Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
1ère Chambre - Section H
ARRÊT DU 02 AVRIL 2008
(no 16, 10 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 2007/05604
Décision déférée à la Cour : renvoi après cassation par la Chambre commerciale, financière et économique de la Cour de Cassation en date du 10 mai 2006, d'un arrêt de la Cour d'Appel de Paris, 1ère chambre - section H, en date du 12 avril 2005, ayant statué sur les recours formés contre la décision n 04-D-48 du CONSEIL DE LA CONCURRENCE du 14 octobre 2004 ;
DEMANDERESSES AUX RECOURS :
- La société FRANÇAISE DU RADIOTÉLÉPHONE, SA
agissant poursuites et diligences de son représentant légal
dont le siège social est : 42, avenue de FRIEDLAND 75008 PARIS
représentée par Maître François TEYTAUD, avoué près la cour d'appel de PARIS
assistée de Maître Frédérique DUPUIS TOUBOL, avocat au barreau de PARIS
toque R 255
Cabinet Bird & Bird
6, rue de Caumartin
75009 PARIS
- La société FRANCE TÉLÉCOM, SA
agissant poursuites et diligences de son représentant légal
dont le siège social est : 6, place d'Alleray 75015 PARIS
représentée par la SCP Anne GRAPPOTTE-BENETREAU et Marc GRAPPOTTE, avoués associés près la cour d'appel de PARIS
assistée de Maître Christophe CLARENC, avocat au barreau de PARIS
Cabinet LATHAM & WATKINS
53, quai d'Orsay 75007 PARIS
EN PRESENCE DE :
- Mme LE MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'EMPLOI
59, boulevard Vincent Auriol
75703 PARIS
représentée par Mme Laurence NGUYEN-NIED, munie d'un pouvoir
M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL DE LA CONCURRENCE
11 rue de l'Echelle
75001 PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 26 février 2008, en audience publique, devant la Cour composée de :
- M. Alain CARRE-PIERRAT, Président
- M. Didier PIMOULLE, Président
- Mme Michèle SIGNORET, Conseillère
qui en ont délibéré
GREFFIER, lors des débats : M. Benoît TRUET-CALLU
MINISTÈRE PUBLIC :
L'affaire a été communiquée au ministère public, qui a fait connaître son avis.
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par M. Alain CARRE-PIERRAT, président et par M. Benoît TRUET-CALLU, greffier.
* * * * * *
LA COUR,
Vu les recours formés le 19 novembre 2004 par la s.a. Société Française du Radiotéléphone (ci-après : SFR) et le 22 novembre 2004 par la s.a. France Télécom contre la décision no 04-D-48 du Conseil de la concurrence prononcée le 15 octobre 2001 ;
Vu le mémoire déposé le 20 décembre 2004 par France Télécom contenant l'exposé des moyens invoqués à l'appui de son recours, soutenu par son mémoire en réplique du 21 février 2005 ;
Vu le mémoire déposé le 20 décembre 2004 par SFR contenant l'exposé des moyens invoqués à l'appui de son recours, soutenu par son mémoire en réplique du 21 février 2005 ;
Vu le mémoire en réponse déposé le 24 janvier 2005 par l'association Etna France ;
Vu l'arrêt de la Cour de Cassation, chambre commerciale, financière et économique (no 593 FS-P+B+I), prononcé le 10 mai 2006, qui a cassé et annulé, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 avril 2005 par lequel la Cour d'appel de Paris, 1ère chambre, section H, avait statué sur les recours susvisés et renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Vu la déclaration de saisine de la Cour d'appel de Paris par SFR le 10 avril 2007 ;
Vu la déclaration de saisine de la Cour d'appel de Paris par France Télécom le 18 avril 2007 ;
Vu les observations écrites du Conseil de la concurrence déposées le 21 novembre 2007 ;
Vu les observations écrites du Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Emploi, déposées le 21 novembre 2007 ;
Vu le mémoire en réplique déposé par SFR le 29 janvier 2008 ;
Vu les conclusions récapitulatives déposées par France Télécom le 30 janvier 2008 ;
Vu les observations écrites du Ministère public (18 février 2008) ;
