194 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2010-01-21;08.07194 ?
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