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14/05/2008 | FRANCE | N°07/05427

France | France, Cour d'appel de Paris, Ct0089, 14 mai 2008, 07/05427


Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

1ère CHAMBRE - Section N

REPARATION DES DETENTIONS PROVISOIRES

DECISION DU 14 MAI 2008

No du répertoire général : 07/05427

Décision contradictoire en premier ressort

Nous, Michèle GRAFF-DAUDRET, Conseillère à la Cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assistée de Gilles DUPONT, Greffier lors des débats et du prononcé, avons rendu la décision suivante :

Statuant sur la requête envoyée par lettre recommandée avec accu

sé de réception et reçue au greffe le 6 avril 2007 par Monsieur Stéphane X..., demeurant ... ;

Vu les pièces joint...

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

1ère CHAMBRE - Section N

REPARATION DES DETENTIONS PROVISOIRES

DECISION DU 14 MAI 2008

No du répertoire général : 07/05427

Décision contradictoire en premier ressort

Nous, Michèle GRAFF-DAUDRET, Conseillère à la Cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assistée de Gilles DUPONT, Greffier lors des débats et du prononcé, avons rendu la décision suivante :

Statuant sur la requête envoyée par lettre recommandée avec accusé de réception et reçue au greffe le 6 avril 2007 par Monsieur Stéphane X..., demeurant ... ;

Vu les pièces jointes à cette requête ;

Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire du Trésor notifiées par lettre recommandée avec avis de réception et celles récapitulatives ;

Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 12 mars 2008 ;

Vu la présence de Monsieur Stéphane X... ;

Ouï, Monsieur Stéphane X..., Maître Fabienne Y..., avocat représentant Monsieur l'Agent Judiciaire du Trésor, ainsi que Madame Lydia GÖRGEN, avocat général, les débats ayant eu lieu en audience publique, le 12 mars 2008, le requérant ayant eu la parole en dernier ;

Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R. 26 à R. 40-7 du code de procédure pénale ;

* *

Monsieur X..., né le 3 juin 1972, a été mis en examen du chef d'assassinat. Il a été placé en détention provisoire le 9 novembre 2000, puis a été remis en liberté et placé sous contrôle judiciaire le 26 juillet 2001, soit après 260 jours de détention. Il a fait l'objet d'une ordonnance de non-lieu du 3 octobre 2006, cette décision étant définitive.

Par requête déposée le 6 avril 2007, aux fins de réparation à raison d'une détention, suivie d'une note du 18 janvier 2008, déposée le 23 janvier 2008, Monsieur X... fait valoir :

- S'agissant de son préjudice économique :

- qu'à la suite de sa détention, il a perdu son activité de consultant et de directeur d'une société de droit britannique non résidente en France ; que le 7 mars 2005, le Trésor public a émis des avis à tiers détenteur au titre des années 1999 et 2000 pour une somme de 174.553 €, que des erreurs ont été commises par les services des impôts, qu'il a été dans l'impossibilité de faire une déclaration fiscale en raison de sa détention ; qu'il est au RMI depuis sa sortie de prison ; que ce préjudice doit être évalué à 200.000 € ;

- qu'en ce qui concerne les honoraires d'avocats, qu'il a dû emprunter une somme de 25.149 € pour payer les frais d'avocats, outre les frais afférents à sa détention, que son père lui a avancé des fonds pour sa défense, qu'il n'a pu régler à ce jour une facture d'avocat de 11.960 € ; que ce préjudice s'élève à 38.714,56 € ;

- S'agissant du préjudice moral :

qu'il a effectué 9 mois de détention, subi des fouilles corporelles, effectué dix jours de cellule disciplinaire dont cinq avec sursis, effectué deux grèves de la faim pour être entendu par un juge d'instruction, qu'il devait subir une intervention chirurgicale, qu'il a perdu son appartement, qu'il a été dans l'obligation de séjourner chez ses parents, qu'il ne pouvait plus sortir de Paris ni de France, qu'il devait signer des feuilles de présence tous les quinze jours puis tous les mois, qu'il a dû payer une caution pour sa mise en liberté, que l'enquête comporte de nombreuses erreurs (contenues dans l'expertise, et en cotes D 511, D 559, D 606, D 667, D 668), qu'il y a eu violation du secret de l'instruction, notamment par la divulgation d'informations à l'administration fiscale.

