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28/05/2008 | FRANCE | N°06/12681

France | France, Cour d'appel de Paris, Ct0089, 28 mai 2008, 06/12681


Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

1ère CHAMBRE - Section N

REPARATION DES DETENTIONS PROVISOIRES

DECISION DU 28 MAI 2008

No du répertoire général : 06/12681

Décision contradictoire en premier ressort

Nous, Martine PROVOST-LOPIN, Conseillère à la Cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assistée de Gilles DUPONT, Greffier lors des débats, avons rendu la décision suivante :

Statuant sur la requête envoyée par lettre rec

ommandée avec accusé de réception et reçue au greffe le 18 juillet 2006 par Monsieur Paul X..., demeurant ... ;

Vu le...

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

1ère CHAMBRE - Section N

REPARATION DES DETENTIONS PROVISOIRES

DECISION DU 28 MAI 2008

No du répertoire général : 06/12681

Décision contradictoire en premier ressort

Nous, Martine PROVOST-LOPIN, Conseillère à la Cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assistée de Gilles DUPONT, Greffier lors des débats, avons rendu la décision suivante :

Statuant sur la requête envoyée par lettre recommandée avec accusé de réception et reçue au greffe le 18 juillet 2006 par Monsieur Paul X..., demeurant ... ;

Vu les pièces jointes à cette requête ;

Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire du Trésor notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 9 avril 2008 à 9 heures 30 ;

Vu la présence de Monsieur Paul X... ;

Ouï, Monsieur Paul X..., Maître Jean Y..., avocat assistant Monsieur Paul X..., Maître Dan Z..., avocat plaidant pour la SCP NORMAND ET ASSOCIES, avocats associés représentant Monsieur l'Agent Judiciaire du Trésor, ainsi que Madame Lydia GORGEN, avocat général, les débats ayant eu lieu en audience publique, le 9 avril 2008, le requérant ayant eu la parole en dernier ;

Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R. 26 à R. 40-7 du code de procédure pénale ;

Attendu que Monsieur Paul X..., mis en examen le 13 mai 1999 des chefs de viols et agressions sexuelles sur mineure de 15 ans par ascendant, a été placé sous mandat de dépôt le même jour et mis en liberté le 21 janvier 2000 sous contrôle judiciaire ;

Que renvoyé devant la cour d'assises, il a fait l'objet d'un arrêt d'acquittement le 23 mai

2003 ;

Que, sur appel principal formé par Monsieur le Procureur général, la chambre criminelle de la Cour de cassation a désigné la cour d'assises de Seine Saint Denis qui, par arrêt du 14 janvier 2005 à ce jour définitif, a acquitté le requérant ;

Qu'il a ainsi été incarcéré pendant huit mois et huit jours ;

Attendu qu'aux termes de sa requête, Monsieur Paul X... a sollicité la somme de 150.000 € à titre de dommages et intérêts toutes causes confondues résultant de la perte de deux emplois, d'un préjudice psychologique, de l'accumulation de dettes durant cette détention ;

Que, par conclusions du 20 février 2008, le requérant a demandé au titre de l'indemnisation de son préjudice les sommes suivantes :

- 11.700 € : perte de salaires en sa qualité d'employé de mairie ;

- 6.600 € : perte de salaires au titre de missions d'intérim effectuées en qualité de chauffeur poids lourd ;

- 34.027,60 € : perte d'une indemnité d'accident du travail se décomposant comme suit :

* 987,60 € : préjudice certain

* 33.040 € : perte d'une chance ;

- 5.000 € au titre du préjudice résultant de l'impossibilité de régler les pensions alimentaires ;

- 50.000 € au titre de la perte d'une chance de se maintenir en tant que fonctionnaire à la Ville de Paris ;

- 60.000 € en réparation du préjudice moral ;

- 2.000 € sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale ;

Attendu que l'Agent judiciaire du Trésor a soulevé l'irrecevabilité de la requête, a, à titre subsidiaire, sollicité de limiter l'indemnisation allouée au seul titre du préjudice moral à la somme de 10.000 € et a, à infiniment subsidiaire, demandé de ramener à de plus justes proportions l'indemnisation au titre du préjudice matériel qui selon lui devrait ne prendre en compte que la stricte perte des salaires liée à l'impossibilité d'exercer son emploi auprès de la Mairie de Paris durant la détention provisoire ;

Attendu que Madame le Procureur général a conclu à la recevabilité de la requête, le délai de six mois n'ayant pas couru du fait que le requérant n'a pas été avisé de son droit à réparation et des modalités d'exercice de ce droit ; qu'elle s'en est remis sur la réparation des préjudices économique et moral de Monsieur X... ;

Sur la recevabilité de la requête :

Attendu que le délai de six mois prévu à l'article 149-2 du code de procédure pénale dans lequel le premier président est saisi de la requête en indemnisation ne court, en application de l'article R 26 du même code, qu'à compter de la décision d'acquittement devenue définitive que si lors de la notification de cette décision, la personne a été avisée de son droit de demander une réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1, 149-2 et 149-3 1er alinéa ;

Attendu qu'en l'espèce, l'arrêt de la cour d'assises de Bobigny rendu le 14 janvier 2005, en présence de Monsieur X..., ne mentionne pas que ce dernier a été informé de son droit de demander une réparation et des modalités d'exercice de ce droit ; qu'en l'absence de notification régulière, le délai n'a pas couru ; que la requête est donc recevable;

Sur l'indemnisation

Attendu qu'en vertu des articles 149 et 150 du code de procédure pénale, une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive; que cette indemnité est allouée en vue de réparer intégralement le préjudice personnel, matériel et moral directement causé par la privation de liberté ;

