RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
21ème Chambre C
ARRET DU 19 Juin 2008
(no , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 06/09874
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 08 Juin 2005 par le conseil de prud'hommes de PARIS section activités diverses RG no 04/00019
APPELANTE
1o - Madame Claudie X...
...
94800 VILLEJUIF
comparant en personne, assistée de Me Roland LIENHARDT, avocat au barreau de PARIS, toque : E 974,
INTIMEE
2o - LA COMEDIE FRANCAISE (EPIC)
Place Colette
75001 PARIS
représentée par Me Stéphanie STEIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J014,
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 31 Mars 2008, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Marie-Pierre DE LIEGE, Présidente
Mme Irène LEBE, Conseillère
Mme Hélène IMERGLIK, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier : Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, lors des débats,
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile.
- signé par Mme Marie-Pierre DE LIEGE, présidente et par Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Mme Claudie X... a été engagée le 22 mars 1996 en qualité d'artiste dramatique intermittent du spectacle par la Comédie Française, établissement public national à caractère industriel et commercial.
Par contrat à durée indéterminé du 1er février 1997 elle a acquis le statut de pensionnaire.
Après un entretien préalable le 23 décembre 2003 elle a été licenciée par lettre recommandée le 26 décembre 2003 en raison du jugement artistique porté sur elle par ses pairs. Son préavis de six mois s'est achevé le 28 juin 2004.
Le 31 décembre 2003 elle avait saisi le Conseil de prud'hommes de PARIS (section activités diverses, 4e chambre) pour voir condamner la Comédie Française à lui verser divers rappels de rémunération, des compléments d'indemnité de licenciement, une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et des dommages et intérêts pour exploitation non autorisée de ses interprétations et de son image.
Déboutée de ses demandes par jugement du 8 juin 2005, elle a fait appel.
Elle demande à la Cour d'infirmer le jugement et de :
condamner la Comédie Française à lui verser :
- 32.875,44 euros de dommages et intérêts pour licenciement discriminatoire,
- 5.474,24 euros de dommages et intérêts pour non-respect de la procédure conventionnelle de licenciement,
- 90.000 euros d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 182.024,41 euros d'arriéré de salaire pour la période du 1er janvier 1999 au 30 juin 2004,
- des compléments de prime de fin d'année de :
2.316 euros pour 1999
3.189,66 euros pour 2000
2.833,39 euros pour 2001
2.799,68 euros pour 2002
2.761,70 euros pour 2003
- 16.728,06 euros de complément d'indemnité conventionnelle de licenciement,
ordonner la remise de bulletins de paie et d'une attestation Assedic conforme,
condamner la Comédie Française à lui verser :
- 15.000 euros pour exploitation illicite de son nom et de son image sur son site internet,
- 5.000 euros de dommages et intérêts pour défaut de mise à jour de son site,
- 2.700 euros pour exploitation non autorisée de ses interprétations radiophoniques,
- 14.500 euros pour exploitation non autorisée de son interprétation dans le cadre du film "Georges A...",
- 11.500 euros pour exploitation non autorisée de son interprétation dans le cadre du film "Le legs".
Elle demande également qu'il soit fait interdiction à la Comédie Française, sous astreinte, d'utiliser son nom et son image sur son site internet et d'exploiter ses interprétations dans le cadre audiovisuel et radiophonique.
Elle demande enfin la condamnation de la Comédie Française aux dépens incluant les frais de constat d'huissier engagés et au versement de 10.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La Comédie Française sollicite la confirmation du jugement, le rejet des demandes de Mme X..., la suppression de propos injurieux, outrageants et diffamatoires contenus dans ses conclusions et l'octroi de 2 euros de dommages et intérêts à ce titre et de 10.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Pour plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier, reprises et complétées à l'audience du 31 mars 2008.
