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21/05/2008 | FRANCE | N°07/07860

France | France, Cour d'appel de Paris, Ct0089, 21 mai 2008, 07/07860


Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

1ère CHAMBRE- Section N

REPARATION DES DETENTIONS PROVISOIRES

DECISION DU 21 MAI 2008

No du répertoire général : 07 / 07860
Décision contradictoire en premier ressort

Nous, Renaud BLANQUART, Conseiller à la Cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Gilles DUPONT, Greffier lors des débats et du prononcé, avons rendu la décision suivante :

Statuant sur la requête déposée au greffe le 9 mai 2007 par Maître Julie GU

ILLARME, élève avocate substituant Maître Françoise COTTA, avocat de Monsieur Carlos Y... Z..., demeurant......

Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

1ère CHAMBRE- Section N

REPARATION DES DETENTIONS PROVISOIRES

DECISION DU 21 MAI 2008

No du répertoire général : 07 / 07860
Décision contradictoire en premier ressort

Nous, Renaud BLANQUART, Conseiller à la Cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Gilles DUPONT, Greffier lors des débats et du prononcé, avons rendu la décision suivante :

Statuant sur la requête déposée au greffe le 9 mai 2007 par Maître Julie GUILLARME, élève avocate substituant Maître Françoise COTTA, avocat de Monsieur Carlos Y... Z..., demeurant... ;

Vu les pièces jointes à cette requête ;

Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire du Trésor notifiées par lettre recommandée avec avis de réception et celles récapitulatives ;

Vu les conclusions du requérant notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 26 mars 2008 ;

Vu les conclusions additionnelles du requérant et celles additives du procureur général déposées le 26 mars 2008 ;

Vu la présence de Monsieur Carlos Y... Z... ;

Ouï, Monsieur Carlos Y... Z..., Maître Françoise COTTA, avocat assistant Monsieur Carlos Y... Z..., Maître A... MAURICE, avocat plaidant pour la SCP NORMAND ET ASSOCIES, avocats associés représentant Monsieur l'Agent Judiciaire du Trésor, ainsi que Madame Lydia GÖRGEN, avocat général, les débats ayant eu lieu en audience publique, le 26 mars 2008, le requérant ayant eu la parole en dernier ;

Vu les articles 149, 149- 1, 149- 2, 149- 3, 149- 4, 150 et R. 26 à R. 40- 7 du code de procédure pénale ;

* *

Monsieur Z... Z..., né le 21 février 1968, a été mis en examen du chef de vol avec arme commis en bande organisée. Il a fait l'objet d'un mandat d'amener, mis à exécution le 5 mars 1998, a été placé en détention provisoire le 6 mars 1998 et a été remis en liberté et placé sous contrôle judiciaire le 10 octobre 1999. Il a fait l'objet d'une décision d'acquittement par la Cour d'assises de Seine et Marne du 15 septembre 2006, après, donc, une incarcération de 585 jours, ou de 292 jours, déduction faite d'une détention pour autre cause, du 30 septembre 1998 au 19 juillet 1999, cette décision étant définitive ;

Par requête déposée le 19 mai 2007, aux fins de réparation à raison d'une détention, suivie de conclusions du 7 janvier 2008 et du 26 mars 2008, Monsieur Z... Z... fait valoir :
que l'existence d'un second mandat de dépôt ne fait pas disparaître le premier mandat qui continue à produire ses effets ; qu'il est donc fondé à demander réparation de l'intégralité de sa détention dans l'affaire considérée, qui a duré 19 mois et 5 jours,
- S'agissant de son préjudice économique,
qu'étant au chômage avant d'être incarcéré, il pouvait prétendre aux indemnités mensuelles de l'ASSEDIC dont il a été privé pendant sa détention.
Il demande, de ce chef, une indemnité de 11. 400 €,
qu'étant en passe de trouver un nouvel emploi stable à hauteur de ce qu'il percevait lorsqu'il était employé de la Ville de Paris, avant un accident de travail, il a été privé de cette chance.
Il demande, de ce chef, une indemnité de 10. 000 €.
que les maladies subies par ses enfants sont dues aux difficultés financières du foyer lors de son incarcération, qu'il a subi un préjudice financier, de ce chef, du fait du suivi médical dont ses enfants ont eu besoin,
Il demande, de ce chef, une indemnité de 40. 000 €.
que son incarcération a rendu impossible une opération consécutive à une fracture, ce qui a été la conséquence directe d'une arthrose du poignet.
Il demande, de ce chef, une indemnité de 20. 000 €.
- S'agissant de son préjudice moral :
que sa détention a privé sa famille d'un salaire ou d'une indemnité représentant la majeure partie des revenus du foyer ; que sa concubine et ses enfants ont dû se rendre en détention ; qu'il a été particulièrement éprouvant pour lui de les rencontrer dans le cadre du milieu pénitentiaire ; que, lors de ces visites, il a vu l'état de santé de ses enfants et de sa compagne se détériorer, ce qui lui a causé un trouble psychologique certain ; que les conditions de son interpellation ont été pour lui très traumatisantes ; que plusieurs personnes témoignent de ses difficultés psychologiques ; que, pendant le cours de sa détention, sa jeune soeur, âgée de 30 ans, est décédée et qu'il lui a été refusé d'assister à l'enterrement de cette dernière et à la mise en bière.
Il demande, de ce chef, une indemnité de 150. 000 €.

