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14/05/2008 | FRANCE | N°07/03170

France | France, Cour d'appel de Paris, Ct0089, 14 mai 2008, 07/03170


Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

1ère CHAMBRE - Section N

REPARATION DES DETENTIONS PROVISOIRES

DECISION DU 14 MAI 2008

No du répertoire général : 07/03170

Décision contradictoire en premier ressort

Nous, Michèle GRAFF-DAUDRET, Conseillère à la Cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assistée de Gilles DUPONT, Greffier lors des débats et du prononcé, avons rendu la décision suivante :

Statuant sur la requête envoyée par lettre recommandée avec accu

sé de réception et reçue au greffe le 2 mars 2007 par la SCP DEJUST PRINCET PRETRE-SABIN, avocats associés de Madam...

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

1ère CHAMBRE - Section N

REPARATION DES DETENTIONS PROVISOIRES

DECISION DU 14 MAI 2008

No du répertoire général : 07/03170

Décision contradictoire en premier ressort

Nous, Michèle GRAFF-DAUDRET, Conseillère à la Cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assistée de Gilles DUPONT, Greffier lors des débats et du prononcé, avons rendu la décision suivante :

Statuant sur la requête envoyée par lettre recommandée avec accusé de réception et reçue au greffe le 2 mars 2007 par la SCP DEJUST PRINCET PRETRE-SABIN, avocats associés de Madame Marleen Y... épouse Z..., demeurant ... ;

Vu les pièces jointes à cette requête ;

Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire du Trésor notifiées par lettre recommandée avec avis de réception et celles récapitulatives ;

Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 12 mars 2008 ;

Vu la présence de Madame Marleen Y... épouse Z... ;

Ouï, Madame Marleen Y... épouse Z..., Maître Franck PRINCET, avocat plaidant pour la SCP DEJUST PRINCET PRETRE-SABIN, avocats associés représentant Madame Marleen Y... épouse Z..., Maître Fabienne A..., avocat représentant Monsieur l'Agent Judiciaire du Trésor, ainsi que Madame Lydia GÖRGEN, avocat général, les débats ayant eu lieu en audience publique, le 12 mars 2008, la requérante ayant eu la parole en dernier ;

Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R. 26 à R. 40-7 du code de procédure pénale ;

* *

Madame Y... épouse Z..., né le 25 août 1962, a été mise en examen du chef de viol commis sur mineures de 15 ans par un ascendant. Elle a été placée sous contrôle judiciaire le 27 juillet 2000. Le 22 novembre 2003, elle a été condamnée par la Cour d'Assises du Cher à 8 ans d'emprisonnement du chef de l'infraction susvisée et placée en détention.

Sur appel, la Cour d'Assises de la Nièvre a confirmé cette peine.

Par arrêt du 2 septembre 2005, la Cour de cassation a cassé cette décision et renvoyé l'affaire devant la Cour d'Assises de l'Yonne qui a acquitté Madame Y... le 17 octobre 2006. Elle a été libérée le même jour, après une incarcération de 1060 jours. L'arrêt ayant prononcé l'acquittement n'a fait l'objet d'aucun recours.

Par requête déposée le 2 mars 2007, aux fins de réparation à raison d'une détention, Madame Y... fait valoir :

- S'agissant de son préjudice économique :

qu'elle n'a pas été en mesure d'occuper un emploi en raison de la détention dont elle a fait l'objet, que sans qualification particulière, elle peut prétendre à une indemnisation égale à ce qu'elle aurait perçu si elle avait occupé un emploi rémunéré au SMIC à temps plein, que l'équité commande de retenir la valeur du taux horaire le plus récent, soit 8,28 € brut au 1er juillet 2006 pour fixer le montant des dommages-intérêts, qui seront alloués à hauteur de 1.254,28 € multiplié par 35 mois soit 43.900 €.

- S'agissant du préjudice moral :

que les accusations graves de viols sur ses propres filles l'ont particulièrement atteinte dans sa dignité, que ses enfants ont été placés dans des familles d'accueil qui, avec les travailleurs sociaux, ont toujours été convaincus de sa culpabilité, et ont développé cette thèse durant toute la procédure, que ses deux filles sont toujours placées, qu'elles ont grandi avec la conviction de la culpabilité de leur mère, que cette dernière les a perdues, que cette situation est constitutive d'un préjudice moral qui ne saurait se confondre avec le seul préjudice résultant d'une privation de liberté injustifiée.

Elle sollicite une indemnisation de 200.000 € à raison de ce chef de préjudice.

- Elle demande également 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses conclusions du 28 septembre 2007 et du 7 janvier 2008, Monsieur l'Agent judiciaire du Trésor, estimant la requête recevable, fait valoir :

- S'agissant du préjudice moral :

que seul le préjudice personnellement subi par la requérante et directement lié à son placement en détention peut être indemnisé, que la nature des faits reprochés et les accusations portées par les divers intervenants sont sans incidence sur l'appréciation du préjudice, qu'il en est de même du placement des enfants en famille d'accueil, intervenu antérieurement à toute la procédure, en raison, semble-t-il, du placement de leur mère en établissement psychiatrique, que Madame Y... était âgée de 41 ans au moment de son incarcération, mariée, mère de trois enfants placés en famille d'accueil, n'ayant jamais été condamnée ni détenue auparavant, qu'elle a effectué 34 mois et 17 jours de détention.

Il propose de lui allouer une indemnité de 42.000 € en réparation de son préjudice moral.

- S'agissant du préjudice matériel :

que la requérante était sans emploi depuis de très nombreuses années, la naissance de sa fille étant en 1992, qu'elle ne semble jamais avoir occupé un emploi officiel, que dans ces

conditions, elle ne peut prétendre qu'à l'indemnisation de la perte d'une chance d'avoir occupé un emploi, que cette perte s'apprécie au regard de sa situation professionnelle avant et après l'incarcération, qu'elle ne s'est inscrite à l'ANPE que le 12 mars 2007 soit 5 mois après sa remise en liberté, qu'elle ne produit qu'une seule lettre de refus de candidature attestant d'une recherche certaine d'emploi, en mars 2007, qu'il n'y a pas lieu à indemnisation si la perte de chance est purement hypothétique (05 CRD 017, 05/12/05 Navarro).

Il conclut au rejet de la demande formée à ce titre.

- Il sollicite également la réduction de la somme réclamée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Monsieur le Procureur Général fait valoir, estimant la requête recevable :

- S'agissant du préjudice matériel :

que bien que la requérante ne produise aucun document de nature à justifier qu'en dehors de son rôle de femme au foyer, elle ait jamais occupé un emploi avant son incarcération, il convient néanmoins de prendre en compte la perte de chance indéniable de "rechercher" un emploi du fait de sa très longue détention,

- S'agissant du préjudice moral :

que doivent être pris en compte la durée de la détention, le fait que, lors de son placement en détention, elle était âgée de 41 ans, était mariée, vivait en concubinage, avait 3 enfants en bas âge, de 11, 9 et 4 ans, qu'il s'agissait d'une première incarcération, d'où l'importance du choc carcéral.

SUR QUOI

Sur la requête :

Attendu que la demande, déposée dans les délais et formes de la loi, est recevable ;

Attendu qu'en vertu de l'article 149 du code de procédure pénale, seuls peuvent être réparés les préjudices de la personne détenue qui sont directement liés à la privation de liberté, à l'exclusion de ceux qui sont la conséquence des poursuites pénales elles-mêmes, des mesures d'instruction autres que la détention provisoire, du retentissement public de l'affaire ou qui ont été causés à des proches ou à des tiers ;

Sur le préjudice matériel :

Attendu que Madame Y..., mère au foyer, sans formation particulière, ne justifie pas qu'elle ait jamais travaillé ni même cherché un emploi pendant la période précédant son incarcération ; qu'elle s'est inscrite à l'ANPE le 12 mars 2007, soit cinq mois après sa sortie de prison ; qu'elle produit une réponse, négative, à une demande d'emploi, du 29 mars 2007, et une lettre de candidature à un autre emploi du 20 avril 2007 ; que l'ANPE lui a notifié une cessation d'inscription sur la liste des demandeurs d'emploi le 18 juin 2007 au motif d'un arrêt maladie ou congé maternité, Madame Y... se réinscrivant le 28 septembre 2007 ; qu'aucune pièce n'est produite démontrant que Madame Y... aurait effectué de nouvelles démarches actives de recherche d'emploi ; qu'en conséquence,

il convient de considérer que le préjudice au titre de la perte d'une chance de rechercher un emploi n'est pas établi ;

Sur le préjudice moral :

Attendu que le choc carcéral qu'a subi Madame Y... du fait de sa détention doit donner lieu à réparation ;

Que la requérante était âgée de 41 ans au moment de son incarcération, mère de trois enfants en bas âgé, qu'elle n'avait jamais été condamnée, qu'il s'agissait d'une première incarcération ; qu'elle n'a pas été détenue pendant l'instruction mais après condamnation par la Cour d'Assises du Cher, que sa détention a été particulièrement longue, près de trois ans ; qu'elle a sollicité un suivi médico-psychologique en détention et que, dès février 2004, un traitement médicamenteux institué par un psychiatre s'est avéré nécessaire ; que Madame Y... ne contredit pas les indications fournies par Monsieur l'Agent judiciaire du Trésor selon lesquelles elle avait effectué des séjours en établissement psychiatrique et que ses enfants avaient été placés pour ce motif, préalablement à la présente affaire ; que l'incarcération n'a pu qu'avoir des répercussions négatives sur son état psychologique fragile ;

Qu'eu égard à l'ensemble de ces éléments, il lui sera allouée une somme de 62.000 € en réparation de son préjudice moral ;

Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de Madame Y... les frais irrépétibles qu'elle a exposés pour la présente instance ; qu'il lui sera alloué, de ce chef, la somme de 1.500 € sur le fondement de l‘article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R. 26 à R. 40-7 du code de procédure pénale ;

DISONS la requête recevable,

ALLOUONS à Madame Y... :

- une indemnité de 62.000 € au titre de son préjudice moral,

- la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette la demande pour le surplus.

Décision rendue le 14 mai 2008 par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau code de procédure civile.

LE GREFFIER LE MAGISTRAT DELEGUE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Ct0089
Numéro d'arrêt : 07/03170
Date de la décision : 14/05/2008

Références :

Décision attaquée : Cour d'assises de l'Yonne, 17 octobre 2006


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.paris;arret;2008-05-14;07.03170 ?
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