RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
22ème Chambre B
ARRET DU 18 Mars 2008
(no , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 06/10003
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 12 Avril 2006 par le conseil de prud'hommes de PARIS RG no 02/7190
APPELANTS
Me Laurence RIFFIER - Liquidateur judiciaire de la société MCI
205, avenue Georges Clémenceau
Immeuble "Le Clémenceau I"
92000 NANTERRE
représenté par Me Frédéric NAQUET, avocat au barreau de PARIS, toque : B 386
Madame Madelaine Y...
...
75017 PARIS
représentée par Me Romuald MOISSON (SCP MOREL - CHADEL - Z...), avocat au barreau de PARIS, toque : P 105
INTIMÉES
Madame Madelaine Y...
...
75017 PARIS
représentée par Me Romuald MOISSON (SCP MOREL - CHADEL - Z...), avocat au barreau de PARIS, toque : P 105
Me Laurence RIFFIER - Liquidateur judiciaire de la société MCI
205, avenue Georges Clémenceau
Immeuble "Le Clémenceau I"
92000 NANTERRE
représenté par Me Frédéric NAQUET, avocat au barreau de PARIS, toque : B 386
AGS CGEA IDF OUEST
...
92309 LEVALLOIS-PERRET CEDEX
représenté par Me Renée BOYER CHAMMARD (LAFARGE ET ASSOCIES), avocat au barreau de PARIS, toque : T10 substitué par Me Anne COLMET B..., avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 4 Février 2008, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Philippe LABRÉGÈRE, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Brigitte BOITAUD, Présidente
Monsieur Philippe LABRÉGÈRE, Conseiller
Monsieur Daniel FONTANAUD, Conseiller
Greffière : Mademoiselle Ingrid JOHANSSON, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé publiquement par Madame Brigitte BOITAUD, Présidente
- signé par Madame Brigitte BOITAUD, présidente et par Mademoiselle Ingrid JOHANSSON, greffière présente lors du prononcé.
LA COUR,
Statuant sur les appels formés par la société MANAGEMENT & CONSEIL INFORMATIQUE (MCI) et par Madeleine Y... d'un jugement contradictoire du Conseil de Prud'hommes de Paris en formation de départage en date du 12 avril 2006 ayant fixé la créance de Madeleine Y... au redressement judiciaire de la société à la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral, prononcé la mise hors de cause de l'AGS et débouté la salariée du surplus de sa demande ;
Vu les dernières écritures et observations orales à la barre en date du 4 février 2008 du mandataire liquidateur de la société MCI appelante et intimée qui sollicite de la Cour la réformation du jugement entrepris et conclut au débouté de la demande ;
Vu les dernières écritures et observations orales à la barre en date du 4 février 2008 de Madeleine Y..., appelante et intimée, qui sollicite de la Cour la réformation du jugement entrepris, le prononcé de la résiliation de son contrat de travail et la fixation de sa créance à la somme complémentaire de :
96 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
48 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral
12 005,25 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis
1 200,52 euros au titre des congés payés
10 004,36 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement
32 928,96 euros à titre de rappel de salaire
3 292,89 euros au titre des congés payés
sa créance devant être garantie par l'AGS dans la limite du plafond légal, la remise d'un certificat de travail, d'une attestation ASSEDIC et de bulletins de paye conformes et le versement de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu les dernières écritures et observations orales à la barre en date du 4 février 2008 de l'UNEDIC délégation AGS CGEA IDF OUEST intimée qui s'associe aux conclusions du mandataire liquidateur de la société intimée, conclut au débouté de la demande de la salariée et sollicite de la Cour à titre subsidiaire qu'il soit constaté qu'elle ne devra procéder à l'avance des créances visées aux articles L 143-11-1 du code du travail que dans les conditions résultant des dispositions des articles L 143-11-7 et L 143-11-8 dudit code, sa garantie ne devant pas excéder le plafond 13 ;
SUR CE, LA COUR
Considérant qu'il est constant que Madeleine Y... a été embauchée à compter du 19 juillet 2000 par la société MCI par contrat de travail à durée indéterminée en qualité de comptable gestionnaire recouvrement ; qu'à la date de son licenciement elle percevait une rémunération mensuelle brute de 3 087,09 euros et était assujettie à la convention collective SYNTEC ; que l'entreprise employait de façon habituelle plus de dix salariés ;
