RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 8
ARRET DU 05 Novembre 2009
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 08/01995 - MPDL
Décision déférée à la Cour : Après Cassation le 19 décembre 2007 de l'arrêt rendu le 30 novembre 2006 par la 18ème chambre C de la Cour d'appel de PARIS, sur appel d'un jugement rendu le 07 février 2006 par le conseil de prud'hommes de PARIS RG n° 03/16121
APPELANTE
1° - SNC EMAS EDITIONS MONDADORI AXEL SPRINGER (anciennement EMAP FRANCE)
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Aline JACQUET-DUVAL, avocat au barreau de PARIS, toque : P010
INTIMEE
2° - Madame [V] [C]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Marie-Hélène POISSON-HARDUIN, avocat au barreau de PARIS, toque : C1800
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 24 Septembre 2009, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Marie-Pierre DE LIEGE, Présidente
Me Irène LEBE, Conseillère
Me Marie-Antoinette COLAS, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier : Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile.
- signé par Mme Marie-Pierre DE LIEGE, présidente et par Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LES FAITS :
Mme [V] [C], avocat, a assuré depuis juin 1996 jusqu'à décembre 2003, la rubrique juridique du magazine Auto Plus, édité par la SNC Emas Editions Mondatori Axel Springer, participant également à un site interactif Auto Plus.
Elle facturait ses prestations au journal sous forme d'honoraires.
En 2003, Mme [V] [C] a sollicité une augmentation de ses honoraires et réclamé des droits d'auteur, réclamations auxquelles le journal dit n'avoir pu apporter une réponse favorable pour des raisons essentiellement budgétaires.
Il s'en est suivi une rupture des relations entre les deux parties qui a entraîné une perte de revenus conséquente pour Mme [V] [C], situation qui a donné lieu à plusieurs procédures judiciaires.
Mme [V] [C] a notamment saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 11 décembre 2003 aux fins de voir requalifier ses relations avec la SNC Emas Editions en contrat de travail, et d'obtenir du fait de la rupture de ce contrat de travail diverses sommes.
La SNC Emas Editions a soulevé in limine litis l'incompétence rationae materiae du conseil de prud'hommes au bénéfice du bâtonnier du barreau de Paris, le règlement intérieur de ce barreau interdisant aux avocats tout emploi salarié autre que celui d'avocat salarié ou d'enseignant.
Ce conseil de prud'hommes par décision du 7 février 2006, section encadrement chambre 1, s'est déclaré compétent, à connaître du litige relatif à l'activité de Mme [V] [C], relevant selon lui du statut de salarié.
La SNC Emas Editions, analysant ce litige comme une demande d'augmentation d'honoraires ne relevant pas de la compétence du conseil de prud'hommes, a formé contredit contre cette décision.
Par décision du 30 novembre 2006, la cour d'appel de Paris a dit le contredit recevable, a écarté l'existence d'un contrat de travail entre les parties et, en conséquence, a dit que le conseil de prud'hommes n'était pas compétent, renvoyant les parties à se pourvoir devant le tribunal de grande instance de Paris.
Mme [V] [C] ayant formé un pourvoi en cassation, la chambre sociale de la Cour de Cassation, par arrêt du 19 décembre 2007, a considéré que la cour d'appel avait statué sur la base de motifs inopérants «alors qu'il lui appartenait de rechercher si l'intéressée apportait à la société éditrice une collaboration constante et régulière dont elle tirait l'essentiel de ses ressources et si par suite elle était fondée à revendiquer le bénéfice des avantages prévus en faveur des journalistes professionnels permanents... peu important l'existence de règles déontologiques de la profession d'avocat interdisant une telle situation...».
La cour a donc cassé et annulé dans toutes les dispositions l'arrêt du 30 novembre 2006 et renvoyé les parties devant la cour d'appel de Paris autrement composée.
Lors de l'audience du 24 septembre 2009 devant la cour d'appel de Paris siégeant dans une autre composition, la SNC Emas Editions, a soutenu que Mme [V] [C] n'exerçait pas l'activité de journaliste à plein temps, ne pouvait pas revendiquer le statut de journaliste professionnel et faisait l'objet par conséquent d'une présomption de non salariat, relevant par ailleurs qu'un tel statut de salarié serait incompatible avec les règles déontologiques applicables à la profession d'avocat au barreau de Paris et que le montant «extravagant des demandes» était incompatible avec une rémunération de salarié.
La SNC Emas Editions soutient que le litige lorsqu'il porte sur la demande d'augmentation d'honoraires relève de la compétence du bâtonnier de Paris, tout en indiquant qu'il ne s'agit pas en l'espèce d'un conflit d'honoraires entre un avocat et son client, et lorsqu'il porte sur les droits d'auteur relève de la compétence du tribunal de grande instance.
En conséquence, la SNC Emas Editions demande à la cour :
- d'admettre le contredit formé contre la décision du conseil de prud'hommes ;
- de dire que le conseil de prud'hommes n'est pas compétent pour juger de ce litige en ce que Mme [V] [C] n'exerçait pas comme salariée ;
- de renvoyer le litige devant le bâtonnier de Paris et le tribunal de grande instance de Paris pour les différentes demandes.
La SNC Emas Editions demande en outre que Mme [V] [C] soit condamnée à lui verser 20.000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive et 10.000 euros pour frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Mme [V] [C] indique qu'à compter du 1er juin 1996 elle a collaboré quasiment toutes les semaines au journal Auto Plus rédigeant des articles de fond (328 articles majeurs parus entre 1996 et 2003), répondant à des courriers de lecteurs, collaborant à la rédaction d'articles d'autres journalistes, gérant un site Internet partagé etc. Elle soutient qu'elle a exercé ces activités dans le cadre précis des consignes qui lui étaient données, notamment par les rédacteurs en chef adjoints, successivement en charge de la partie magazine, avant de se voir privée de tout travail à partir de la fin décembre 2003.
Plaidant qu'elle n'était pas journaliste professionnelle et n'a jamais tiré l'essentiel de ses ressources de son activité de journaliste, mais pigiste régulière, assimilée journaliste professionnelle, elle soutient que, collaborateur régulier, elle répondait à une commande selon les directives reçues, restant en harmonie avec l'objet de la revue.
Elle soutient que compte tenu de la régularité, de l'ampleur, de la nature et de la durée de la relation elle bénéficiait donc de la présomption de salariat et d'un contrat de travail.
Elle précise que la question de l'existence d'un contrat de travail est indépendante de l'affiliation à l'URSSAF mais aussi de tout autre statut apparent ou collatéral, le collaborateur devant faire, le cas échéant, son affaire des conséquences de l'existence d'un tel contrat au regard, en l'espèce, de son statut d'avocat.
Mme [V] [C] soutient tout d'abord que son adversaire ne se prononçant pas clairement sur l'instance devant laquelle devrait être renvoyé le litige, sa demande est tout d'abord irrecevable.
Elle plaide ensuite que seul le conseil de prud'hommes pouvait trancher la question de l'existence ou non d'un contrat de travail et de l'applicabilité des règles du droit du travail en conséquence.
Mme [V] [C] conclut donc au rejet de l'exception d'incompétence soulevée par son adversaire, et à la confirmation du jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 7 février 2006, sollicitant 4000 euros pour frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile.
LES MOTIFS DE LA COUR :
Vu le jugement du conseil de prud'hommes, les pièces régulièrement communiquées et les conclusions des parties, soutenues oralement à l'audience, auxquels il convient de se référer pour plus ample information sur les faits, les positions et prétentions des parties.
Sur l'irrecevabilité du contredit formé :
La SNC Emas Editions contestant l'existence d'un contrat de travail soutient que le conseil de prud'hommes n'était pas compétent, seul le bâtonnier de l'ordre pouvant juger du litige relatif aux honoraires d'un avocat et le tribunal de grande instance étant compétent sur la question des droits d'auteur.
Cependant et en tout état de cause, l'ensemble des demandes formulées par Mme [V] [C] découlant de sa demande de requalification en contrat de travail des relations contractuelles entre les parties, à l'exclusion de toute demande basée sur un quelconque autre fondement, la SNC Emas Editions ne saurait être tenue à désigner une quelconque juridiction de renvoi.
En conséquence, l'argument développé par Mme [V] [C] au soutien de sa demande d'irrecevabilité étant non fondé, et sans qu'il soit nécessaire pour la cour de se prononcer à ce niveau sur la question de l'autorité compétente pour juger de demandes qui ne sont pas formulées dans le cadre de la présente instance, celle-ci dira le contredit recevable.
Sur la compétence du conseil de prud'hommes et la nature des relations contractuelles ayant existé entre la SNC Emas Editions et Mme [V] [C] :
L'instance devant le conseil de prud'hommes ayant été introduite par Mme [V] [C] qui revendiquait un contrat de travail, il appartenait au conseil de prud'hommes de statuer sur la qualité des relations contractuelles ayant existé entre les parties et, dans l'hypothèse où il retenait l'existence d'un contrat de travail, de statuer sur le litige découlant de la mise en oeuvre et de la rupture de ce contrat de travail.
Le conseil de prud'hommes ayant jugé qu'il y avait contrat de travail s'est donc, de manière fondée, déclaré compétent.
La SNC Emas Editions contestant l'existence d'un contrat de travail conteste en conséquence la compétence de la juridiction prud'homale. Son contredit, régulier en la forme est recevable.
Dans une telle hypothèse, c'est la question de fond, -existence ou non d'un contrat de travail-, qui commande la question de la compétence.
La cour, pour confirmer ou infirmer la décision du conseil de prud'hommes relativement à sa compétence doit donc tout d'abord se prononcer sur l'existence ou non d'un contrat de travail entre les parties et le statut de salarié qui en dépend le cas échéant pour Mme [V] [C].
Un contrat de travail est caractérisé par l'existence d'une prestation de travail, d'une rémunération et d'un lien de subordination juridique. Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
Toutefois, la qualification du contrat de travail dépend non pas de la qualification donnée par les parties à leurs relations de travail mais des conditions effectives dans lesquelles s'exerce l'activité professionnelle.
En l'espèce, il est établi et non sérieusement contesté, que Mme [V] [C] apportait à la société éditrice EMAS une collaboration constante et régulière, dans la mesure où, outre diverses autres prestations, elle écrivait quasiment chaque semaine un article de fond, à caractère juridique, publié sous sa signature dans la revue Auto Plus, ce qui avait pour conséquence que son nom apparaissait à l'ours du magazine.
En échange de ses prestations régulières Mme [V] [C] était, en fait rémunérée sous forme d'honoraires, sur facture et sans que ne lui soient remis des bulletins de salaire.
En revanche, il est admis par Mme [V] [C], par ailleurs avocate, qu'elle ne tirait pas de cette collaboration l'essentiel de ses ressources et ne pouvait en conséquence prétendre au statut de journaliste professionnelle.
L'intéressée se décrit elle-même comme une «pigiste régulière, assimilée journaliste professionnelle».
Or un pigiste peut, selon les cas, bénéficier du statut de salarié ou être rémunéré «à la pige», c'est-à-dire à la tâche.
Mme [V] [C] ne peut donc en l'espèce invoquer une présomption de salariat.
Par ailleurs, si la prestation de travail et la rémunération, premiers éléments constitutifs d'un contrat de travail sont établies, reste à examiner la réalité du lien de subordination juridique, indispensable pour caractériser un contrat de travail et un statut de salarié.
Pour soutenir qu'elle intervenait sous le statut de salarié, Mme [V] [C] soutient que le rédacteur en chef adjoint en charge de la partie magazine lui donnait des instructions précises sur les modalités de rédaction de l'article ainsi que des délais impératifs.
S'il ressort des divers exemples cités par l'intéressée supposés établir le lien de subordination vis-à-vis du rédacteur en chef adjoint, que celui-ci adressait en effet couramment à Mme [V] [C] des indications relatives au nombre de signes à respecter pour l'article lui-même ou son 'chapô', au type de «ton» recommandé compte tenu du sujet de l'article, au délai dans lequel celui-ci devait être rendu, l'examen des échanges, manifestement interactifs, entre le rédacteur en chef adjoint et l'auteur desdits articles, n'est révélateur en réalité, et comme l'a relevé le tribunal de grande instance de Paris dans sa décision du 12 janvier 2005, que d''un mode d'élaboration d'usage courant dans la rédaction d'articles de journaux pour tenir compte des contraintes de la maquette du journal et des centres d'intérêt du lectorat'.
Dans la pratique, ce type de consignes est absolument inévitable lors de l'élaboration d'un journal, oeuvre collective, dont l'ensemble, au-delà de chacune des composantes, est en lui-même porteur de sens, et dont la confection est en outre nécessairement étroitement encadrée par des exigences relatives au nombre de pages, au nombre de signes par page et donc par article, à la présentation de chacun des articles ou des rubriques, pour la confection de la maquette.
Techniquement, aucun magazine, aucun journal n'échappe à cette règle et ce type d'indications est systématiquement transmis par le rédacteur en chef à l'auteur de tout article à publier dans ce type de support sans que pour autant, tout auteur d'article publié ne puisse prétendre, ipso facto, à l'existence d'un contrat de travail. La seule sanction usuellement encourue par l'auteur d'un article qui ne respecterait pas ces contraintes techniques étant que l'article ne soit pas publié pour des raisons d'impossibilité matérielle.
Il ne ressort d'aucun élément produit au dossier ou aux débats, que les consignes données à Mme [V] [C] par le rédacteur en chef adjoint aient dépassé ce niveau d'exigence, les éventuels échanges relatifs au «fond» des articles ne prenant jamais le ton ni la forme de «commandes» impératives mais s'apparentant manifestement toujours à des suggestions formulées pour enrichir la réflexion de l'auteur et /ou aider à trouver le bon angle pour l'article.
De manière évidente, il n'est pas imaginable et il n'est d'ailleurs nullement soutenu, que ces instructions techniques et ces suggestions éditoriales si elles n'avaient pas été respectées par Mme [V] [C] auraient pu donner lieu à une forme quelconque de sanctions du type de celles auxquelles recourent habituellement les employeurs en cas d'exécution défectueuse du contrat de travail.
Aussi, si la collaboration s'inscrivait nécessairement dans une forme de «cadre» collectif, fixé par le rédacteur en chef, les indications et les suggestions données par celui-ci ne sauraient être interprétées comme des ordres ou des directives, dont le manquement aurait été assorti de sanctions disciplinaires. Le lien de subordination n'est pas établi.
Les relations entre les parties ne s'analysent donc pas comme un contrat de travail et Mme [V] [C], qui fournissait dans le cadre de la confection de ce journal un apport à caractère juridique, spécifique au regard des savoir-faire disponibles dans l'équipe de rédactions, ne peut, en dépit d'une collaboration régulière, invoquer le statut de salarié, étant par ailleurs souligné, que sa profession d'avocat rend peu envisageable une «erreur» de sa part quant au statut dont elle relevait ou aurait dû relever, mais confirme au contraire une commune volonté des parties de placer la collaboration dans le cadre d'un système de piges rémunérées sous forme d'honoraires, système qui avait en tout état de cause l'avantage de moins exposer l'avocate au regard des exigences du règlement intérieur du barreau de Paris.
En conséquence, et sans qu'il soit besoin de revenir sur les autres éléments spécifiques aux relations entre les parties, la cour, considérant qu'il n'y avait pas contrat de travail entre les parties, infirmera la décision du conseil de prud'hommes, le dira incompétent pour statuer sur le fond du litige et, en l'absence de toutes demandes à caractère non salarial formulée dans le cadre de la présente instance, dira n'y avoir lieu à renvoi.
Les circonstances de l'espèce, ne justifient pas de faire droit à la demande reconventionnelle de dommages et intérêts pour procédure abusive formulée par la SNC Emas Editions, et l'équité ne commande pas de condamner l'une ou l'autre partie au règlement de dommages et intérêts pour frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
En conséquence, la Cour,
Déclare recevable le contredit formé par la SNC Emas Editions,
Infirme la décision du Conseil de prud'hommes dans toutes ses dispositions,
et statuant à nouveau :
Dit que la juridiction prud'homale est incompétente à connaître de ce litige,
Déboute la SNC Emas Editions du surplus de ses demandes,
Déboute Mme [V] [C] de ses demandes.
La condamne aux entiers dépens de l'instance.
LE GREFFIER, LA PRESIDENTE,