Dans ses conclusions du 28 décembre 2007 et 12 février 2008, Monsieur l'Agent judiciaire du Trésor, estimant la requête recevable, fait valoir :
que la période d'indemnisation est, déduction faite d'une période de détention pour autre cause, de 9 mois et 20 jours,
- S'agissant du préjudice économique invoqué :
que, sur le fondement de la plus récente demande du requérant, tenant à sa situation de chômage, il peut être proposé que sa perte d'indemnité soit réparée par l'allocation de 5. 800 €,
que la perte de chance professionnelle invoquée par le requérant est purement hypothétique, puisqu'il ne justifie d'aucun emploi stable et d'aucune recherche d'emploi à l'époque de son placement en détention,

que la demande de réparation de frais résultant de l'état de santé des enfants du requérant ne peut être accueillie, puisqu'il ne s'agit pas d'un préjudice personnel,
que le requérant ne démontre pas le lien de causalité qui existerait entre sa détention et la situation de santé de ses enfants ; qu'il ne démontre pas plus l'absence de prise en charge des soins prodigués à ses enfants par la sécurité sociale,
que la fracture du poignet invoquée par le requérant est antérieure de plus d'une année au jour de son placement en détention, qu'une opération n'était pas envisagée lors que Monsieur Z... Z... a été placé en détention provisoire ; qu'à l'examen de ses pièces, Monsieur Z... Z... n'a été opéré qu'à raison d'un nouveau traumatisme du poignet survenu le 1er septembre 2005 ; qu'il n'y a donc pas de lien de causalité entre le préjudice allégué et la privation de liberté,
- S'agissant du préjudice moral :
que le requérant ne produit pas de certificat médical témoignant des séquelles psychologiques qu'il invoque,
Il propose que le préjudice, de ce chef, soit réparé par l'allocation d'une indemnité de 12. 000 €.

Monsieur le Procureur Général fait valoir, estimant la requête recevable,
qu'il y a lieu de réparer la détention subie par le requérant pendant une période de 9 mois et 20 jours, déduction faite de la détention qu'il a subie pour autre cause,
- S'agissant du préjudice matériel :
qu'il ne peut être fait droit à la demande du requérant fondée sur la perte de salaires, ses justificatifs d'emploi étant postérieurs à sa libération,
- S'agissant du préjudice moral :
qu'il y a lieu de tenir compte du fait qu'au moment de son incarcération, le requérant était âgé de 30 ans, vivait en concubinage, élevait l'enfant de sa compagne, née en 1992, que doit être prise en considération la naissance de son second enfant, né pendant son incarcération, puisqu'il n'a pu assister sa compagne auprès de cet enfant en bas âge, qu'il doit être tenu compte des difficultés financières supportées par sa compagne, de l'état de grossesse et l'état dépressif de cette dernière, de l'état de santé déficient d'un enfant du requérant, toutes circonstances qui ont rendu plus difficile, par la préoccupation qu'elles ont suscité, la détention du requérant ; qu'il y a lieu de tenir compte de la souffrance supplémentaire qu'à causé au requérant le décès de sa soeur pendant le cours de sa détention et le fait de ne pas avoir été au coté de ses proches dans la période postérieure à ce décès.

SUR QUOI,

Sur la requête

Attendu que la présente requête est recevable au regard des dispositions des articles 149 à 149- 2 du Code de procédure pénale ;

Sur la période de détention devant être indemnisée

Attendu que la détention distincte, subie par le requérant pour autre cause, peut, selon l'issue de la procédure pénale considérée, ne pas être indemnisée ou de l'être dans le cadre d'une procédure distincte, dès lors qu'une demande est régulièrement faite en ce sens ; que la durée de cette détention distincte doit, donc, être déduite de celle dont l'indemnisation est ici demandée ; que la période de détention subie par le requérant qui doit donner lieu à indemnisation dans le cadre de la présente procédure est, donc, de 292 jours ;

Sur le préjudice matériel

Attendu que le requérant produit, à l'appui de sa demande de réparation d'un préjudice économique, un justificatif de paiement d'indemnités de l'ASSEDIC, en date du 25 février 1998, à concurrence de 3. 914, 64 F, soit 596, 78 € pour 22 jours ;

Que Monsieur Z... Z... justifie avoir retrouvé un emploi au mois de mars 2000, cinq mois après avoir été remis en liberté ;

Que, pendant sa détention, il a perdu une chance de retrouver un emploi, qui peut être réparée par l'allocation d'une indemnité correspondant au montant des indemnités qui lui étaient allouées par l'ASSEDIC, lorsqu'il était au chômage ;

Qu'il y a, donc, lieu de lui allouer, en réparation du préjudice économique qu'il a subi pendant 292 jours de détention, une indemnité de 6. 223, 56 € ;

Attendu que Monsieur Z... Z..., s'il produit des certificats médicaux ayant trait à l'état de santé de ses enfants pendant le cours de son incarcération, ne verse aux débats aucun justificatif de l'engagement des dépenses afférentes à cet état de santé et de la part de celles- ci restées à charge ; que sa demande, de ce chef, ne peut être accueillie ;

Attendu que le requérant justifie de ce qu'il a été victime d'une fracture du scaphoïde gauche en 1997, a été traitée par orthopédie par une immobilisation de 3 mois et demi, a subi une pseudarthrose qui n'a pas été opérée et à conduit à l'apparition d'une arthrose du poignet ; qu'il a été victime d'un nouveau traumatisme du poignet le 1er septembre 2005 qui a nécessité une intervention chirurgicale le 7 novembre 2005 ; qu'il ne résulte, donc, pas du certificat médical qu'il produit que son incarcération a " rendu impossible une opération consécutive à une fracture, ce qui a été la conséquence directe d'une arthrose du poignet " ; qu'il n'est pas démontré, en effet, que son état nécessitait une intervention chirurgicale avant qu'il subisse un nouveau traumatisme du poignet après avoir été remis en liberté, ni qu'une telle intervention ait été rendue impossible par sa détention ; qu'il n'y a lieu de faire droit à la demande, de ce chef ;

Sur le préjudice moral

Attendu que le choc carcéral incontestable qu'a subi Monsieur Z... Z..., du fait de sa détention, doit donner lieu à réparation ;

Que le requérant était âgé de 30 ans lorsqu'il a été placé en détention pour une durée de 292 jours à raison de la présente affaire ; qu'il doit être tenu compte, pour fixer le montant de cette réparation, des circonstances d'aggravation du préjudice considéré et, plus particulièrement, du fait qu'il vivait maritalement avec la mère d'une enfant née en 1992, que sa compagne a eu un autre enfant, né en 1998, alors qu'il se trouvait en détention, qu'il n'a, donc, pu partager les moments liés à cette naissance, qu'il a été séparé de ses proches, ne les rencontrant qu'en milieu carcéral, qu'il justifie de ce que le fils de sa compagne, né pendant sa détention, a eu une première année très difficile du fait de cette incarcération, présentant une boulimie liée à un important stress, de ce que la fille aînée de cette compagne a subi des infections orl et bronchopulmonaires nécessitant des traitements réguliers, sans recevoir toujours les traitements prescrits lorsqu'il était incarcéré et de ce que la situation matérielle de sa compagne a été très difficile pendant le cours de son incarcération ;

Que si le requérant ne peut solliciter l'indemnisation du préjudice subi par ses proches, il est fondé à réclamer une indemnisation du préjudice moral qu'il a subi à raison de la préoccupation qui a été la sienne à raison de leur état, du fait de son incarcération ;

Que Monsieur Z... Z... justifie également d'un état d'angoisse, constaté par un médecin, depuis qu'il a été remis en liberté et de la dégradation de son état psychologique constatée par ses proches ;

Que le requérant justifie de ce que, pendant le cours de sa détention, sa jeune soeur, âgée de 30 ans, est décédée ; que ce choc psychologique ayant nécessairement été ressenti d'autant plus durement que Monsieur Z... Z... était, alors, détenu, il y a lieu de le prendre en considération pour réparer son préjudice moral ;

Que les conditions d'interpellation du requérant, sans lien avec sa détention, ne peuvent donner lieu à indemnisation dans le cadre de la présente procédure ;

Qu'il y a lieu de faire droit à la demande de Monsieur Z... Z..., au titre de son préjudice moral, à raison de 292 jours de détention, en lui allouant la somme de 26. 280 € ;

PAR CES MOTIFS

Vu les articles 149, 149- 1, 149- 2, 149- 3, 149- 4, 150 et R. 26 à R. 40- 7 du code de procédure pénale ;

Disons la requête recevable,

Allouons à Monsieur Z... Z... :
- une indemnité de 6. 223, 56 €, en réparation de son préjudice économique,
- une indemnité de 26. 280 €, en réparation de son préjudice moral,

Rejetons les autres demandes.

Décision rendue le 21 mai 2008 par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau code de procédure civile.

LE GREFFIER LE MAGISTRAT DELEGUE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Ct0089
Numéro d'arrêt : 07/07860
Date de la décision : 21/05/2008

Références :

Décision attaquée : Cour d'assises de la Seine-et-Marne, 15 septembre 2006


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.paris;arret;2008-05-21;07.07860 ?
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