RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 8
ARRET DU 14 Janvier 2010
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 07/04468 - MPDL
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 09 Mai 2007 par le conseil de prud'hommes de PARIS section encadrement RG n° 04/16777
APPELANTE
1° - Madame [W] [K]
[Adresse 4]
[Localité 1]
représentée par Me Yves MAYNE, avocat au barreau de PARIS, toque : L 59
INTIMEE
2° - SOCIETE LES EDITIONS DU SEUIL
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Dominique DE LEUSSE, avocat au barreau de PARIS, toque : M.1588
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 Novembre 2009, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Marie-Pierre DE LIEGE, Présidente, chargée d'instruire l'affaire, en présence de Mme Irène LEBE, Conseiller,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Marie-Pierre DE LIEGE, président
Mme Irène LEBE, conseiller
Mme Marie-Antoinette COLAS, conseiller
Greffier : Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile.
- signé par Mme Marie-Pierre DE LIEGE, présidente et par Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LES FAITS :
Mme [W] [K] a été engagée par la SCA Les Editions du Seuil, en 1980, exerçant successivement les fonctions de lectrice, conseiller littéraire et directrice littéraire.
Après une tentative infructueuse de négociations entre les parties, ayant duré plusieurs années et tendant de la part de Mme [W] [K], à obtenir paiement avant son départ en retraite de droits d'auteur, Mme [W] [K] était mise à la retraite par son employeur en juin 1999.
Estimant cette mise à la retraite injustifiée, Mme [W] [K] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris en 2000, aux fins de voir requalifier cette mise à la retraite en licenciement sans cause réelle ni sérieuse.
Par jugement devenu définitif du 16 octobre 2000, Mme [W] [K] a été déboutée de ses demandes.
Le 7 mars 2001 elle a alors assigné Les Editions du Seuil devant le TGI de Paris, afin de se voir reconnaître la qualité de co-auteur de certains ouvrages, puis celle d'auteur de collections, en vue de percevoir des droits d'auteur.
La SCA Les Editions du Seuil ayant soulevé l'incompétence du TGI, celui-ci s'est néanmoins reconnu compétent, le contredit formé par la société d'édition étant rejeté par la cour d'appel, le 5 juin 2002. La SCA Les Editions du Seuil s'est pourvue en cassation.
Le 13 janvier 2004, alors que la procédure en cassation était toujours en cours, le tribunal de grande instance, ne lui reconnaissant pas la qualité d'auteur, a débouté Mme [W] [K] de l'ensemble de ses demandes. Le 4 février 2004 Mme [W] [K] a interjeté appel de ce jugement.
Par arrêt du 2 juin 2004, la Cour de Cassation, chambre sociale, a cassé l'arrêt de la cour d'appel de Paris et dit que le dossier relevait de la compétence du conseil de prud'hommes de Paris, dans la mesure où le différend était né à l'occasion du contrat de travail de Mme [W] [K]. Le dossier a été transmis à ce conseil de prud'hommes, instance que Mme [W] [K] a saisie par lettre recommandée en date du 27 décembre 2004.
Parallèlement, le 17 janvier 2005, elle se désistait de son appel contre le jugement du tribunal de grande instance qui l'avait déboutée.
Devant le conseil de prud'hommes de Paris, Mme [W] [K] a soutenu qu'elle avait fait oeuvre de création intellectuelle originale dans la conception et la création des collections «Point Virgule», «Petit Point» ainsi que pour les «Dicos de Point Virgule', ceci, en sus des fonctions de conseiller littéraire de nature salariale qu'elle exerçait pour le compte des Editions du Seuil.
Soutenant avoir donc la qualité d'auteur desdites collections, et pouvoir en conséquence prétendre au versement d'une rémunération proportionnelle sur l'exploitation par la société éditrice de ses droits patrimoniaux d'auteur, Mme [W] [K] demandait au conseil, fixant le taux de redevance à 1% du prix de vente des ouvrages au public, de condamner, après expertise, Les Editions du Seuil à lui verser cette rémunération proportionnelle pour la période de 1980 à 2003.
Par décision de départage du 9 mai 2007, le conseil de prud'hommes de Paris, section encadrement chambre 1, en application du principe de l'unicité de l'instance posé par l'article R.516-1 du code du travail, devenu R.1452-6 dans la nouvelle numérotation, a déclaré irrecevables les demandes de Mme [W] [K], relevant que le différend dont il était saisi était né à l'occasion du contrat de travail comme l'a jugé la Cour de Cassation dans son arrêt du 2 juin 2004 et que le fondement des demandes dont il était saisi était apparu avant la première saisine du conseil comme l'établissait notamment une lettre entre les parties en date du 6 juin 1999.
Mme [W] [K] a régulièrement fait appel de cette décision.
Ses demandes tendent à se voir reconnaître, au-delà des fonctions salariales exercées, la qualité de créateur de concepts nouveaux et originaux à l'origine de quatre collections qu'elle dit avoir créées pour le compte de la société Les Editions du Seuil : «Point Virgule», «Petit Point», «Dicos de Point Virgule» et «Salut l'artiste».
