Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
1ère CHAMBRE - Section N
REPARATION DES DETENTIONS PROVISOIRES
DECISION DU 14 MAI 2008
No du répertoire général : 07/12630
Décision contradictoire en premier ressort
Nous, Michèle GRAFF-DAUDRET, Conseillère à la Cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assistée de Gilles DUPONT, Greffier lors des débats et du prononcé, avons rendu la décision suivante :
Statuant sur la requête déposée au greffe le 20 juillet 2007 par Maître Julie GRANIER, avocat substituant Maître Alexandra SMADJA, avocat de Monsieur Mamadou Y..., demeurant ... 75013 PARIS ;
Vu les pièces jointes à cette requête ;
Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire du Trésor notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 12 mars 2008 ;
Vu la présence de Monsieur Mamadou Y... ;
Ouï, Monsieur Mamadou Y..., Maître Julie GRANIER, avocat plaidant pour Maître Alexandra SMADJA, avocat assistant Monsieur Mamadou Y..., Maître Jean-Marc DELAS, avocat représentant Monsieur l'Agent Judiciaire du Trésor, ainsi que Madame Lydia GÖRGEN, avocat général, les débats ayant eu lieu en audience publique, le 12 mars 2008, le requérant ayant eu la parole en dernier ;
Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R. 26 à R. 40-7 du code de procédure pénale ;
* *
Monsieur Y..., né le 21 septembre 1986, a été mis en examen du chef de vol avec arme en réunion. Il a été placé en détention provisoire le 31 décembre 2005, puis a été remis en liberté et placé sous contrôle judiciaire le 31 mars 2006, soit après une incarcération de 91 jours. Il a fait l'objet d'une ordonnance de non-lieu du 8 janvier 2007, cette décision étant définitive.
Par requête déposée le 20 juillet 2007, aux fins de réparation à raison d'une détention, Monsieur Y... fait valoir :
- S'agissant de son préjudice économique :
qu'il était inscrit au lycée Jean Lurçat en 2ème année de BEP Vente Action Marchande et que son absence durant sa détention, du 3 janvier au 3 avril 2006, l'a empêché de se maintenir à niveau, de sorte qu'il a échoué à l'examen final et n'a pu valider sa deuxième année de BEP ; que le préjudice résultant pour lui de la perte de chance d'obtenir son diplôme pourrait être évalué à la somme de 7.000 €
- S'agissant des honoraires d'avocat :
qu'il a engagé des frais d'avocat à concurrence de 3.000 €.
- S'agissant de son préjudice moral :
qu'âgé à peine de 19 ans au jour de sa mise en détention provisoire, il a vécu celle-ci avec beaucoup de difficultés, qu'il a ressenti un choc psychologique d'autant plus important qu'il s'agissait d'une première incarcération, qu'il a été marqué à jamais, qu'il a été profondément atteint dans son moral car encore à ce jour, il reste un criminel aux yeux de son voisinage et de ses proches.
Il sollicite, à ce titre, une indemnité de 20.000 €.
- Il demande, en outre, 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions du 12 novembre 2007, Monsieur l'Agent judiciaire du Trésor estimant la requête valable, fait valoir :
- S'agissant du préjudice économique invoqué :
que l'existence d'un lien entre la détention du requérant et son échec à l'examen semble très probable ; qu'on observe cependant que les notes de ce dernier sont très faibles en français, mathématiques et histoire/géographie, ce qui révèle une absence d'acquis suffisants pendant la scolarité antérieure ; qu'eu égard à ce critère, l'indemnisation de la perte d'une chance d'obtenir un diplôme ne semble pouvoir excéder 1.500 €.
que s'agissant des honoraires d'avocat, la demande doit être rejetée car le requérant ne produit aucune facture acquittée,
- S'agissant du préjudice moral :
que le principe de l'indemnisation n'en est pas contesté ; qu'une juste indemnisation de ce préjudice ne semble pouvoir excéder 4.500 €.
Monsieur le Procureur Général, fait valoir, estimant la requête recevable :
- S'agissant du préjudice matériel :
que compte tenu des documents produits, il convient de faire droit à la demande de réparation au titre de la perte de chance, le juste quantum relevant de l'appréciation souveraine de la présente juridiction,
qu'à défaut de documents attestant de la réalité des honoraires d'avocat, il ne peut, en l'état, être fait droit à cette demande.
- S'agissant du préjudice moral :
qu'il doit être tenu compte de la durée de la détention, du fait que le requérant était, à la date de son incarcération, âgé de 19 ans, célibataire et vivait chez ses parents, qu'il s'agissait de sa première incarcération, d'où l'importance du choc carcéral.
SUR QUOI :
Sur la requête :
Attendu que la demande, déposée dans les délais et formes de la loi, est recevable ;
Attendu qu'en vertu de l'article 149 du code de procédure pénale, seuls peuvent être réparés les préjudices de la personne détenue qui sont directement liés à la privation de liberté, à l'exclusion de ceux qui sont la conséquence des poursuites pénales elles-mêmes, des mesures d'instruction autres que la détention provisoire, du retentissement public de l'affaire ou qui ont été causés à des proches ou à des tiers ;
Sur le préjudice matériel :
Attendu, sur la perte de chance, qu'il résulte des pièces produites que Monsieur Y... était inscrit au lycée Jean Lurçat à Paris 13 ème durant l'année scolaire 2005/2006, en 2ème année de BEP Vente Action Marchande et que la détention dont il a fait l'objet l'a empêché de suivre sa scolarité du 3 janvier au 3 avril 2006 ; qu'il apparaît qu'il a échoué à l'examen de juin 2006, avec des notes très faibles aux épreuves générales (français, mathématiques, histoire-géographie) mais honorables en ce qui concerne les épreuves professionnelles, à fort coefficient (13 en "Pratique marchandisage et vente" coef. 7 ; moyenne de 11.53) ;
Qu'eu égard à ces éléments, la perte d'une chance de passer l'examen de BEP est réelle et il lui sera accordée une indemnisation de 2.000 € en réparation ;
Attendu, sur les frais de défense, que Monsieur Y... ne produit aucun document attestant de la réalité des honoraires d'avocat engagés, en lien avec la détention ; que sa demande faite à ce titre ne peut qu'être rejetée ;
Sur le préjudice moral :
Attendu que Monsieur Y... était âgé de 19 ans lors de son placement en détention, qu'il était célibataire et vivait au domicile de ses parents ;
Que son casier judiciaire porte trace de condamnations mais qu'il s'agissait d'une première incarcération ;
Que la détention qu'il a subie lui a causé un préjudice moral incontestable que, eu égard à sa durée et en considération des éléments susvisés, particulièrement de l'importance du choc carcéral, il y a lieu d'indemniser à concurrence de la somme de 9.100 € ;
Attendu que l'article 700 du code de procédure civile est applicable aux demandes d'indemnisation à raison d'une détention provisoire ; que l'équité commande de fixer l'indemnité due au titre des frais irrépétibles à la somme de 1.500 € ;
PAR CES MOTIFS,
Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R. 26 à R. 40-7 du code de procédure pénale ;
DISONS la requête recevable,
ALLOUONS à Monsieur Y... :
- une indemnité de 2.000 € au titre de son préjudice matériel,
- une indemnité de 9.100 € au titre de son préjudice moral,
- la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Décision rendue le 14 mai 2008 par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau code de procédure civile.
LE GREFFIER LE MAGISTRAT DELEGUE