MOTIVATION :
Sur la demande de suppression de certains termes des conclusions de Mme B... :
La Comédie Française demande à la Cour de supprimer des conclusions de l'appelante, comme injurieux, outrageants et diffamatoires, les mots "élevé sans père", "père non déclaré" et "enfant décédé d'un tragique accident domestique" figurant en page 6 ainsi que les termes "le vote a forcément eu lieu sur une autre question et ce procès-verbal non motivé et très partiel est un faux" écrits en page 11.
Selon l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 les écrits produits devant les tribunaux ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, mais les juges saisis de la cause et statuant au fond pourront prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires et condamner qui il appartiendra à des dommages et intérêts.
Les mots figurant en page 6 des conclusions de Mme X... exposent la situation familiale de plusieurs membres du comité d'administration qui a émis le jugement artistique ayant entraîné son licenciement. Ces mots qui décrivent une réalité non contestée et qui ne sont pas en eux-mêmes injurieux, outrageants ou diffamatoires, sont nécessaires à la défense de Mme X..., qui soutient que c'est par jalousie envers sa situation de femme mariée, mère de deux enfants que les membres féminins du jury se sont prononcés en sa défaveur.
Refuser d'envisager cette hypothèse et vouloir en supprimer l'expression dans les conclusions conduirait à priver la salariée du droit de se défendre.
Ces mots ne seront donc pas supprimés.
La Comédie Française demande par ailleurs la suppression de termes relatifs au procès-verbal de la réunion du conseil d'administration.
Dans ce cas également l'affirmation, au demeurant modérée par les termes "non motivé et très partiel", que le procès-verbal est un faux n'excède pas les limites du droit à la défense de Mme X... qui soutient, en se fondant sur les statuts de la Comédie Française et sur les récits publiés par des membres du comité d'administration, que cette instance devait débattre du cas de chaque comédien et statuer sur la cessation ou la poursuite de son contrat de travail, et non seulement envisager certains licenciements.
Ces mots ne seront donc pas supprimés.
En conséquence la demande de dommages et intérêts formée par la Comédie Française sera également rejetée.
Sur la demande de rappel de salaire :
Mme X... sollicite un rappel de salaire, dans la limite de la prescription, au motif que le cachet perçu en juin 1998 pour l'enregistrement audiovisuel de la pièce "Le legs" se serait intégré à son salaire de base, le portant de 12.649,91 F à 31.949,93 F, ce montant mensuel ne pouvant plus être diminué sans son accord, et qu'en juillet 1999 elle a perçu un cachet de 21.079 F pour l'enregistrement du film "Georges A...", qui aurait de même été intégré à son salaire fixe, le portant à 35.911,02 F.
Selon l'article 5 de son contrat de travail Mme X... s'engageait expressément à jouer tous les rôles qui lui seraient distribués, à participer à toutes les répétitions et à participer, lorsqu'elle en serait requise, à la réalisation des films, émissions de radio ou de télévision, enregistrements de disques, auxquels la Comédie Française apporte son concours, les accords collectifs ou les règlement intérieurs fixant les conditions de sa participation et ses droits à rémunération à ce titre.
L'article 15 du titre III de l'annexe à la convention collective relative aux artistes pensionnaires énonce que le salaire du pensionnaire se compose d'une partie fixe et d'un feu de rampe par représentation.
Le titre V intitulé Activités de radio et de télévision énonce :
"Article 21 :
Le pensionnaire appelé à participer aux activités de radio ou de télévision reçoit à l'occasion des retransmissions en direct ou en différé ou des émissions réalisées dans le cadre de contrats conclus par la Comédie Française, une rémunération déterminée par application des principes énoncés aux articles suivants.
Article 22 :
Le salaire est fixé selon les règles en usage à la Comédie Française mais ne peut être inférieur au salaire minimal qu'aurait reçu directement l'artiste de l'organisme concerné par application des accords collectifs auxquels ledit organisme est soumis.
Article 23 :
Le droit à salaire supplémentaire en matière de rediffusion, cession d'enregistrement ou de commercialisation, s'exerce selon les règles auxquelles sont soumis les organismes français de radiodiffusion ou de télévision, et la Comédie Française répartit entre tous les ayants droits la rémunération globale supplémentaire.
Article 24 :
Un mois avant le début de chaque réalisation de télévision, les délégués des pensionnaires reçoivent notification des conditions de rémunération et des dispositions concernant les rediffusions, cessions d'enregistrement ou commercialisation."
Il résulte de ces textes dont aucun ne prime sur les autres que le pensionnaire qui participe à un enregistrement reçoit pour l'exécution de cette tâche, en plus de son salaire de base et des feux de rampe, une rémunération spécifique, qui ne peut être inférieure au salaire prévu par les accords collectifs applicables à l'organisme concerné, puis un salaire supplémentaire en cas de rediffusion, cession d'enregistrement ou commercialisation.
Mme X... ne demande pas de rappel de rémunération pour l'enregistrement du Legs et de Georges A... et la Comédie Française démontre par la production des barèmes applicables en fonction des dispositions conventionnelles qu'elle a été remplie de ses droits à ce titre.
Le fait que les bulletins de paie de Mme X... ne mentionnent pas d'heures supplémentaires ne prive pas la participation à un enregistrement de son caractère spécifique. Aucune circonstance ne justifie que le salaire versé "à l'occasion" de cette activité particulière, conformément aux dispositions conventionnelles et contractuelles, soit intégré dans le salaire de base.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de rappel de salaire et les demandes de complément de prime de fin d'année, de congés payés, d'indemnités de licenciement et de remise de documents rectifiés qui en sont la conséquence.
Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement discriminatoire :
Mme X... soutient qu'elle a fait l'objet d'un licenciement discriminatoire en raison de sa situation de famille et de ses grossesses.
Elle souligne qu'elle a été promue le 1er décembre 1997 à l'échelon 2 des pensionnaires, le 16 décembre 1998 à l'échelon 3 et le 4 décembre 2000 à l'échelon 4 alors que l'article 17 de l'avenant à l'annexe Artistes pensionnaires de la convention collective de la Comédie Française prévoit un changement d'échelon au bout de 4 ans, ce qui constitue une progression de carrière rapide, preuve de la satisfaction de son employeur mais que depuis la naissance de son 1er enfant le 24 mars 2002, son mariage avec le père de cet enfant le 6 juillet 2002 puis la naissance de son second enfant le 24 août 2003 elle n'a plus connu de promotion et qu'elle a au contraire été licenciée en décembre 2003 sans explication.
Elle affirme que les membres du comité d'administration dont l'avis sur ses qualités artistiques a entraîné son licenciement lui ont reproché d'avoir privilégié sa vie de famille par rapport à son travail de comédienne.
Analysant la composition de ce comité (qui comprenait 10 sociétaires dont deux suppléantes ne participant pas au vote) elle souligne que sur cinq femmes trois n'avaient pas d'enfant et que les deux autres n'avaient chacune qu'un enfant, l'un élevé sans père, l'autre de père non déclaré, alors que la majorité des comédiens avaient deux enfants.
Elle en déduit que la jalousie a dû être l'un des ressorts de son licenciement.
En cas de litige, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
La Comédie Française soutient que Mme X... n'apporte pas d'éléments laissant supposer une discrimination.
Selon l'article 17 de l'annexe conventionnelle des artistes pensionnaires :
"a/ Le passage à la catégorie immédiatement supérieure à celle de l'engagement du pensionnaire à la Comédie Française se fait après quatre ans d'ancienneté et ce jusqu'à la catégorie E4 incluse.
Toutefois le passage de la catégorie E4 à la catégorie hors échelle ne peut se faire que sur décision du comité d'administration de fin d'année.
b/ En tout état de cause le comité d'administration de fin d'année peut décider du passage de l'artiste pensionnaire dans la catégorie supérieure à celle où il est positionné avant cette période de quatre ans."
Il en résulte que le passage à la catégorie hors échelle, contrairement aux catégories précédentes, n'intervient pas de droit après quatre ans, mais doit faire l'objet d'un examen spécifique.
La Comédie Française démontre par plusieurs exemples que le changement d'échelon jusqu'en E4 se fait fréquemment en moins de quatre ans mais que la promotion en catégorie hors échelle, qui n'est pas automatique, prend couramment plusieurs années.
Elle souligne aussi à juste titre que Mme X... n'a pas été promue en catégorie hors échelle en 2001 alors qu'elle n'était encore ni mère ni mariée.
Mme X... ne démontre pas que les membres du comité d'administration lui aient reproché de privilégier sa vie de famille.
S'agissant de la composition de ce comité, il sera tout d'abord relevé que ses membres féminins appelés à voter étaient minoritaires par rapport aux hommes (trois sur huit) en sorte que leur jalousie supposée n'aurait pu être déterminante. Au surplus, deux comédiens n'avaient pas d'enfant et un n'en avait qu'un.
En tout état de cause la situation familiale de ces membres ne peut a priori être considérée comme devant les inciter à voter contre une épouse, mère de deux enfants.
Enfin la Comédie Française produit plusieurs exemples de comédiennes dont la situation familiale n'a pas empêché l'embauche ou la carrière (C de B, quatre enfants et sociétaire, JS, en congé maternité en 2005, promue à l'échelon 4 en 2006 et hors échelle en 2008, E, Z en congé maternité en 1998, devenue sociétaire en 2000).
Il résulte de l'ensemble de ces considérations que Mme X... n'a pas apporté d'éléments de fait laissant supposer l'existence de la discrimination alléguée.
Sa demande de dommages et intérêts pour licenciement discriminatoire sera donc rejetée.
Sur les demandes d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de dommages et intérêts pour non-respect de la procédure conventionnelle de licenciement :
Le statut de la Comédie Française est réglementé par le décret du 1er avril 1995.
Selon l'article 6 3o le comité d'administration (présidé par l'administrateur général et composé de sept sociétaires titulaires et de deux sociétaires suppléants) "décide de la poursuite ou la cessation des contrats des pensionnaires".
Selon l'article 3 le comité d'administration "se réunit obligatoirement dans la première quinzaine de décembre pour délibérer sur les points mentionnés aux 3o et 4o".
L'article 3 de l'annexe des artistes pensionnaires énonce :
"Le contrat d'artiste pensionnaire prend fin :
- par l'accession au sociétariat
- par les causes du droit commun, et notamment la démission, la force majeure, le licenciement ; il appartient au comité d'administration d'envisager de procéder au licenciement d'un pensionnaire ; la décision est prise par le comité d'administration, représenté par son président, selon la procédure prévue à l'article L 122-14 du Code du travail".
La lettre de licenciement signée par l'administrateur général est ainsi motivée :
"Comme nous vous l'avons rappelé, la décision de procéder au licenciement d'un pensionnaire doit être prise par le Comité d'administration, selon la procédure prévue par le Code du travail conformément aux dispositions de l'article 3 de l'annexe des artistes pensionnaires de la convention collective, et du décret du 1er avril 1995 (article 6.3).
Ainsi, chaque année, le Comité d'administration procède à l'évaluation de la troupe et délibère sur le devenir des comédiens. Il tient compte en particulier des capacités des comédiens à tenir des rôles de tous ordres conformément au statut de la Comédie Française et à s'adapter au répertoire et à la politique artistique mise en oeuvre par l'Administrateur. A cet égard, la convention collective prévoit que la continuité dans l'interprétation des pièces du répertoire implique "une certaine souplesse dans l'entrée et la sortie des comédiens".