Que seuls peuvent être réparés les préjudices de la personne détenue qui sont directement liés à la privation de liberté, à l'exclusion de ceux qui sont la conséquence des poursuites pénales elles-mêmes, des mesures d'instruction autres que la détention provisoire, du retentissement public de l'affaire ou qui ont été causés à des proches ou à des tiers ;

Sur le préjudice matériel :

Attendu que Monsieur X... occupait lors de son placement en détention un emploi à la Mairie de Paris ; qu'il a été radié de ce poste pour l'avoir abandonné et ce, par décision prise le 11 juillet 2003, plus de deux ans après sa mise en liberté ;

Que sa demande au titre de la perte de salaires est parfaitement justifiée à hauteur de la somme de 11.700 € ;

Que toutefois, Monsieur X... ne saurait être indemnisé de la perte de son emploi à la Mairie de Paris, sans lien avec le placement en détention provisoire, ni de la perte de chance de conserver son emploi de fonctionnaire, la décision de radiation étant intervenue (alors qu'il avait été repris à la mairie) pour sanctionner un abandon de poste dont il n'établit pas que cette mesure soit directement liée à l'incarcération ni de la perte de salaires consécutive à la décision de radiation dès lors que cette sanction est postérieure de plusieurs années de sa mise en détention (intervenue le 11 mai 1999) puis de son élargissement le 21 janvier 2000 ;

Attendu que le requérant fait état ensuite d'une perte de salaire concernant son activité en intérim de chauffeur poids lourd ; que toutefois, il ne justifie de bulletins de salaire en cette qualité que de décembre 1997 à septembre 1998 et à compter de janvier 2004 ; qu'à défaut d'établir un lien direct avec le placement en détention, il n'y a pas lieu à réparation de ce chef ni au titre de la perte de salaires ni au titre de la perte d'une chance de retrouver des missions d'intérim ;

Attendu que Monsieur X... demande par ailleurs réparation à hauteur de la somme de 34.027,60 € correspondant à l'indemnité qu'il aurait dû percevoir au titre d'un accident du travail ;

Qu'il apparaît que le requérant bénéficiait d'une pension d'invalidité d'un montant mensuel de 119,71 € versée par la Caisse des Dépôts et Consignations ; que cette pension devait être révisée avant la fin du mois de septembre 1999 ; que du fait de son incarcération,

Monsieur X... n'a pu se rendre à l'examen médical et n'a donc pas pu constituer

un dossier de renouvellement ; que contrairement à ce que soutient le demandeur, ce dernier, qui n'a pu se rendre à l'examen médical, n'a pas perdu ses droits à indemnisation en raison de son placement en détention mais a vu suspendre le payement de l'allocation; qu'il semble que ce soit la décision de radiation qui lui ait fait perdre le bénéfice de cette pension ;

Qu'en revanche, la pension ne lui ayant pas été payée durant sa détention, il lui est dû à ce titre une somme de 987,60 € durant 8 mois et 8 jours ;

Que par ailleurs, doit être exclue la réparation des préjudices subis du fait de la perte de la somme de 11.985 francs, au titre du payement par le Trésor public en son nom et place, des prestations familiales sans lien avec la détention ;

Qu'enfin, la réparation allouée au titre des salaires non perçus ayant pour objet de replacer Monsieur X... dans la situation dans la quelle il se serait trouvé s'il n'avait pas été incarcéré, ce dernier pourra s'acquitter de ces dettes grâce à la réparation qu'il est susceptible d'obtenir ; Que par suite, pour les mêmes motifs, les remboursements de dettes ou de loyers impayés seront exclus ;

Qu'il s'ensuit, au vu des éléments qui précèdent, que l'indemnisation au titre du préjudice matériel doit être fixée à la somme de 12.687,60 € ;

Sur le préjudice moral :

Attendu que l'indemnisation du préjudice moral de la personne détenue est fonction, notamment, de sa personnalité, de son mode de vie, de son comportement au cours de l'instruction, de ses antécédents judiciaires et des périodes de détention effectuées en exécution de condamnations antérieures ;

Attendu que lors de son placement en détention, le requérant, âgé de 47 ans, vivait en concubinage et avait cinq enfants dont trois en bas âge (6, 5 et 3 ans et demi) ;

Que son casier judiciaire ne porte trace d'aucune incarcération antérieure ;

Attendu que la détention qu'il a subie lui a causé un préjudice moral incontestable que, eu égard à sa durée et en considération des éléments susvisés, il y a lieu d'indemniser à hauteur de la somme de 16.000 € ;

Attendu que l'article 700 du code de procédure civile est applicable aux demandes d'indemnisation à raison d'une détention provisoire ; que, requalifiant la demande présentée par le requérant sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale, l'équité commande de fixer l'indemnisation due au titre des frais irrépétibles à la somme de 800 € ;

PAR CES MOTIFS

ALLOUONS à Monsieur Paul X... les sommes de 12.687,60 € en réparation du préjudice matériel et de 16.000 € en réparation du préjudice moral ;

REJETONS le surplus de la demande au titre du préjudice matériel ;

CONDAMNONS l'Agent judiciaire du Trésor à payer à Monsieur Paul X... une somme de 800 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

DISONS que les dépens seront à la charge du Trésor public.

Décision rendue le 28 mai 2008 par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE MAGISTRAT DELEGUE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Ct0089
Numéro d'arrêt : 06/12681
Date de la décision : 28/05/2008

Références :

Décision attaquée : Cour d'assises de la Seine-Saint-Denis, 14 janvier 2005


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.paris;arret;2008-05-28;06.12681 ?
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