RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 8
ARRET DU 17 Décembre 2009
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 08/02049 - MAC
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 13 Février 2008 par le conseil de prud'hommes de LONGJUMEAU section commerce RG n° 06/00959
APPELANT
1° - Monsieur [O] [M]
[Adresse 2]
[Localité 4]
comparant en personne, assisté de Me Sylvie CHATONNET-MONTEIRO, avocat au barreau de l'ESSONNE
INTIMEE
2° - SARL NOVEA venant aux droits de la SARL SEPT OF COURSE
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Bernard PARADIS, avocat au barreau de HAUTS DE SEINE, toque : PN 373
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Novembre 2009, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Marie-Pierre DE LIEGE, Présidente, chargée d'instruire l'affaire, en présence de Mme Marie-Antoinette COLAS, Conseiller,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Marie-Pierre DE LIEGE, président
Mme Irène LEBE, conseiller
Mme Marie-Antoinette COLAS, conseiller
Greffier : Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile.
- signé par Mme Marie-Pierre DE LIEGE, présidente et par Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Suivant un contrat à durée indéterminée en date du 4 octobre 1995, Monsieur [M] a été engagé par la société Sept of Course en qualité de chauffeur coursier avec reprise de son ancienneté au 20 Février 1989.
La convention collective applicable est celle des transports routiers.
Par une correspondance du 6 Mars 2006, il a été convoqué à un entretien préalable avec mise à pied conservatoire.
Par une lettre du 21 Mars 2006, il s'est vu notifier son licenciement pour faute grave.
Contestant les motifs de son licenciement, il a saisi le conseil de prud'hommes de Paris qui a condamné la société Sept of Course à lui verser les sommes suivantes :
-2.977,86 € au titre du préavis,
- 297,78 € au titre des congés payés afférents,
-1.122,46 € au titre de la mise à pied,
-112,24 € au titre des congés payés afférents,
- 3.118,74 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,
- 1.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Monsieur [M] a interjeté appel de ce jugement.
Dans des conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience, Monsieur [M] demande à la cour de condamner la SAS Novea venant aux droits de la société Sept of Course à lui verser les sommes suivantes :
- 26.800 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 5.159 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
- 2.000 € au titre de l'indemnité prévue par les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Il conclut à la confirmation des autres condamnations.
Aux termes des écritures reprises oralement, la SAS Novéa forme également appel contre le jugement rendu par le conseil de prud'hommes. Elle demande à la cour de dire que le licenciement repose sur une faute grave et par voie de conséquence elle réclame le remboursement des sommes mises à sa charge par le jugement et qu'elle a été amenée à verser, soit la somme de 7.243,80 €.
Elle conclut aussi à la restitution du bulletin de salaire remis du fait de l'exécution provisoire de droit et ce sous astreinte de 75 € par jour de retard à compter du 15 éme jour de la notification de l'arrêt à intervenir, la cour se réservant de liquider l'astreinte.
Elle sollicite enfin une indemnité de 2.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS :
Sur le licenciement :
Est une faute grave un fait ou un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations découlant du contrat et des relations du travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.
L'employeur qui invoque une faute grave doit l'établir et la lettre de licenciement circonscrit le litige.
La lettre du 21 Mars 2006 est ainsi libellée :
"jeudi 2 mars dernier, lors de votre arrivée au travail à 10 heures vous avez reçu l'ordre d'enlever un colis à [Localité 6] pour le livrer à [Localité 7]. Vous avez effectué votre livraison à [Localité 7] à 12 heures environ et en avez informé votre responsable au téléphone. Celui-ci vous a alors demandé de prendre votre pause déjeuner d'une heure sur place puis de commencer à prendre le chemin du retour. Dans l'après midi nous avons essayé en vain de vous joindre sur votre téléphone portable pour vous prévenir que vous auriez sur votre trajet du retour un enlèvement à faire chez un client à Roissy. Or en consultant votre position donnée par notre logiciel de localisation, nous avons été surpris de constater qu'au lieu de respecter les consignes de votre responsable, vous étiez parti vous promener en Belgique, d'où vous n'êtes reparti qu'à 15 heures, alors que vous étiez censé reprendre votre service à 14 heures.... Le GPS montrait que vous avez en plus pris le temps de vous arrêter à votre domicile à [Localité 5] puis à un autre endroit à [Localité 5], tout ceci sans autorisation préalable. Vous êtes revenu au bureau à 18h30.