La qualité du comédien est appréciée en fonction de différents critères et non pas nécessairement en fonction de sa qualité intrinsèque. Ces critères évoluent selon le répertoire et la composition du Comité d'administration. Dès lors certains critères artistiques peuvent être privilégiés selon les époques et les choix des metteurs en scène et de l'Administrateur.
C'est dans ces conditions et sur ces critères d'ordre strictement artistique que le Comité d'administration, lors de sa délibération, s'est prononcé à la majorité des voix pour la cessation de votre contrat.
Nous estimons donc que nous ne pouvons poursuivre votre contrat compte tenu du jugement artistique porté sur vous par vos pairs.
Votre préavis, d'une durée de six mois, débutera à compter de la première présentation de la présente lettre."
Mme X... soutient que la procédure conventionnelle de licenciement n'a pas été respectée en ce qu'elle aurait dû être convoquée avant la réunion du comité d'administration qui a décidé de la cessation de son contrat de travail, que le procès-verbal de cette réunion n'est pas motivé et indique faussement que son licenciement a été envisagé ; elle affirme que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
La comparaison des textes réglementaire et conventionnel fait apparaître une différence, le premier énonçant que le comité d'administration "décide" de la cessation des contrats des pensionnaires alors que selon le second il "envisage" de procéder à ce licenciement, la décision étant prise par le comité d'administration représenté par son président.
Mme X... est fondée à s'interroger sur la véracité du procès-verbal du 19 décembre 2003 en ce qu'il indique "le comité d'administration envisage à la majorité des voix la cessation du contrat de Mlle Claudie X...", alors que ce comité est tenu statutairement de décider des licenciements, que la lettre de licenciement rappelle qu'il s'est prononcé pour la cessation de son contrat et que l'un de ses membres a écrit dans un livre publié en février 2006 que le comité auquel il avait participé prononçait des "sentences", scellait le sort des comédiens, et que lui-même avait "signé leur renvoi" ou "voté leur exclusion définitive".
Cependant le procès-verbal du 19 décembre 2003, dont Mme X... n'a eu connaissance qu'après son licenciement pour en avoir fait la demande en 2006 à la Commission d'accès aux documents administratifs, n'avait pas vocation à lui être communiqué ni à valoir lettre de licenciement avant l'engagement de la procédure légale par l'administrateur général.
En conséquence le défaut de motivation ou le caractère inexact de ce document est dénué d'effet alors au surplus qu'il résulte de la lettre du 26 décembre 2003 que le comité d'administration a décidé du licenciement de Mme X....
Si l'appréciation des qualités artistiques d'un comédien est nécessairement délicate et subjective, la Comédie Française demeure tenue de présenter au juge des éléments objectifs matériellement vérifiables, constituant une cause réelle et sérieuse de licenciement.
Si un doute subsiste, il profite au salarié.
La lettre de licenciement se borne à énoncer que le comité d'administration composé de comédiens s'est prononcé à la majorité des voix pour le licenciement de Mme X... sur des critères d'ordre strictement artistique sur lesquels aucune précision n'est apportée.
En l'absence de motifs vérifiables le licenciement est donc dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Mme X... avait plus de sept ans d'ancienneté auprès de cet employeur occupant au moins onze salariés.
Elle a toujours exercé le métier de comédienne et sa chance de retrouver un emploi permanent équivalent à celui qu'elle occupait à la Comédie Française est pratiquement nulle.
Elle n'a retrouvé que des emplois précaires, mais a cependant reçu en 2005, et 2006 une rémunération totale supérieure à celle que lui avait versée la Comédie Française en 2004. Elle a perçu des indemnités de chômage jusqu'en novembre 2007 date à laquelle ses droits ont été épuisés.
Elle recevait un salaire mensuel brut moyen de 3.007,45 euros l'année précédant son licenciement.
La Cour dispose des éléments suffisants pour fixer à 45.000 euros le montant de son indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La Comédie Française devra également rembourser à l'Assedic les indemnités de chômage versés à la salariée dans la limite de six mois.
Mme X... fait valoir qu'elle n'a pas bénéficié d'un entretien préalable avant la réunion du comité d'administration qui a décidé de son licenciement.
Cependant elle dénonce ainsi l'inobservation de la procédure légale de licenciement, aucune disposition conventionnelle ne prévoyant un tel entretien.
En application de l'article L.122-14-4 (devenu L.1235-2 et L.1235-3) du Code du travail, sa demande d'indemnité pour inobservation de la procédure de licenciement ne peut se cumuler avec l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle sera donc rejetée.
Sur les demandes relatives au site internet de la Comédie Française
Mme X... fait valoir que selon un constat d'huissier établi à sa demande le 4 novembre 2004 son nom et son image figuraient toujours sur le site internet de la Comédie Française, que de surcroît sa notice biographique comportait des mentions erronées, que ce site n'a fait l'objet d'une déclaration à la CNIL qu'en février 2005, qu'elle n'a jamais autorisé l'exploitation d'informations la concernant ni la commercialisation de son image, qu'elle a subi un préjudice de ce fait et qu'elle a un intérêt légitime à demander qu'il soit fait interdiction à la Comédie Française d'utiliser son nom et son image sur son site internet.
Cependant Mme X... ne soutient pas que son nom, son image et sa notice biographique aient été publiés sur le site internet de la Comédie Française après la fin de son contrat de travail et à son insu. Elle n'émet pas de contestation spécifique sur l'image ainsi représentée.
La Comédie Française est investie d'une mission culturelle de service public, consistant à représenter les pièces de son répertoire, à en promouvoir le rayonnement national et international et à assurer la continuité d'une troupe de comédiens.
A ce titre elle est en droit, en application de l'article 7 de la loi no 78-17 du 6 janvier 1978, de fournir toutes informations sur son histoire et notamment des biographies résumant la vie professionnelle des comédiens faisant ou ayant fait partie de la troupe, assorties de photographies permettant de les identifier.
Dès lors le grief relatif au défaut de consentement n'est pas fondé.
Mme X... ne justifie pas d'un préjudice résultant de la déclaration tardive du site internet de la Comédie Française à la Commission Nationale Informatique et Libertés.
Si lors du constat du 4 novembre 2004 Mme X... était toujours indiquée à tort comme pensionnaire dans l'index des comédiens, cette erreur a été rapidement rectifiée par l'ajout de la mention "départ le 28 juin 2004", terme neutre insusceptible de lui porter préjudice.
Aucun élément ne démontre que Mme X... ait subi un préjudice en raison de ce défaut de mise à jour, alors qu'elle a joué de nombreux rôles hors de la Comédie Française au cours de son contrat de travail comme après sa rupture.
La Comédie Française expose sans être utilement contredite que la photographie de Mme X... n'est pas commercialisée dès lors qu'elle n'a pas donné son accord pour ce faire dans le cadre du "projet photos" soumis début 2004 à chacun des comédiens de la troupe.
Selon l'article 38 de la loi no 78-17 du 6 janvier 1978, toute personne physique a le droit de s'opposer, pour des motifs légitimes, à ce que des données à caractère personnel la concernant fassent l'objet d'un traitement.
La circonstance que le contrat de travail de Mme X... ait été rompu par un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ne constitue pas un motif légitime et le public est en droit d'être informé sur l'histoire des Comédiens français.
Au vu de l'ensemble de ces éléments les demandes de dommages-intérêts et d'interdiction d'utilisation du nom ou de l'image de Mme X... sur le site internet de la Comédie Française doivent être rejetées et le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur les demandes formulées au titre de l'exploitation des interprétations :
Au cours de sa relation de travail et conformément aux dispositions contractuelles, Mme X... a participé à l'enregistrement audiovisuel de deux pièces, Le Legs et Georges A..., et à l'enregistrement radiophonique de neuf autres pièces.
Ces enregistrements ont tous fait l'objet de diffusions.
Soutenant qu'elle n'en aurait pas autorisé l'exploitation Mme X... demande à la cour de lui allouer des dommages-intérêts et de faire interdiction à la Comédie Française d'exploiter ses interprétations.
Elle ne prétend pas qu'il ait été porté atteinte à son droit moral et ne demande que la protection de ses droits patrimoniaux.
Les premiers juges ont retenu à juste titre que Mme X... qui avait interprété les oeuvres en cause en compagnie d'autres comédiens ne pouvait s'opposer seule à leur exploitation.
Mme X... n'est pas fondée à soutenir qu'elle demande seulement l'interdiction d'exploiter ses interprétations alors que les oeuvres communes ainsi réalisées sont indivisibles.
En l'absence de mise en cause des autres comédiens concernés, dont les droits seraient nécessairement atteints en cas d'interdiction, sa demande à ce titre sera déclarée irrecevable.
Mme X... est au contraire recevable à demander l'indemnisation du préjudice individuel qui résulterait de l'exploitation de ses interprétations sans son autorisation.
La Comédie Française soutient qu'ayant la qualité de producteur audiovisuel, elle bénéficie de la présomption d'autorisation de cession prévue par l'article L.212-4 du Code de la propriété intellectuelle et qu'en tout cas Mme X... a donné son autorisation et n'a pas subi de préjudice. L'appelante conteste chacune de ces affirmations et fait valoir qu'en tout état de cause aucun contrat n'a fixé ses droits à rémunération.
Selon l'article L.212-3 du Code de la propriété intellectuelle, "Sont soumises à l'autorisation écrite de l'artiste-interprète la fixation de sa prestation, sa reproduction et sa communication au public, ainsi que toute utilisation séparée du son et de l'image lorsque celle-ci a été fixée à la fois pour le son et pour l'image.
Cette autorisation et les rémunérations auxquelles elle donne lieu sont régies par les dispositions des articles L.762-1 et L.762-2 du Code du Travail, sous réserve des dispositions de l'article L.212-6 du présent code".
Aux termes de l'article L.212-4 "La signature du contrat conclu entre un artiste-interprète et un producteur pour la réalisation d'une oeuvre audiovisuelle vaut autorisation de fixer, reproduire et communiquer au public la prestation de l'artiste-interprète. Ce contrat fixe une rémunération distincte pour chaque mode d'exploitation de l'oeuvre".
Selon l'article L.212-5 "Lorsque ni le contrat ni une convention collective ne mentionnent de rémunération pour un ou plusieurs modes d'exploitation, le niveau de celle-ci est fixé par référence à des barèmes établis par voie d'accords spécifiques conclus, dans chaque secteur d'activité, entre les organisations de salariés et d'employeur représentatives de la profession".
Selon l'article L.132-23, le producteur est celui qui prend l'initiative et la responsabilité de l'oeuvre.
La qualité de producteur suppose également une participation au risque de la création de l'oeuvre.
La Comédie Française produit le contrat conclu le 7 mai 2008 avec la société Agat Films et Cie pour la création de l'oeuvre audiovisuelle Le Legs, en vue de sa co-production avec la Sept/Arte.
La Comédie Française y est qualifiée de co-producteur, elle apporte l'idée originale des "levers de rideaux" et les droits pour l'apport de cette idée, de son titre et de son image de marque ; elle s'engage à mettre à disposition d'Agat Films les artistes-interprètes dont une liste est annexée. Elle apporte également le lieu du tournage et fournit un correspondant pour toutes les opérations et questions liées au projet et à sa réalisation.
En contrepartie de cet apport en industrie il est prévu qu'elle percevra 33% des recettes nettes part producteur générées par l'exploitation de l'oeuvre.
Agat Films et Cie s'y engage à faire respecter le règlement de travail de la Comédie Française.