Que le 12 avril 2002 l'intimée a été désignée représentant syndical auprès du Comité d'entreprise ; qu'elle a été convoquée par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 9 septembre 2002 à un entretien le 16 septembre 2002 en vue de son licenciement pour motif économique ; que l'inspection du travail a refusé de donner son autorisation pour procéder au licenciement par décision en date du 13 novembre 2002 ; qu'elle a renouvelé son refus le 3 septembre 2003, cette décision étant confirmée par le Ministre du Travail le 2 mars 2004 ;
Que par jugement en date du 28 janvier 2003, la société MCI a été admise au bénéfice du redressement judiciaire ; qu'à la suite de la résolution du plan de continuation, la liquidation judiciaire de la société a été prononcée le 18 octobre 2007 par le tribunal de commerce de Nanterre ;
Que par courrier en date du 30 octobre 2007, le mandataire liquidateur a fait savoir à l'intimée qu'il envisageait son licenciement, le jugement de liquidation judiciaire qui n'était pas assorti d'une autorisation de poursuite d'exploitation emportant de plein droit cessation de toute activité et fermeture définitive de la société ; qu'à la suite de la saisine de l'inspection du travail par le mandataire liquidateur, celle-ci, par décision en date du 27 décembre 2007, a de nouveau refusé de donner son autorisation au licenciement de l'intimée ;
Que l'appelante a saisi le Conseil de Prud'hommes dès le 4 juin 2002 en vue d'obtenir le paiement d'un rappel de salaires ;
Considérant que le mandataire liquidateur de la société MCI soutient que la société ne s'est livrée à aucun harcèlement moral sur la personne de l'intimée ; que la société a dû procéder à un petit licenciement collectif dès le mois d'août 2002 au sein du département administratif auquel appartenait l'intimée puis à deux plans de sauvegarde de l'emploi ; que la prime sur objectif lui a été versée dans son intégralité ; que l'intimée revendique en réalité le versement d'une prime exceptionnelle à caractère discrétionnaire ; que la demande de résiliation du contrat de travail est dépourvue de fondement et se heurte à la décision de l'inspection du travail en date du 27 décembre 2007 ;
Considérant que Madeleine Y... expose qu'elle a été victime d'un harcèlement moral justifiant la résiliation de son contrat de travail à compter du 18 octobre 2007 ; que son employeur ne lui a pas fixé d'objectifs dont la réalisation conditionnait le versement de l'intégralité de la part variable de son salaire ;
Considérant que l'UNEDIC DELEGATION AGS CGEA IDF OUEST fait valoir que sa garantie ne peut être mise en oeuvre en l'absence d'une manifestation du liquidateur de son intention de procéder au licenciement de l'intimée dans les quinze jours suivant la liquidation judiciaire de la société ;
Considérant qu'en application de l'article L 122-49 du code du travail, le harcèlement moral doit consister en des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits ou à la dignité du salarié, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ;
Considérant qu'il résulte des pièces versées aux débats qu'à la suite de la première décision de l'inspection du travail refusant de donner son accord au licenciement de l'intimée, celle-ci s'est trouvée dans une situation de total isolement ; qu'elle n'avait plus à sa disposition le moindre outil de travail, n'était plus dotée d'un ordinateur et n'était plus connectée au réseau de l'entreprise ; qu'elle a saisi son employeur de cette situation dès le 29 janvier 2003, sans que celui-ci apporte la moindre amélioration à ses conditions de travail et malgré l'intervention de délégués syndicaux ; qu'elle a signalé cet isolement aux services de police par une déclaration enregistrée le même jour ; qu'au lieu de tenter de lui fournir un travail la société MCI a décidé de la mettre en disponibilité à compter du 10 février 2003 ; que l'intimée a continué d'émettre des protestations sur ses conditions de travail au moyen de courriers en date des 2 mai et 10 septembre 2003 restés sans réponse ; que cette situation qui a perduré a entraîné de graves répercussions sur l'état de santé de l'intimée puisqu'elle a fait l'objet de plusieurs arrêts de travail puis a été classée en deuxième catégorie d'invalides à compter du 1er septembre 2006 et enfin a été déclarée inapte à tous postes dans l'entreprise par la médecine du travail le 21 septembre 2006 ; que la situation économique dans laquelle se trouvait l'entreprise ne peut justifier la totale passivité de l'employeur à mettre fin à l'isolement de sa salariée ni son refus de rechercher un reclassement, stigmatisé tant par l'inspection du travail que par le ministre du travail dans les différentes décisions prises par ces autorités à l'occasion de la mise en oeuvre des procédures de licenciement ; que cette abstention fautive constitue en outre une violation par l'employeur de ses obligations résultant du contrat de travail ; que l'intimée est en droit de solliciter la résiliation de son contrat de travail ; qu'une telle résiliation imputable à l'employeur produit les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Considérant qu'aux termes du contrat de travail en date du 23 octobre 2000, la part variable de la rémunération de l'intimée en cas de réalisation d'objectifs s'élevait à la somme de 9000 francs versée tous les trois mois ; que cette part variable figurait sur les bulletins de paye sous la forme d'une prime sur objectif versé le mois suivant le trimestre de référence ; que les sommes versées à ce titre n'ont jamais été identiques mais dépassaient cependant la somme de 9 000 francs ; qu'à compter d'avril 2002 l'intimée n'a perçu de façon régulière que 1 372,04 euros ; que cette somme était conforme à celle au versement de laquelle l'employeur s'était engagé en cas de réalisation d'objectifs ; que l'intimée ne démontrant pas l'existence d'un autre engagement de l'employeur susceptible de justifier sa demande, il convient de confirmer le jugement l'ayant déboutée ;
Considérant que l'appelante ne soulève aucune contestation sur le droit de l'intimée à revendiquer une indemnité compensatrice de préavis ; qu'il convient de l'évaluer à la somme de 9 261,27 euros et à 926,12 euros l'indemnité de congés payés ; que l'indemnité conventionnelle doit être évaluée à la somme de 7 717,72 euros en application de l'article 19 de la convention collective ;
Considérant que l'intimée est âgée de 48 ans et jouit d'une ancienneté de plus de sept années au sein de la société ; qu'en raison de son état de santé sa situation professionnelle compromise ; qu'il convient en conséquence d'évaluer le préjudice subi par elle à la somme de 31 000 euros conformément à l'article L122-14-4 du code du travail ;
Considérant que les premiers juges ont exactement évalué le préjudice subi par l'intimée du fait du harcèlement moral qu'elle a subi ; qu'il convient de confirmer le jugement entrepris ;
Considérant qu'il convient d'ordonner la remise d'une attestation ASSEDIC et d'un certificat de travail;
Considérant aux termes de l'article L143-11-2 du code du travail que les créances résultant du licenciement des salariés bénéficiaires d'une protection particulière relative au licenciement sont couvertes par l'assurance dès lors que le liquidateur a manifesté son intention de rompre le contrat de travail au cours des quinze jours suivant le jugement de liquidation judiciaire ;
Considérant qu'il résulte de la décision en date du 27 décembre 2007 que le mandataire liquidateur a saisi l'inspection du travail le 21 novembre 2007 ; que la date de la saisine de ces services constituant la manifestation du liquidateur de son intention de rompre le contrat de travail, celle-ci est survenue alors que le délai de quinze jours exigé par l'article L143-11-1 du code du travail était expiré, le jugement de liquidation ayant été prononcé le 18 octobre 2007 ; qu'en conséquence l'UNEDIC n'est pas tenue à garantie ;
Considérant qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de chaque partie les frais qu'elle a dû exposer, tant devant le Conseil de Prud'hommes qu'en cause d'appel, et qui ne sont pas compris dans les dépens.
PAR CES MOTIFS
REFORME le jugement entrepris,
PRONONCE la résiliation du contrat de travail de Madeleine Y...,
FIXE la créance de Madeleine Y... au passif de la liquidation judiciaire de la société MCI à la somme de :
- 9 261,27 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis
- 926,12 euros au titre des congés payés
- 7 717,72 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement
- 31 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
DIT que l'UNEDIC délégation AGS n'est pas tenue à garantie,
ORDONNE la remise d'une attestation ASSEDIC et d'un certificat de travail conformes,
CONFIRME pour le surplus le jugement entrepris,
MET les dépens au passif de la liquidation judiciaire de la société MCI.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE