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11/09/2008 | FRANCE | N°02/14069

France | France, Cour d'appel de Paris, Ct0302, 11 septembre 2008, 02/14069


Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

15ème Chambre - Section B

ARRET DU 11 SEPTEMBRE 2008

(no 08/ , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 02/14069

Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 Mai 2002 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG no 199833027

APPELANTE

CREDIT SUISSE HOTTINGUER prise en la personne de ses représentants légaux

ayant son siège 38, rue de Provence

75009 PARIS

représentée par Me Luc COUTURI

ER, avoué à la Cour

assistée de Me Charles X..., avocat au barreau de PARIS, toque : P 0176, de la SCP X... - GILLI

INTIMEE

S.A.S. B...

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

15ème Chambre - Section B

ARRET DU 11 SEPTEMBRE 2008

(no 08/ , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 02/14069

Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 Mai 2002 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG no 199833027

APPELANTE

CREDIT SUISSE HOTTINGUER prise en la personne de ses représentants légaux

ayant son siège 38, rue de Provence

75009 PARIS

représentée par Me Luc COUTURIER, avoué à la Cour

assistée de Me Charles X..., avocat au barreau de PARIS, toque : P 0176, de la SCP X... - GILLI

INTIMEE

S.A.S. BLONDEAU et ASSOCIES anciennement dénommée SA MARC BLONDEAU prise en la personne de ses représentants légaux

ayant son siège 346, rue Saint Honoré

75001 PARIS

représentée par la SCP BOLLING - DURAND - LALLEMENT, avoués à la Cour

assistée de Me J-P. SPITZER, avocat au barreau de PARIS, toque : P218, de la SCP CHAMPETIER SPITZER

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 10 Juin 2008, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Claire DAVID, Conseiller faisant fonction de Président

Madame Marie-Christine DEGRANDI, Conseiller

Monsieur Louis-Marie DABOSVILLE, Conseiller

qui en ont délibéré

Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues par l'article 785 du Code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Melle Sandrine KERVAREC

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Claire DAVID, Conseiller faisant fonction de président, et par Mme Marie-Claude HOUDIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

****

Le 27 novembre 1991, la Banque Hottinguer, aux droits de laquelle se trouve le Crédit Suisse Hottinguer, a consenti à M. François de Z... un prêt de 9 000 000 francs remboursable le 30 novembre 1992.

Ce prêt était garanti par la remise en gage de 10 tableaux qui avaient été estimés le 25 juillet 1990 à 36 030 000 francs par M. A..., dans le cadre d'une estimation de valeur assurance.

La banque a réalisé le gage et a fait vendre les tableaux à l'Hôtel Drouot le 18 octobre 1995. La vente a été réalisée pour la somme de 3 240 000 francs.

La banque a alors assigné la société A... aux fins de la voir déclarer responsable de la faute commise dans l'estimation des tableaux.

Par jugement du 3 mai 2002, le tribunal de commerce de Paris a débouté le Crédit Suisse Hottinguer de ses demandes en dommages et intérêts.

Appel a été interjeté de cette décision.

Par arrêt du 27 février 2004, cette chambre de la cour d'appel de Paris a sursis à statuer et a désigné un expert avec mission de répondre aux questions suivantes :

- à l'époque des deux estimations effectuées par M. A... était-il raisonnable d'évaluer chacun des 10 tableaux aux montants retenus ?

- dans la négative, quelle valeur aurait dû être retenue pour chaque tableau ?

- est-il de pratique professionnelle courante et admise de fixer des estimations "valeur assurance" supérieures de 30 % aux valeurs du marché et des estimations pour ventes publiques inférieures de 50 % aux valeurs du marché ?

- la crise du marché de l'art a-t-elle entraîné une réduction du produit de la vente des 10 tableaux litigieux et dans quelle proportion ?

L'expert désigné ainsi que plusieurs autres experts ont refusé la mission qui leur était confiée.

Le conseiller de la mise en état a nommé le 8 mars 2005 M. Hubert B... qui a accepté la mission et qui a déposé son rapport le 6 février 2006.

Par arrêt du 1er juillet 2005, cette chambre de la cour d'appel a mis hors de cause Me C..., la Compagnie des commissaires priseurs et M. de Z..., qui étaient intervenus volontairement à la procédure, ou bien qui avaient été attraits par le Crédit Suisse Hottinguer.

Par arrêt du 12 octobre 2006, cette chambre de la cour a annulé l'expertise diligentée par M. B... et a désigné Mme D... aux fins d'expertise avec la même mission.

L'expert a déposé son rapport le 20 novembre 2007.

Le Crédit Suisse Hottinguer, dans des dernières écritures du 15 mai 2008, demande à la Cour :

- d'infirmer le jugement entrepris,

- d'écarter la demande de la société A... tendant à voir déclarer l'expertise nulle,

- de dire qu'en surévaluant d'une façon inconsidérée les tableaux qui lui avaient été présentés par M. de Z..., la société A... a commis une faute,

En conséquence,

- de condamner la société A... à lui payer la somme de 6 641 314 €,

- de la condamner à lui payer la somme de 25 000 € au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société A... et Associés, dans des dernières conclusions du 30 mai 2008, demande à la Cour :

- de constater que l'expertise ordonnée a eu lieu dans des conditions violant toutes les règles afférentes à ces procédures et notamment le principe du contradictoire,

- de déclarer l'expertise nulle,

Au fond,

- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la banque de ses demandes,

- de l'infirmer en ce qu'il l'a déboutée de sa demande reconventionnelle,

En conséquence,

- de condamner le Crédit Suisse Hottinguer à lui payer la somme de 100 000 € à titre de dommages et intérêts,

A titre subsidiaire,

- de constater que la banque a elle-même largement concouru à son prétendu préjudice,

- de constater que la banque ne démontre pas le lien de causalité entre l'éventuelle faute qu'elle aurait commise et le préjudice que la banque aurait subi,

- de constater qu'elle ne peut pas être condamnée à plus que, d'une part la créance totale de M. de Z... lui-même et, d'autre part, ce que la banque aurait pu espérer de la vente des tableaux à son profit, compte-tenu notamment de la propriété indivise des biens entre M. de Z... et ses soeurs,

- de condamner le Crédit Suisse Hottinguer à lui payer la somme de 25 000 € en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Dans le corps de ses écritures, la société A... demande à la cour de dire non écrits tous les paragraphes des conclusions de la banque faisant mention du rapport de M. B....

CELA ÉTANT EXPOSÉ,

LA COUR,

Considérant que la société A... soulève la nullité de l'expertise, sans développer aucun moyen à l'appui de cette demande ; qu'il n'y a donc pas lieu de faire droit à la demande ;

Considérant qu'il n'appartient pas à la cour de dire "non écrits" les paragraphes des conclusions du Crédit Suisse Hottinguer faisant allusion au rapport de M. B... ; que par contre, la cour ne se fonde pas sur ce rapport qui a fait l'objet d'une annulation ;

Considérant que le Crédit Suisse Hottinguer reproche à M. A... de ne pas donner les raisons pour lesquelles il a été sollicité par M. de Z..., de ne pas démontrer avoir ignoré l'utilisation de ses évaluations et de ne pas démontrer qu'il est étranger aux rapports existant entre la banque et M. de Z... avec lequel il entretient des liens étroits ;

Considérant que le 5 octobre 1994, la société A... a écrit à Me E..., notaire, pour lui indiquer : "A la demande de M. de Z..., je vous prie de trouver ci-joint les estimations pour assurance de la Collection effectuées en 1990, avant révision en 1991" ;

Considérant que la société A... et Associés a indiqué dans ses estimations que celles-ci étaient faites en valeur assurance ; qu'elle n'a pas d'autres indications à fournir à la banque sur les raisons pour lesquelles elle avait été sollicitée ; qu'il ne lui appartient pas plus de faire des démonstrations négatives ;

