RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 8
ARRET DU 17 Décembre 2009
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 08/07183 - MPDL
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 14 Mars 2008 par le conseil de prud'hommes d'EVRY section commerce RG n° 07/00361
APPELANTE
1° - Madame [G] [E]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Daniel-René HEMARD, avocat au barreau de PARIS, toque : D 1297
INTIMEE
2° - SAS PEUVRIER JUNIOR
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Deny ROSEN, avocat au barreau de PARIS, toque : P453
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 Novembre 2009, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Marie-Pierre DE LIEGE, Présidente, chargée d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Marie-Pierre DE LIEGE, président
Mme Irène LEBE, conseiller
Mme Marie-Antoinette COLAS, conseiller
Greffier : Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile.
- signé par Mme Marie-Pierre DE LIEGE, présidente et par Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LES FAITS :
Mme [G] [E] a été engagée le 2 mai 2005 en qualité de VRP, suivant contrat à durée indéterminée, modifié par avenant du 3 octobre 2005, par la SAS PEUVRIER Junior.
Elle se voyait attribuer le secteur sud-ouest.
Par LRAR du 23 octobre 2006 elle était licenciée pour motif économique, son poste étant supprimé, de même que les autres postes de représentants exclusifs de l'entreprise.
Mme [G] [E] saisissait alors le conseil de prud'hommes d'Évry pour contester son licenciement, invoquant également une exécution déloyale de son contrat de travail et réclamant un rappel sur frais de déplacement.
Par décision du 14 mars 2008, section commerce, celui-ci disait le licenciement pour motif économique justifié et déboutait la salariée de ses demandes à ce titre , lui octroyant toutefois une somme de 769,62 euros à titre de rappel sur frais de déplacement.
Mme [G] [E] a régulièrement formé le présent appel contre cette décision.
Reprenant les accusations d'exécution déloyale de son contrat de travail et le caractère non fondé du licenciement économique, ainsi que l'absence de recherche préalable de reclassement et de justification de la suppression de l'emploi pour sauvegarder la compétitivité de l'entreprise elle demande à la cour de :
- constater l'exécution déloyale du contrat de travail et constater que son emploi n'a pas été supprimé mais a été transféré ;
- constater que la SAS PEUVRIER Junior ne justifie pas d'une recherche préalable de reclassement, ni de la suppression de son emploi ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné l'employeur à lui payer 769,62 euros pour frais de déplacement ;
- l' infirmer en ses autres dispositions pour dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et lui allouer 18'000 euros d'indemnité à ce titre ainsi que 9.000 euros de dommages et intérêts pour l'exécution déloyale.
Elle sollicite également 2.500 euros pour frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La SAS PEUVRIER Junior qui est une société holding contrôlant deux filiales les sociétés MatFlor et Coming B, sociétés qui ont pour activité la distribution l'importation d'accessoires de décoration et de fleuristerie a formé appel incident.
Elle demande à la cour de confirmer la décision du conseil de prud'hommes en ce qu'il a écarté une exécution déloyale du contrat de travail et dit le licenciement économique fondé sur une cause réelle et sérieuse en déboutant la salariée de ses demandes à cet égard.
La SAS PEUVRIER Junior sollicite 1.500 euros pour frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile.
L'entreprise compte plus de 11 salariés.
Le salaire brut moyen mensuel de Mme [G] [E] était de 1.934,76 euros.
La société relève de la convention collective du personnel des prestataires de services dans le domaine du secteur tertiaire.
LES MOTIFS DE LA COUR :
Vu le jugement du conseil de prud'hommes, les pièces régulièrement communiquées et les conclusions des parties, soutenues oralement à l'audience, auxquels il convient de se référer pour plus ample information sur les faits, les positions et prétentions des parties.
Sur l'exécution déloyale du contrat de travail :
La cour considère que c'est après une analyse exacte des faits et en fonction de motifs justes et pertinents qu'elle reprend à son compte, que le conseil de prud'hommes a débouté la salariée de sa demande à ce titre, relevant que celle-ci ne rapporte en effet aucune preuve d'une mise en oeuvre effective d'un quelconque système de «doublage » qui, dans l'hypothèse où il aurait existé, ce qui n'est pas établi avec certitude, n'est en tout état de cause resté qu'au niveau de simples «préliminaires».
