RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 1
ARRET DU 16 Décembre 2009
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 09/03846
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 10 Juillet 2008 par le conseil de prud'hommes de PARIS RG n° 06/11052
APPELANT
Monsieur [C] [D]
[Adresse 1]
[Localité 2]
comparant en personne,
assisté de Me Isabelle ROY-MAHIEU, avocat au barreau de PARIS, toque : P 527
INTIMEE
Société EDITION DU NOUVEAU FRANCE SOIR
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Me Stéphane LATASTE, avocat au barreau de PARIS, toque : R137
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 09 Novembre 2009, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Yves GARCIN, Président
Madame Claire MONTPIED, Conseillère
Madame Marie-Bernadette LEGARS,
qui en ont délibéré
Greffier : Madame Sandie FARGIER, lors des débats
A l'audience du 14 décembre 2009, date initiale de délibéré, le président a énoncé que le prononcé de la décision serait prorogé au 16 décembre 2009 .
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Yves GARCIN, président et par Madame Sandie FARGIER, greffier.
Vu l'appel régulièrement interjeté par M. [C] [D] à l'encontre d'un jugement prononcé le 10 juillet 2008 par le conseil des prud'hommes de Paris, qui, statuant sur les demandes qu'il avait formées à l'encontre de la Société Edition du Nouveau France Soir a :
- condamné la Société Edition du Nouveau France Soir à lui payer 15.000 € au titre de l'indemnité de non concurrence avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement,
- débouté M. [C] [D] du surplus de ses demandes,
- débouté la Société Edition du Nouveau France Soir de sa demande reconventionnelle,
- condamné la Société Edition du Nouveau France Soir aux dépens .
Vu les conclusions contradictoirement échangées, visées par le greffier le 9 novembre 2009 et soutenues oralement à l'audience aux termes desquelles M. [C] [D] entend voir :
- condamner la Société Edition du Nouveau France Soir à lui payer :
* 80.000€ à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
* 12.058,58€ à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 1.205,85€ de congés payés y afférents
* 20.334,60€ d'heures supplémentaires
* 2.033,46€ de congés payés y afférents
* 23.520,00€ de dommages et intérêts au titre de la clause de non concurrence ,
- ordonner la remise par la Société Edition du Nouveau France Soir d'un certificat de travail, un solde de tout compte et une attestation Assedic conformes,
- condamner la Société Edition du Nouveau France Soir à lui payer 3.000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ,
Vu les conclusions contradictoirement échangées, visées par le greffier le 9 novembre 2009 et soutenues oralement à l'audience aux termes desquelles la Société Edition du Nouveau France Soir demande à la Cour de :
- infirmer le jugement en ce qu'il a alloué des dommages et intérêts au titre de la clause de non concurrence et confirmer le jugement pour le surplus ,
en conséquence ,
- débouter M. [C] [D] de ses demandes,
subsidiairement
- ramener le montant des dommages et intérêts alloués au titre de la clause de non concurrence à de plus justes proportions ,
- condamner M. [C] [D] à verser à la Société Edition du Nouveau France Soir 2.500€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
SUR CE LA COUR :
Attendu qu'il est constant que :
-M. [C] [D] a été embauché, le 17 septembre 2001, dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée, en qualité de rédacteur en chef- statut journaliste- moyennant une rémunération fixe mensuelle de 5.573,41€ sur 13 mois, par la société Presse Alliance, société éditrice du quotidien France Soir,
- le 31 octobre 2005 , le Tribunal de Commerce de Bobigny a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Presse Alliance,
- par jugement du tribunal de commerce de Lille du 12 avril 2006 , confirmé par arrêt de la Cour d'appel de Douai du 16 mai 2006 , un plan de redressement par cession d'actifs au profit de la SAS Groupe VME Patrimoine a été arrêté ,
- dans ce cadre, le quotidien France Soir a été cédé à la Société les Editions du Nouveau France Soir -détenue à 100% par le société VME Patrimoine - qui a repris à compter de juin 2006, en application de l'article L 122-12 devenu 1224-1 du code du travail, 51 contrats de travail dont celui de M. [C] [D],
- le 12 septembre 2006 , M. [C] [D] a demandé à bénéficier de la clause de cession prévue par l'article L 761-7 du code du travail devenu L 7112-5 et à être libéré de ses engagements envers France Soir,
- par courrier du même jour, la Société Edition du Nouveau France Soir l'a libéré de tout engagement à compter du 12 septembre 20006,
- par courrier du 5 octobre 2006 M. [C] [D] a demandé le paiement de son indemnité de licenciement,
- le 10 octobre 2006 M. [C] [D] a saisi le conseil des prud'hommes aux fins , notamment, de voir reconnaître l'imputabilité de la rupture de son contrat de travail à l'employeur ;
Sur la rupture du contrat de travail
Considérant que par courrier du 12 septembre 2006, M. [C] [D] a demandé, en application de l'article L 761-7 du code du travail ( devenu L 7112-5) , qui prévoit un mode de rupture spécifique pour les journalistes, notamment dans les hypothèses de cession du journal, à être libéré de ses engagements envers l'entreprise France Soir par un courrier ainsi rédigé :
' Je soussigné ..... demande par la présente l'application de l'article L 761-7 du code du travail .
En conséquence je demande à être libéré de tous mes engagements envers l'entreprise France Soir à compter de ce jour et demande que me soit établi mon solde de tout compte ainsi que tous les documents nécessaires dans les meilleurs délais' ;
que par courrier du même jour l'employeur a accepté de le libérer de tout engagement ;
Que M. [C] [D] a , par courrier du 5 octobre 2006, reçu par l'employeur le 6 octobre 2006 , réclamé le paiement de ses droits par un courrier en ces termes ;
' J'ai l'honneur d'attirer votre attention sur les conditions dans lesquelles vos services tardent à satisfaire aux engagements que vous avez pris envers moi le 12 septembre dernier s'agissant de l'établissement du solde de tout compte , du paiement de mes droits et de la remise des documents afférents dans le cadre de ma clause de cession citée en référence .....ces faits me placent dans une situation pécuniaire délicate ....' ;
Considérant qu'aucun délai n'est prévu pour invoquer les dispositions précitées; qu'il suffit que la rupture du contrat de travail, à l'initiative du journaliste , soit motivée par l'une des circonstances énumérées au dit article ; qu'en l'espèce il n'est pas contesté que la rupture est intervenue à la suite de la cession du journal ;
Considérant par ailleurs, qu'il ressort de l'examen des courriers sus visés et de leur chronologie que , quel que soit l'investissement professionnel qui était le sien et le conflit qui l'opposait à son employeur au sujet d'une erreur rédactionnelle, M. [C] [D] n'a, à aucun moment , exprimé une quelconque réserve permettant de considérer que sa volonté d'obtenir le bénéfice des dispositions de l'article L 7112-5 du code du travail, permettant aux journalistes de prendre l'initiative de la rupture de leur contrat de travail, ait été extorquée comme il le prétend et qu'elle soit équivoque de sa part ; qu'au contraire, la réitération de cette volonté, le 5 octobre suivant, soit après un temps de réflexion de plus de 15 jours, pour exiger que l'employeur exécute les conséquences financières d'une telle décision, ne permet pas de considérer ce choix comme équivoque ; que le jugement dont appel sera en conséquence confirmé à cet égard ;
Sur l'indemnité compensatrice de préavis
Considérant qu'aux termes de l'article L 7112-2 du code du travail ' dans les entreprises de journaux, en cas de rupture par l'une ou l'autre des parties du contrat de travail à durée indéterminée d'un journaliste professionnel la durée du préavis est de 2 mois pour une ancienneté supérieure à 3 ans ;
Considérant la rupture du contrat de travail à l'initiative du journaliste se prévalant de l'article L 761-7 du code du travail devenu L 7112-5 n'ouvre pas droit à une indemnité compensatrice de préavis, en dehors de l'hypothèse prévue au 3° de l'article précité, à savoir quand il existe un changement notable dans l'orientation du journal susceptible de créer une situation de nature à porter atteinte à l'honneur du salarié, à sa réputation et d'une manière générale à ses intérêts moraux que le salarié n'est pas tenu d'exercer son préavis ;
Considérant qu'il n'est pas contesté que M. [C] [D] n'a pas exécuté son préavis ; que M. [C] [D] ne produit aucun élément au soutien de l'usage qu'il invoque dans la presse Parisienne, selon lequel en cas d'activation de la 'clause de cession' le préavis serait payé ;
Qu'il convient en conséquence de le débouter de sa demande de préavis par confirmation du jugement dont appel ;
Sur les heures supplémentaires
Considérant que M. [C] [D] réclame le paiement d'heures supplémentaires effectuées entre le 7 juin et le 12 septembre 2006 ; qu'il indique avoir travaillé 12 heures par jour- de10 h à 23 h et 6 jours par semaine et avoir ainsi effectué, en sus des 39 heures légales, 33 heures supplémentaires par semaine ; qu'il réclame en conséquence un rappel de salaire de 20.334,60€ ; qu'il étaye sa demande par la production de diverses attestations , dont celle de Mme [Z] [W] qui indique qu'il travaillait 6 jours sur 7 de 10 h à 23 h ;
Considérant que la preuve des heures supplémentaires n'incombe spécialement à aucune des parties; qu'il appartient à l'employeur , dès lors que le salarié a étayé sa demande, de fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ;
Considérant qu'en l'espèce, force est de constater qu'en dehors de l'observation selon laquelle, M. [C] [D] était en congé payé du 17 juillet au 29 juillet 2006 et des journées de récupération dont il a bénéficié les 30 août, 31 août, 1er septembre, 4 septembre et 5 septembre, ce qui conduit à retrancher la somme de 6.778,20€ par rapport à ses demandes, la Société Edition du Nouveau France Soir n'oppose aucun relevé d'heures justifiant que M. [C] [D] n'a pas effectué les heures supplémentaires dont il demande le paiement; que la Société Edition du Nouveau France Soir ne justifie pas davantage que M. [C] [D] ait été cadre dirigeant ou ait bénéficié d'une convention de forfait, alors même que le contrat de travail précise qu'il était 'rédacteur en chef'et qu'il était 'soumis aux horaires de travail en vigueur pour les journalistes de l'entreprise'; qu'il sera en conséquence alloué à M. [C] [D] la somme de 13.556,40€ outre 1.355,64€ de congés payés y afférents ;
Sur l'indemnité de non concurrence
Considérant que M. [C] [D] réclame 23.500€ au titre de la clause de non concurrence ;
Considérant qu'il n'est pas contesté que la clause de non concurrence prévue au contrat de travail de M. [C] [D] , laquelle ne prévoit pas de contrepartie financière, est nulle ; que les termes utilisés par l'employeur , dans son courrier du 12 septembre 2006 ,selon lesquels que M. [C] [D] était 'libre de tout engagement', ne caractérisent pas une volonté claire et non équivoque de la part de la Société Edition du Nouveau France Soir de renoncer à se prévaloir de la clause de non concurrence ;
Considérant que le respect par le salarié d'une clause de non concurrence illicite lui cause nécessairement un préjudice dont il appartient au juge d'apprécier l'étendue ;
Considérant qu'en l'espèce M. [C] [D] démontre être resté au chômage et estime son préjudice à 30% du montant de son salaire pendant un an , soit 23.520€ , qu'il justifie ainsi de sa demande; qu'il convient en conséquence, réformant le jugement dont appel sur ce point , d'accueillir la demande de M. [C] [D] laquelle est justifiée en son principe et en son quantum ;
Sur la demande de remise de documents
Considérant qu'il convient d'ordonner, la remise des documents rectifiés conformément aux dispositions du présent arrêt ;
Sur les demandes sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge les frais qu'il a dû exposer ; qu'il convient de lui allouer 2.000€ pour l'ensemble de la procédure ;
Considérant que la Société Edition du Nouveau France Soir succombe pour l'essentiel dans ses prétentions ;qu'il convient donc de rejeter sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et de la condamner aux entiers dépens d'appel ;
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement dont appel , sauf en ce qu'il a débouté M. [C] [D] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement abusif et d'indemnité compensatrice de préavis; :
Statuant à nouveau pour le surplus et y ajoutant,
- condamne la Société Edition du Nouveau France Soir à payer à M. [C] [D]
* 13.556,40€ à titre de rappel d'heures supplémentaires
* 1.355,64€ à titre de congés payés y afférents
* 23.500€ à titre de dommages et intérêts au titre de la clause de non concurrence
* 2.000€ sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ,
- ordonne la remise par la Société Edition du Nouveau France Soir à M. [C] [D] des documents rectifiés en conformité avec les dispositions du présent arrêt,
- condamne la Société Edition du Nouveau France Soir aux dépens de première instance et d'appel .
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT