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20/11/2008 | FRANCE | N°07/00808

France | France, Cour d'appel de Paris, Ct0135, 20 novembre 2008, 07/00808


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS
21ème Chambre C

ARRET DU 20 Novembre 2008
(no, pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 07 / 00808- MPDL

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 14 Novembre 2006 par le conseil de prud'hommes de PARIS section activités diverses RG no 06 / 01798

APPELANTS

1o- Monsieur Jules X...
...
75012 PARIS
comparant en personne, assisté de Me Antoine Y..., avocat au barreau de PARIS, toque : C1200,

2o- Monsieur F... François

Z...
...
75012 PARIS
comparant en personne, assisté de Me Sandra A..., avocat au barreau de PARIS, toque : D1173,

INTIM...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS
21ème Chambre C

ARRET DU 20 Novembre 2008
(no, pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 07 / 00808- MPDL

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 14 Novembre 2006 par le conseil de prud'hommes de PARIS section activités diverses RG no 06 / 01798

APPELANTS

1o- Monsieur Jules X...
...
75012 PARIS
comparant en personne, assisté de Me Antoine Y..., avocat au barreau de PARIS, toque : C1200,

2o- Monsieur F... François Z...
...
75012 PARIS
comparant en personne, assisté de Me Sandra A..., avocat au barreau de PARIS, toque : D1173,

INTIMEE

3o- ASSOCIATION DE GESTION DE LA MAISON EPISCOPALE (AGME)
7 rue Saint Vincent
75018 PARIS
représentée par Me Jean-Marie PINARD, avocat au barreau de VERSAILLES,

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 09 Octobre 2008, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Marie-Pierre DE LIEGE, Présidente
Mme Irène LEBE, Conseillère
Mme Hélène IMERGLIK, Conseillère
qui en ont délibéré

Greffier : Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE
-prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile.
- signé par Mme Marie-Pierre DE LIEGE, présidente et par Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LES FAITS ET LA PROCÉDURE :
MM F... François Z... et Jules X... ont été engagés par l'Association de gestion de la Maison épiscopale (AGME), dont les services sont attachés à la personne du Cardinal de Paris :
- M. F... François Z... le 1er janvier 1983, tout d'abord comme réceptionniste standardiste à temps partiel, puis, son contrat ayant été modifié à diverses reprises, un courrier du 19 janvier 2008 précisait « vous exercez désormais des fonctions à plein temps, cette modification à votre contrat antérieur entrera en vigueur à compter du 1er janvier 2000 », ceci alors que M. F... François Z... exerçait déjà des fonctions à plein temps depuis mai1992 ;
- le second, M Jules X..., le 25 novembre à 1982 comme standardiste réceptionniste à mi-temps. Comme son collègue son emploi s'est transformé en un plein temps en 1992 et à partir de 1995 aurait été principalement axé sur des tâches de gardiennage.
Le 1er février 2005, Mgr C... TROIS est nommé archevêque de Paris en remplacement de Mgr D....
Le 7 septembre 2005 se tient une réunion au cours de laquelle l'employeur propose une modification des plannings horaires, un courrier du 8 septembre proposant aux salariés le nouveau planning horaire, courrier octroyant un délai d'un mois pour accepter cette nouvelle organisation qui devait entrer en vigueur le 10 octobre, un nouveau contrat de travail devant alors être rédigé.
Un débat s'engage alors entre les parties, les salariés soutenant que cette modification entraînera une baisse sensible de rémunération.
Le 10 octobre 2005, les salariés considérant n'avoir pas reçu de réponse claire de leur employeur et n'ayant pas en main de propositions d'avenant ou de nouveau contrat de travail continuent de se présenter à leurs anciens horaires et d'accomplir les gardes de nuit.
Après avoir reçu un avertissement en date du 11 octobre, M. F... François Z... a été convoqué par courrier du 11 octobre 2005 à un entretien préalable fixé le 19 octobre puis licencié par lettre du 26 octobre 2005, pour avoir manifesté son refus de se conformer aux horaires de travail issus de la nouvelle organisation qui lui avait été notifiée le 8 septembre 2005, comme devant prendre effet le 10 octobre 2005.
M. F... François Z... a contesté le bien-fondé de ce licenciement dès le 16 novembre 2005, par courrier resté sans réponse.
M. Jules X... a été convoqué le 13 octobre 2005 pour un entretien fixé au 25 octobre puis licencié par lettre du 3 novembre 2005, pour des motifs identiques.
Ils ont tous deux saisi le conseil de prud'hommes de Paris, section activités diverses, chambre 2 pour contester leur licenciement, qu'ils considèrent dépourvu de cause réelle et sérieuse, et solliciter, notamment, diverses indemnités à ce titre, ainsi que le paiement de rappels d'heures supplémentaires de nuit, M Z... réclamant en outre une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé et des dommages et intérêts pour heures supplémentaires prescrites.

Le conseil de prud'hommes, par décision du 14 novembre 2006, considérant que les deux instances reposaient sur des moyens de droit et de faits identiques a joint celles ci, pour une bonne administration de la justice.
Après avoir affirmé que le changement d'horaire de travail relève du pouvoir de direction de l'employeur et que les salariés « ne travaillaient pas que de nuit mais en moyenne cinq à huit nuits par mois le reste du temps de travail étant de jour » et « s'il ne s'agit pas d'une modification du contrat de travail au motif qu'ils seraient passés d'un horaire de nuit à un horaire de jour, mais uniquement suppression des horaires de nuit avec augmentation des horaires de jour ", le conseil de prud'hommes a jugé qu'en ne se présentant pas le 10 octobre 2005 à 13 heures pour prendre leur poste, conformément au nouveau planning, les deux salariés avaient commis une faute grave justifiant leur licenciement, il les a déboutés de l'ensemble de leurs demandes relatives à ce licenciement.
S'agissant des heures supplémentaires, le conseil de prud'hommes a considéré que les salariés étaient rémunérés de leurs heures de nuit mensuellement et par un forfait, que ce service ne devait pas être pris en compte comme un travail effectif et, relevant que les salariés n'avaient jamais pendant la durée de la relation contractuelle réclamé le paiement de telles heures, les a déboutés de leurs demandes à ce titre.
Le conseil de prud'hommes a donc débouté les deux salariés de l'intégralité de leurs demandes.
Ceux-ci ont régulièrement fait appel de cette décision.
Plaidant qu'un changement d'horaire ne relève à l'évidence du pouvoir de direction de l'employeur que s'il n'entraîne pas pour le salarié une modification substantielle de son contrat de travail, notamment la rémunération, les fonctions ou la durée du travail, les salariés soutiennent que les modifications à leur contrat, suite à une réorganisation de l'entreprise, obligeant l'employeur à respecter les dispositions de l'article L. 321-1, ancien, du code du travail et, en cas de refus du salarié après un mois de réflexion, à le licencier pour motif économique, à défaut de possibilité de le reclasser sur un autre poste.
Ils indiquent n'avoir pas refusé le changement d'horaires mais s'être inquiétés de ce que la suppression d'avantages financiers liés au travail de nuit et des heures supplémentaires, appelées à disparaître, entraînait une perte de salaire mensuel de l'ordre de 27 %, problème sur lequel la direction interrogée par les salariés dans le délai d'un mois n'a pas apporté de réponse se bornant à promettre un avenant ou un nouveau contrat de travail, sans autre précision.
M. F... François Z... avait par ailleurs le 19 septembre 2005 proposé un aménagement en horaire de jour mais quelque peu différent de celui prévu par l'employeur, proposition refusée catégoriquement par ce dernier le 27 septembre 2005.
C'est dans ces circonstances qu'est intervenu le licenciement pour faute.
Les salariés soulignent que, cependant, l'employeur, lui-même, avait implicitement reconnu la modification substantielle du contrat de travail en reprenant les exigences et les termes de l'article L. 321-1-2 du code du travail, concernant les modifications substantielles des contrats de travail pour un motif non inhérent à la personne du salarié, mais aussi en invoquant dans un courrier du 6 octobre 2005, l'éventualité de l'application de l'article 18 de la convention collective, lequel se

situe également dans le cadre d'une modification du contrat de travail.
Les salariés soutiennent que la modification substantielle n'est ni expliquée, ni justifiée, sauf par l'arrivée d'un nouvel évêque à la tête de la Maison épiscopale, celui-ci voulant faire des économies, circonstances dont selon eux, leur supérieur hiérarchique, M. E..., avec qui ils étaient dans une situation tendue depuis un certain temps, a voulu profiter pour tenter de se débarrasser d'eux.
Ils en concluent que cette modification présente un caractère abusif comme dictée avant tout par la volonté de se séparer de ces deux salariés, alors qu'elle est, par ailleurs présentée comme consécutive à une nouvelle organisation qui n'était pas rendue indispensable par des difficultés économiques avérées.
En conséquence, les salariés plaident qu'il y a eu modification du contrat de travail, que cette modification est dépourvue de cause légitime et qu'aucun reclassement n'a été recherché, alors qu'ils sont tous deux diplômés de l'enseignement supérieur, ce qui rend le licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Ils demandent à la cour de réformer le jugement du conseil de prud'hommes, pour constater que le licenciement pour faute est en réalité dépourvu de cause réelle et sérieuse et de constater que le paiement des heures de nuit au forfait n'a pas été accepté par les salariés et que ces heures doivent en conséquence leur être payées dans la limite des délais de prescription et sur la base des salaires payés pour tout travail effectif.
M. F... François Z... sollicite la condamnation de l'AGME à lui payer les sommes suivantes :
-5. 366, 90 euros à titre de dommages et intérêts pour détournement de la procédure de licenciement pour motif économique ;
-82. 500 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse en application de l'article L. 1235-3 du code du travail
-24. 757, 06 euros à titre de rappel de salaire des heures de nuit entre octobre 2000 octobre 2005, outre les congés payés incidents ;
-16. 100, 70 euros à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé en application des articles L. 8221-5, et L. 8223-1 nouvelle numérotation, du code du travail ;
-12. 000 euros à titre de dommages et intérêts pour heures effectuées non rémunérées, sur la base de l'article 1382 du Code civil ;
-4. 000 euros pour frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile.
M Jules X... sollicite la condamnation de l'AGME à lui payer les sommes suivantes :
-65. 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse ;
-5. 430 euros à titre de dommages et intérêts pour détournement de procédure ;
-25. 626, 70 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires de nuit et 2562, 67 euros pour congés payés afférents ;

-3. 500 euros pour frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Les deux salariés demandent que leur soient remis des bulletins de salaire conformes sous astreinte et que les intérêts légaux soient capitalisés sur le fondement de l'article 1154 du Code civil.
L'AGME a formé appel incident. Elle indique qu'après une réunion tenue avec les délégués du personnel le 4 juillet 2005, elle avait informé les salariés, par lettre du 19 juillet 2005 que la réorganisation de ses services justifiait le maintien de deux postes à temps complet au lieu de trois existants à ce moment, proposant alors de garder les trois postes à temps partiel pour une durée de 25 heures par semaine chacun, proposition refusée par les intéressés. Elle avait alors décidé de maintenir deux postes à temps complet au... de Jouy, où étaient affectés les intéressés et de rechercher pour le troisième un poste sur un autre site du diocèse.
À l'issue d'une nouvelle réunion tenue le 7 septembre 2005, elle avait arrêté une organisation, devant entrer en vigueur le 10 octobre 2005, qui reposait sur les principes suivants : un poste du matin du lundi au vendredi plus le samedi toute la journée ; un poste de l'après-midi du lundi au vendredi étant précisé que ces postes étaient tenus en alternance par les deux salariés.
Elle indique que M. Jules X... et M. F... François Z... qui avaient accepté le principe de cette modification ne s'étaient pas présentés le 10 octobre 2005, mais avaient continué à effectuer les anciens horaires en se présentant de nuit sur leur lieu de travail ce qui l'avait contraint à les licencier, compte tenu de leur refus de se conformer aux nouveaux horaires de travail.
L'AGME soutient en conséquence que le " licenciement reposait bien sur une faute grave " le changement d'horaire relevant du pouvoir de direction de l'employeur, alors que selon elle les salariés ne travaillaient que quelques nuits par mois, le reste de leur temps étant de jour, ce qui ne constituait pas une modification du contrat de travail. L'employeur soutient par ailleurs que cette modification, qui selon lui ne relevait pas de l'article L. 321-1-2, ancien, du code du travail, ni de l'article 18 de la convention collective n'aurait pas entraîné de réduction de salaire, la perte des forfaits de nuit étant compensée par l'augmentation des horaires de jour.
En ce qui concerne les heures de nuit, l'employeur rappelle que les salariés n'ont à aucun moment sollicité la moindre rémunération complémentaire acceptant ainsi une rémunération au forfait. Indiquant que les nuits travaillées étaient très peu fréquentes, il conteste le décompte fourni par les salariés, soutenant qu'il ne peut être invoqué un travail effectif alors qu'il s'agissait « d'une simple permanence avec mise à disposition d'une chambre », les salariés ne pouvant être dérangés que pour des interventions ponctuelles voire rarissimes. Il soutient que les salariés n'étaient pas à disposition de l'employeur puisque aucune instruction ne leur était donnée et qu'ils pouvaient dormir à leur guise ou s'adonner à des occupations personnelles comme leurs études ainsi que le confirme leurs résultats universitaires.
L'employeur conclut donc au débouté des salariés de l'ensemble de leurs demandes.
Il sollicite 3. 500 euros à l'encontre de chacun pour frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile.
L'entreprise compte plus de 11 salariés.
Le salaire brut moyen mensuel, sur les 12 derniers mois de M F... François Z... est de 2. 683, 45 euros, celui de M Jules X... est de 2. 714, 67 euros.
La convention collective applicable est celle des personnels laïques des diocèses de la zone apostolique de Paris.

LES MOTIFS DE LA COUR :
Vu le jugement du conseil de prud'hommes, les pièces régulièrement communiquées et les conclusions des parties, soutenues oralement à l'audience, auxquels il convient de se référer pour plus ample information sur les faits, les positions et prétentions des parties.
L'examen de ces litiges implique de replacer les faits dans leur contexte.
Les deux salariés, justifient chacun de plus de 23 ans d'ancienneté au moment de la rupture du contrat de travail, sont tous deux d'origine africaine, et ont tous deux mené au cours de ces années un brillant cursus universitaire, tout en travaillant au sein de la maison épiscopale, dans des conditions variables quant aux horaires mais aussi quant aux tâches qui leur étaient confiées, sans aucun problème pendant de nombreuses années.
Ils ont expliqué à l'audience, sans être utilement démentis, que pendant les longues années au cours desquelles ils ont travaillé auprès de Mgr D..., ils avaient entretenu les meilleures relations avec celui-ci, qui ayant une activité intellectuelle et une vie sociale, y compris dans sa dimension internationale, intenses appréciait la qualité des prestations que pouvaient lui apporter ces deux salariés, par ailleurs fervents catholiques et chargés de famille. Ces circonstances expliquent, selon eux à la fois la souplesse qui a prévalu dans l'organisation des relations de travail pendant toutes ces années et le fait que les diverses modifications relatées soient intervenues le plus souvent de manière informelle et consensuelle.
Ils ont également indiqué que la désignation d'un nouvel archevêque, Mgr André Vingt Trois, avait, bien naturellement, eu un certain nombre de traductions en termes de fonctionnement de l'archevêché, dont aurait profité l'un des responsables administratifs, ML, avec qui M. F... François Z... avait des relations difficiles depuis quelque temps, pour mettre fin aux relations de travail, avec les deux salariés.

Sur le motif de la rupture des contrats de travail :
La lettre de licenciement adressée aux salariés est rédigée comme suit : «... Vous avez manifesté votre refus de vous conformer aux horaires de travail issus de la nouvelle organisation, qui vous avaient été notifiés le 8 septembre 2005 pour prendre effet le 10 octobre 2005. Votre préavis débutera à la date de présentation de la présente lettre recommandée ; il sera d'une durée de deux mois. Compte tenu de la situation ainsi créée nous vous dispensons de l'exécution de ce préavis... ».
Bien qu'aucun des termes de cette lettre de licenciement n'évoque une faute grave et malgré le fait qu'il y est fait mention d'un préavis de deux mois, l'employeur dans ses conclusions parle de " faute grave ", et le conseil de prud'hommes dans sa décision indique : « les faits reprochés à MM F... François Z... et
X... sont constitutifs d'une faute grave et le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse privative de toute indemnité ».
Les salariés pour leur part soutiennent tout d'abord avoir été confrontés à une modification de leur contrat de travail, qui avait selon eux, incontestablement, une cause économique au terme des divers courriers échangés entre les parties et du délai d'un mois signifié par la lettre du 8 septembre 2005 informant de cette modification. Ils indiquent, que l'employeur parlant d'une « nouvelle organisation ", pour que ce licenciement procède d'une cause réelle et sérieuse, cette modification, refusée, doit être justifiée conformément aux dispositions de l'article L. 1233-3 du code du travail et être fondée sur des difficultés économiques, ou des mutations technologiques.
La lettre de licenciement circonscrit les débats. Or en l'espèce, l'employeur n'invoque dans cette lettre aucune faute ni aucun motif inhérent à la personne des salariés, mais se borne à invoquer leur refus de se conformer aux horaires de travail issus de la nouvelle organisation. L'employeur ne s'est donc pas placé au moment du licenciement sur le terrain de la faute et c'est à tort qu'il invoque une faute dans le cadre de la procédure.
Au contraire, en invoquant « une nouvelle organisation » l'employeur s'est délibérément placé, sur le terrain du licenciement économique et de l'article L. 1233-3 (nouveau) du code du travail qui dispose que constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutive notamment à des difficultés économiques, des mutations technologiques.
Cette interprétation est confortée par le fait que dans sa lettre du 8 septembre 2005, l'employeur avait, conformément à l'ancien article L. 321-1-2 du code du travail, donné un délai de un mois aux salariés pour faire connaître leur avis sur cette modification.
Au-delà, la modification proposée ne constitue pas une simple modification des conditions de travail relevant du pouvoir de direction de l'employeur, mais bien une modification d'un élément essentiel de ce contrat de travail, soumise à accord du salarié.
En effet, et alors que les salariés justifient de ce que, précédemment, une partie importante de l'horaire mensuel de travail était accomplie sous forme de travail de nuit, la transformation de ce travail de nuit en horaire de jour emportait la modification de plusieurs éléments essentiels de ce contrat :
- s'agissant d'hommes mariés, l'un d'eux père de famille, le passage à un travail de jour, six jours par semaine, devait nécessairement entraîner un changement important dans l'organisation de la vie familiale.
- par ailleurs, la perte des sommes versées au titre des " nuits " qui constituaient un montant de l'ordre de 25 % de leur salaire, était également une modification d'un élément essentiel, étant relevé que l'employeur ne rapporte pas la preuve de ses affirmations selon lesquelles cette perte serait compensée par l'augmentation de l'horaire de travail, étant noté qu'une telle augmentation de l'horaire de travail, en soi, constituerait également une modification certaine d'un élément essentiel du contrat de travail.
En conséquence, le refus de la modification essentielle du contrat de travail n'était pas constitutif d'une faute que l'employeur puisse reprocher à ses salariés.

En revanche, il permettait un licenciement économique, sous réserve que cette réorganisation entraînant modification d'un élément essentiel du contrat de travail soit justifiée par des difficultés économiques ou des mutations technologiques.
Or l'AGME ne rapporte pas la preuve de telles circonstances, les changements intervenus dans l'organisation et le fonctionnement des services de la Maison épiscopale, apparaissant davantage liés au changement d'archevêque et à un souci d'économie qu'à des difficultés économiques avérées qui ne sont pas établies et alors qu'il n'est nullement question des mutations technologiques.
Il est en outre relevé qu'aucun effort de reclassement n'a été développé par l'employeur pour éviter ce licenciement et ce alors même que les deux salariés bénéficiaient d'un bagage intellectuel permettant d'envisager une reconversion pour tenir d'autres fonctions. L'employeur n'a même jamais évoqué la question de reclassement.
Le licenciement pour motif économique de MM F... François Z... et Jules X... est donc dépourvu de cause réelle ni sérieuse.

Sur les indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :
Les deux salariés qui justifiaient de plus de 23 ans d'ancienneté au moment de leur licenciement disent avoir été très affectés au plan matériel mais aussi psychologique par la perte brutale de leur emploi, compte tenu des circonstances ayant entouré la relation de travail puis cette rupture et alors que ni l'un ni l'autre n'avait effectivement refusé la modification de leur contrat de travail mais s'était borné à demander des précisions complémentaires ou à formuler quelques propositions alternatives d'aménagement, restées sans réponse de la part de l'employeur, qui s'est clairement refusé à poursuivre le dialogue.
- M F... François Z... était âgé de 47 ans au moment de son licenciement. Il n'a pas depuis lors retrouvé d'emploi, justifie de sa situation au regard de l'ASSEDIC, et se trouve désormais en fin de droits avec une allocation réduite à 400 euros par mois. Compte tenu des circonstances, la cour fixera à 70. 000 euros la somme due, toutes causes confondues, à ce salarié en application de l'article L. 1235-3 du code du travail.
M Jules X..., âgé de 55 ans, justifiait de 23 années d'ancienneté, lorsqu'il a été licencié. Il est père de trois jeunes enfants encore à sa charge pour de nombreuses années et justifie en outre qu'il avait contracté des emprunts auprès de divers organismes financiers qu'il doit rembourser. Ce licenciement, bien que sa situation professionnelle ultérieure ne soit pas décrite, lui a nécessairement causé un important préjudice.
La cour fera donc droit à sa demande pour le montant, toutes causes confondues, de 65. 000 euros.

Sur le préjudice pour détournement de procédure alléguée par M Jules X... :
C'est à juste titre que l'intéressé soulève que n'ayant pas clairement relevé d'un licenciement économique, il n'a pu bénéficier du dispositif pré-pare, ni d'une priorité de ré-embauchage, ce qui lui a occasionné un préjudice distinct de celui résultant
directement du licenciement sans cause réelle ni sérieuse.
La cour lui allouera 5. 000 euros de dommages et intérêts à ce titre.
Sur le rappel d ‘ heures supplémentaires :
En application de l'article L. 3171-4 du code du travail, la charge de la preuve des heures supplémentaires n'incombe spécialement ni à l'une ni à l'autre partie. Si l'employeur doit fournir au juge des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, ce dernier doit d'abord fournir des éléments pour étayer sa demande. Le juge forme sa conviction au vu des éléments fournis par chacune des parties.
L'employeur pour résister à cette demande rappelle que les salariés n'ont jamais réclamé ces heures supplémentaires et soutient qu'ils étaient payés selon un forfait nuit.
À l'appui de leurs demandes, les deux salariés, prenant en compte la prescription de cinq ans, produisent des tableaux complets pour établir le rappel d'heures supplémentaires qu'ils estiment leur être dues, par le fait que leur travail de nuit était, selon les termes mêmes de l'employeur, rémunéré de manière forfaitaire. Ils indiquent qu'ils n'avaient pas réclamé ces heures supplémentaires dans la mesure où ils étaient en bons termes avec leur employeur et où, pendant une longue période, la bonne foi a présidé à leurs rapports, ce qui n'a ensuite plus été le cas.
Les récapitulatifs des heures dues, dressés par les salariés ayant été établis à partir des plannings élaborés par l'employeur et des relevés mensuels rédigés par les salariés ne sont pas utilement contestés par l'employeur en ce qu'ils retracent la réalité des services accomplis par les salariés au cours des cinq dernières années.
Aucune convention de forfait n'est produite alors que le forfait ne se présume pas.
Le fait que les salariés n'aient pas réclamé pendant de longues années ce qui leur était dû au titre de leur service de nuit ne saurait être assimilé à une acceptation, ni à une renonciation.
Enfin, même si l'employeur verse des attestations décrivant les bonnes conditions matérielles dans lesquelles le service de nuit était effectué, pour autant il en ressort de manière certaine que les locaux mis à disposition des gardiens de nuit, ne constituaient pas leur logement personnel ou familial, mais simplement un local de travail réservé à la personne assurant le gardiennage de nuit. Les gardiens ne pouvaient y vaquer librement à leurs occupations, ni quitter librement ce local. Ils étaient tenus à une présence effective et à disposition de leur employeur, même si, selon les moments, ils y travaillaient effectivement ou étaient en veille prêts à intervenir. Il en résulte qu'ils accomplissaient, alors, un travail effectif devant être intégralement rémunéré comme tel. Or, la consultation des bulletins de salaire fait apparaître que chaque nuit travaillée était payée selon un forfait de 70, 13 euros, alors que le salarié accomplissait 12 heures de travail.
Ainsi, M Jules X... a, par exemple, accompli au cours des cinq années considérées 478 nuits de travail soit environ 95 nuits par an.
En conséquence la cour dispose des éléments pour fixer à la somme de 25. 626, 70 euros le rappel d'heures supplémentaires de nuit dû à M Jules X...,
outre les congés payés afférents et à 24   757, 06 euros la somme due au même titre à MM F... François Z..., outre les congés payés afférents.

Sur les dommages et intérêts pour travail dissimulé sollicités par M Z... :
Les bulletins de salaires des intéressés ne mentionnant pas et ce pendant plusieurs années, le nombre réel d'heures de travail effectué, l'AGME s'est exposée à l'application de l'article L. 8221-5 du code du travail.
Toutefois, la cour considérant que l'intention frauduleuse n'est pas établie, déboutera M. F... François Z... de sa demande, étant relevé que son collègue n'a pas sollicité de dommages et intérêts à ce titre.

Sur la demande de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1382 du Code civil :
La cour, considérant que la pratique de l'employeur, de gérer pendant une longue durée ses relations avec les salariés sur un mode trop informel et approximatif a effectivement causé à ceux ci un préjudice, allouera à M F... François Z..., qui en a seul fait la demande, une somme de 3. 000 euros à titre de dommages et intérêts.
L'AGME devra délivrer à chacun des bulletins de salaire afférents à ce rappel d'heures supplémentaires et congés payés, sans qu'il y ait lieu à astreinte.

Sur la demande de dommages et intérêts au titre de l'article 700 du Code de procédure civile :
La Cour considère que, compte tenu des circonstances de l'espèce, il apparaît inéquitable de faire supporter par les salariés la totalité des frais de procédure qu'ils ont été contraints d'exposer. Il sera donc alloué à ce titre pour l'ensemble de la procédure, une somme de 3. 000 euros à chacun des salariés.