Les requérants et leurs conseils, qui ont eu la parole en dernier, le représentant du Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Emploi entendus en leurs plaidoiries et observations orales ;
* *
SUR QUOI,
Considérant, à titre préliminaire et pour la bonne compréhension de l'affaire, qu'il convient d'exposer que celle-ci concerne la tarification appliquée par les sociétés requérantes aux entreprises pour leurs appels depuis leur installation de téléphonie fixe vers les réseaux de téléphonie mobile dépendant respectivement de France Télécom, (Orange), et de Cegetel (SFR) ; que le prix de ces appels - dits appels entrants parce qu'ils supposent une connexion d'entrée sur le réseau de téléphonie mobile concerné - se décompose en deux éléments principaux, soit, d'une part, le coût de la prestation de l'opérateur de téléphonie fixe auquel est abonné le client appelant, et, d'autre part, le prix de l'intervention de l'opérateur du réseau de téléphonie mobile du correspondant appelé, désigné sous le nom de charge de terminaison d'appel ou CTA ; qu'il est reproché, en synthèse, aux sociétés requérantes, en tant qu'opérateurs intégrés de téléphonie fixe et mobile, d'avoir appliqué une politique tarifaire jouant sur la disproportion entre le prix de la CTA et le prix de la communication finalement facturé pour évincer les opérateurs de téléphonie fixe seulement du marché des appels entrants ;
Considérant que c'est ainsi que, le 25 juin 1999, l'association tenor, devenue depuis etna France, comptant une centaine de membres, pour la plupart opérateurs de réseaux de télécommunications ou fournisseurs de services de télécommunications, a dénoncé au Conseil de la concurrence (ci-après : le Conseil) « des pratiques développées sur le marché des services de télécommunications par les opérateurs de mobiles et l'opérateur historique France Télécom dominant le marché de la téléphonie mobile et de la téléphonie entre points fixes » et demandé au Conseil de se prononcer sur le caractère anticoncurrentiel :
« - des conditions tarifaires du trafic fixe-mobile en l'absence, dans les faits, d'interconnexion directe ou négociée ouverte aux nouveaux entrants ;
- des accords passés par France Télécom avec ses partenaires étrangers visant à établir une surtaxe pour les appels à destination des mobiles en provenance de leurs territoires ayant pour effet d'aligner les tarifs de ces appels entrants sur les réseaux mobiles à ceux provenant du territoire national ;
- des offres commerciales, et notamment des offres "couplées", par lesquelles les opérateurs dominants sur le secteur de la téléphonie fixe ou mobile, voire sur les deux secteurs, mettent en œuvre une convergence commerciale que les nouveaux entrants ne sont pas en mesure de proposer » ;
Considérant que le Conseil a retenu (§ 245 de la décision) que France Télécom, « en pratiquant des tarifs pour ces communications fixe vers Orange France pour les entreprises de taille moyenne, d'une part, et pour les grands comptes, d'autre part, entre avril 1999 et, respectivement, octobre 2000 et janvier 2001, qui ne couvraient pas les coûts incrémentaux encourus pour ce type de prestations, dont la CTA sur le réseau FTM, avait faussé le jeu de la concurrence sur les marchés des appels fixes vers mobiles des entreprises moyennes et des grands comptes » ;
Qu'il a par ailleurs retenu (§ 250 de la décision) que SFR Cegetel avait « mis en œuvre, par le biais de Cegetel, une pratique de ciseau tarifaire anticoncurrentielle sur le trafic fixe vers SFR des entreprises de taille moyenne, d'une part, et des grands comptes, d'autre part, jusqu'à fin 2001 et, respectivement, depuis juin 1999 et avril 1999 » ;
Que, dans les deux cas, le Conseil a estimé que ces pratiques, par leur objet et leur effet, étaient contraires aux dispositions des articles L. 420-2 du Code commerce et, compte tenu de la dimension nationale du marché concerné, susceptibles en outre d'affecter les échanges intra-communautaires et donc prohibées par l'article 82 du traité CE ; qu'il a infligé en conséquence à France Télécom une sanction de 18.000.000 euros et à SFR une sanction de 2.000.000 euros ;
Considérant que, par arrêt du 12 avril 2005, cette cour, autrement composée, a rejeté les recours en annulation de France Télécom et de SFR et, réformant la décision du Conseil, jugé qu'il n'était pas établi que les sociétés requérantes avaient enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du code de commerce et de l'article 82 du traité CE ; que cet arrêt a été cassé et annulé en toutes ses dispositions par arrêt de la Cour de cassation du 10 mai 2006 ;
Sur la procédure :
Sur la recevabilité de moyens nouveaux devant la cour de renvoi :
Considérant que l'article 631 du Code de procédure civile dispose que « Devant la juridiction de renvoi, l'instruction est reprise en l'état de la procédure non atteinte par la cassation » ;
Qu'il en résulte, en l'état de la cassation de l'arrêt de cette Cour du 12 avril 2005 par l'arrêt de la Cour de cassation du 10 mai 2006, que l'instruction des recours formés le 19 novembre 2004 par SFR et le 22 novembre 2004 par France Télécom contre la décision du Conseil de la concurrence doit être reprise en l'état où elle se trouvait avant le prononcé de l'arrêt cassé et annulé ; que cette Cour, saisie comme juridiction de renvoi par les déclarations prévues par l'article 1034 du Code de procédure civile, n'est pas pour autant saisie, au contraire de ce que paraissent comprendre les sociétés requérantes,(§ 6 de la déclaration de saisine de France Télécom et § 20 de l'exposé des moyens de SFR ), d'un nouveau recours contre la décision du Conseil ;
Considérant que la présente procédure demeure soumise aux règles qui lui étaient applicables avant la cassation intervenue ; que les recours des sociétés SFR et France télécom doivent en conséquence être instruits et jugés conformément aux dispositions des articles R.464-10 et suivants du Code de commerce ;
Considérant que l'article R.464-12, dernier alinéa, dispose : « Lorsque la déclaration ne contient pas l'exposé des moyens invoqués, le demandeur doit, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office, déposer cet exposé au greffe dans les deux mois qui suivent la notification de la décision du Conseil de la concurrence » ;
Considérant que ces dispositions spéciales, qui dérogent à la procédure civile de droit commun, font obstacle à l'application de l'article 632 du Code de procédure civile qui autorise les parties à invoquer de nouveaux moyens à l'appui de leurs prétentions devant la juridiction de renvoi ;
Considérant qu'il en résulte que la Cour, saisie sur renvoi après cassation, doit prononcer l'irrecevabilité des moyens qui n'ont pas été exposés dans les conditions de délai prévues par les dispositions ci-dessus rappelées ;
Considérant, dès lors, que la société SFR, qui confond la déclaration par laquelle la juridiction de renvoi est saisie, prévue par l'article 1034 du Code de procédure civile, avec la déclaration de recours définie par l'article R.464-12 du Code de commerce, n'est pas recevable à invoquer le moyen tiré de ce que le ciseau tarifaire retenu par la décision du Conseil attaquée serait substantiellement différent du grief qui lui avait été notifié, ce moyen n'ayant pas été exposé dans les deux mois de la notification de cette décision ;
Que, pour un motif identique, est irrecevable le moyen tiré par France Télécom de ce que le Conseil lui a imputé une pratique « qui avait pour objet de fausser le jeu de la concurrence » (§ 238 de la décision) alors que les griefs qui lui avaient été notifiés visaient seulement « l' effet » anticoncurrentiel de cette même pratique, et d'avoir ainsi irrégulièrement modifié la qualification juridique des faits poursuivis et la nature même des faits reprochés en violation du principe du contradictoire ;
Considérant en effet que ni l'un ni l'autre de ces moyens ne reposent sur des circonstances inconnues des requérantes au moment du dépôt de leur mémoires au soutien de leur recours ; qu'ils sont dès lors irrecevables ;
Sur les moyens tendant à l'annulation de la décision :
Considérant que France Télécom reproche au rapporteur, et à sa suite au Conseil, de n'avoir pas tenu compte du refus persistant de la partie saisissante de communiquer les documents ou renseignements qui lui avaient pourtant été réclamés dans le cadre de l'instruction comme nécessaires à l'analyse objective de la situation concurrentielle en cause et à la démonstration des pratiques reprochées, et d'avoir ainsi « violé les exigences de la charge de la preuve et du procès objectif et équitable » ;
Que SFR Cegetel fait en outre grief au Conseil d'un défaut de motivation relatif tant à l'objet qu'à l'effet anticoncurrentiel de la pratique qui lui est reprochée ;
Mais considérant qu'aux termes des dispositions combinées des articles l. 463-1 et L. 463-2 du code de commerce, la notification des griefs marque l'ouverture de la procédure contradictoire ; que France Télécom et SFR Cegetel ont eu, dès ce moment, la faculté de consulter le dossier et de demander, en application des articles 6-3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et L. 463-7 du code de commerce, l'audition de témoins au rapporteur et au conseil ; qu'elles ont été également mises en mesure de présenter leurs observations sur les griefs notifiés puis sur le rapport établi en réponse, lequel était accompagné des documents sur lesquels se fondait le rapporteur et pouvait être consulté dans les quinze jours précédant la séance par les parties, ainsi que de s'exprimer oralement devant le Conseil ;
Que, dès lors, France Télécom, qui ne mentionne aucun fait précis établissant que les garanties fondamentales de la procédure lui aient été refusées, et qui, sous couvert de la violation de principes fondamentaux, se borne à critiquer l'appréciation, par le Conseil de la concurrence, de la valeur des éléments de preuve soumis au débat contradictoire, n'est pas fondée à demander l'annulation de la procédure et de la décision déférée ;
Considérant enfin que le Conseil, après avoir décrit les marchés concernés, les éléments factuels examinés et l'analyse à laquelle ces faits ont été soumis, a expliqué (§ 240 et suivants) en quoi les pratiques incriminées avaient pu avoir un effet anticoncurrentiel, ce qui suffit au rejet des moyens de nullité de la décision déférée, tirés d'une prétendue insuffisance de motivation ;
Au fond, sur les griefs :
Considérant que, dans une première notification de griefs du 10 avril 2001, il a été reproché à France télécom, sur le fondement des articles 82 du traité de Rome et L.420-2 du Code de commerce, « d'avoir mis en oeuvre, au cours de l'année 1999, des pratiques ayant pu avoir pour effet de limiter l'accès au marché de détail des appels fixes vers mobiles (appels entrants) destinés aux entreprises » ; que la consistance des pratiques incriminées étaient précisée dans les termes suivants :
« Ces pratiques ont consisté, de la part de France télécom, à accorder au cours de l'année 1999 des offres de réduction de volume aux entreprises clientes à un niveau non compatible avec le niveau de terminaisons d'appels qu'elle imposait alors aux entreprises désireuses de négocier des accords d'interconnexion. A cet élément s'ajoute, d'une part, le fait que des mesures ont été prises au cours de l'année 1999 afin d'empêcher les concurrents de recourir à du reroutage international et, d'autre part, le fait que les réductions au volume proposées n'étaient pas accessibles aux entreprises qui auraient souhaité acheter du trafic en gros dans le but de la revendre à leur clientèle d'entreprise.
Cette pratique a pu, compte tenu de la position occupée en 1999 par l'opérateur historique sur le marché national de la téléphonie fixe vers mobile limiter les échanges intracommunautaires » ;
Qu'un grief complémentaire a été notifié à France télécom le 30 juin 2003 dans les termes suivants : « Depuis le mois d'avril 1999, alors que les opérateurs de téléphonie fixe n'ont plus la possibilité de recourir au reroutage international que de façon marginale, France télécom pratique des prix de détail fixe vers ftm ou fixe vers Orange sur le marché des services de téléphonie fixe vers mobile pour grands comptes, d'une part, qui ne couvrent pas le coût direct supporté par un opérateur de téléphonie fixe efficace pour ce type de trafic. Cette pratique n'a pas induit de pertes pour France télécom puisque, par le biais de sa filiale de téléphonie mobile ftm, l'actuelle société Orange france, elle perçoit des revenus de terminaison des appels sur son réseau gsm nettement supérieurs aux coûts directs engendrés par cette activité qui est exercée en quasi monopole. Cette pratique a eu pour effet de restreindre l'émergence d'une concurrence sur les marchés considérés et de retarder l'interconnexion des opérateurs de téléphonie fixe concurrents de France télécom au réseau gsm f1. Actuellement elle permet à France télécom de bénéficier d'un avantage indu dans l'exercice de la concurrence sur les marchés considérés. Cette pratique, qui contrevient aux dispositions des articles L.420-2 du Code de commerce et 82 du Traité CE, revêt enfin une particulière gravité eu égard à la position dominante dont dispose France télécom sur les marchés de téléphonie fixe vers mobiles sur lesquels ces pratiques ont été mises en oeuvre » ;
Considérant que, pour sa part, SFR Cegetel s'est vu notifier le 30 juin 2003, parmi d'autres, le grief suivant : « Depuis le mois d'avril 1999, alors que les opérateurs de téléphonie fixe n'ont plus la possibilité de recourir au reroutage international que de façon marginale, Cegetel Groupe pratique, par le biais de sa filiale à 80 % Cegetel des prix de détail fixe vers SFR sur les marchés des services de téléphonie fixe vers mobile pour grands comptes, d'une part, et entreprises de taille moyenne, d'autre part, qui ne couvrent pas le coût direct supporté par un opérateur de téléphonie fixe efficace pour ce type de trafic.
Cette pratique n'a pas induit de pertes pour Cegetel Groupe, puisque, par le biais de sa filiale à 80 % SFR, elle perçoit des revenus de terminaison des appels sur son réseau GSM nettement supérieurs aux coûts directs engendrés par cette activité, qui est exercée en quasi-monopole.
Cette pratique a eu pour effet de restreindre l'émergence d'une concurrence sur les marchés considérés et de retarder l'interconnexion des opérateurs de téléphonie fixe concurrents de France Télécom et de Télécom Développement au réseau GSM F2. Actuellement, elle permet à Cegetel Groupe de bénéficier, via la société Cegetel, d'un avantage indu dans l'exercice de la concurrence sur les marchés considérés.
Cette pratique contrevient aux dispositions des articles L. 420-2 du code de commerce et 82 du traité CE. » ;
Considérant que l'ensemble des faits et circonstances visés par ces notifications de griefs initiales et complémentaires est défini de manière suffisamment claire et explicite pour ne laisser subsister aucun doute quant à la consistance exacte des pratiques reprochées à France télécom ou à SFR Cegetel ; que ces pratiques ne sont visées, à ce stade de la notification des griefs, comme le soutiennent exactement les requérantes, que dans la mesure où elles ont pu avoir un effet anticoncurrentiel, sans que le Conseil n'ait expressément visé un objet anticoncurrentiel, en soi, des pratiques reprochées ;
Mais considérant que la prohibition contenue dans l'article L.420-1 du Code de commerce vise les pratiques qui « ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché » ; que la présence de la conjonction alternative « ou » a pour conséquence qu'une pratique incriminée tombe sous le coup de l'interdiction posée par ce texte, soit parce qu'elle a un objet anticoncurrentiel, quand même elle n'aurait été suivie d'aucun des effets recherchés par ses initiateurs, soit parce qu'elle a pu avoir des effets anti-concurrentiels, lors même que ses auteurs n'auraient pas délibérément recherché une telle issue ;
Considérant, en l'espèce, que la circonstance que la décision déférée ne comporte aucun développement spécifiquement tendu vers la démonstration d'un objet anticoncurrentiel que se seraient intentionnellement données France Télécom ou Cegetel n'est d'aucune conséquence quant au bien fondé des griefs dès lors que le Conseil s'est appliqué à mettre en évidence les effets, même seulement potentiels, des pratiques litigieuses ; que le fait que la décision mentionne finalement que la mise en œuvre de ces pratiques ne s'explique que par la poursuite d'un objet anticoncurrentiel n'ajoute ni n'enlève rien à la suffisance des motifs de la décision ;
Qu'il en résulte que tous les développements des requérantes sur le fait que les pratiques de ciseau tarifaire qui leur sont reprochées, n'étant pas prohibées pour elles-mêmes, ne pourraient être retenues à leur encontre qu'à la condition qu'il soit démontré que ces pratiques auraient poursuivi un objet anticoncurrentiel, perdent toute pertinence s'il est établi que ces pratiques ont eu un effet anticoncurrentiel, même seulement potentiel ;
Considérant qu'il convient de rappeler que les pratiques poursuivies, désignées par les termes de ciseau tarifaire, consistent, pour un opérateur généralement verticalement intégré, fixant à la fois les tarifs de détail sur un marché et le tarif d'une prestation nécessaire pour l'accès au marché de détail, à ne pas laisser entre les deux un espace suffisant pour la couverture des autres coûts encourus pour la fourniture de la prestation de détail ;
Considérant que l'exactitude des chiffres retenus comme termes de comparaison par le Conseil pour établir que les deux sociétés requérantes, en leur qualité de groupes intégrant verticalement un opérateur de téléphonie mobile (FTM, Orange, ou SFR) et un opérateur de téléphonie fixe (France Télécom ou Cegetel), déterminant à la fois le tarif sur le marché de détail des appels de leur clientèle d'entreprises depuis le réseau de téléphonie fixe vers leurs réseau de téléphonie mobile et celui de la charge de terminaison d'appel ou CTA, prestation nécessaire pour l'accès à ce marché, ont en effet facturé à leurs clientèle d'entreprises, pour les périodes retenues, leurs appels respectivement fixe vers FTM ou Orange ou fixe vers SFR à des prix économiquement incompatibles avec ceux des CTA déterminés, n'est pas utilement contestée, non plus que la définition des marchés retenus comme pertinents, ni même la position de quasi monopole de chacune des sociétés requérantes sur le marché des appels entrants dirigés vers le réseau de téléphonie mobile de chacune d'elles ;
Considérant qu'il n'est en effet discuté, ni que le prix de la CTA facturée par les deux opérateurs de mobile en cause était largement supérieur au coût réel de la prestation correspondante, ni que les prix de détail étaient fixés à un niveau insuffisant, au regard de la définition précédemment rappelée, pour ne pas entrer dans le champ d'une pratique qualifiée de ciseau tarifaire ;
Considérant que les explications des requérantes, selon lesquelles le prix de la CTA avait été fixé à un niveau élevé pour ne pas compromettre l'équilibre économique de l'opérateur mobile qui cherchait par ailleurs, dans l'intérêt du consommateur, à favoriser le développement de la téléphonie mobile en pratiquant des prix bas sur les appels sortant, n'exclut pas que ce niveau de prix ait été également retenu dans une autre perspective, précisément celle, dans le cadre d'une politique tarifaire coordonnée au niveau du groupe, de fixer les prix de détail des appels entrants sur les marchés considérés à un niveau tel qu'ils constituent un frein à la concurrence d'éventuels candidats à l'entrée sur ce marché ;
Considérant par ailleurs que SFR, qui stigmatise le comportement de France Télécom et sa politique tarifaire agressive, n'est pas fondée à soutenir qu'elle aurait été dans la nécessité de mettre en œuvre une pratique de ciseau tarifaire de même nature que celle qu'elle reproche à son concurrent seulement pour lui résister ; que le Conseil a pertinemment souligné qu'il appartenait à Cegetel d'aligner son comportement, non pas sur celui de France Télécom, mais sur celui de l'association qui a saisi l'autorité de régulation ;
Considérant que, pour contester que les pratiques qui leur sont ainsi reprochées aient pu avoir un quelconque effet anticoncurrentiel, les sociétés requérantes exposent que les autres opérateurs de téléphonie fixe souhaitant présenter à leur clientèle des prestations relatives aux appels fixe vers mobile disposaient d'une solution alternative pour se dispenser d'intégrer dans leurs coûts la CTA imposés par Orange ou SFR, cette charge n'étant due que dans le cas d'interconnexion directe, laquelle pouvait être contournée en ayant recours à la pratique dite du reroutage international, laquelle consistait à diriger artificiellement les appels des clients vers un opérateur étranger qui les acheminait ensuite vers le réseau de téléphonie mobile du correspondant appelé ; que ce détour était financièrement avantageux dans la mesure où l'opérateur étranger était dispensé de payer la CTA au prix fort ;
Mais considérant, outre qu'un tel contournement, ainsi que l'a justement démontré le Conseil, était techniquement aberrant, ce qui suffit à établir qu'il n'y avait lieu d'y recourir que pour contourner un obstacle lui-même paradoxal, que France Télécom s'est d'ailleurs efforcée, tout au long de la période, de le rendre financièrement moins attractif par la négociation de multiples accords particuliers à cette fin avec les opérateurs étrangers ;
Considérant, quel qu'ait été le résultat de ces efforts, sans même qu'il soit nécessaire de départager les requérantes qui soutiennent que ces accords n'ont pas eu pour effet de faire disparaître le reroutage international, lequel aurait trouvé d'autres voies et se serait même encore accru pendant la période, et la décision du Conseil qui conduit à penser que le reroutage n'est plus demeuré une alternative effective après avril 1999, que la seule circonstance que France télécom se soit employée à multiplier de tels accords éclaire sa pratique de prix en montrant son intérêt à préserver l'efficacité de sa pratique de ciseau tarifaire ; que la politique de prix de Cegetel s'est inscrite dans la même logique ;
Considérant que, pour établir que les pratiques incriminées avaient bien eu les effets anticoncurrentiels qu'elles renfermaient, le Conseil a relevé, s'agissant de celle imputée à France Télécom, qu'aucun opérateur autre qu'elle même ne s'était interconnectée au réseau Orange France avant juillet 2000, sans que cette circonstance pût se justifier par aucune contrainte technique ; qu'il a également retenu que dans un courrier du 6 février 2001, Cegetel avait indiqué qu'elle n'avait pu répondre à des appels d'offres de 1999 portant sur le trafic fixe vers mobile émanant des groupes Axa, Saint Gobin, Otis, Total, Pechiney et Elf pour un chiffre d'affaires total de plus de 100 MF ;
Considérant que la pratique de même nature reprochée à SFR Cegetel a nécessairement eu, au moins potentiellement, des effets comparables ; que cette dernière entend néanmoins se démarquer de France Télécom en soulignant que sa position sur le marché aval des appels fixe vers mobiles, loin d'être dominante, était encore marginale à l'époque des faits incriminés ;
Mais considérant que le Conseil a exactement et complètement expliqué, après avoir rappelé que la pratique incriminée doit être examinée en gardant à l'esprit qu'elle est mise en oeuvre par un groupe verticalement intégré dont deux branches interviennent sur des marchés distincts et que, en l'espèce, c'est moins la position de Cegetel sur le marché des appels fixe vers mobile qui caractérise la pratique, mais celle, quasi monopolistique, de SFR sur le marché de la charge de terminaison d'appel vers le réseau mobile qu'elle exploite ; que c'est précisément l'articulation de la politique de prix coordonnés du groupe sur ces deux marchés qui caractérise l'effet de ciseau tarifaire incriminé ;
Considérant, en définitive, que la décision déférée a retenu à bon droit les griefs reprochés aux requérantes ; que les recours de France Télécom et de SFR Cegetel doivent être rejetés ;
Sur les sanctions :
Considérant que, pour déterminer le montant des sanctions pécuniaires infligées à chacune des requérantes, le Conseil s'est justement référé aux dispositions de l'article L.464-2 du Code de commerce dans la rédaction de ce texte applicable avant l'entrée en vigueur de la loi du 15 mai 2001, selon lesquelles « Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 % du chiffre d'affaires hors taxe réalisé en France au cours du dernier exercice clos. » ;
Considérant que le Conseil a observé à juste titre que la circonstance que le marché désigné en l'espèce comme pertinent n'avait pas été encore identifié comme tel à l'époque des faits pour l'application de la réglementation sectorielle était sans incidence sur la réalité économique et la situation qu'il lui appartenait d'apprécier au regard du droit de la concurrence ; qu'il a opportunément distingué, s'agissant de la gravité des faits, le rôle d'opérateur historique de France Télécom de celui de SFR Cegetel, nouvel entrant sur le marché, tout en retenant que la pratique imputée à cette dernière avait eu une ampleur plus forte et une durée plus longue ;
Considérant par ailleurs que le Conseil, tout en reconnaissant que le dommage à l'économie ne pouvait être mesuré exactement, a relevé à juste titre que l'Autorité de régulation des télécommunications avait estimé que le prix de la CTA pratiqué par les deux opérateurs en cause était excessif et leur avait imposé une diminution ; que France Télécom avait bénéficié d'un surprofit du fait du caractère trop élevé de la CTA facturée et que, comme toute pratique d'éviction entraîne nécessairement un affaiblissement de la concurrence, les pratiques incriminées avaient nécessairement faussé le jeu de la concurrence en retardant l'entrée de nouveaux opérateurs sur le marché de la téléphonie fixe vers mobile ;
Considérant enfin que le Conseil a évalué la situation particulière des sociétés mises en cause avant de fixer le montant de la sanction pécuniaire infligée à chacune ; que c'est ainsi dans le respect des dispositions ci-dessus rappelées de l'article L.464-2 du Code de commerce et par une exacte appréciation des circonstances de la cause que France Télécom et SFR Cegetel ont été sanctionnées ; que leurs recours seront rejetés ;
Considérant, en conséquence, que la demande d'application de l'article 700 du Code de procédure civile présentée par France Télécom ne peut être accueillie ;
* *
PAR CES MOTIFS :
DIT que les moyens nouveaux ne sont pas recevables,
REJETTE les recours,
CONDAMNE France Télécom et SFR Cegetel aux dépens,
DÉBOUTE France Télécom de sa demande d'application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu l'article 48-1 du décret no 2002-689 du 30 avril 2002 modifié par le décret no 2005-1668 du 27 décembre 2005, dit que sur les diligences du greffier en chef de la Cour d'Appel de PARIS, le présent arrêt sera notifié, par lettre recommandée avec accusé de réception, à la Commission européenne, au Conseil de la concurrence et au ministre chargé de l'Economie ;
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,