Il est enfin prévu que la Comédie Française devra être associée à toute promotion de l'oeuvre, à toute présentation, fabrication ou conditionnement et pourra s'y opposer si ceux-ci portent atteinte à son image de marque ou au respect de sa mission.
Le contrat conclu avec Euripide Productions et Néria Productions pour la Collection Molière comprenant la pièce Georges A... comporte des clauses comparables.
Il qualifie également la Comédie Française de co-producteur, son préambule définit la charte artistique à respecter par chaque participant, et il y est précisé que l'administrateur général de la Comédie Française aura seul la responsabilité artistique des programmes à enregistrer et des génériques des spectacles (collaborateurs artistiques et interprètes).
Au vu de l'ensemble de ces éléments qui ne sont pas utilement contredits par Mme X..., la Comédie Française, qui participait à la réalisation des oeuvres et à leurs risques, avait la qualité de producteur et bénéficie de la présomption d'autorisation de cession des droits de l'artiste-interprète.
Les demandes de dommages-intérêts pour exploitation non autorisée de l'interprétation de Mme X... dans le cadre des films Le Legs et Georges A... seront donc rejetées.
La Comédie Française ne soutient pas avoir la qualité de producteur des émissions radiophoniques auxquelles Mme X... a participé mais affirme que celle-ci a autorisé leur communication au public.
Elle précise que ces oeuvres n'ont été diffusées qu'une seule fois et que Mme X... a reçu la rémunération convenue pour l'enregistrement et la première diffusion.
La participation de Mme X... aux enregistrements radiophoniques résulte de ses obligations contractuelles et ne saurait valoir présomption d'accord pour leur diffusion, alors que selon les éléments contractuels et conventionnels rappelés plus haut, la salariée n'était pas informée à l'avance de la rémunération à percevoir pour l'exploitation des émissions.
Le silence observé par Mme X... jusqu'à la fin de son contrat de travail ne peut suffire à établir une renonciation à ses droits.
Selon l'article L.331-1-3, 2o alinéa du Code de la propriété intellectuelle "La juridiction peut, et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire qui ne peut être inférieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l'auteur de l'atteinte avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a été porté atteinte".
Ce texte instaure une simple faculté, et il n'y a pas lieu de faire droit aux demandes de Mme X... dans leur intégralité, alors qu'elle a perçu un cachet de 132,63 euros après chaque enregistrement conformément aux barèmes négociés entre la Comédie Française et Radio-France et qu'il n'est pas justifié de diffusions multiples ni d'exploitation par plate-forme de téléchargement.
La cour dispose des éléments suffisants pour fixer à 630 euros le montant des dommages-intérêts.
Sur les frais non répétibles et les dépens :
La Comédie Française devra verser une somme globale de 3.000 euros à Mme X... au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Les frais du constat d'huissier du 4 novembre 2004 qui n'a pas été ordonné par la juridiction prud'homale ne sont pas compris dans les dépens.
PAR CES MOTIFS,
Rejette la demande de suppression de certains termes des conclusions de Mme X...,
Infirme partiellement le jugement,
Statuant à nouveau,
Dit le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,
Condamne la Comédie Française à verser à Mme X... :
- 45.000 euros (QUARANTE CINQ MILLE EUROS) de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 630 euros (SIX CENT TRENTE EUROS) de dommages-intérêts pour exploitation non autorisée de ses enregistrements radiophoniques,
Déclare irrecevable la demande d'interdiction d'exploitation des interprétations de Mme X... dans le cadre audiovisuel et radiophonique,
Confirme le jugement pour le surplus de ses dispositions frappées d'appel,
Y ajoutant,
Ordonne à la Comédie Française de rembourser à l'organisme concerné les indemnités de chômage versées à Mme X... dans la limite de six mois,
Condamne la Comédie Française à verser 3.000 euros (TROIS MILLE EUROS) à Mme X... au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
La condamne aux dépens.
LE GREFFIER, LA PRESIDENTE,