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13/02/2008 | FRANCE | N°06/19853

France | France, Cour d'appel de Paris, Ct0089, 13 février 2008, 06/19853


Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

1ère CHAMBRE - Section N

REPARATION DES DETENTIONS PROVISOIRES

DECISION DU 13 FEVRIER 2008

No du répertoire général : 06/19853

Décision contradictoire en premier ressort

Nous, Marie-José PERCHERON, Conseillère à la Cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assistée de Gilles DUPONT, Greffier lors des débats et du prononcé, avons rendu la décision suivante :

Statuant sur la requête dé

posée le 17 novembre 2006 par Maître Cécile BERNAILLE, avocat substituant Maître Jean-Michel BARGIARELLI, avocat de Mons...

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

1ère CHAMBRE - Section N

REPARATION DES DETENTIONS PROVISOIRES

DECISION DU 13 FEVRIER 2008

No du répertoire général : 06/19853

Décision contradictoire en premier ressort

Nous, Marie-José PERCHERON, Conseillère à la Cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assistée de Gilles DUPONT, Greffier lors des débats et du prononcé, avons rendu la décision suivante :

Statuant sur la requête déposée le 17 novembre 2006 par Maître Cécile BERNAILLE, avocat substituant Maître Jean-Michel BARGIARELLI, avocat de Monsieur Eric Y..., demeurant ... SUR SIEGNE ;

Vu les pièces jointes à cette requête ;

Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire du Trésor notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 16 janvier 2008 à 9 heures 30 ;

Vu l'absence de Monsieur Eric Y... ;

Ouï, Maître Cécile BERNAILLE, avocat plaidant pour Maître Jean-Michel BARGIARELLI, avocat représentant Monsieur Eric Y..., Maître Carole Z..., avocat plaidant pour la SCP UETTWILLER GRELON GOUT CANAT ET ASSOCIES, avocat représentant Monsieur l'Agent Judiciaire du Trésor, ainsi que Madame Lydia GORGEN, avocat général, les débats ayant eu lieu en audience publique, le 16 janvier 2008, le conseil du requérant ayant eu la parole en dernier ;

Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R. 26 à R. 40-7 du code de procédure pénale ;

Attendu qu'Eric Y..., mis en examen le 19 mai 2004 du chef d'escroquerie en bande organisée et placé le jour même en détention provisoire, a été mis en liberté sous contrôle judiciaire le 13 octobre 2004, après avoir subi une détention d'une durée de 4 mois et 25 jours ; qu'il a bénéficié le 19 mai 2006 d'une ordonnance de non-lieu qui n'a fait l'objet d'aucun recours ;

Attendu que Monsieur Y... sollicite la somme de 171.000 € en réparation du préjudice matériel, corporel et moral qu'il a subi ; que l'Agent Judiciaire du Trésor conclut au rejet des sommes sollicitées au titre du préjudice matériel à l'exception de la perte de chance d'exercer un nouvel emploi, dont il poursuit la réduction de l'indemnisation réclamée à de plus justes proportions, demande subsidiairement de réduire sensiblement le montant sollicité au titre du changement de logement, et offre la somme de 9.000 € en réparation du préjudice moral ;

SUR CE :

Attendu que la demande, déposée dans les délais et formes de la loi, est recevable ;

Attendu qu'en vertu des dispositions de l'article 149 du Code de Procédure Pénale seuls peuvent être réparés les préjudices de la personne détenue qui sont directement liés à la privation de liberté, à l'exclusion de ceux qui sont la conséquence des poursuites pénales elles-mêmes ou des mesures autres que la détention prises en cours d'instruction, ou qui ont été subis par des tiers ;

Sur le préjudice matériel :

Attendu que Monsieur Y... sollicite à ce titre les sommes de 66.000 € (perte d'emploi), 15.000 € (perte de son logement) et 15.000 € (frais de défense) ;

Attendu que, s'agissant de la perte d'emploi, Monsieur Y... justifie par la production de la lettre d'engagement du 14 mai 2004 signée par lui le 18 mai 2004, valant contrat, qu'il a été engagé par l'agence publicitaire américaine SOGEMAT en qualité de directeur de communication, à compter du 1er juin 2004, et pour une durée de deux ans, pour un salaire annuel fixé à 40.000 US Dollars ; qu'il résulte d'un courrier de cet employeur en date du 24 août 2004 que, connaissance prise des ennuis de santé de Monsieur Y..., il acceptait d'attendre son retour de convalescence mais seulement jusqu'à la mi-septembre 2004 ; qu'il est donc établi que la détention subie par Monsieur Y... l'a empêché d'exercer cette activité professionnelle ; qu'il peut, à ce titre, prétendre à une indemnisation correspondant à la perte de salaires subie à compter du ler juin 2004, date de son embauche, jusqu'au 1er mars 2005, délai nécessaire pour espérer retrouver une activité compte tenu de son état de santé au sortir de la détention, soit la somme de 25.000 € ;

Attendu que la demande formée au titre de la perte de logement, laquelle n'est que la conséquence de l'impossibilité de payer le loyer en l'absence de rémunération, fait double emploi avec l'indemnisation au titre de la perte de salaires et ne peut qu'être rejetée ;

Attendu que Monsieur Y... ne justifie par aucune facture de ses frais de défense ; qu'il doit être débouté de sa demande à ce titre ;

Sur le préjudice moral :

Attendu que ne constituent pas des chefs de préjudice autonomes mais relèvent du préjudice moral la "perte de ses droits de père" et les conséquences psychologiques de la détention subie par Monsieur Y..., pour lesquelles il sollicite les sommes respectives de 10.000 € et 15.000 € ;

Attendu que lors de son placement en détention, Monsieur Y..., âgé de 41 ans, par ailleurs marié et père de quatre enfants dont l'aînée, Amélie, avait 15 ans, vivait en concubinage avec Madame B... dont il a une fille, alors âgée de 3 ans ; que s'il avait été préalablement incarcéré, c'était plus de 12 ans auparavant (du 26 juin au 19 août 1991, puis du 18 décembre 1991 au 31 janvier 1992) ; qu'il a entrepris, deux jours après son incarcération, une grève de la faim - qui n'a cessé qu'avec sa remise en liberté - au cours de laquelle il a perdu 32 kilos et qui a nécessité son placement sous perfusion en septembre 2004 ; qu'alors qu'il était détenu son épouse a demandé le divorce et obtenu, par l'ordonnance de non-conciliation rendue, en son absence, le 20 septembre 2004, que l'autorité parentale soit exercée exclusivement par la mère, domiciliée à Montauban ; que tant pendant sa détention qu'à sa sortie, il n'a pu voir ses enfants, alors même qu'il avait réglé l'inscription d'Amélie, qui devait venir vivre avec lui à la rentrée scolaire de septembre 2004, dans un établissement privé de Versailles ; que pendant le même temps sa concubine, faute de pouvoir payer le loyer de l'appartement, a dû aller vivre avec leur fille, chez ses grands parents en province, ce qui l'a encore plus isolé ; qu'il s'est senti dévalorisé et vit toujours dans le ressentiment de cette injustice ;

Qu'eu égard à ces circonstances et compte tenu de la durée de la détention subie (4 mois et 25 jours), il convient d'allouer à Monsieur Y... une indemnité de 20.000 € en réparation de son préjudice moral ;

Sur le préjudice corporel :

Attendu que Monsieur Y... sollicite la somme de 50.000 € en réparation des conséquences physiques de sa détention : engagement du pronostic vital à la suite d'une grève de la faim de 140 jours, hospitalisation à sa sortie de prison pour reprise d'alimentation et nouvelle hospitalisation, en urgence, le 16 novembre 2004 pour un syndrôme abdominal aigu en relation avec cette grève de la faim, puis ablation de la vésicule biliaire, infectée ;

Que l'Agent Judiciaire du Trésor s'oppose à la demande aux motifs que les conséquences physiques de la détention subie par Monsieur Y... sont liées non à l'incarcération elle-même mais à la grève de la faim entamée à cette occasion, à cause, non de la détresse morale consécutive à l'emprisonnement mais du sentiment d'injustice lié aux graves accusations portées à son encontre dans le cadre de la procédure d'instruction, et qui relevait de sa seule volonté, et relève qu'il ne résulte pas du certificat médical produit que l'ablation de la vésicule biliaire en soit la conséquence directe ;

Attendu que Monsieur Y..., incarcéré le 19 mai 2004, a entamé sa grève de la faim dès le 21 mai et a été hospitalisé pour cette raison dans le service de médecine de Fresnes à compter du 3 septembre 2004 et jusqu'à sa remise en liberté, à la suite de laquelle il a interrompu cette action de protestation, dont il apparaît dès lors clairement qu'elle était en relation directe avec la détention, et non avec les poursuites, l'ordonnance de non-lieu n'ayant été rendue que 18 mois plus tard ;

Attendu que, s'il est établi par le certificat médical "récapitulatif" établi en septembre 2006 par le médecin traitant de Monsieur Y... que celui-ci a été hospitalisé en urgence le 16 novembre 2004 pour un syndrôme abdominal aigu, qu'il a subi, en urgence, une ablation de la vésicule biliaire pour infection et inflammation, et qu'il présente à l'heure actuelle des problèmes digestifs en rapport avec cette intervention, il ne résulte d'aucun document médical que l'ablation pratiquée est la conséquence, directe ou indirecte, de la grève de la faim, observation étant faite qu'il ressort du courrier du chef de service de médecine de l'hôpital de Fresnes en date du 8 octobre 2004 qu'il s'agit d'un patient ayant dans ses antécédents plusieurs interventions chirurgicales pour hernie ombilicale, plaie par balle et appendicectomie ;

Qu'il y a lieu en conséquence, avant dire droit sur l'indemnisation du préjudice corporel, d'ordonner une expertise ;

PAR CES MOTIF,

Allouons à Eric Y... :

- une indemnité de 25.000 € en réparation de son préjudice matériel,

- une indemnité de 20.000 € en réparation de son préjudice moral,

Le déboutons du surplus de ses demandes de ces chefs,

Avant dire droit sur le préjudice corporel, désignons Monsieur le Professeur Patrick BLOCH, ..., (téléphone : 01.46.41.01.41) en qualité d'expert avec mission, après examen de Monsieur Y... et connaissance prise de tous dossiers médicaux qu'il estimera utiles, de donner tous éléments permettant de déterminer si l'ablation de la vésicule biliaire intervenue en novembre 2004 est la conséquence de la grève de la faim menée par Monsieur Y... de mai à octobre 2004 ou si elle relève d'une ou de plusieurs autres causes, d'apprécier les conséquences de la grève de la faim d'une part, de cette intervention chirurgicale d'autre part, sur les conditions de vie ultérieures de Monsieur Y..., et d'évaluer le préjudice susceptible d'en être résulté pour lui ;

Impartissons à l'expert un délai expirant le 30 mai 2008 pour déposer son rapport, en double exemplaire, au greffe de la cour d'appel de Paris (Greffe des procédures particulières), après en avoir adressé une copie à chacune des parties ;

Désignons Monsieur BLANQUART, conseiller à la cour, pour contrôler les opérations d'expertise.

Décision rendue le 13 février 2008 par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau code de procédure civile.

LE GREFFIER LE MAGISTRAT DELEGUE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Ct0089
Numéro d'arrêt : 06/19853
Date de la décision : 13/02/2008

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.paris;arret;2008-02-13;06.19853 ?
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