Considérant que le Crédit Suisse Hottinguer se plaint encore du fait qu'un même tableau ait été donné en gage à plusieurs banques en même temps ; qu'il expose que cela n'a pu avoir lieu que parce qu'en surestimant les tableaux, la société A... a permis à l'emprunteur d'abuser les banques prêteuses ;

Considérant que ce grief de surestimation doit ainsi être examiné ; que l'expert indique dans son rapport les estimations à valeur de remplacement qui auraient dû être raisonnablement indiquées ; que l'expert s'appuie sur des avis de sapiteurs, dont la compétence n'est pas remise en cause ; qu'il est ainsi indiqué ci-après, pour chaque tableau, la valeur proposée par l'expert, la valeur qui avait été proposée par M. A... et enfin le prix auquel le tableau a été vendu :

- Lepelletier par l'atelier de Mignard : 50 000 francs ; M. A... : 50 000 francs ; non vendu ;

-Coysevox attribué à Rigaud : 80 000 à 100 000 francs ; M. A... : 900 000 francs ; vendu 25 000 francs ;

- Napoléon d'F... : 1 000 000 francs ; M. A... :1 000 000 francs ; vendu 80 000 francs ;

- les cinq dessins de Pierre G... Prud'hon :

Joseph et la femme de Putiphar : 1 200 000 à 1 500 000 francs ; M. A... : 12 000 000 ; vendu : 950 000 francs,

5 figures d'hommes : 50 000 à 60 000 francs ; M. A... : 80 000 francs ; vendu : 34 000 francs,

la récompense : 500 000 à 600 000 francs ; M. A... : 2 000 000 francs ; vendu : 330 000 francs,

l'apothéose : 250 000 à 300 000 francs ; M. A... : 1 000 000 francs ; non vendu,

Andromaque et Pyrrhus : 150 000 à 200 000 francs ; M. A... : 1 000 000 francs ; vendu : 100 000 francs,

- le portrait du Général H... attribué à I... : 900 000 à 1 200 000 francs ; M. A... : 10 000 000 francs ; vendu : 300 000 francs ;

- le portrait de Voltaire de Maurice Quentin de J... : 2 000 000 à 2 500 000 francs ; M. A... : 10 000 000 francs ; vendu : 1 400 000 francs ;

Considérant que la banque reproche encore à la société A... et Associés d'avoir indiqué comme authentiques des oeuvres qui ne l'étaient pas, à savoir les trois tableaux de Mignard, Rigaud et I... ;

Considérant que l'expert conclut que" l'authenticité du tableau de Mignard a été contestée à tort et que son estimation était tout à fait raisonnable" ; qu'elle indique par contre que "les tableaux de I... et de Rigaud ont eux été surestimés. Pour le tableau de I..., M. A... aurait pu tenir compte des réserves dont il avait parfaitement connaissance. Il aurait dû retenir pour estimation maximale celle donnée par M. K... en 1985, soit 3 000 000 francs. Pour le tableau de Rigaud, il est logique que, étant donné la provenance, et n'étant pas spécialiste de peinture ancienne, M. A... n'ait pas imaginé qu'un doute puisse exister quant à l'authenticité de cette oeuvre." ;

Considérant que l'expert indique ensuite qu'il est de pratique professionnelle courante et admise de fixer des estimations à valeur de remplacement (valeur assurance) supérieures de 30 % à 50 % aux estimations valeur de réalisation en vente publique ;

Qu'elle précise enfin que la crise du marché de l'art a entraîné une réduction significative du produit de la vente en octobre 1995 des dix tableaux dans une proportion de 60 % à 75 % par rapport à l'estimation valeur de remplacement établie en 1990 ;

Considérant que le total des estimations à valeur de remplacement de l'expert oscille entre 6 180 000 francs et 7 510 000 francs, alors que M. A... avait estimé les tableaux pour un total de 36 030 000 francs ;

Considérant qu'il convient de savoir si le préjudice subi par le Crédit Suisse Hottinguer est en lien direct avec cette différence de prix ;

Considérant que la banque était en possession d'une estimation à valeur assurance intitulée "Estimate for Insurance Purposes" ; qu'en sa qualité de professionnel, elle ne pouvait pas ignorer qu'une telle estimation est supérieure de 30 à 50 % à celle qui est effectuée sur des tableaux remis en gage en garantie d'un prêt ;

Considérant que la banque s'est contentée de cette estimation qui datait du 25 juillet 1990, alors que le prêt a été consenti à M. de Z... le 27 novembre 1991 ; qu'elle indiquait même dans la plainte déposée le 13 octobre 1994 que la "seconde expertise effectuée par M. A... le 6 septembre 1991 a été soigneusement dissimulée" ; qu'elle n'était donc en possession que de la 1ère estimation remontant à 16 mois ;

Considérant que le fait que M. A... ait assisté à la remise des tableaux en gage dans le coffre de la Banque Populaire postérieurement au contrat de prêt n'a aucune incidence sur l'estimation effectuée 16 mois plus tôt ;

Et considérant que l'estimation litigieuse effectuée par M. A... a été faite à la demande de son client, M. de Z... et non à la demande du Crédit Suisse Hottinguer et ne portait pas sur une évaluation effectuée dans le cadre d'un gage ;

Considérant enfin que le marché de l'art a connu une crise reconnue par l'expert entre 1990 et 1995 ; que comme l'indique la société A... et Associés, cette crise a démarré au moment de la guerre du Golf, qui a été engagée tout juste après l'estimation dont s'est contentée la banque ; que la crise qui a touché ce marché ne pouvait pas être ignorée de la banque qui devait alors, en qualité de professionnel, demander une estimation actualisée à un expert ;

Considérant que l'expert conclut que la crise du marché de l'art a entraîné une réduction du prix des tableaux dans une proportion de 60 à 75 % par rapport à l'estimation à valeur de remplacement établie en 1990 ; qu'ainsi, une estimation à valeur de gage demandée par la banque au moment du prêt aurait indiqué des valeurs plus proches que celles qui étaient indiquées sur l'estimation à valeur assurance antérieure de 16 mois ;

Considérant en conséquence que la société A... et Associés n'a pas commis de faute à l'égard du Crédit Suisse Hottinguer en rédigeant à la demande de M. de Z... une estimation destinée à sa compagnie d'assurance ; que si la banque s'est contentée de cette pièce, qui ne lui était pas destinée, pour consentir un prêt à M. de Z..., elle ne peut pas en faire grief à la société A... et Associés ;

Considérant que le fait que M. A... ait surévalué certains tableaux de manière exagérée, même dans le cadre d'une estimation valeur assurance, ne permet pas plus à la banque d'engager sa responsabilité, dès lors que M. A... n'a jamais été informé de l'utilisation par le Crédit Suisse Hottinguer de l'estimation remise à M. de Z... ;

Considérant en conséquence que le jugement doit être confirmé ;

Considérant que l'exercice d'une voie de recours ne saurait constituer un abus de droit, en l'absence de malice, de mauvaise foi ou d'une erreur grossière, équipollente au dol qui sont évoquées mais qui ne sont pas démontrées ; que la société A... et Associés doit donc être déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour atteinte à sa réputation ;

Considérant qu'il apparaît équitable d'allouer à la société A... et Associés la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Condamne le Crédit Suisse Hottinguer à payer à la société A... et Associés une somme de 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, au titre de la procédure d'appel,

Rejette les autres demandes,

Condamne le Crédit Suisse Hottinguer aux dépens avec distraction au profit de l'avoué concerné dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Ct0302
Numéro d'arrêt : 02/14069
Date de la décision : 11/09/2008

Références :

Décision attaquée : Tribunal de commerce de Paris, 03 mai 2002


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.paris;arret;2008-09-11;02.14069 ?
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