RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
18ème Chambre B
ARRÊT DU 29 Mai 2008
(no , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 06/00548/BVR
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 20 Mars 2006 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de PARIS RG no 20412903
APPELANTE
SOCIÉTÉ NATIONALE DE TÉLÉVISION FRANCE 2
7, Esplanade Henri de France
75015 PARIS
représentée par Me David JONIN, avocat au barreau de PARIS, toque : T03
INTIMÉE
UNION POUR LE RECOUVREMENT DES COTISATIONS DE SÉCURITÉ SOCIALE ET D'ALLOCATIONS FAMILIALES DE PARIS ET DE LA RÉGION PARISIENNE (URSSAF 75)
Service 6012 - Recours Judiciaires
TSA 80028
93517 MONTREUIL CEDEX
représentée par M. BOULAY en vertu d'un pouvoir général
Monsieur le Directeur Régional des Affaires Sanitaires et Sociales - Région d'Ile-de-France (DRASSIF)
58-62, rue de Mouzaia
75935 PARIS CEDEX 19
régulièrement avisé - non représenté
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 Avril 2008, en audience publique, les parties représentées ne s'y étant pas opposées, devant Madame Bernadette VAN RUYMBEKE, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Bertrand FAURE, Président
Madame Bernadette VAN RUYMBEKE, Conseiller
Madame Marie-Christine LAGRANGE, Conseiller,
Greffier : Madame Claire AUBIN-PANDELLÉ, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
- signé par Monsieur Bertrand FAURE, Président et par Madame Claire AUBIN- PANDELLÉ, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DES FAITS
Dans sa séance du 27 mai 2004, la Commission de recours amiable de l'U.R.S.S.A.F.-REGION PARISIENNE a rejeté le recours formé par la Société nationale de télévision FRANCE 2 tendant au remboursement des cotisations d'allocations familiales, d'assurance-vieillesse et de la contribution versement transport assises sur les rémunérations versées aux journalistes au titre de la période du 1er janvier 1991 au 31 décembre 1999 qu'elle estimait avoir versées à tort à taux plein alors qu'aurait dû être appliqué l'abattement de 20% conformément à l'arrêté du 26 mars 1987.
La Société nationale de télévision FRANCE 2 a alors saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de PARIS d'une requête tendant au remboursement des cotisations qu'elle estimait indûment versées pour un montant de 2.852.970 euros et, subsidiairement, au versement de dommages et intérêts en réparation de la faute commise par l'U.R.S.S.A.F. pour défaut d'information.
Par jugement en date du 20 mars 2006, le tribunal a :
- débouté la Société nationale de télévision FRANCE 2 de toutes ses demandes,
estimant que la demande en répétition de l'indu était prescrite et la faute de l'URSSAF non démontrée ,
- confirmé la décision de la Commission de recours amiable,
- rejeté la demande au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
- donné acte à l'URSSAF de ce qu'elle ne s'opposait pas au remboursement à la société ,des cotisations accidents du travail trop versées au titre des années 1991 à 2002 au regard des nouveaux taux de cotisations notifiés par la caisse régionale d'assurance maladie d'Ile de France à cette dernière pour ladite période.
Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu que :
- la société demanderesse n'ignorait pas les dispositions de l'arrêté du 26 mars 1987 instituant l'abattement de 20% puisqu'elle ne conteste pas l'avoir appliqué avant 1990 et la parution des textes relatifs au déplafonnement,
- la société pouvait réfuter la doctrine administrative supprimant la notion de plafond et celle d'abattement et appliquer les taux réduits de cotisations sur les rémunérations des journalistes qu'elle emploie,
- l'analyse doctrinale comme la jurisprudence ne sont pas de véritables sources de droit et que la circulaire ACOSS de 2003 est dépourvue de tout caractère réglementaire et n'est pas créatrice de droits au profit des cotisants,
- la société n'était pas dans l'impossibilité d'agir et rien ne permet de fixer le point de départ du délai de prescription biennale à une date différente de celle prévue par l'article L 243-6 du code de la sécurité sociale,
- c'est dans l'accomplissement strict de son devoir d'information que l'U.R.S.S.A.F. a communiqué aux entreprises les taux de cotisations qu'elle estimait conformes à l'évolution de la législation et le désaveu de la Cour de la Cour de Cassation n'a pas eu pour effet de faire naître une faute à la charge de l'organisme social,
- l'employeur qui, dans le cadre d'un système déclaratif, complète et signe les bordereaux de cotisations sous sa seule responsabilité, n'a à aucun moment dénoncé la lecture donnée par l'U.R.S.S.A.F,
- l'U.R.S.S.A.F. n'a donc commis aucune faute.
MOYENS des PARTIES
Au soutien de son appel, la société nationale de télévision FRANCE 2 demande à la Cour, infirmant le jugement entrepris, de :
- à titre principal, constater que l'action en répétition de l'indu qu'elle a introduite à l'encontre de l'U.R.S.S.A.F. n'est pas prescrite, et, en conséquence, condamner celle-ci à lui rembourser la somme totale de 2.852.970 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date de réclamation, soit le 2 octobre 2003,
- à titre subsidiaire, constater le préjudice qu'elle a subi du fait des fautes commises par l'U.R.S.S.A.F et, en conséquence, condamner celle-ci à payer la somme
totale de 2.852.970 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date de réclamation, soit le 2 octobre 2003,
- en tout état de cause, condamner l'U.R.S.S.A.F à lui verser la somme de
6 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre aux dépens.
ooooooooo
En réplique , l'U.R.S.S.A.F. PARIS RÉGION PARISIENNE demande à la Cour, confirmant le jugement entrepris en toutes ses dispositions, de constater à titre principal que l'action en répétition de l'indu est prescrite et, à titre subsidiaire, de rejeter la demande de dommages et intérêts et les intérêts légaux car elle n'a commis aucune faute, et, enfin de rejeter la demande d'allocation fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé de faits , de la procédure et de moyens des parties , il convient de se référer aux conclusions prises par chacune d'elles et développées oralement.
DISCUSSION
Considérant que la loi no90-86 du 23 janvier 1990 a supprimé le plafonnement des cotisations "Accidents du travail et Maladies professionnelles";
Que la loi no91-73 du 18 janvier 1991 a ajouté à l'article L 241-3 du code de la sécurité sociale que la cotisation d'assurance vieillesse à la charge des employeurs est calculée sur la totalité des rémunérations ; que la loi de finances pour 1993 du 30 décembre 1992 a supprimé toute référence au plafond de la sécurité sociale pour le calcul de la contribution "versement transport" ; que la C.N.A.M.T.S. ainsi que l'ACOSS ont interprété ces textes législatifs comme ayant implicitement abrogé l'abattement de 20% tel qu'il était prévu par l'arrêté du 26 mars 1987 pour les journalistes professionnels et assimilés ;
Considérant que cette doctrine administrative a été déclarée mal fondée par la Cour de Cassation, dans trois arrêts, des 14 mai 1998, 11 avril 2002 et 17 octobre 2002, qui a dit que cet abattement de 20% prévu devait continuer à s'appliquer au calcul des cotisations dues au titre des accidents du travail ; que par lettre collective du 15 avril 2003, l'A.C.O.S.S. a déclaré que le raisonnement applicable aux seuls accidents du travail devait être étendu à toutes les cotisations déplafonnées et à toutes les entreprises entrant dans le champ d'application de l'arrêté du 26 mars 1987 ;
Considérant que, par lettre du 22 octobre 2003, la Société nationale de télévision FRANCE 2 a alors formé une demande de remboursement auprès de l' U.R.S.S.A.F. des cotisations par elle versées sur la totalité des rémunérations des journalistes qu'elle avait employés au cours de la période 1er janvier 1991 au 31 décembre 1999 ;
A/. Sur la recevabilité de l'action en répétition de l'indu.
Considérant que la société développe différents moyens et arguments au soutien de la recevabilité de son action en répétition de l'indu ;
Considérant que l'article L 243-6 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction antérieure à la loi du 18 décembre 2003, disposait que la demande de remboursement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales indûment versées se prescrit par deux ans à compter de la date à laquelle lesdites cotisations ont été acquittées ;
Que la loi du 18 décembre 2003 a porté ce délai de prescription à trois ans et ,dans le cas où l'obligation de remboursement desdites cotisations naît d'une décision juridictionnelle qui révèle la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure, a limité l'étendue de la demande de remboursement en prévoyant que cette demande ne pourrait porter que sur la période postérieure au 1er janvier de la troisième année précédant celle où la décision révélant la non-conformité est intervenue ;
Considérant qu'en l'espèce, les décisions juridictionnelles servant de fondement à la demande de remboursement des cotisations indues ne statuent pas sur la conformité d'une règle de droit à une règle supérieure mais mettent fin à une contestation sur l'interprétation d'une loi nationale par rapport à une norme inférieure ; que le deuxième alinéa de l'article L 243-6 du code susvisé ne trouve pas application en l'espèce, comme l'a exactement retenu le tribunal ;
Et considérant qu'aux termes de l'article 2251 du code civil, "la prescription court contre toutes personnes, à moins qu'elle ne soit dans quelque exception établie par une loi";
Considérant que la Société nationale de télévision FRANCE 2 soutient que la prescription ne court pas contre celui qui ne peut agir et que le délai de prescription est reporté au moment où cesse cette impossibilité, l'obligation de remboursement n'étant née qu'à cette date ; qu'elle en déduit que l'article L 243-6 susvisé ayant limité à un cas précis le délai de trois années de cotisations indues, le remboursement pour tous les autres cas porte sur la totalité des années pendant lesquelles les sommes ont été versées ;
Qu'elle soutient encore qu'elle n'a pu connaître l'étendue de ses droits qu'après avoir été informée de la lettre de l'ACOSS du 15 avril 2003 et qu'elle avait été dans l'impossibilité d'agir avant cette date en raison de l'ignorance légitime et raisonnable de ses droits ; que l'U.R.S.S.A.F., quant à elle, soutient qu'aucun obstacle n'interdisait à l'appelante de contester avant l'expiration du délai la doctrine administrative comme l'ont fait certaines entreprises ;
Et considérant que si les circulaires et notes des organismes de recouvrement ont été largement diffusées par l'U.R.S.S.A.F auprès des entreprises de presse cotisantes, pour autant ces documents n'avaient pas de valeur normative , n'étaient pas créateurs de droit et pouvaient donc être contestés directement auprès de l'Union de recouvrement ;
Que la société qui a elle même calculé les cotisations dues pour les journalistes depuis le 1er janvier 1991 sans appliquer l'abattement de 20% ,sans contestation ni réserve, ne fait état d'aucun obstacle qui lui aurait interdit de revendiquer avant l'expiration du délai de prescription, l'abattement litigieux ;
Considérant que la Société nationale de télévision FRANCE 2 ne démontre donc pas qu'elle était dans l'impossibilité de faire valoir ses droits si elle estimait devoir contester l'interprétation faite par l'U.R.S.S.A.F,. d'autant plus que des oppositions à contraintes avaient été formées par d'autres entreprises de presse, ce que la profession ne pouvait ignorer ; qu'elle ne peut donc sérieusement soutenir avoir été dans l'impossibilité d'agir avant que l'administration ne tire les conséquences des décisions de la Cour de Cassation de 1998 et 2002 , ce qu'elle même était en mesure de faire ;
Considérant que, faute pour la Société nationale de télévision FRANCE 2 de faire la démonstration de cette impossibilité, les moyens tirés de dispositions supra-nationales et celle d'un défaut d'information comme fondement de son ignorance, sont superfétatoires ;
Considérant qu'en application de l'article L 243-6 du code de la sécurité sociale, l'action en répétition de l'indu portant sur des cotisations indues des années 1991 à 1999 est prescrite et donc irrecevable pour avoir été formée le 22 octobre 2003 ; que le jugement, pris pour de justes motifs adoptés , sera confirmé à ce titre ;
B/. Sur la responsabilité de l'U.R.S.S.A.F. PARIS RÉGION PARISIENNE.
Considérant que la Société nationale de télévision FRANCE 2 soutient que l'U.R.S.S.A.F. a commis une faute qui lui a causé un préjudice direct et certain ;
Qu'elle fait notamment valoir que l'U.R.S.S.A.F. a failli à son obligation générale d'information en communiquant des bordereaux de paiement de cotisations sociales inexacts et en diffusant des circulaires et des documents relayant la circulaire erronée de la CNAMTS ; qu'elle soutient que le revirement de 2002 caractérise la faute issue d'une interprétation erronée et persistante;
Mais considérant tout d'abord que si l'article R 112-2 du code de la sécurité sociale, applicable aux cotisants, impose à l'URSSAF de prendre toutes mesures utiles afin d'assurer l'information générale des assurés sociaux , si le Préambule de la Charte du cotisant consacre la nécessité d'information pour assurer une meilleure transparence des systèmes de prélèvements sociaux, force est de constater en l'espèce que l'organisme du recouvrement a satisfait à cette obligation ;
Qu'il a en effet porté à la connaissance de son cotisant, par voie de diffusion collective ou individuelle, le contenu objectif de la législation et l'interprétation que ,selon lui, il convenait de lui donner quant aux taux de cotisations et à la suppression de l'abattement de 20% ;
Qu'il n'est pas prétendu qu'à la suite de la diffusion de l'information concernant la suppression de l'abattement , la société se soit rapprochée de l'URSSAF pour obtenir un ensemble d'explication;
Que le système déclaratif mis en place pour l'établissement des cotisations des entreprises implique que le cotisant procède sous sa responsabilité et qu'il s'informe précisément sur ses droits et obligations en matière de cotisations sociales ; qu'il lui est loisible , à cet égard de modifier, compléter les bordereaux adressés par l'URSSAF et de les adapter à la situation personnelle de ses salariés, ce qu'il faisait d'ailleurs régulièrement en l'espèce s'agissant des abattements, des exonérations ...;
Considérant ensuite qu'il ne saurait être fait grief à l'URSSAF ni d'avoir procédé à la diffusion de la circulaire de la Caisse Nationale de l'Assurance Maladie des travailleurs salariés du 8 janvier 1991 , relayée par l'ACCOS , dans une lettre circulaire du 19 janvier 1993 relative au déplafonnement de l'assiette du Versement Transport, ni d'avoir adopté cette interprétation dans une note de juillet 1993 et intitulée "Journalistes Professionnels - Pigistes - Employés par les Agences de Presse et les Entreprises de Presse" ;
Que si cette interprétation a été contredite par trois décisions juridictionnelles de 1998 et 2002, lesquelles ont retenu que "la loi no 90-86 du 23 janvier 1990 supprimant le plafonnement de l'assiette des cotisations accidents du travail, n'avait pas abrogé l'article 1er de l'arrêté du 26 mars 1987, de sorte qu'elle ne pouvait faire échec à l'application de l'abattement prévu par ce texte sur le taux des cotisations intéressant les journalistes professionnels", cette remise en cause, compte tenu de la complexité de la question juridique , de l'argumentaire sérieux développé par l'URSSAF , de la controverse qui en est issue, n'est pas de nature à établir l'existence d'un comportement fautif de cet organisme ;
Que la divergence d'interprétation d'un texte qui a été tranchée ultérieurement par la Cour de Cassation en faveur de celle défendue par les débiteurs des cotisations n'étant pas , en conséquence constitutive d'une faute à la charge de l'U.R.S.S.A.F. susceptible d'engager sa responsabilité à l'égard des cotisants, et aucune faute ne pouvant être retenue à l'encontre de l'U.R.S.S.A.F. PARIS REGION PARISIENNE , la Société nationale de télévision FRANCE 2, sera déboutée de toutes ses demandes ;
Que dès lors le jugement pris pour de justes motifs adoptés doit être confirmé en toutes ses dispositions ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement,
CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
DÉBOUTE la Société Nationale de Télévision FRANCE 2 de toutes ses demandes,
DIT n'y avoir lieu à application de l'article R 144-10 du code de la sécurité sociale.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,