S'agissant de l'irrecevabilité des demandes formulées dans le cadre de la présente instance, elle soutient que le principe de l'unicité de l'instance :
- ne concerne que les demandes qui dérivent d'un même contrat de travail et tendent aux mêmes fins, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, ses demandes actuelles concernant des droits d'auteur, alors que la première instance devant le conseil de prud'hommes concernait la rupture de son contrat de travail,
-ne s'applique pas en présence d'un fondement nouveau révélé postérieurement à la première saisine du conseil de prud'hommes, soutenant que sa saisine actuelle tire son fondement de l'arrêt de la Cour de Cassation du 2 juin 2004 qui a désigné expressément le conseil de prud'hommes pour statuer sur sa demande.
Mme [W] [K] plaide également que le principe de l'unicité de l'instance qui lui est opposé dans le présent litige est contraire au principe de libre accès au juge fondé sur l'article 6-1de la Convention européenne des droits de l'homme.
Sur le fond, elle demande à la cour de prendre acte de ce que Les Editions du Seuil signent habituellement des contrats de directeur de collection stipulant des rémunérations spécifiques, reconnaissant ainsi à ceux ci des droits spécifiques résultant de leur contribution à une collection, alors qu'elle-même n'a été rémunérée que pour ses activités salariales, en dépit du fait que les Editions du seuil exploitaient les collections et ouvrages publiées dans les collections qu'elle avait créées et dirigées.
Elle demande donc à la cour, de condamner Les Editions du Seuil à lui verser, au titre de sa création intellectuelle originale dans la conception et la création des collections sus mentionnées et en sa qualité d'auteur desdites collections une rémunération équivalente à 1% du prix de vente au public de ses ouvrages.
Elle sollicite en conséquence la condamnation de la société Les Editions du Seuil à lui payer la somme provisionnelle de 152.449,02 € au titre de sa rémunération proportionnelle d'auteur pour la période de 1980 à 2003.
Elle sollicite ensuite la désignation d'un expert aux frais avancés des Editions du seuil afin que celui-ci détermine, à partir du nombre d'exemplaires d'ouvrages vendus et de leurs prix de vente, le montant des sommes qui lui sont dues.
Elle demande en outre la publication du jugement à intervenir, aux frais avancés des Editions du seuil dans les journaux le Monde des livres, le Figaro littéraire, Livre hebdo.
Elle demande que les Editions du seuil soient condamnées à mentionner dans tous les ouvrages à venir desdites collections le mot «collection créée par [W] [K]», sous astreinte de 500 € par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir. Elle sollicite enfin 5.000 € pour frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La SCA Les Editions du Seuil résiste à cet appel en soulevant l'irrecevabilité de l'intégralité des demandes de Mme [W] [K], demandant à la cour de la débouter purement et simplement.
Subsidiairement elle demande à la cour de dire que Mme [W] [K] ne peut se prévaloir de la qualité d'auteur des collections «Point Virgule», « Petit Point » ainsi que pour les «Dicos de Point Virgule» et de débouter en conséquence celle-ci de ses demandes.
Plus subsidiairement encore elle demande à la cour, dans l'hypothèse où elle dirait que Mme [W] [K] est auteur desdites collections, de dire que celle-ci constituent «des oeuvres de collaboration» et en conséquence de déclarer irrecevables, en l'état, et en application de l'article L.113-2 du code de la propriété intellectuelle, les demandes de Mme [W] [K], Messieurs [B] et [J] n'étant pas dans la cause.
Les Editions du Seuil sollicitent 3.000 euros pour frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile.
LES MOTIFS DE LA COUR :
Vu le jugement du conseil de prud'hommes, les pièces régulièrement communiquées et les conclusions des parties, soutenues oralement à l'audience, auxquels il convient de se référer pour plus ample information sur les faits, les positions et prétentions des parties.
Sur la recevabilité des demandes de Mme [W] [K] dans le cadre de la présente instance, au regard du principe d'unicité de l'instance :
Selon l'ancien article L.511-1 du code du travail «le conseil de prud'hommes règle... les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail...».
Par ailleurs, l'article R.516-1(ancienne numérotation) dispose que «toutes les demandes dérivant du contrat de travail entre les mêmes parties doivent, qu'elles émanent du demandeur ou du défendeur, faire l'objet d'une seule instance, à moins que le fondement des prétentions ne soit né ou ne soit révélé postérieurement à la saisine du conseil de prud'hommes».
De manière non contestée, Mme [W] [K] n'a pu jouer le rôle qu'elle soutient avoir joué vis-à-vis de la création des différentes collections au sujet desquelles elle revendique, au-delà de sa qualité de salarié, la qualité d'auteur ou de co-auteur, que parce qu'elle bénéficiait d'un contrat de travail, lui permettant de disposer d'un certain nombre d'informations, de contacts et d'exercer un certain nombre de responsabilités au sein des Editions du Seuil.