PAR CES MOTIFS,
En conséquence, la Cour,
Infirme la décision du Conseil de prud'hommes dans toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Dit que le licenciement des deux salariés est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
Condamne l'AGME à payer à M F... François Z... les sommes suivantes :
-70. 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement abusif en application de l'article L. 1235-3 du code du travail, avec intérêt légal et capitalisation à partir de la présente décision,
-3. 000 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1382 du Code civil,
-24. 757, 06 euros à titre de rappel des heures de nuit effectuées d'octobre 2002 à octobre 2005 et 2. 475, 71 euros à titre de congés payés afférents, ces sommes avec intérêts au taux légal et capitalisation à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes,
Condamne l'AGME à payer à M Jules X... les sommes suivantes :
-65. 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse en application de l'article 1235-3 du code du travail,
-5. 000 euros pour préjudice distinct de celui résultant de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, du fait du détournement de la procédure,
ces sommes avec intérêts au taux légal et capitalisation à compter de ce jour,
-25   626, 70 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires de nuit et 2562, 67 euros pour congés payés incidents, avec intérêts au taux légal et capitalisation à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes,
Fait injonction à l'AGME de délivrer aux salariés des bulletins de paie conformes aux rappels d'heures sus visés,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Condamne l'AGME à régler à chacun des salariés la somme de 3. 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile pour l'ensemble de la procédure,
La condamne aux entiers dépens de l'instance.
LE GREFFIER, LA PRESIDENTE,

RECTIFICATION ERREURS MATERIELLES ET OMISSION DE STATUER

voir page suivante

Arrêt du 5 février 2009- réputé contradictoire
PAR CES MOTIFS,
Vu l'arrêt du 20 novembre 2008,
Dit que l'arrêt susvisé sera rectifié ainsi qu'il suit :
- en page 2, paragraphe 2, sous le titre « les faits et la procédure » la mention « un courrier du 19 janvier 2008 » est remplacée par la mention « un courrier du 19 janvier 2000 ».
- en page 11, troisième paragraphe du dispositif de l'arrêt, la date erronée portée dans le membre de phrase : « 24   757, 06 euros à titre de rappel des heures de nuit effectuées d'octobre 2002 à octobre 2005 » est remplacée par « d'octobre 2000 à octobre 2005 ».
Constatant l'omission de statuer sur la demande de dommages et intérêts formulée par M. F... François Z... pour détournement de la procédure de licenciement, Complète son arrêt en application de l'article 463 du code de procédure civile, en appliquant à M. F... François Z... les mêmes dispositions que celles indiquées, dans le même arrêt, au bénéfice de M. Jules X...,
En conséquence, dit que l'arrêt sera rectifié comme suit :
- en bas de page 8, l'intertitre « sur le préjudice pour détournement de procédure allégué par M. X... " sera complété par les mots : « et par M. F... François Z... »,
le paragraphe suivant, p 8 et 9, étant dès lors modifié pour viser " les intéressés " et non plus " l'intéressé ", et se terminer par la phrase " la cour leur allouera, chacun, 5. 000 euros de dommages et intérêts à ce titre ",
- en haut de page 11 du dispositif de l'arrêt, sera ajouté après la condamnation à 70 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement abusif, prononcée au profit de M. F... François Z... " la mention suivante :
« – 5   000 euros pour préjudice distinct de celui résultant de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, du fait du détournement de la procédure »,
Ordonne que ces mentions rectificatives soient portées sur l'original de l'arrêt rendu le 20 novembre 2008,
Dit que les dépens seront laissés à la charge du Trésor Public.
LE GREFFIER,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Ct0135
Numéro d'arrêt : 07/00808
Date de la décision : 20/11/2008

Références :

Décision attaquée : Conseil de prud'hommes de Paris, 14 novembre 2006


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.paris;arret;2008-11-20;07.00808 ?
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