Il sollicite, à ce titre, une indemnité de 850.000 €.

Dans ses conclusions du 2 octobre 2007 et 30 janvier 2008, Monsieur l'Agent judiciaire du Trésor, estimant la requête recevable, fait valoir :

- Qu'il convient de rappeler que seul le préjudice personnellement subi par le requérant et directement lié au placement en détention peut être indemnisé ;

- S'agissant du préjudice moral :

que le préjudice du requérant doit s'apprécier au regard de son âge, de la durée et des conditions de la détention, de son état de santé, de sa situation familiale et d'éventuelles condamnations antérieures ; que les renseignements concernant Monsieur X... sont très succincts car il a refusé de se soumettre à l'examen médico-psychologique et à toute enquête de personnalité, qu'il était âgé de 28 ans, célibataire, sans enfant et n'avait jamais été incarcéré ; qu'il prétend que son état de santé nécessitait une intervention chirurgicale, mais n'en justifie pas, si ce n'est par un certificat médical très peu explicite postérieur à sa libération ; qu'il a effectué 8 mois et 17 jours de détention ; que ce préjudice s'évalue à 8.700 € ;

- S'agissant du préjudice matériel :

- D'une part, que seules les diligences directement liées au placement en détention peuvent faire l'objet d'une indemnisation ; qu'un courrier du 21 novembre 2000 indique que le conseil de Monsieur X... a perçu la somme de 3.000 € du père de celui-ci ; que cette

somme ne peut donc lui être remboursée ; que la note d'honoraires du 17 juillet 2001 montre que le requérant s'est acquitté de la somme de 47.840 Frs, mais pas du montant de la provision complémentaire ; que pour cette dernière, il ne peut recevoir d'indemnité, n'ayant pas réglé les honoraires ; que pour le principal de cette facture, celle-ci fait apparaître un certain nombre de diligences liées à la détention mais ne permet pas de les distinguer et d'en chiffrer précisément le coût ; que les autres notes d'honoraires sont postérieures à la mise en liberté.

Que dans ces conditions, la demande au titre des frais d'honoraires doit être rejetée.

- D'autre part, qu'en aucun cas, Monsieur X... ne peut prétendre au remboursement des causes du redressement fiscal lié à l'absence de déclarations pour les années 1999 et 2000, qu'il tente d'obtenir le remboursement de sommes qu'il a volontairement éludées, qu'il n'était plus en détention quand il a été procédé aux opération de contrôle par le fisc ; qu'il doit être débouté de cette demande.

Monsieur le Procureur Général fait valoir, estimant la requête valable :

- S'agissant du préjudice matériel :

que le requérant ne produit aucun document de nature à justifier la réalité et le quantum du préjudice lié à la perte d'un emploi de consultant et de directeur d'une société de droit britannique, et que le redressement fiscal a eu lieu alors qu'il n'était plus détenu ; qu'il y a lieu de rejeter la demande faite à ce titre ;

qu'il n'explique pas la demande au titre des frais afférents à la détention et ne produit aucun document les étayant ;

qu'en ce qui concerne les honoraires d'avocat, seule la part des frais prouvés et en lien avec la détention peuvent donner lieu à réparation ;

qu'il convient de réparer certains postes du préjudice économique.

- Sur le préjudice moral :

qu'il doit être tenu compte de la durée de la détention, du fait que le requérant était, à la date de son incarcération, âgé de 28 ans et célibataire, qu'il s'agissait de sa première incarcération, qu'il a effectué une peine de cellule disciplinaire,

que sont exclus de l'indemnisation les préjudices subis du fait d'une mesure de contrôle judiciaire ou du fait d'éventuels dysfonctionnements des services de la justice, qu'aucun élément ne permet d'établir la perte du logement, que le requérant n'établit pas les conséquences qu'aurait eu la détention sur son état de santé et ce, d'autant plus que l'opération chirurgicale bénigne dont il est question aurait pu se faire à Fresnes, qu'aucun élément n'établit non plus les grèves de la faim invoquées.

SUR QUOI,

Sur la requête :

Attendu que la demande, déposée dans les délais et formes de la loi, est recevable ;

Attendu qu'en vertu de l'article 149 du code de procédure pénale, seuls peuvent être réparés les préjudices de la personne détenue qui sont directement liés à la privation de liberté, à l'exclusion de ceux qui sont la conséquence des poursuites pénales elles-mêmes, des mesures d'instruction autres que la détention provisoire, du retentissement public de l'affaire ou qui ont été causés à des proches ou à des tiers ;

Sur le préjudice matériel :

Attendu, sur la perte d'emploi, que Monsieur X... produit un document intitulé "Certificate of Incorporation of a Private Limited Compagny" "City et Town Building Services Limited " ; que s'il se dit directeur de société et exerçant une activité de consultant, mais qu'il ne justifie pas de réalité de cette activité ni des revenus qu'il en aurait tirés et qu'il aurait perdus en conséquence de son incarcération le 9 novembre 2000 ; que les documents "Stock Transfer Form ", du 18 mars 1999, et les formulaires 288 a et 225, de la même date (le document 225 mentionnant une fin de période ("period ending") 29.02.00 prolongée ("extended ") au 31.03.00), ne comportent aucune indication chiffrée sur les ressources tirées par Monsieur X... de cette activité ; que les extraits de comptes, au nom tantôt de " X... Stéphane " tantôt de " City Town Building Services " à la même adresse 1 passage J. Nicot Paris 7ème ne peuvent permettre d'établir tant par leur contenu -l'origine des crédits portés à ses comptes étant indéterminée- que par leur date, tous portant sur l'année 1999, que Monsieur X... percevait un revenu régulier de l'activité prétendue qui aurait cessé à la suite de l'incarcération qu'il a subie un an plus tard, en novembre 2000 ;

Qu'il y a lieu, en conséquence, de rejeter la demande d'indemnité formée à ce titre ;

Attendu, sur les frais de défense, que la réparation du préjudice résultant du paiement de tels frais, notamment des honoraires d'avocat, n'est due qu'à raison des sommes payées au titre des prestations directement liées à la privation de liberté ; que Monsieur X... produit une facture de frais et honoraires du 17 juillet 2001 émise pour un montant de 47.840 Frs TTC au titre de "provisions perçues" et de 35.880 Frs TTC au titre d'un "complément de provision" ; que cette facture fait mention d'un certain nombre de prestations en lien direct avec la détention (visites maison d'arrêt (13), demandes de mise en liberté-rédaction (2), commission disciplinaire maison d'arrêt), qui peuvent, en proportion des autres prestations, être évaluées à un montant de 4.000 € ;

Qu'aucune disposition n'exige que le requérant justifie s'être acquitté du paiement des honoraires pour prétendre à l'indemnisation de ce chef de préjudice matériel en rapport direct avec son incarcération et dont il demeure débiteur à l'égard de son conseil ;

Qu'en outre, dans une lettre du 21 novembre 2000, adressée en cours de détention par le conseil de Monsieur X... à ce dernier, il apparaît que l'avocat du requérant avait déposé une demande de mise en liberté sur laquelle "il devait être statué dans les prochains jours" et pour laquelle il avait "modéré sa participation à ses frais à la somme de 3.000 francs adressée par le père de Monsieur X..." ; que si l'indemnisation au titre de l'article 149 du code de procédure pénale doit porter sur un préjudice personnellement subi, Monsieur Jean-Claude X... a émis une attestation selon laquelle son fils lui avait emprunté une somme totale de 25.149 € pour payer les honoraires d'avocat, dont un montant de 3.588 Frs payé par chèque no 14015 à Maître A..., lequel a été débité le 27 novembre 2000 ; que Monsieur Stéphane X..., tenu de rembourser cette somme à son père, est fondé à réclamer une indemnité équivalente à son montant, soit 547€;

Que les autres factures, toutes postérieures à la mise en liberté, ne comportent aucun détail des prestations effectuées ;

Que la même observation peut être faite s'agissant des "frais afférents" à la détention, que Monsieur X... distingue des frais d'avocat, et dont il demande encore réparation sans en justifier ;

Qu'ainsi, il sera alloué à Monsieur X... une indemnité de 4.547 € au titre des honoraires d'avocat ;

Attendu, sur le redressement fiscal, que Monsieur X... n'apporte pas la preuve qu'il ait été dans l'impossibilité d'effectuer sa déclaration de revenus pour 1999 durant les dix premiers mois de l'année 2000 alors qu'il a été incarcéré le 9 novembre 2000 et pour ce qui est des revenus de l'année 2000, qu'il aurait été empêché de les déclarer, ou à tout le moins qu'il ait contacté les services des impôts, depuis la maison d'arrêt, directement ou par l'intermédiaire de son conseil ou de sa famille ou aurait référé de cette situation au juge d'instruction ; qu'en outre, il apparaît qu'il a fait l'objet d'un examen contradictoire de sa situation fiscale et que les opérations de contrôle ont débuté le 17 septembre 2001, après sa sortie de prison ; qu'ainsi, la notification de redressements, qui lui a été adressée le 22 juillet 2002, n'est en rien liée à l'incarcération ; que sa demande à ce titre doit être rejetée;

Attendu, sur la perte de logement, qu'aucune pièce ne vient étayer l'existence et le montant du préjudice allégué à ce titre ;

Sur le préjudice moral :

Attendu que le choc carcéral qu'a subi Monsieur X... du fait de sa détention doit donner lieu à réparation ;

Que Monsieur X... était âgé de 28 ans, lorsqu'il a été placé en détention, pour une durée de 260 jours ; qu'il était célibataire ; que son casier judiciaire ne porte trace d'aucune condamnation et qu'il n'avait jamais été incarcéré ; que le choc psychologique carcéral a été d'autant plus important qu'il a dû effectuer une peine de cellule disciplinaire;

Qu'en revanche, il ne résulte pas des pièces produites, (copie d'une lettre écrite par Monsieur X... lui-même et certificat médical postérieur à sa mise en liberté) ni de la fiche pénale et du dossier de procédure portant sur la détention que le requérant ait fait une grève de la faim pendant son incarcération ni qu'il ait été empêché de subir, dans de bonnes conditions, une intervention chirurgicale qui s'imposait durant le temps de son incarcération ;

Que, par ailleurs, ne peuvent donner lieu à réparation, en l'absence d'un lien de causalité direct entre le préjudice subi et la détention provisoire, les préjudices subis du fait du contrôle judiciaire ou d'erreurs qui auraient pu être commises durant l'enquête ;

Qu'ainsi, compte tenu des éléments pouvant être retenus, en particulier de la durée de la détention, le préjudice moral incontestable qu'il a subi sera réparé par une indemnité de 13.000 € ;

PAR CES MOTIFS,

Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R. 26 à R. 40-7 du code de procédure pénale ;

DISONS la requête recevable,

ALLOUONS à Monsieur X... :

- une indemnité de 4.547 € au titre de son préjudice matériel,

- une indemnité de 13.000 € au titre de son préjudice moral.

Décision rendue le 14 mai 2008 par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau code de procédure civile.

LE GREFFIER LE MAGISTRAT DELEGUE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Ct0089
Numéro d'arrêt : 07/05427
Date de la décision : 14/05/2008

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.paris;arret;2008-05-14;07.05427 ?
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