En plus en vérifiant votre carnet individuel de contrôle en fin de semaine nous nous sommes aperçus que vous aviez falsifié le feuillet concernant la journée du 2 mars. Vous vous êtes mis en repos de 12 h à 14 h alors qu'à ce moment là vous étiez au volant de votre véhicule vers la Belgique. De même entre 17h et 18h vous vous êtes mis en position d'attente alors que vous étiez encore sur le chemin du retour. Vous avez rempli votre carnet comme si vous aviez effectué normalement votre chemin de retour, sans tenir compte de vos détours.
De par votre ancienneté vous ne pouvez ignorer que le livret individuel de contrôle est un document officiel qui peut vous être demandé lors d'un contrôle routier et qui sert à mesurer les temps de travail et de conduite.
...Vous avez soutenu être allé en Belgique pour acheter des cartouches de cigarettes moins chères qu'en France, or pour réaliser ces économies vous n'avez pas hésité à passer outre les ordres de votre responsable et à faire subir un préjudice financier à l'entreprise par des frais de route supplémentaires et des heures de travail passées à faire des courses personnelles...".
Monsieur [M] conteste que l'entreprise ait tenté de le joindre sur son portable pour l'affecter à une autre course. Il ne méconnaît pas être allé en Belgique pour acheter des cartouches de cigarettes mais soutient d'une part l'avoir fait sur le temps de sa pause et d'autre part qu'il s'agit d'une pratique courante tolérée par l'employeur quand des courses ont lieu vers le nord de la France.
Il fait valoir que le véritable motif de son licenciement tient d'une part au fait qu'en tant que travailleur handicapé, il ne peut porter des charges lourdes ce qui est une contrainte pour son employeur dans l'organisation des tâches, et d'autre part au motif qu'il avait fait une réclamation de salaire pour le mois de décembre 2005.
L'analyse des documents produits ne permet pas de constater que l'employeur a cherché à joindre Monsieur [M] en début d'après midi pour lui faire enlever un colis à Roissy et a dû y envoyer un autre coursier.
Par ailleurs, d'après le rapport de GPRS produit par l'employeur, Monsieur [M] s'est effectivement rendu en Belgique, le 2 mars 2006, entre 13h14 et 14h59 puis au retour s'est arrêté à [Localité 5] à deux reprises.
En ce qui concerne les deux arrêts à [Localité 5], il convient de faire observer d'une part que cette ville est sur le parcours de retour de [Localité 7] et d'autre part qu'ils ont été courts puisqu'ils ont eu lieu entre 17h55 et 18h 07, et ont donc duré 12 minutes au total, que l'explication selon laquelle Monsieur [M] a pris chez lui une ordonnance pour ensuite la déposer à la pharmacie est plausible au regard de la durée des arrêts qui ne peuvent être retenus comme étant constitutifs d'une cause sérieuse de licenciement.
En ce qui concerne le détour en Belgique, il sera fait observer qu'il a eu lieu à l'occasion de la pause déjeuner dans une amplitude de temps de une heure trois quart, acceptable au regard de la législation du travail, à défaut pour l'entreprise d'indiquer les horaires de travail exigés couramment, alors qu'il n'est pas démontré que Monsieur [M] s'est affranchi d'une tâche qui lui aurait été assignée puisque le prétendu appel téléphonique pour une course à Roissy n'est pas démontré.
Aucune contradiction n'a été apportée à l'affirmation selon laquelle l'entreprise faisait preuve de tolérance pour ces courtes incursions en Belgique à l'occasion d'une course à [Localité 7]. Il sera fait observer que Monsieur [M] n'a pas coupé le GPS alors qu'il n'ignorait pas que le parcours pouvait être ainsi surveillé ce qui tend à confirmer la réalité de cette tolérance et l'absence de méfiance et par conséquent, de déloyauté de la part salarié.
Enfin, l'argument tiré de l'absence de concordance entre le livret individuel et le parcours réel est inopérant dans la mesure où ce livret permet au chauffeur et à l'entreprise de justifier auprès des services de police et de gendarmerie des horaires de conduite et de repos au regard de la législation sur les transports. Les indications portées sur le livret sont loyales à l'égard de la société en ce qu'elles n'auraient permis de relever aucune infraction à cette législation.
Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, les faits relevés par l'entreprise à l'encontre de Monsieur [M] dont l'ancienneté remonte à 1979, et à qui ont été adressés antérieurement des avertissements pour des accidents matériels et non pour des actes de déloyauté ou d'insubordination, ne caractérisent pas une cause sérieuse de nature à justifier un licenciement.
Ainsi le licenciement de Monsieur [M] ne repose t il sur aucune cause réelle et sérieuse.
Le jugement déféré sera infirmé.
Sur les indemnités de préavis, de congés payés y afférents le rappel de salaire pendant la mise à pied et les congés y afférents :
Monsieur [M] sollicite que soient confirmées les dispositions du jugement rendu par le conseil de prud'hommes à ces titres.
Il sera fait droit à cette demande.
Sur la demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :
Monsieur [M] a une ancienneté de 17 ans et 4 mois.
L'entreprise compte plus de onze salariés.
Selon l'article L.1235-3 du code du travail, en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, le juge octroie une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Au regard de l'ancienneté, de l'âge de Monsieur [M] lors de son licenciement (40 ans), de la difficulté à retrouver un emploi puisqu'il a perçu le RSA et a dû suivre une formation pour devenir moniteur auto école, il convient d'arrêter à 20.000 €, le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse que devra lui verser l'employeur.
Sur l'indemnité conventionnelle de licenciement :
Au regard de la reprise d'ancienneté, l'indemnité de licenciement doit être calculée de la façon suivante :
(2/10 x 1488,93 x17 ans) + (2/10 x 1488,93 x 4/12) soit 5.159,04 €.
La société Novea sera condamnée au paiement de cette somme et le jugement déféré infirmé à ce titre.
Sur le remboursement des indemnités au Pôle emploi :
L'article L.1235-4 du code du travail prévoit que, dans le cas de l'article 1235-3 du dit code, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé dans la limite de six mois d'indemnités. Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités.
Dans cette espèce, Monsieur [M] a reçu des indemnités de chômage jusqu'à épuisement de ses droits avant de percevoir le RSA.
Il convient d'ordonner le remboursement au Pôle emploi des indemnités versées à Monsieur [M] dans la limite des six mois.
Sur l'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile :
L'équité commande d'allouer à Monsieur [M] une indemnité de 2.000 € pour les frais exposés par Monsieur [M] au soutien de son appel.
PAR CES MOTIFS,
Statuant contradictoirement et publiquement,
Confirme le jugement déféré en ce qui a trait aux indemnités de préavis, de congés payés y afférents, au rappel de salaire pendant la mise à pied et les congés y afférents,
L'infirme pour le surplus,
Statuant de nouveau,
Condamne la société Novea venant aux droits de la société Sept of Course à verser à Monsieur [M] les sommes suivantes :
- 20.000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 5.159,04 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
- 2.000 € à titre d'indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
Ordonne le remboursement par la société Novea venant aux droits de la société Sept of course au Pôle Emploi des indemnités versées à Monsieur [M] pendant six mois,
Condamne la société Novea venant aux droits de la société Sept of Course aux entiers dépens.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,