RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
22ème Chambre B
ARRET DU 06 Mai 2008
(no , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 06/11562
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 28 Mars 2006 par le conseil de prud'hommes de PARIS RG no 05/00934
APPELANTE
THE RITZ HOTEL LIMITED
15, place Vendôme
75041 PARIS CEDEX 01
représentée par Me Elisabeth LAHERRE (SCP COBLENCE & Associés), avocat au barreau de PARIS, toque : P 53 substitué par Me Martine RIOU, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE
Mademoiselle Isabelle Y...
...
78420 CARRIERES SUR SEINE
comparante en personne, assistée de Me Iddir AMARA (AGORA JURIS), avocat au barreau de la SEINE SAINT DENIS, toque : PB 194
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 25 Mars 2008, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Brigitte BOITAUD, Présidente, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Brigitte BOITAUD, Présidente
Monsieur Philippe LABRÉGÈRE, Conseiller
Monsieur Daniel FONTANAUD, Conseiller
Greffière : Mademoiselle Ingrid JOHANSSON, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé publiquement par Monsieur Philippe LABRÉGÈRE, Conseiller
- signé par Monsieur Philippe LABRÉGÈRE, Conseiller, par suite d'un empêchement de la Présidente, et par Mademoiselle Ingrid JOHANSSON, greffière présente lors du prononcé.
Madame Isabelle Y..., engagée par la société HOTEL RITZ à compter du 3 septembre 2001 en qualité de harpiste, a été licenciée par lettre du 3 janvier 2003 pour motif économique dans les termes suivants:
" Depuis l'année 2000, les résultats économiques du RITZ se sont fortement dégradés, puisque le taux d'occupation de l'hôtel est passé de 83,3% en 2000, à 63% en 2003, soit une diminution de 23 points (27,6%)
Ces mauvais résultats ont entraîné dans leur chute tous les autres paramètres, puisque le chiffre d'affaires a diminué, pendant la même période, de 10,4 millions d'€ (soit - 19%), alors même que les frais de personnel ont eux, augmentés de 9,7 points entre 2000 et 2003, passant de 43,7% à 53% du chiffre d'affaires.
Le revenu brut d'exploitation s'est effondré passant de 15,2 millions d'e en 2000 à 6,2 millions d'e en 2003, soit une perte de 9 millions d'€ .
Quant au résultat net, il est passé de - 2,5 millions d'€ en 2000 à - 11,1 millions d'€ au 31 décembre 2003, étant précisé que les pertes cumulées pour cette période s'élèvent à 26,7 millions d'€.
Enfin, la capacité d'autofinancement de l'entreprise est passée de 8,8 millions d'€ en 2000 à -11,1 millions d'€ en 2003, soit une dégradation de 9,8 millions.
Malgré une amélioration du chiffre d'affaires et du taux d'occupation sur la période janvier septembre 2004 par rapport à 2003, la situation très dégradée et l'activité pour les mois de novembre et décembre s'annonce faible, ce qui aura une impact négatif dans les résultats cumulés de l'année 2004.
Ainsi, le taux d'occupation pour l'année 2004 est de 64%, ce qui reste inférieur à 2000 de 19,3 points, alors que les frais de personnel ont encore augmenté de 5,6% par rapport à 2003 (51,2% du chiffre d'affaires)
Par ailleurs, le résultat brut d'exploitation ne représente que 18,3% du chiffre d'affaires, ce qui est largement inférieur aux critères de rentabilité de la profession et aux taux de 27,1% de l'année 2000.
Enfin la perte nette cumulée au 30 septembre 2004 est de 5,7 millions d'€ contre 4,7 millions d'€ au 30 septembre 2003.
Face à cette dégradation, il est apparu absolument nécessaire de revoir l'organisation du RITZ Paris, afin qu'elle soit adaptée à la clientèle, tant en termes de volume que de services, cette réorganisation étant indispensable à la sauvegarde de la compétitivité.
Cette situation nous a donc conduit à mettre en œuvre une légère restructuration de certains services et la suppression de postes n'ayant plus de légitimité économique. » .
Par jugement du 28 mars 2006 le conseil de prud'hommes de Paris a notamment condamné la société HOTEL RITZ à payer à Mme Y... une indemnité de requalification de contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée , un rappel de salaire au titre de la prime d'ancienneté et du 13ème mois, ainsi que des dommages et intérêts pour perte de revenus sur un "temps plein".
La société HOTEL RITZ en a relevé appel.
Pour les prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux conclusions visées et reprises oralement le 25 mars 2008.
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Sur la demande de requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée (3 622 € )
Mme Y... explique qu'elle travaillait sans contrat de travail écrit depuis plus de 3 ans pour la société HOTEL RITZ et que son employeur lui a notifié un licenciement comme à un travailleur sous contrat à durée indéterminée; que cependant elle n'en n'a pas eu les avantages et était traitée comme une salariée en contrat à durée déterminée; qu'ainsi elle est en droit de prétendre à une indemnité de requalification de son contrat de travail et aux avantages liés au contrat à durée indéterminée (prime d'ancienneté, 13ème mois, jours fériés, mutuelle).
De son côté la société HOTEL RITZ soutient que Mme Y... est depuis son embauche en contrat à durée indéterminée et qu'il n'y a donc pas lieu à requalification.
Mais il ressort des explications non contraires des parties que Mme Y... n'a pas bénéficié du statut des salariés en contrat à durée indéterminée. Elle était donc bien considérée comme un travailleur sous contrat à durée déterminée. En l'absence de contrat écrit, la relation doit être requalifiée en contrat à durée indéterminée depuis l'embauche. Le jugement allouant une indemnité de requalification est confirmé sur le principe de cette demande.
En conséquence de cette requalification, Mme Y... est en droit de prétendre à une prime d'ancienneté. La société HOTEL RITZ reconnaît devoir la somme de 218 € allouée par le conseil de prud'hommes au titre de la prime d'ancienneté . Le jugement est confirmé sur ce point.
Il est également alloué à Mme Y... la somme de 5 103,53 € au titre de 10 jours fériés par an après un an d'ancienneté. La société HOTEL RITZ ne dément pas l'affirmation de Mme Y... selon laquelle l'ensemble des salariés en contrat à durée indéterminée a bénéficié de cet avantage et ne rapporte pas la preuve que Mme Y... n'était pas présente la veille et le lendemain du jour férié considéré qui est la condition prévue par l'article 17 de l'accord du 22 septembre 1994. Le calcul effectué par Mme Y... n'est pas subsidiairement discuté. Il est fait droit à la demande et le jugement est réformé sur ce point.
Un rappel de salaire lui est dû au titre du 13ème mois. Son montant est déterminé par la décision ci-après sur la demande de requalification d'un travail à temps plein.
Sur la demande au titre d'un travail à temps plein ( 95 583,36 € ) et les rappels de salaire afférents
L'absence d'un contrat de travail écrit constatant l'existence d'un contrat de travail à temps partiel a pour seul effet de faire présumer que le contrat a été conclu pour un horaire normal.
Il incombe à la société HOTEL RITZ qui conteste cette présomption de rapporter la preuve qu'il s'agit d'un emploi à temps partiel, que la salariée n'était pas placée dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme elle devait travailler et qu'elle n'était pas tenue de se tenir constamment à sa disposition.
Or il ressort des feuilles de présence produites par la société HOTEL RITZ que Mme Y... qui n'avait vocation à exercer son activité que l'après-midi ou en soirée, ne travaillait pas à temps complet. Il en résulte que Mme Y... avait la liberté de son temps pour au moins toutes les matinées. Elle ne dément pas qu'il lui était possible de refuser les vacations qui lui étaient proposées. Par ailleurs jusqu'en septembre 2004 elle a travaillé pour le Conservatoire de Maison Lafitte. Enfin dans un courrier qu'elle adressait à la société HOTEL RITZ le 28 janvier 2003 aux termes duquel elle sollicitait la requalification de la relation contractuelle en contrat à durée indéterminée, elle demandait l'établissement d' un contrat de travail à temps partiel annualisé et une limite à ses heures complémentaires avec une rémunération décomposée pour 4 heures travaillées par jour.
Il s'ensuit que Mme Y... était bien salariée à temps partiel. Il est dû la seule somme de 1 528,88 € au titre de l'indemnité de requalification. Le jugement est réformé en ce sens.
L'article 11 de l'accord du 22 septembre 1994 précise « la société confirme l'allocation d'une gratification de 13ème mois par année civile. Le 13ème mois sera versé par avance en même temps que le salaire du mois de novembre à tout le personnel qui totalisera un an de présence. Il sera versé au prorata du temps de travail effectif en cas de départ de départ de la personne avant l'échéance normale de versement, à condition d'avoir un an d'ancienneté continue. Ce 13ème mois sera égal au salaire de base du mois de décembre ou du mois de départ du salarié. Le 13ème mois n'entre pas dans le calcul des congés payés, jours fériés et congés exceptionnels. A l'exception des absences légalement assimilées à du travail effectif, les absences pour maladie, convenances personnelles, etc.. . supérieures à 120 jours calendaires dans l'année entraîneront une réduction de la gratification du 13ème mois, prorata temporis à partir du 1er jour d'absence. »
Il est dû la somme de 6 053,14 € au titre du 13ème mois conformément aux calculs de la société HOTEL RITZ effectués en conformité avec les termes de l'article précité.
Le jugement est infirmé sur ce point.
Sur les dommages et intérêts au titre de la mutuelle santé (934,20 € )
La société HOTEL RITZ prétend que tous les salariés en contrat à durée indéterminée ne bénéficiaient pas de la mutuelle sans en rapporter la preuve. Ainsi à l'instar des autres salariés en contrat à durée indéterminée Mme Y... est en droit de prétendre à la somme réclamée aux conditions de l'accord d'entreprise. Le jugement est infirmé sur ce point.
Sur le bien fondé du licenciement (43 664 € )
Mme Y... fait observer que la société HOTEL RITZ articule sa démonstration sur les années 2000 et 2003 alors que le licenciement est intervenu en 2005; que les résultats de l'année 2000 sont dus à la fermeture pour travaux des palaces parisiens qui a permis à la société HOTEL RITZ de récupérer leur clientèle et qu'en réalité il faut, pour apprécier la réalité du motif économique , considérer les résultats de l'année 2004 pour lesquels l'expert comptable missionné par le comité d'entreprise notait qu'ils " laissaient apparaître un redressement des résultats opérationnels... ; le résultat net de l'exercice 2004 avec une perte de 7286 Ke reviendrait au niveau de 2002...qui constitue, hors charges financières sur l'emprunt RBS...une des meilleures performances du RITZ sur les 10 dernières années... ; les licenciements de 9 personnes ( dont 4 musiciens en CDD ou en extra): ne seront d'aucun effet significatif sur le redressement des résultats ". Mme Y... soutient qu'il n'est pas établi que le choix économique de l'employeur de licencier 9 personnes ait été nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise mais qu'il relevait davantage de la volonté de réduire la masse salariale. Mme Y... fait encore observer que la société HOTEL RITZ a continué à embaucher et à augmenter le salaire du personnel.
Il ressort des pièces du dossier que les résultats de l'entreprise étaient largement déficitaires depuis 1999, l'évolution des résultats courants avant impôt s'établissant ainsi au 31 décembre de chaque année :
- 1999 (10 324 841 Francs)
- 2000 (4 364 777 € )
- 2001 (4 944 864 € )
- 2002 (7 257 710 € )
- 2003 (13 863 997 € )
- 2004 ( 8 418 038 € )
Dans son projet de réorganisation la société HOTEL RITZ constatait, sans être démentie sur ce point, une "intensification de la concurrence" en raison de la réouverture des établissements de prestige après remise aux normes et de nouveaux établissements rue de la paix et rue de Courcelles pour un total de 668 nouvelles chambres dans le coeur de Paris.
Ces éléments justifiaient que la société HOTEL RITZ procède à des mesures de nature à sauvegarder sa compétitivité. Le poste de Mme Y... a bien été supprimé et son reclassement en tant que musicienne s'avérait impossible.
C'est donc à juste titre que les premiers juges ont retenu que le licenciement pour motif économique de Mme Y... était justifié. Le jugement est confirmé sur ce point.
PAR CES MOTIFS
REFORME le jugement,
CONDAMNE la société HOTEL RITZ à payer à Mme Y... les sommes de :
- 1 528,88 € au titre de l'indemnité de requalification
- 5 103,53 € au titre des jours fériés
- 934,20 € au titre de la participation à la mutuelle
- 6 053,14 € au titre du 13ème mois
CONFIRME le jugement en ses autres dispositions,
Y AJOUTANT,
CONDAMNE la société HOTEL RITZ à payer à Mme Y... 1500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
DEBOUTE les parties du surplus des demandes,
MET les dépens à la charge de la société HOTEL RITZ.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT