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19/02/2008 | FRANCE | N°05/8491

France | France, Cour d'appel de Paris, Ct0135, 19 février 2008, 05/8491


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS
21ème Chambre C

ARRET DU 19 Février 2008
(no, pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 05 / 08491

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 06 Juillet 2005 par le conseil de prud'hommes de PARIS section commerce RG no 04 / 03536

APPELANT

1o- Monsieur Juan- Paolo A...
...
94360 BRY SUR MARNE
comparant en personne, assisté de Me Mounir BENNOUNA, avocat au barreau de PARIS, toque : R214

INTIMEE

2o- SA OMNIUM D

E GESTION ET DE FINANCEMENT- O. G. F.
31 rue de Cambrai
75946 PARIS CEDEX 19
représentée par Me Olivier KHATCHIKIAN, avocat a...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS
21ème Chambre C

ARRET DU 19 Février 2008
(no, pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 05 / 08491

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 06 Juillet 2005 par le conseil de prud'hommes de PARIS section commerce RG no 04 / 03536

APPELANT

1o- Monsieur Juan- Paolo A...
...
94360 BRY SUR MARNE
comparant en personne, assisté de Me Mounir BENNOUNA, avocat au barreau de PARIS, toque : R214

INTIMEE

2o- SA OMNIUM DE GESTION ET DE FINANCEMENT- O. G. F.
31 rue de Cambrai
75946 PARIS CEDEX 19
représentée par Me Olivier KHATCHIKIAN, avocat au barreau de PARIS, toque : G0619,

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du nouveau Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 Janvier 2008, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Marie- Pierre DE LIEGE, Présidente, chargée d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Marie- Pierre DE LIEGE, président
Mme Irène LEBE, conseiller
Mme Hélène IMERGLIK, conseiller

Greffier : Mme Anne- Marie CHEVTZOFF, lors des débats,

ARRET :

- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile.
- signé par Mme Marie- Pierre DE LIEGE, présidente et par Mme Anne- Marie CHEVTZOFF, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LES FAITS
M. Juan Paolo A... a été engagé le 21 janvier 2002 en qualité d'agent spécial de funérarium affecté au secteur de Nanterre, suivant contrat à durée indéterminée, par la SA OGF (Omnium de gestion et de financement).
Après un entretien préalable fixé le 8 mars 2004, il était licencié, par LRAR du 17 mars 2004, à la fois pour inaptitude médicale et par ailleurs pour faute grave, pour avoir exercé un chantage et porté des accusations contre diverses personnes de la société qui l'employait.
M. Juan Paolo A... saisissait alors le conseil de prud'hommes de Paris le 12 mars 2004.
Celui- ci, par jugement du 6 juillet 2005, section commerce chambre 2, déboutait M. Juan Paolo A... de l'ensemble de ses demandes.
M. Juan Paolo A... a formé appel incident, estimant que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Il soutient que les relations entre son employeur et lui- même se sont dégradées après qu'il ait été témoin le 26 mars 2002 de faits de nécrophilie exercés par un de ses collègues sur une jeune défunte, faits auxquels M. Juan Paolo A... considère que son employeur n'a pas donné la suite appropriée à l'égard de leur auteur, alors qu'il aurait cherché en revanche, à mettre fin aux relations de travail avec lui- même, témoin des faits, gravement choqué par ceux- ci, en l'accusant notamment d'exercer un chantage et de tenter de monnayer son silence.
Considérant que son employeur a induit la décision d'inaptitude prononcée par le médecin du travail, l'a soumis à des agissements répétés constitutifs de harcèlement moral aux fins d'obtenir sa démission, n'a pas satisfait à son obligation de reclassement et l'a finalement licencié en lui faisant des reproches non fondés, M. Juan Paolo A... demande à la cour de réformer le jugement du 6 juillet 2005 et de déclarer son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Il sollicite en conséquence que la SA OGF soit condamnée à lui verser les sommes suivantes :
-39. 476, 64 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
-3. 289, 72 euros à titre d'indemnité de préavis et 328, 97 euros pour congés payés sur préavis,
-328, 97 euros à titre d'indemnités de licenciement,
-20. 000 euros pour préjudice moral ;
-1. 917, 28 euros à titre de rappel de salaires pour la période du 6 janvier au 18 mars 2004 et 191, 72 euros pour congés payés afférents ;
-3. 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
La SA OGF a fait appel incident.

Elle affirme que M. Juan Paolo A... n'a pas souhaité participer au processus visant à assurer son reclassement à la suite de l'inaptitude déclarée par le médecin du travail mais a développé à plusieurs reprises au cours des mois précédant le licenciement une stratégie de chantage relatif aux événements dont il avait été témoin en mars 2002, tentant d'en obtenir réparation pécuniaire. Rappelant qu'en outre M. Juan Paolo A... bénéficiait d'un logement de fonction qu'il n'avait finalement libéré qu'en 2006, après saisine du tribunal de grande instance de Créteil, la SA OGF plaide que l'employeur peut invoquer dans la lettre de licenciement, des motifs de rupture différents dès lors qu'ils procèdent de faits distincts.
Elle demande à la cour de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a débouté le salarié de l'ensemble de ses demandes, de relever que celui- ci a instrumentalisé des faits dont il n'était pas personnellement victime pour obtenir indûment des avantages financiers de la part de son employeur, de constater qu'il a été déclaré définitivement inapte à son poste et que son reclassement s'est avéré impossible et d'en déduire que le licenciement prononcé à l'encontre de M. Juan Paolo A... était légitime, celui- ci n'ayant été victime d'aucune espèce de harcèlement moral.
Subsidiairement la SA OGF soutient que M. Juan Paolo A... justifiant d'une ancienneté inférieure à deux ans, compte tenu de ses arrêts maladie, ne peut prétendre ni à l'indemnité de préavis ni à l'indemnité de licenciement.
Elle demande reconventionnellement la condamnation du salarié à lui payer la somme de 15. 000 euros au titre de dommages et intérêts pour procédure et appel abusif et 3. 000 euros   en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'entreprise compte environ 6000 salariés, répartis dans un ensemble de sites sur le territoire national.
Le salaire brut moyen mensuel de M. Juan Paolo A..., 13e mois inclus, est de 1. 644, 86 euros
La convention collective applicable est la convention collective nationale des pompes funèbres.

LES MOTIFS DE LA COUR :
Vu le jugement du conseil de prud'hommes, les pièces régulièrement communiquées et les conclusions des parties, soutenues oralement à l'audience, auxquels il convient de se référer pour plus ample information sur les faits, les positions et prétentions des parties.

Sur les circonstances et le contexte ayant conduit au licenciement de M. Juan Paolo A... :
Il est constant que M. Juan Paolo A... qui travaillait depuis deux mois à la SA OGF a été témoin le 26 mars 2002, sur son lieu de travail, d'actes de nécrophilie à caractère sexuel, commis par un de ses collègues sur la personne d'une jeune défunte, mineur de 16 ans, qui s'était suicidée. Ces faits, commis par un salarié présent depuis 18 ans dans l'entreprise et au surplus délégué syndical, M. R. ont été immédiatement relatés par M. Juan Paolo A... à son supérieur hiérarchique immédiat M. William JACQUES. Celui ci s'est rendu immédiatement dans la chambre froide où était entreposé le corps de la jeune fille et y a constaté ce qu'il a relaté en ces termes le 30 mai 2002 au commandant de police du commissariat de Nanterre : « M. Juan Paolo A... est descendu et presque aussitôt est remonté tout retourné et décomposé. Il m'a dit « William, tu ne sais pas ce qui se passe en bas, y a R. qui est en train de peloter les seins, de rouler les tétons, on dirait qu'il jouit dessus ». Étant choqué, je suis descendu avec M. Juan Paolo A.... Là j'ai vu que la housse était ouverte jusqu'à la taille et la jeune fille était en culotte, le torse en l'air. M R. m'a dit ce : « hein elle est belle ». J'ai dit oui, pour être belle elle est belle. Après il a récidivé il m'a dit mot pour mot « vas- y touche la » tu peux le faire parce que Duarte l'a fait avant toi... On voyait que Duarte était atteint au moral, écoeuré. Surtout il est religieux. Je sais très bien qu'il n'aurait pu faire cela.... Ensuite Paolo a dit qu'il ne se sentait pas bien, qu'il voulait en parler à quelqu'un, il m'a demandé conseil. Je lui ai dit de faire ce qu'il jugeait bon pour sa conscience. Par contre je lui ai signalé qu'en parlant il mettrait fin à la carrière de R. Il a fini par appeler M. BIZIEN (le directeur du funérarium de Nanterre) qui était en réunion ».
Il est également constant qu'à la suite de ces faits, l'employeur convoquait M. R., qui à la suite de cette convocation donnait sa démission, sans faire l'objet, de sanctions. Il aurait ensuite été très rapidement réembauché par une autre société de pompes funèbres à Colombes, ce qui n'est pas utilement contesté.
Deux mois plus tard, soit le 28 mai 2002, M. Juan Paolo A... se rendait, sur le conseil d'un policier rencontré la veille, au commissariat de Nanterre où il déclarait : « je maintiens les propos que j'ai tenus hier auprès de votre collègue M. F qui était venu faire un départ de corps au funérarium de Nanterre. En fait je lui ai parlé parce que cette affaire me travaille depuis les faits. Je suis croyant et j'en arrive à ne plus dormir la nuit. Je transpire durant la nuit. J'en ai parlé à ma femme. Je suis sûr pour ma part que les âmes existent après la mort et que cette petite réclame d'être lavée de ces choses. Je suis pour ma part employé au funérarium depuis le 21 janvier 2002. Je suis le plus jeune au funérarium et les plus anciens le prennent moins à coeur que moi. William est touché, mais il en a vu d'autres... Hier je l'ai signalé à votre collègue parce que cette affaire me travaille personnellement. De plus ils se foutent de notre gueule. C'est le sentiment que j'ai, car R. depuis, est embauché à Pompes funèbres et Traditions comme porteur.... Il y a une semaine de cela je l'ai retrouvé ainsi au funérarium. Il convoyait un autre corps. C'était une femme. Il a encore ouvert la housse devant moi, nu et ses gestes et son regard en disaient long. Cela m'a énervé.
D'autre part, je constate que M. Bizien le directeur du funérarium de Nanterre me laisse tranquille, alors qu'avant il n'hésitait pas à me reprocher un mauvais rasage ou autre. Il a été jusqu'à, avant- hier, me proposer une demande de logements à l'OPHLM, sachant que je suis petitement logé et éloigné de mon lieu de travail. Je sens qu'il est mal à l'aise avec cette histoire. Je m'en fous des conséquences éventuelles pour moi. Cette histoire me travaille trop. J'en suis à penser que la jeune femme réclame mon intervention. Je vous répète que je suis croyant. Il faut un minimum de respect. Je ne travaille pas dans des conditions comme ça. Je suis soulagé de vous avoir parlé. R. n'est pas méchant. Et j'ai rigolé plusieurs fois avec lui,.... Mais là, ça me travaille trop. Eux ils n'ont pas vu ce qu'il a fait. Ils n'ont pas à vivre avec ».
Le directeur du funérarium, M. BIZIEN entendu par les policiers le 30 mai 2002 a déclaré " je suis revenu au funérarium où j'ai trouvé vers 20 heures M. Jacques et M. R.... Finalement après un bon moment il a avoué qu'il avait touché les seins... J'ai appelé M. MARKACZ mon directeur pour lui expliquer ce que M. A... avait vu. En plus, comme j'avais certains doutes à son sujet, des bruits qui couraient sur son attitude, j'ai expliqué tout cela. Finalement le lendemain ou le surlendemain nous avons reçu M. R.. Lui ayant signalé que son attitude était inadmissible, nous lui avons fait confirmer ce qu'il avait avoué, à l'issue de quoi nous lui avons demandé de donner sa démission sur- le- champ. Il a accepté le fait sans faire de difficultés. Je précise que ce monsieur était délégué syndical, que si on avait dû le licencier, le fait serait remonté au niveau national. Nous avons choisi de régler cette affaire en interne ».
Il est également constant que cette procédure d'enquête préliminaire s'est terminée par une convocation devant le délégué du Procureur de la république pour un rappel à la loi et classement sans suite.
Par avenant du 1er août 2002, M. Juan Paolo A... acceptait une mutation au sein du secteur opérationnel de Saint- Maur à compter du 1er septembre 2002. Cet avenant stipulait le bénéfice d'un logement de fonction à partir du 1er octobre 2002.
Cependant, au cours des mois qui ont suivi, M. Juan Paolo A... qui indique souffrir d'une maladie orpheline évolutive, la maladie de Romberg, a été placé en arrêt de travail à plusieurs reprises, pour un total de 65 jours, cette maladie évolutive étant manifestement ré- activée par le stress subi par le salarié.
Il est également établi qu'au cours de la même période les relations se sont sensiblement dégradées entre M. Juan Paolo A... et son employeur, ce dernier affirmant que le salarié ou une autre personne se faisant passer pour lui, aurait proféré des menaces et tenté d'exercer un chantage. Certains de ces faits, qui sont contestés par M. Juan Paolo A..., ont fait l'objet d'un avertissement, le 29 mars 2003, avertissement qui n'a pas été contesté par le salarié bien que celui- ci ait affirmé ne pas en être l'auteur.
Le 5 janvier puis le 19 janvier 2004 M. Juan Paolo A... passait deux visites médicales à l'issue desquelless le médecin du travail le déclarait inapte au poste d'agent spécial du funérarium précisant : « pourrait effectuer un travail ne comportant pas d'astreinte de nuit, ni de contacts fréquents avec le public, comme employé de funérarium, préparateur, employé de cimetière ».
À la suite de cet avis d'inaptitude, l'employeur adressait le 28 janvier 2004 puis le 11 février 2004 diverses propositions de reclassement à M. Juan Paolo A..., que celui- ci refusait ou auxquelles il ne donnait pas suite, prétendant que la SA OGF aurait demandé au médecin du travail de le déclarer inapte ; accusations contre laquelle l'employeur réagissait par écrit par une seconde lettre en date du 11 février 2004, rappelant à l'intéressé qu'il avait la possibilité de contester la décision du médecin du travail « selon les formes et modalités prévues par la loi ». M. Juan Paolo A... n'a pas recouru à cette possibilité.

Sur la rupture du contrat de travail de M. Juan Paolo A... :
La lettre de licenciement adressée à M. Juan Paolo A... est rédigée comme suit : " vous avez passé le 19 janvier 2004 une visite médicale... et le médecin du travail vous a déclaré « inapte au poste d'agent spécial de funérarium ». Son avis était complété par les indications tendant à votre reclassement dans la mesure où vous ne pouviez plus exercer vos précédentes fonctions : « pourrait effectuer un travail ne comportant pas d'astreintes de nuit, ni de contacts fréquents avec le public, comme employée de funérarium, préparateur, employé de cimetière »... Nous nous sommes donc immédiatement mis en recherche d'un poste répondant à ces caractéristiques, ce qui, compte tenu de notre activité, ouvrait un champ de possibilités de reclassement très restreint. Nous avons néanmoins identifié un poste de marbrier et vous avons proposé par courrier AR du 28 janvier 2004 le poste d'ouvrier spécialisé premier échelon sur le secteur opérationnel de Saint- Denis. Le contenu de ce poste correspondait parfaitement à votre aptitude médicale ce qui nous a été confirmé par le médecin du travail. Par courrier AR daté du 30 janvier 2004 vous avez rapidement décliné cette proposition nous faisant part de votre désaccord quant à de cette opportunité d'être reclassé. Toutefois et dans la mesure où ce poste était un des rares au sein de notre société à répondre strictement aux principales restrictions d'emploi vous concernant, nous avons réitéré cette proposition par courrier AR du 11 février 2004, allant même jusqu'à vous proposer ce type de postes sur l'ensemble des localisations en France où il était disponible de façon à ne pas se limiter géographiquement. Par ailleurs nous avons approfondi notre recherche en poussant plus avant nos investigations pour trouver tout autre type de poste et nous avons élargi nos propositions sur un poste à caractère administratif et sur un poste d'ébéniste. Encore une fois, cela s'est fait avec l'assentiment du médecin du travail. Nous avons même indiqué que nous étions disposés si vous acceptez le poste d'agent de planning par exemple, de prévoir une période d'adaptation et de financer une formation qui vous aurait permis d'occuper ce genre d'emploi. Vous n'avez pourtant pas donné suite à l'ensemble de ces propositions. Lors de l'entretien, vous avez réitéré votre refus d'être reclassé en vous plaçant dans une optique purement extra professionnelle, à savoir celle consistant à déplorer qu'un tel reclassement ferait perdre votre logement de fonction.
De ce premier chef, votre licenciement est inéluctable du fait de votre inaptitude médicale à occuper votre emploi et de l'impossibilité de vous reclasser à raison de votre position de refus systématique. En outre, au cours des dernières semaines, vous vous êtes livré à un chantage inqualifiable envers la société en nous adressant notamment le 30 janvier 2004 un courrier dans lequel vous invoquez être victime de « harcèlement moral » faisant l'amalgame avec des faits dont vous auriez été en 2002 le témoin, afin d'agiter le spectre de « révélations » susceptibles de ternir l'image d'OGF. L'utilisation opportuniste et artificielle de cette notion de harcèlement moral mais surtout l'exploitation macabre et éhontée de ces faits n'est pas admissible. Vous avez réitéré ce type de chantage par d'autres courriers relatant des événements anciens qui selon vous permettraient aujourd'hui d'extorquer de manière légitime des sommes d'argent à la société. Nous avons cependant pris le soin de vous répondre par courrier AR du 27 février 2004 de manière à mettre clairement un terme à votre tentative de manipulation sordide. Cette cupidité sans scrupules que vous entendez exercer aux dépens de votre employeur a trouvé son paroxysme dans la lettre que vous avez fait adresser par l'Association de défense des citoyens... Le 8 mars dernier, faisant brandir par cette dernière la menace d'une plainte pénale, alors que vous savez parfaitement que la SA OGF n'a commis aucune infraction et que nous n'avons fait preuve d'aucune désinvolture dans cette affaire. Lors de notre entretien, vous avez reconnu vouloir obtenir de la part de la société une réparation pécuniaire compte tenu de ce que vous aviez « subi » et vous avez déclaré vouloir « aller jusqu'au bout » pour parvenir à vos fins. Loin d'exprimer des regrets quant à cet épisode peu glorieux de notre collaboration, vous avez persisté dans vos menaces.
Enfin, vous avez porté envers diverses personnes de graves accusations de nature variée allant jusqu'à remettre en cause par exemple la probité de votre hiérarchie dans ses relations avec le médecin du travail. Aussi compte tenu de ce qui précède et indépendamment de la situation objective rendant impossible la poursuite du contrat de travail, nous considérons que votre attitude est constitutive d'une faute grave ».
Aux termes de cette lettre, le licenciement de M. Juan Paolo A... apparaît donc fondé sur deux causes de nature différente : une inaptitude médicalement constatée à exercer son emploi d'agent spécial de funérarium, inaptitude suivie d'un refus des offres de reclassement, et une attitude constitutive d'une faute grave.
Pour qu'un licenciement soit fondé il doit reposer sur un ou plusieurs griefs, imputables au salarié, qui doivent être objectifs, c'est- à- dire matériellement vérifiables, établis, et exacts c'est- à- dire constituant effectivement la cause réelle de ce licenciement.

La cause doit également être sérieuse, en ce sens que les faits invoqués doivent être suffisamment pertinents pour fonder le licenciement.
Le juge forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toute mesure d'instruction qu'il estime utile.

- Sur la cause du licenciement relatif à l'inaptitude :
À l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à une maladie ou un accident, si le salarié est déclaré par le médecin du travail inapte à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur est tenu de lui proposer un autre emploi approprié à ses capacités, compte tenu des conclusions écrites du médecin du travail et des indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise et aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mutation, transformation de poste de travail ou aménagement du temps de travail.
Le contrat de travail du salarié peut être suspendu pour lui permettre de suivre un stage de reclassement professionnel.
Au moment où son inaptitude a été constatée, M. Juan Paolo A... occupait des fonctions d'agent spécial de funérarium fonctions assorties de la mise disposition d'un logement.
Le médecin du travail l'a déclaré inapte à ce poste mais a dit qu'il pouvait effectuer un travail ne comportant pas d'astreinte de nuit et ni de contact fréquent avec le public, comme employé de funérarium, préparateur, ou employé de cimetière.
Cependant, l'employeur, n'a nullement recherché si un poste d'employé de funérarium ou de préparateur était disponible au sein du funérarium où travaillait M. Juan Paolo A..., ou si son poste pouvait être adapté et son temps de travail aménagé pour répondre aux prescriptions du médecin du travail, ce qui aurait constitué l'une des tâches « aussi comparables que possible à l'emploi précédemment occupé ».
Il lui a proposé un poste d'ouvrier spécialisé à Saint- Denis, puis dans une douzaine d'autres sites, correspondant dans la réalité à des tâches de fossoyage, terrassement, étaiement, ouverture et fermeture de sépultures, travaux d'exhumation ainsi qu'en des tâches d'assistance d'autres ouvriers pour la préparation et le montage de caveaux et de divers travaux relatifs à la mise en bière. Ces emplois, manifestement plus " physiques " que les fonctions jusqu'alors occupées par l'intéressé, correspondaient en outre à un salaire sensiblement inférieur (1. 135, 89 euros) et impliquaient la perte du logement de fonction.
Un tel reclassement qui emportait de manière évidente, et sur plusieurs points, une modification importante du contrat de travail de M. Juan Paolo A... pouvait légitimement être refusé par celui- ci sans pour autant constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement.
Il est d'ailleurs à noter que dans sa lettre de refus du 30 janvier 2004 le salarié indiquait que le poste qu'il occupait actuellement lui convenait parfaitement, mais qu'il ne pouvait effectuer les astreintes de nuit étant donné les évolutions de sa maladie.

Sans prendre en compte l'avis du salarié et sans rechercher une éventuelle adaptation du poste qu'il occupait, solution que celui- ci suggérait clairement et qui apparaissait compatible avec l'avis du médecin du travail, l'employeur lui proposait alors par courrier du 11 février, le même type de poste mais dans une douzaine d'autres sites ajoutant en outre : « nous disposons d'un autre type de poste en adéquation avec les restrictions émises par la médecine du travail... il s'agit d'un poste à caractère administratif à savoir agent de planning. Néanmoins il est nécessaire que nous sachions avant de formuler de manière certaine une telle proposition de reclassement si vous êtes familiarisé avec les outils informatiques (environnement Windows, applications Word et Excell) nous pouvons si tel n'est pas le cas prévoir une période d'adaptation et de formation au poste. À ce jour il existe deux postes vacants d'agent de planning au sein de la société.
Enfin nous avons pu constater que vous étiez titulaire d'un CAP menuiserie. Or nous avons au sein de notre pôle industrie des usines de traitement de bois et de fabrication de cercueils. Afin d'aller plus loin dans l'exploration de reclassement dans cette voie, nous vous serions reconnaissants de bien vouloir nous indiquer si vous disposez ou pas d'une expérience professionnelle dans ce métier ".
La proposition de poste d'agent de planning ne peut être considérée comme une offre sérieuse, le salarié n'ayant manifestement pas les bases exigées et étant peu susceptible de les acquérir à ce moment, vu son état de santé.
Quant à celle relative à la fabrication de cercueils, elle ne saurait s'analyser comme une proposition de reclassement, mais ne constitue qu'une simple " piste " que les parties n'ont pas explorée plus avant.
En conséquence la cour considère que l'employeur n'a pas satisfait de bonne foi à son obligation de recherche de reclassement sur un poste " aussi comparable que possible à celui précédemment occupé ", en faisant notamment l'impasse sur le fait que les postes proposés impliquaient pour le salarié la perte de son logement de fonction. Or, cet avantage en nature était bien évidemment essentiel pour M. Juan Paolo A..., père de famille de deux jeunes enfants, au salaire en tout état de cause modeste, et dans un état de santé sur le plan physique comme sur le plan moral, fort précaire, et en cours de dégradation évidente, ce qui n'est pas utilement contesté, depuis les événements de la fin mars 2002.
Au plan de l'inaptitude, le licenciement de M. Juan Paolo A... apparaît donc dépourvu de cause réelle et sérieuse.

- S'agissant des faits constitutifs de faute grave alléguée à titre de deuxième motif de licenciement par l'employeur :
Celui- ci dans sa lettre de licenciement évoque « au cours des dernières semaines » un " chantage inqualifiable envers la société... une utilisation opportuniste et artificielle de la notion de harcèlement moral et surtout l'exploitation macabre et éhontée " des faits de 2002 ainsi qu'une " cupidité sans scrupules " que le salarié entendait exercer aux dépens de son employeur, en lui faisant adresser le 8 mars 2004 un courrier émanant de l'Association de défenses des citoyens menaçant la SA OGF d'une plainte pénale.
Or il apparaît, connaissance prise des courriers et des propos incriminés, que l'employeur en fait une sur- interprétation. En effet, le fait pour le salarié d'évoquer la réparation du préjudice qu'il estimait avoir subi ou d'évoquer la possibilité d'une action au pénal, n'apparaît pas en l'espèce assimilable à un " chantage inqualifiable " ou une " cupidité sans scrupules ". Elle traduit en revanche de manière évidente le désarroi et la " perturbation psychologique " du salarié, dans ce moment de grandes tensions, tensions dont il est établi par certificat médical qu'elles sont contre indiquées du fait de sa maladie.
La cour note également que des reproches de même ordre avaient déjà été encourus par le salarié au cours des mois précédents, sans que, pour autant, l'employeur ne les qualifie à ce moment de " faute grave ".
En outre, la cour ne peut que relever, que l'employeur, ce faisant, présente sur le mode disciplinaire, une perturbation psychologique développée par son salarié, depuis deux ans et manifestement liée au choc qu'il a subi lorsqu'il a vu son collègue avoir des pratiques totalement inadmissibles sur le corps d'une jeune défunte, sans que ces faits n'aient reçu, ni de la part de l'employeur, ni des institutions, la réponse qu'il estimait appropriée, et ce, alors qu'en ce qui le concerne, M. Juan Paolo A... avait pris ses responsabilités.
Il ressort en effet de l'ensemble des éléments relatés ci- dessus que M. Juan Paolo A..., à l'époque âgée de 29 ans, arrivé depuis moins de deux mois dans l'entreprise, d'une santé précaire liée à sa maladie, et animé de convictions religieuses fortes, a été totalement incapable de faire face au choc auquel il a été exposé, et n'a pas trouvé l'aide et l'écoute dont il avait besoin, pour dépasser cet événement.
Pourtant, il ressort clairement des auditions de M. Jacques et de M. Bizien du 30 mai 2002, qu'à ce moment- là, la situation avait été bien perçue et bien comprise par les représentants de l'employeur. Mais il ressort aussi des déclarations de M. Bizien, que l'employeur avait préféré « régler cette affaire en interne », en renonçant à une sanction et en privilégiant la démission, choix qui avait abouti à ce que le salarié incriminé puisse retrouver une même fonction dans une autre entreprise immédiatement, avec tous les risques de récidive que cela suppose.
Dans de telles circonstances, M. Juan Paolo A..., a, après avoir correctement réagi juste après l'événement, développé de manière évidente un stress post- traumatique, caractéristique des situations de victimation, mais qui, se révélant tardivement et prenant progressivement de l'ampleur, n'a pas été pris en compte comme accident ou maladie professionnelle, comme le souligne l'employeur ni manifestement été traité de manière appropriée.
Aussi, l'employeur qui dans un premier temps a manifestement cherché à trouver une solution satisfaisante sur le plan professionnel pour son salarié mais n'a pas compris le désarroi de celui- ci, l'a vraisemblablement aggravé en laissant croire qu'il banalisait les faits, et a finalement perdu patience, et tenté de justifier un licenciement.
Cependant, la cour considère que les nombreux " appels au secours " formulés par le salarié pendant toute cette période, quand bien même ceux- ci ont pris parfois une forme maladroite et désagréable car accusatrice et menaçante, ainsi que ses arrêts de travail à répétition, s'agissant d'une entreprise de taille importante, dont l'activité même est fondée sur les contacts et la prise en charge de familles en situation de stress important, activité qui requiert un minimum de connaissances dans le domaine de la psychologie et de la victimation, auraient dû amener cet employeur à rechercher une autre solution dans la situation à laquelle il était confronté avec ce salarié.
Il en résulte d'une part que le licenciement de M. Juan Paolo A... est dépourvu de cause réelle et sérieuse, ouvrant droit à réparation au profit du salarié, mais également d'autre part, que par son absence de clairvoyance l'employeur a occasionné à son salarié en détresse, un préjudice moral distinct évident, quand bien même celui- ci ne saurait être assimilé à un harcèlement moral.

Compte tenu des circonstances de l'espèce, de l'ancienneté dans son emploi du salarié, inférieure à deux ans compte tenu des arrêts de travail intervenus, et du préjudice qu'il établit avoir subi, en sa qualité notamment de chargé de famille, n'ayant pas retrouvé d'emploi depuis, la cour fixe à 17. 000 euros la somme due en application de l'article L. 122-14-5 du code du travail.
Par ailleurs, la cour accorde à M. Juan Paolo A... la somme de 5. 000 euros, en réparation de son préjudice moral.

Sur les autres demandes :
S'agissant des rappels de salaire du 19 janvier 2004 au 18 mars 2004, des demandes d'indemnité de préavis et congés payés afférents ainsi que de la demande relative à l'indemnité de licenciement, la cour, le licenciement étant déclaré dépourvu de cause réelle et sérieuse, conformément à la convention collective et la loi, fait droit aux demandes de M. Juan Paolo A..., non utilement contestées par l'employeur quant à leur montant.
Les circonstances de l'espèce amènent, en revanche la cour à débouter la SA OGF de ses demandes reconventionnelles, non fondées.

Sur la demande de dommages et intérêts au titre de l'article 700 du Code de procédure civile :
La Cour considère que, compte tenu des circonstances de l'espèce, il apparaît inéquitable de faire supporter par M. Juan Paolo A... la totalité des frais de procédure qu'il a été contraint d'exposer. Il lui sera donc alloué une somme de 2. 000 euros, à ce titre pour la procédure d'appel.

PAR CES MOTIFS,
En conséquence, la Cour,
Infirme la décision du Conseil de prud'hommes,
Et statuant à nouveau :
Condamne la SA OGF à payer à M. Juan Paolo A... les sommes suivantes :
-17. 000 euros (DIX SEPT MILLE EUROS) à titre d'indemnité pour licenciement abusif en application de l'article L. 122-14-5 du code du travail ;
-3. 289, 72 euros (TROIS MILLE DEUX CENT QUATRE VINGT NEUF EUROS et SOIXANTE DOUZE CENTIMES) à titre de préavis et 328, 97 euros (TROIS CENT VINGT HUIT EUROS et QUATRE VINGT DIX SEPT CENTIMES) pour congés payés afférents ;
-328, 97 euros (TROIS CENT VINGT HUIT CENTIMES et QUATRE VINGT DIX SEPT CENTIMES) à titre d'indemnité de licenciement ;

-1. 917, 28 euros (MILLE NEUF CENT DIX SEPT EUROS et VINGT HUIT CENTIMES) à titre de rappel de salaire et 191, 72 euros pour congés payés afférents ;
-5. 000 euros (CINQ MILLE EUROS) à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;
Déboute M. Juan Paolo A... du surplus de ses demandes ;
Déboute la SA OGF de ses demandes reconventionnelles ;
Condamne la SA OGF à régler à M. Juan Paolo A... la somme de 2. 000 euros (DEUX MILLE EUROS) au titre de l'article 700 du Code de procédure civile pour la procédure d'appel ;
La condamne aux entiers dépens de l'instance.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Ct0135
Numéro d'arrêt : 05/8491
Date de la décision : 19/02/2008

Références :

Décision attaquée : Conseil de prud'hommes de Paris, 06 juillet 2005


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.paris;arret;2008-02-19;05.8491 ?
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