La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

14/05/2008 | FRANCE | N°07/00067

France | France, Cour d'appel de Paris, Ct0089, 14 mai 2008, 07/00067


Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

1ère CHAMBRE - Section N

REPARATION DES DETENTIONS PROVISOIRES

DECISION DU 14 MAI 2008

No du répertoire général : 07/00067

Décision contradictoire en premier ressort

Nous, Michèle GRAFF-DAUDRET, Conseillère à la Cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assistée de Gilles DUPONT, Greffier lors des débats et du prononcé, avons rendu la décision suivante :

Statuant sur la requête déposée au greffe le 8 janvier 2007 par

Maître Jean-Pierre CUSSAC, avocat de Monsieur Hao Min X..., demeurant ... 92210 SAINT CLOUD ;

Vu les pièces jointe...

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

1ère CHAMBRE - Section N

REPARATION DES DETENTIONS PROVISOIRES

DECISION DU 14 MAI 2008

No du répertoire général : 07/00067

Décision contradictoire en premier ressort

Nous, Michèle GRAFF-DAUDRET, Conseillère à la Cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assistée de Gilles DUPONT, Greffier lors des débats et du prononcé, avons rendu la décision suivante :

Statuant sur la requête déposée au greffe le 8 janvier 2007 par Maître Jean-Pierre CUSSAC, avocat de Monsieur Hao Min X..., demeurant ... 92210 SAINT CLOUD ;

Vu les pièces jointes à cette requête ;

Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire du Trésor notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 12 mars 2008 ;

Vu l'absence de Monsieur Hao Min X... ;

Ouï, Maître Jean-Pierre CUSSAC, avocat représentant Monsieur Hao Min X..., Maître Sandrine Y..., avocat représentant Monsieur l'Agent Judiciaire du Trésor, ainsi que Madame Lydia GÖRGEN, avocat général, les débats ayant eu lieu en audience publique, le 12 mars 2008, le conseil du requérant ayant eu la parole en dernier ;

Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R. 26 à R. 40-7 du code de procédure pénale ;

* *

Monsieur X..., né le 14 janvier 1956, a été mis en examen du chef de complicité de blanchiment aggravé, complicité illégal de la profession de banquier, complicité de blanchiment douanier. Il a été placé en détention provisoire le 28 juin 2000, puis a été remis en liberté et placé sous contrôle judiciaire le 22 décembre 2000, soit après 178 jours de détention. Il a fait l'objet d'une décision de relaxe par jugement du 11 juillet 2006, cette décision étant définitive.

Par requête déposée le 8 janvier 2007, aux fins de réparation à raison d'une détention, Monsieur X... fait valoir :

- S'agissant de son préjudice moral :

qu'il a fait l'objet d'une incarcération de près de 6 mois, qu'il n'a été entendu par le juge d'instruction qu'au bout de deux mois, qu'il a reconnu les faits qui lui étaient reprochés mais qu'il n'avait pas eu conscience de participer à une activité délictueuse, qu'il a été relaxé sur ce fondement ; que malgré ses déclarations, il a été maintenu en détention durant toute cette durée ; qu'il a dû verser une caution de 120.000 Frs dont 80.000 Frs préalable à la remise en liberté, qu'il n'a récupérés que très récemment, que le contrôle judiciaire a restreint sa liberté de se déplacer, qu'il a dû remettre son passeport, ce qui l'a empêché de se rendre chez ses parents, mourants, en Chine, décédés durant la procédure, qu'il s'est vu interdire toute gestion commerciale,

que son préjudice moral est à la hauteur de son intégrité morale, qu'il est un honnête homme, que dans l'esprit des Chinois, l'incarcération est honteuse, qu'il l'a cachée à tout son entourage, qu'il est un homme cultivé, titulaire d'un DEA de linguistique, que son épouse est en thèse de linguistique, qu'elle est cadre, directrice commerciale, et que son fils est élève au lycée Louis-le-Grand, qu'il réside en France avec sa famille depuis 1991, qu'ils sont propriétaires de leur appartement à Saint Cloud,

Il sollicite, à ce titre, une indemnité de 24.000 €.

- S'agissant du préjudice économique :

- que pour ce qui est des honoraires d'avocats, il demande une indemnisation pour ceux versés à l'avocat de permanence le jour de sa mise en détention (1.823, 29 €), les honoraires versés à l'avocat choisi à compter de juillet 2000 (notes pour 3.281,93 € + 3.700,01 €), étant précisé que ces notes ont subi un abattement puis une réfaction après l'issue favorable de la situation de Monsieur X... (pour 4.284,17 €), que les prestations effectuées après la mise en liberté sont mineures par rapport aux précédentes, que l'audience de jugement s'est déroulée sur 10 jours, que le total des honoraires afférents à la période de détention est de 11.995,43 € outre les 1.823,29 € facturés par le premier avocat, le coût total de l'intervention de l'avocat étant de 32.455, 23 € TTC auxquels il convient d'ajouter 183,40€ de frais de copie pénale,

- que le préjudice résultant de l'immobilisation de la caution s'évalue à 2.839,03 €,

- que sa perte de salaire peut être évaluée entre 9.021,60 € et 16.909, 40 €, de sorte qu'il serait équitable de l'indemniser à hauteur de 13.000 € étant précisé qu'au moment de son incarcération, il gagnait 1.158,61 € par mois, qu'il n'a retrouvé un emploi à temps plein qu'en mars 2002,

- qu'il doit être indemnisé du préjudice subi dans l'évolution prévisible de sa carrière professionnelle, à hauteur de 15.000 €, qu'avant sa mise en détention, il disposait d'une carte de séjour valable un an, qu'ensuite, il n'a plus disposé que d'un récépissé de demande de carte de séjour renouvelable tous les trois mois, ce qui a constitué un handicap dans sa

recherche d'emploi, son passeport étant retenu par les services du contrôle judiciaire, qu'à sa sortie de prison, il n'a retrouvé qu'un emploi de serveur à mi-temps et que ce n'est qu'à compter de mars 2002, qu'il a retrouvé un emploi à temps plein qu'il occupe toujours en qualité d'assistant import/export non cadre pour un salaire de 1.892,74 € mensuels.

Il sollicite, enfin, la somme de 4.784 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses conclusions du 24 septembre 2007, Monsieur l'Agent judiciaire du Trésor, estimant la requête recevable, fait valoir :

- S'agissant du préjudice économique invoqué :

- que la demande formée au titre de l'immobilisation de la caution doit être rejetée car elle est liée au contrôle judiciaire et non pas directement à la détention,

- que Monsieur X... est fondé à solliciter une indemnisation au titre de la perte de salaire à hauteur de 13.000 €,

- que cette somme ne saurait être cumulée avec une indemnisation au titre d'un prétendu préjudice dans sa carrière, lequel, de surcroît, n'est pas prouvé, et serait, selon les explications de Monsieur X..., lié à l'obligation de restitution du passeport résultant du seul contrôle judiciaire,

- que pour ce qui concerne les honoraires d'avocats, la facture de 1.823,23 € pourra faire l'objet d'une indemnisation de même que celle de 3.281,93 €, sous réserve de leur règlement ; en revanche, la note de 729,32 € ne comporte pas le détail des diligences accomplies, donc de celles strictement en rapport avec l'incarcération ; qu'il en est de même pour la facture de 3.700,01 € émise plus d'un an après la mise en liberté de Monsieur X... pour des diligences effectuées entre le 11 septembre 2000 et le 28 mars 2002, certaines d'entre elles étant sans rapport avec la détention ; les notes d'honoraires postérieures ne pourront davantage donner lieu à réparation, non plus que la facturation d'un honoraire de résultat et les frais de copie pénale.

Au total, il est demandé de fixer l'indemnité au titre des frais de défense à 5.104,16 €.

- S'agissant du préjudice moral, il estime que celui-ci doit être évaluée à 9.000 €.

Monsieur le Procureur Général, fait valoir, estimant la requête recevable :

- Sur le préjudice économique :

- que la réparation au titre du cautionnement est à exclure comme n'étant pas en lien avec la détention,

- que sur la perte de salaire, compte tenu des documents produits et de la proposition favorable de Monsieur l'Agent judiciaire du Trésor, il convient de faire droit à la demande,

- qu'en revanche, l'éventuelle perte de chance relative à l'évolution de carrière n'apparaît pas confirmée au vu des bulletins de salaires postérieurs produits,

- qu'en ce qui concerne les honoraires d'avocat ou frais de copie, seule la part des frais prouvés et en lien avec la détention donneront droit à réparation,

- Sur le préjudice moral :

qu'il doit être tenu compte de la durée de la détention, du fait que le requérant était, à la date de son incarcération, âgé de 44 ans, marié et père d'un enfant né le 19 septembre 1989, qu'il évoque à juste titre l'infamie liée à la détention, aggravée par le fait qu'il s'agissait d'un " homme cultivé, titulaire d'un diplôme de troisième cycle en science du langage " ainsi que de l'éloignement de ses parents restés en Chine qui, par conséquent, n'ont pu le visiter, qu'il n'avait jamais subi de précédente incarcération et que son casier judiciaire ne porte trace d'aucune condamnation.

SUR QUOI,

Sur la requête :

Attendu que la demande, déposée dans les délais et formes de la loi, est recevable ;

Attendu qu'en vertu de l'article 149 du code de procédure pénale, seuls peuvent être réparés les préjudices de la personne détenue qui sont directement liés à la privation de liberté, à l'exclusion de ceux qui sont la conséquence des poursuites pénales elles-mêmes, des mesures d'instruction autres que la détention provisoire, du retentissement public de l'affaire ou qui ont été causés à des proches ou à des tiers ;

Sur le préjudice matériel :

Attendu, sur la perte de salaire, qu'il résulte des documents produits et qu'il n‘est pas contesté, que le préjudice lié à la perte de salaire peut être évalué à la somme de 13.000€; qu'il y a lieu d'allouer ce montant à Monsieur X... à ce titre ;

Attendu, qu'en revanche, il n'est pas établi que Monsieur X... a subi un préjudice financier dans l'évolution de sa carrière, alors qu'il apparaît qu'il percevait, en tant qu'employé cambiste, depuis le 23 janvier 1999 et jusqu'au moment de son placement en détention provisoire, en juin 2000, une rémunération mensuelle nette de 875,48 €, et qu'il a retrouvé un poste de comptable en mars 2002, son salaire mensuel net ayant évolué depuis pour atteindre 1.372,05 € en décembre 2003, 1.521,05 € en avril 2005 et 1.826,73 € en avril 2006;

Attendu, sur la caution versée, que le préjudice allégué consécutif à l'immobilisation de cette somme est en lien direct avec la mesure de contrôle judiciaire et ne peut, par conséquent, faire l'objet d'une indemnisation sur le fondement des dispositions de l'article 149 du code de procédure pénale ;

Attendu, sur les frais de défense, que seuls peuvent être pris en considération les frais dont il est prouvé qu'ils concernent des prestations liées à la privation de liberté ; qu'aucune disposition n'exige que le requérant justifie s'être acquitté du paiement des honoraires pour prétendre à l'indemnisation de ce chef de préjudice matériel en rapport direct avec son incarcération, et dont il demeure débiteur à l'égard de son conseil ; que la note d'honoraires correspondant aux diligences accomplies par le conseil de Monsieur X... le jour de son incarcération, pour 1.823,23 €, peut faire l'objet d'une indemnisation, de même que la note du 29 août 2000 d'un montant de 3.281,93 € ; que la note du 2 avril 2002, bien qu'émise postérieurement à la mise en liberté de Monsieur X..., pour un montant global de 3.700,01€, comporte le détail des diligences effectuées, dont on peut estimer que la part relative à l'incarcération représente 2.500 € ; que les autres factures, d'honoraires ou de frais de copies, ne peuvent donner lieu à indemnisation, dès lors qu'elles ne comportent aucune indication permettant de les relier à la mise en détention, qu'elles correspondent à des prestations effectuées postérieurement à la mise en liberté du requérant ou encore, s'agissant de l'honoraire de résultat, portent sur des frais liés à la décision de relaxe ; que Monsieur X... peut, dès lors, prétendre être indemnisé, au titre des frais de défense, à concurrence de la somme globale de 7.605,16 € ;

Attendu, en conséquence, qu'il y a lieu d'allouer à Monsieur X... une somme globale de 20.605,16 € en réparation de son préjudice matériel ;

Sur le préjudice moral :

Attendu que Monsieur X..., âgé de 44 ans au moment de son incarcération, n'avait jamais été condamné ni placé en détention ; qu'il était marié, père d'un enfant, né en 1989 ; que le choc carcéral incontestable qu'il a subi est d'autant important qu'il n'est pas contesté qu'il était un homme cultivé, titulaire d'un diplôme de troisième cycle, en linguistique, et bénéficiait d'un emploi stable ; qu'il a été détenu pendant près de six mois ; que l'incarcération l'a empêché de rendre visite à ses parents, malades, résidant en Chine, et décédés depuis ;

Que s'il ne peut prétendre à l'indemnisation des préjudices dont ont été victimes son épouse et son fils, ni de ceux résultant de retards dans le déroulement de l'instruction ou des obligations qui lui ont été imposées au titre du contrôle judiciaire, l'ensemble des éléments précités conduisent à estimer que son préjudice moral peut être indemnisé à concurrence de 17.800 € ;

Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de Monsieur X... les frais irrépétibles qu'il a exposés pour la présente instance ; qu'il lui sera alloué, de ce chef, la somme de

1.500 € ;

PAR CES MOTIFS :

Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R. 26 à R. 40-7 du code de procédure pénale ;

DISONS la requête recevable,

ALLOUONS à Monsieur X... :

- une indemnité 20.605,16 € au titre son préjudice matériel,

- une indemnité de 17.800 € au titre de son préjudice moral,

- la somme de 1.500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Décision rendue le 14 mai 2008 par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau code de procédure civile.

LE GREFFIER LE MAGISTRAT DELEGUE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Ct0089
Numéro d'arrêt : 07/00067
Date de la décision : 14/05/2008

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.paris;arret;2008-05-14;07.00067 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award