Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
5ème Chambre-Section B
ARRÊT DU 29 MAI 2008
(no, pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 04 / 02871
Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Janvier 2004- Tribunal de Commerce de PARIS-RG no 200254215
APPELANTS
S. A. S. CBN INTERNATIONAL
prise en la personne de ses représentants légaux
50 RUE CORTAMBERG 75116 PARIS
Monsieur HERVE X... X...
...
représentés par la SCP FISSELIER-CHILOUX-BOULAY, avoués à la Cour
assistés de Me Françoise Y..., avocat au barreau de PARIS, toque : P525
INTIMEE
S. A. SOCIÉTÉ MERCER (A VERIFIER)
prise en la personne de ses représentants légaux
TOUR ARIANE LA DEFENSE
9, 5 place de la Pyramide
92800 PUTEAUX
représentée par la SCP NARRAT-PEYTAVI, avoués à la Cour
assistée de Maître Isabelle d'Z..., toque G421
COMPOSITION DE LA COUR :
Après rapport oral de Monsieur PICQUE, l'affaire a été débattue le 27 Mars 2008, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Hélène DEURBERGUE, Présidente
Madame Catherine LE BAIL, Conseillère
Monsieur Gérard PICQUE, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffière, lors des débats : Mme Marie-Claude GOUGE
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
-Rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Hélène DEURBERGUE, président et par Mme Marie-Claude GOUGE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Suite à la rupture conflictuelle de son contrat de travail en juillet 2001 à effet du 2 octobre suivant, précédée d'une vaine tentative d'externalisation du suivi commercial de la clientèle de la S. A. MERCER, Monsieur Hervé X... X... a créé la S. A. S. CBN INTERNATIONAL le 5 octobre 2001, dont l'objet social de courtage d'assurances de personnes, est concurrent de celui de son ancien employeur.
Le 28 juillet 2002, la société MERCER les a attrait, l'un et l'autre, devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins de les entendre condamner à lui payer 1. 268. 717 € en réparation du préjudice financier et moral allégué, consécutif aux actes de concurrence déloyale qu'elle leur reproche.
Par jugement contradictoire du 23 janvier 2004, le Tribunal a considéré que Monsieur Hervé X... X... et la société CBN ont eu un comportement déloyal vis-à-vis de la société MERCER et les a condamnés à lui verser 494. 437 €, outre 7. 000 € de frais irrépétibles en autorisant la publication de la décision dans trois journaux, lorsqu'elle sera devenue définitive, dans la limite d'un coût de 10. 000 €.
Vu l'appel interjeté le 6 février 2004 par Monsieur Hervé X... X... et la société CBN et les ultimes écritures qu'ils ont signifiées le 31 janvier 2008, poursuivant :
- à titre principal, l'infirmation de la décision attaquée en priant la Cour de constater l'absence de tout agissement caractérisant la concurrence déloyale, et en demandant le renvoi de " la société MERCER à se pourvoir devant le conseil des prud'hommes concernant les manquements reprochés en exécution du contrat de travail ",
- subsidiairement,
1o) en invoquant l'article 199 du Code de procédure civile, la prescription d'une enquête à l'effet " d'entendre les personnes qui n'auraient pas été liées par une clause de non concurrence à la date du 15 novembre 2000 tel que résultant de la pièce no 129 produites aux débats ", les conclusions page 11 contenant une liste de 17 personnes à entendre,
2o) la production forcée aux débats du protocole transactionnel de 1994 entre la société Rouge Clarkson César et Monsieur A... X..., si la société MERCER s'oppose à sa communication,
3o) le rejet des demandes en invitant la Cour à constater que l'intimée ne justifie pas de préjudice,
- et sollicitent reconventionnellement 15. 000 € de dommages et intérêts pour procédure abusive, outre 10. 000 € de frais irrépétibles et, au visa de l'article 566 du Code de procédure civile, 50. 000 € en faisant état du préjudice spécifique éprouvé du fait de la publication du jugement du Tribunal survenue, selon les appelants, à l'initiative de la société MERCER, dans " la lettre de l'assurance " sous le titre " en attendant que roule l'appel " alors que la décision n'était pas définitive ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 31 août 2007 par la société MERCER poursuivant la confirmation du jugement en s'opposant aux prétentions des appelants tout en faisant implicitement appel incident en réclamant :
- à nouveau 1. 268. 717 € en réparation du préjudice financier et moral résultant " des agissements déloyaux et du dénigrement du fait, tant des tentatives, que des détournements effectifs de clientèle et de la désorganisation de ses services ",
-100. 000 € en réparation du préjudice moral résultant " de la violation du devoir de réserve d'Hervé X... X... pendant et après l'exécution de son mandat social et de son contrat de travail ",
- la publication de la décision dans trois journaux quotidiens aux frais des appelants dans la limite de 15. 000 € et 10. 000 € de frais irrépétibles ;
SUR CE, la Cour :
Considérant que Monsieur A... X... et la société CBN soutiennent que le Tribunal de commerce aurait excédé ses pouvoirs en appréciant les conditions d'exécution du contrat de travail de l'intéressé et s'insurgent contre l'accusation de détournement de clientèle en faisant valoir qu'Hervé X... X... n'était pas lié par une clause de non-concurrence ;
Que faisant état des difficultés survenues au sein de l'entreprise MERCER, du fait de l'absorption de deux autres cabinets de courtage, créant des postes de cadre de direction doubles, voire triples, les appelants contestent le caractère déloyal des actes prêtés à Monsieur A... X..., concernant les notes de frais, les gestes commerciaux consentis, les prétendues rencontres avec des clients du cabinet MERCER pendant la durée de préavis et les actes en vue de constituer sa nouvelle société ;
Qu'ils considèrent que c'est en raison des relations intuitu personae et amicales " qu'ils entretenaient depuis toujours avec Monsieur A... " qu'un certain nombre de clients ont choisi de lui rester fidèles et ont résilier le mandat de courtage MERCER fin octobre 2001, pour rejoindre le nouveau cabinet de courtage de Monsieur X... X... ;
Qu'ils reprochent aussi à la société MERCER d'avoir d'ores et déjà publié la décision du Tribunal de commerce dans un journal professionnel en handicapant ainsi gravement l'activité naissante de la nouvelle société ;
Considérant que pour sa part, la société MERCER invoque un détournement de clientèle, le débauchage d'une salariée, la désorganisation de ses services et des actions de parasitisme en prétendant qu'Hervé X... X... aurait artificiellement créé un conflit pour mieux organiser son départ de l'entreprise, en modifiant, au surplus, les conditions de gestion de certains contrats à l'insu de l'employeur et en détournant, tant les études pré-contractuelles, analyses et statistiques élaborées lorsqu'il était à son service, que certains clients qu'il suivait pour le compte de la société de courtage MERCER ;
Que celle-ci fait aussi valoir que la demande concernant le prétendu excès de pouvoir des premiers juges est irrecevable, ou à tout le moins, mal fondée et fait état " d'un phénomène anormal " de résiliation de contrat, suivi d'une concentration tout aussi anormale des contrats résiliés au profit de la nouvelle agence créée par Hervé X... X..., en déduisant de la rapidité de la création après la fin du préavis de l'intéressé, que celle-ci n'a pu se réaliser qu'au bénéfice du détournement du travail pré-contractuel antérieurement exécuté lorsqu'il était encore au service de la société MERCER ;
Que la société MERCER déduit des termes des attestations des anciens clients, versées aux débats, qu'Hervé X... X... s'est en outre, livré à des manoeuvres de dénigrement ;
Que par ailleurs, tout en niant avoir été à l'origine de l'article paru dans la presse professionnelle, elle estime en revanche que la demande des appelants s'analyse en une action en diffamation, laquelle est aujourd'hui prescrite ;
ceci étant rappelé,
Sur la demande de renvoi devant le Conseil des prud'hommes
Considérant que, tout en demandant, dans le dispositif de ses écritures, le renvoi de la société MERCER à se pourvoir devant le Conseil des prud'hommes, les appelants soutiennent, dans les motifs des conclusions (page 7), que le Tribunal aurait commis un excès de pouvoir en analysant les prétendus manquements contractuels de Monsieur A... X... en sa qualité de salarié ;
Mais considérant que, nonobstant une qualification erronée de la prétention, la demande des appelants ne constitue pas, comme le prétend à tort l'intimée, une exception d'incompétence qui aurait dû être soulevée " in limine litis ", mais tend à la nullité de la décision prononcée par les premiers juges, au motif qu'ils auraient commis un excès de pouvoir ;
Que la demande est recevable en la forme ;
Que cependant sur le fond, il convient de relever que l'action en concurrence déloyale vise :
- d'une part, la société CBN Internationale bénéficiaire des agissements déloyaux allégués,
- d'autre part, Hervé X... X..., en sa qualité d'auteur matériel des faits reprochés ;
Que l'auteur des actes de concurrence peut être sanctionné, même s'il n'a pas été lui-même le bénéficiaire des agissements déloyaux et que son statut juridique est indifférent, dès lors que la faute commise invoquée est susceptible d'être préjudiciable au demandeur ;
Que les demandes soumises au Tribunal de commerce ne tendaient pas à sanctionner une inexécution du contrat de travail ;
Que dès lors, c'est dans les limites de ses pouvoirs que la juridiction consulaire a analysé le comportement de Monsieur A... X... durant la phase finale de l'exécution de son contrat de travail avec la plaignante, pour rechercher les éventuelles fautes constitutives d'une action déloyale ayant pu profiter à la société CBN Internationale ;
Que la demande de renvoi, requalifiée en demande de nullité du jugement ne sera pas accueillie ;
Sur le détournement de clientèle
Considérant qu'il se déduit des termes de l'arrêt du 8 septembre 2006 de la chambre sociale de la Cour d'appel de Versailles, aujourd'hui définitif puisque le pourvoi a été déclaré non admis par arrêt du 19 décembre 2007 de la chambre sociale de la Cour de cassation, qu'Hervé X... X... n'est pas tenu par une clause de non-concurrence ;
Qu'il n'est dès lors pas nécessaire de faire droit à la demande d'audition formulée par les appelants concernant les dix sept personnes qui n'auraient pas été liées par une clause de non concurrence à la date du 15 novembre 2000 ;
Qu'en vertu de la liberté d'entreprendre, un ancien salarié a le droit de s'établir à son compte et d'exercer une activité identique à celle de son ancien employeur sous réserve d'agir loyalement et qu'il incombe à la société MERCER de rapporter la preuve des agissements déloyaux qu'elle invoque ;
Qu'en s'appropriant les motifs du Tribunal, la société MERCER déduit essentiellement de la rapidité de la création de la société CBN Internationale, immédiatement après la fin théorique du contrat de travail d'Hervé X... X..., que l'intéressé avait nécessairement prospecté activement la clientèle dès avant la fin du préavis, pour l'inciter à quitter MERCER et le rejoindre au sein de sa nouvelle entreprise, en y voyant la marque d'une attitude déloyale du préposé à l'égard de son employeur ;
Mais considérant " qu'affirmer n'est pas prouver " et que l'analyse, purement spéculative, de la société MERCER, n'est pas renforcée par des éléments matériels qui viendraient conforter la réalité des actes reprochés ;
Qu'il n'est pas contesté que la réception à déjeuner des clients du cabinet de courtage était dans les attributions de Monsieur A... X..., et qu'on ne saurait se contenter de la matérialité des déjeuners, sans connaître la teneur des entretiens qui s'y sont déroulés, pour établir que la conversation n'aurait servi qu'à la préparation du changement de courtier ;
Que de même, il n'est pas davantage contesté que le cabinet MERCER pouvait être amené à pratiquer des gestes commerciaux, ni que ceux-ci étaient dans les pouvoirs de gestion conférés à Hervé X... X..., de sorte qu'il ne se déduit pas de la seule existence de telles pratiques dans la période précédente la rupture du contrat de travail, qu'elles étaient forcément préparatoires à un changement de courtier, d'autant que l'intimée n'a pas démenti les appelants lorsqu'ils ont indiqué que ce sont les compagnies d'assurances concernées qui ont supporté le financement des gestes commerciaux litigieux ;
Considérant par ailleurs que les clients jouissent d'une totale liberté pour quitter un prestataire afin d'en rejoindre un autre, sous réserve du respect des contrats éventuellement en cours ;
Que l'intimée n'a pas nié la réalité des liens d'amitié entre Hervé X... X... et les responsables concernés des sociétés ayant décidé de résilier le contrat de courtage de MERCER durant le mois d'octobre 2001, ce qui explique, de manière crédible, la rapidité d'action dont l'intimée semble s'émouvoir, d'autant qu'elle ne disconvient pas davantage que lors de l'embauche de Monsieur A... X... en son sein en 1993, le même phénomène s'était produit à son bénéfice avec une partie de ceux qui l'ont quitté en 2001 ;
Qu'en conséquence, il n'est pas utile de faire droit à la demande des appelants sur la production forcée du protocole transactionnel de 1994 ;
Qu'en matière de prestations de services pour la mise au point des couvertures d'assurances, il est courant que les contacts fréquents entre le représentant de l'entreprise cliente et celui du cabinet de courtage, puissent évoluer vers des liens plus amicaux que les seules relations professionnelles, ce dont les entreprises concernées se protègent ordinairement, des éventuels effets néfastes, en prévoyant des clauses de non-concurrence, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce ;