L'une des questions de fond essentielles posées dans le cadre de la présente instance consiste à savoir si les prestations de Mme [W] [K] au regard desdites collections s'inscrivait dans le cadre de ses prestations salariales pour lesquelles lui était réglé un salaire et 'dérivaient' donc du contrat de travail et/ou si elles étaient d'une autre nature, lui ouvrant droit à des droits d'auteur, en rémunération de sa création intellectuelle.
Le différend relatif à la question de ses droits d'auteur, s'est donc indéniablement élevé «à l'occasion» de ce contrat de travail.
Or, ce litige était né et connu des parties avant même que le conseil de prud'hommes saisi sur la question du licenciement n'ait rendu sa décision, devenue définitive, le 16 octobre 2000.
Les demandes de Mme [W] [K] ne trouvent donc pas leur justification dans un élément qui se serait «révélé postérieurement» à la décision du conseil de prud'hommes.
C'est en effet la règle posée par l'article L.511-1 du code de procédure civile, règle qui préexistait à l'instance devant le conseil de prud'hommes relative à la rupture du contrat de travail, et non pas la décision de la Cour de Cassation, intervenue postérieurement, après que la décision du conseil de prud'hommes soit devenue définitive, qui constituait le fondement de la compétence du conseil de prud'hommes.
Contrairement à ce qu'affirme Mme [W] [K] la décision rendue par la Cour de Cassation le 4 juin 2004 ne constituait pas 'un élément de force majeure imprévisible', en dépit de quelques décisions divergentes de juridictions inférieures. La Cour de Cassation n'a fait que tirer les conséquences des textes en vigueur à l'époque, il n'y a eu aucun revirement de sa part.
C'est, d'autre part, à tort, comme l'a justement relevé le conseil de prud'hommes, que Mme [W] [K] soutient, ajoutant aux exigences du texte et aux principes posés par la jurisprudence, que la demande doit dériver du même contrat, mais aussi tendre aux mêmes fins.
En l'espèce, le litige relatif aux droits d'auteur dérive du même contrat, seule condition exigée par la loi et raison pour laquelle la Cour de Cassation a dit que le conseil de prud'hommes était compétent.
Il ne tend pas aux mêmes fins, condition qui n'est pas exigée par la loi, ni par la jurisprudence de la Cour de Cassation invoquée par la salariée, qui fait dire davantage à cette décision que ce qu'elle disait.
Au-delà, Mme [W] [K] invoque le principe de libre accès au juge, posé par l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme qui dispose : «toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle...».
Ce principe qui s'impose aux juridictions françaises, ne saurait toutefois aboutir à mettre à néant les règles de procédure, -compétence, prescriptions, unicité de l'instance etc-, prévues en droit interne.
En l'espèce, Mme [W] [K] a bénéficié du principe du libre accès au juge, dans la mesure où, le litige concernant les droits d'auteur étant déjà pendant entre les parties, comme en témoigne la lettre adressée par Les Editions du Seuil à Mme [W] [K] le 6 Juin 1999, elle pouvait, encore à cette date, saisir le conseil de prud'hommes, juridiction répondant aux exigences prévues par l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme, de ce litige qui s'élevait à l'occasion de son contrat de travail.
Aussi, Mme [W] [K] a donc disposé, conformément au principe posé par la Convention européenne des droits de l'homme, du libre accès au juge, l'impossibilité dans laquelle elle se trouve aujourd'hui de faire valoir ses droits ne résultant que de l'erreur commise par elle concernant la juridiction compétente pour
connaître du litige relatif aux droits d'auteur qu'elle revendiquait.
Rien ne permet cependant de considérer que Mme [W] [K] ait été «induite en erreur», quand elle a décidé le 7 mars 2001, alors que la décision du conseil de prud'hommes était devenue définitive, d'assigner Les Editions du Seuil devant le TGI de Paris.
Rien ne permet en revanche d'exclure qu'elle ait tenté par cette saisine de contourner l'erreur qu'elle avait commise en ne soumettant pas ses demandes relatives aux droits d'auteur, demandes connexes à son contrat de travail, à la juridiction prud'homale.
Mme [W] [K] devait donc saisir le conseil de prud'hommes de Paris, de ce litige déjà né sur les droits d'auteur, dans le cadre de la première instance qui a abouti à un jugement définitif le 16 octobre 2000.
Sa présente demande est donc irrecevable, au regard du principe d'unicité de l'instance et la cour confirmera la décision du conseil de prud'hommes, déboutant Mme [W] [K] ne l'ensemble de ses demandes.
Sur la demande de dommages et intérêts au titre de l'article 700 du Code de procédure civile :
La Cour considère que, compte tenu des circonstances de l'espèce, il n'apparaît pas inéquitable de faire supporter par chacune des parties la totalité des frais de procédure qu'elle a été contrainte d'exposer.
PAR CES MOTIFS,
En conséquence, la Cour,
Confirme la décision du Conseil de prud'hommes,
Condamne Mme [W] [K] aux entiers dépens de l'instance.
LE GREFFIER, LA PRESIDENTE,