La cour ne saurait dans ces circonstances retenir une exécution déloyale du contrat de travail.
Sur l'application de l'article L.1224-1 du code du travail :
La salariée, qui rappelle que lorsque survient une modification de la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, le contrat de travail en cours au jour de la modification subsiste entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise, reproche au conseil de prud'hommes de ne pas avoir répondu à cet argument.
Force est toutefois de constater, qu'elle ne rapporte aucun élément de preuve, permettant de retenir que l'on se trouverait précisément dans l'un des cas visés ci-dessus.
Rien ne permet d'affirmer qu'il y ait eu transfert d'une entité économique autonome, entraînant transfert des contrats de travail, même s'il n'est pas contesté que les activités de distribution des produits des sociétés MatFlor et Coming B se sont poursuivies.
Par ailleurs, aucune preuve n'est rapportée de ce que de nouveaux VRP auraient été embauchés ou que la société aurait recouru au système d'agents commerciaux, pour remplacer les VRP licenciés.
Les circonstances de l'espèce ne justifient donc pas d'invoquer l'application de l'article sus visé.
Sur la rupture du contrat de travail de Mme [G] [E] :
Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification substantielle du contrat de travail, consécutive notamment à des difficultés économiques, à des mutations technologiques, ou à une réorganisation de l'entreprise décidée pour sauvegarder la compétitivité de l'entreprise ou du secteur d'activité du groupe auquel elle appartient. Ces circonstances doivent être clairement énoncées dans la lettre de rupture.
En l'absence de définition légale des difficultés économiques, celles-ci s'apprécient au cas par cas, au moment de la rupture, le principe étant que leur réalité doit être matériellement vérifiable.
Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent, à défaut et sous réserve de l'accord exprès du salarié, sur un emploi d'une catégorie inférieure, ne peut être réalisé dans le cadre de l'entreprise ou, le cas échéant dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient ; les offres de reclassement proposées au salarié doivent être écrites et précises.
S'agissant de la réalité et de l'importance des difficultés économiques invoquées pour justifier le licenciement, la cour considère, comme le conseil de prud'hommes dont elle adopte également sur ce point les motifs, que les pièces portées au dossier ainsi que les débats permettent de retenir comme réelles et durables les difficultés économiques invoquées.
Ces difficultés, mentionnées précisément dans la lettre de licenciement, qui affectaient les trois sociétés depuis au moins trois exercices, et qui avaient été à l'origine d'une première réorganisation ayant entraîné le recrutement de VRP parmi lesquels Mme [G] [E], étaient suffisamment graves pour contraindre la société, alors que les commissaires aux comptes avaient déclenché une procédure d'alerte le 24 août 2006, à rechercher une réduction de ses coûts, le cas échéant, à travers une nouvelle réorganisation.
Par ailleurs, cette lettre précise que la réorganisation décidée aboutissait à la suppression du poste de l'appelante, ce qui n'est pas utilement combattu, aucune embauche de remplacement n'étant établie. L'employeur soutient sans être utilement contesté qu'il est revenu après le licenciement des VRP au système antérieur consistant à démarcher les clients par téléphone, en mobilisant à cet effet trois salariées déjà présentes dans l'entreprise.
Il convient par ailleurs de relever que le licenciement étant intervenu au dernier trimestre de l'année 2006, comme le relève la salariée, les résultats se sont améliorés dès l'exercice 2006/ 2007, étant remarqué que précisément ce redressement est postérieur aux licenciements.
Il ne saurait par ailleurs être reproché à l'employeur d'avoir sur cet exercice, provisionné une somme de 74.800 euros pour faire face aux procédures judiciaires consécutives aux licenciements.
Les conditions d'un licenciement économique étaient donc réunies.
Cependant, s'agissant de l'obligation de reclassement, qui pesait dès lors sur l'employeur, la cour, divergeant en cela du conseil de prud'hommes, considère que celui-ci n'y a pas fait face de manière satisfaisante.
En effet, il indique dans la lettre de licenciement : «nous vous précisons qu'avant de notifier le licenciement et d'engager la procédure, nous avions étudié toutes les possibilités de reclassement qui aient pu vous être proposées, que ce soit au sein de PEUVRIER Junior ou bien au sein des sociétés MatFlor et Coming B, malheureusement nous n'avons pu vous faire aucune proposition (aucune création de poste ni embauche en cours aucun poste devant se libérer).
Or, il ressort de la consultation du registre du personnel que la SAS PEUVRIER Junior a recruté durant le mois de décembre 2006 et janvier 2007 plusieurs salariés : un comptable ; un responsable de flux logistique ; un responsable service exploitation ; ainsi que deux chauffeurs dont un également conseiller en vente et une manutentionnaire également conseillère en vente.
Or, ces recrutements, s'ils sont intervenus après la date de notification du licenciement, étaient nécessairement déjà envisagés lors de celui-ci. Pourtant, aucun de ces postes n'a été proposé au salarié, et la société qui prouve pourtant par ces recrutements qu'elle avait des besoins nouveaux en fonction de sa nouvelle organisation, n'établit nullement avoir seulement recherché, avant de licencier les deux VRP quelles modalités d'adaptation de ces postes ou de formation des VRP licenciés elle pouvait envisager pour leur proposer un reclassement sur l'un de ces postes, alors qu'elle expose précisément dans ses écritures avoir pourvu certains de ces postes par redéploiement interne, redéploiement qui n'a manifestement pas été envisagé pour les deux VRP licenciés.
La société n'établit pas davantage qu'affecter ces salariés sur certains des postes ouverts au recrutement aurait nécessité d'assurer une «formation initiale » et non pas seulement «complémentaire» de ceux-ci.
La SAS PEUVRIER Junior n'a donc pas satisfait à son obligation de reclassement ce qui a fait de ce licenciement un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Compte tenu des circonstances de l'espèce, de l'ancienneté dans son emploi de la salariée, et du préjudice qu'elle a nécessairement subi à la suite de celui-ci même si elle a rapidement retrouvé un emploi la cour fixe à 5.000euros la somme due en application de l'article L.1232 5 du code du travail.
Sur les frais de déplacement :
Sur ce point, et en l'absence d'éléments nouveaux, la cour rappelant que la salariée affirme, sans être contredite, avoir à la suite de son accident et pendant un temps utilisé un véhicule qui lui avait été prêté, retiendra le kilométrage de 11'147 km allégué par Mme [G] [E] et confirmera la décision la décision des premiers juges et condamnera en conséquence l'employeur à rembourser la somme de 769,62 euros.
Sur la demande de dommages et intérêts au titre de l'article 700 du Code de procédure civile :
La Cour considère que, compte tenu des circonstances de l'espèce, il apparaît inéquitable de faire supporter par Mme [G] [E] la totalité des frais de procédure qu'elle a été contrainte d'exposer. Il sera donc alloué une somme de 2.500 euros, à ce titre pour l'ensemble de la procédure.
PAR CES MOTIFS,
En conséquence, la Cour,
Confirme la décision du conseil de prud'hommes en ce qui concerne le remboursement des frais de déplacement.
L'infirme pour le surplus et statuant à nouveau et y ajoutant :
Dit le licenciement pour motif économique de Mme [G] [E] dépourvu de cause réelle et sérieuse, faute pour l'employeur d'avoir satisfait à son obligation de reclassement,
Condamne la SAS PEUVRIER Junior à payer à Mme [G] [E] la somme de 5.000 euros, à titre d'indemnité pour licenciement abusif en application de l'article L.1235-5 du code du travail,
Déboute les parties de leurs demandes complémentaires ou contraires.
Condamne la SAS PEUVRIER Junior à régler à Mme [G] [E] la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile pour l'ensemble de la procédure.
La condamne aux entiers dépens de l'instance.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,