Considérant aussi que la rapidité de la constitution de la société CBN Internationale, dans les jours qui ont suivi la fin du préavis, n'est pas critiquable en soi, Hervé X... X..., qui était dispensé par son employeur de la prestation de travail pendant cette période, étant libre de faire les actes préparatoires, dès lors qu'aucun acte d'exploitation n'est démontré pendant ladite période ;
Sur le parasitisme et le dénigrement
Attendu qu'il appartient à la société MERCER de démontrer en quoi la société CBN Internationale se serait insérée dans son sillage pour tirer profit de sa réputation ou du travail qu'elle avait antérieurement effectué ;
Que le professionnalisme de Monsieur A... X... n'a pas été contesté, lui permettant de réaliser rapidement les études sommaires nécessaires à un simple changement de courtier d'assurances, et que ledit changement peut être pratiqué en reconduisant par ailleurs à l'identique les contrats d'assurances existants, ce qui peut se faire dans les délais courts dénoncés par l'intimée, sans avoir à utiliser les études antérieurement exécutées pour la mise au point primitive des garanties du contrat d'assurances, d'autant que la société MERCER reconnaît elle-même (conclusions page 20) que les usages du courtage le permettaient ;
Que par ailleurs, les seules déclarations contenues dans les attestations délivrées par les représentants des entreprises ayant dénoncé le mandat de courtage de la société MERCER, ne suffit pas à établir que Monsieur A... X... aurait dénigré son ancien employeur auprès des intéressés ;
Sur le débauchage d'une employée
Considérant qu'il n'a pas été allégué que la salariée concernée était liée par une clause de non-concurrence avec la société MERCER ;
Qu'elle disposait de la liberté absolue de changer d'emploi, même pour rejoindre directement l'entreprise nouvellement créée par son ancien chef hiérarchique au sein de son ancien employeur ;
Qu'au surplus, l'intéressée a quitté MERCER plusieurs mois avant le départ de Monsieur A... X... et que l'intimée ne démontre pas la manoeuvre qu'elle dénonce de l'embauche purement provisoire par un tiers pour prétendument brouiller les pistes et mieux pouvoir rejoindre ensuite la nouvelle entreprise en gestation ;
Qu'en tout état de cause, à supposer que le scénario qu'elle décrit, ait été exact, la société MERCER ne démontre pas en quoi l'employée concernée n'avait pas la liberté de le suivre et ne rapporte pas la preuve que ce seul départ ait pu désorganiser son entreprise ;
Sur les dommages et intérêts
Considérant que la complexité des relations tissées entre Monsieur A... X... et la société MERCER, comprenait en germe le risque important du contentieux qui s'est finalement développé, de sorte que la demande de dommages et intérêts au titre d'une prétendue procédure abusive, ne sera pas accueillie ;
Que de même, la société MERCER succombant dans l'essentiel de ses prétentions, n'a pas établi la réalité de la prétendue violation du devoir de réserve qu'elle impute à Monsieur A... X... ;
Que la société CBN Internationale et Hervé X... X... n'établissent pas davantage que la société MERCER serait à l'origine de l'article " en attendant que roule l'appel " paru dans " la lettre de l'assurance ", étant surabondamment observé que la presse jouit de la liberté de publication et que le ton mesuré employé par le journaliste, qui s'applique à faire une relation objective des faits et de la situation judiciaire du moment, n'apparaît pas contraire à la réalité de l'époque ;
Sur la publication
Considérant que les intéressés ont la faculté, s'ils y trouvent avantage, de faire connaître la teneur de la présente décision auprès de leurs interlocuteurs ;
Que par ailleurs, compte tenu de la passion, qui a caractérisé les échanges, tant lors de la communication des pièces et des écritures, que lors des débats, conduit la Cour à estimer qu'une publication de l'arrêt à son initiative, ne serait pas conforme à l'intérêt bien compris des parties, dont la poursuite des activités requiert sérénité ;
Qu'en conséquence, il ne sera pas fait droit à la demande de publication ;
Sur les frais irrépétibles
Considérant qu'il apparaît équitable de laisser à chacun, la charge définitive des frais irrépétibles qu'il a exposés tout au long des deux degrés de l'instance ;
PAR CES MOTIFS,
Déclare l'appel recevable,
Infirme le jugement en toute ses dispositions et statuant à nouveau,
Déboute les parties de toutes leurs demandes,
Fait masse des dépens de première instance et d'appel et les met à la charge des parties, chacune pour moitié,
Admet les avoués de la cause, chacun pour ce qui le concerne, au bénéfice de l'article 699 du Code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE, LE PRÉSIDENT,