Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
1ère Chambre - Section H
ARRÊT DU 29 JANVIER 2008
(no 7, 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 2007/00101
Décision déférée à la Cour : rendue le 19 décembre 2006 par l'AUTORITÉ DES MARCHES FINANCIERS
DEMANDEUR AU RECOURS :
- M. François X...
né le 17 septembre 1968 à SAINT CLOUD (92)
de nationalité française
profession : Dirigeant de société
Demeurant : ...
représenté par la SCP Marc PETIT LESENECHAL, avoué près la Cour d'Appel de PARIS
assisté par Maître William Y..., avocat au barreau de PARIS
...
EN PRÉSENCE DE :
- M. LE PRESIDENT DE L'AUTORITE DES MARCHES FINANCIERS
17, place de la bourse
75002 PARIS
représenté par Mme Brigitte GARRIGUES et Mme Caroline Z..., munies d'un pouvoir
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 04 décembre 2007, en audience publique, devant la Cour composée de :
- M. Christian REMENIERAS, Conseiller faisant fonction de Président, en remplacement de Mme PENICHON, Président, empêchée
- M. Jean DUSSARD, Conseiller
- Mme Agnès MOUILLARD, Conseillère
qui en ont délibéré
GREFFIER, lors des débats : M. Benoît TRUET-CALLU
MINISTÈRE PUBLIC :
L'affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par M. Hugues WOIRHAYE, Avocat Général, qui a fait connaître son avis.
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile.
- signé par M. Christian REMENIERAS, président et par M. Benoît TRUET-CALLU, greffier.
* * * * * *
La société Electricité et Eaux de Madagascar (ci-après la société EEM), holding détenant des participations dans diverses sociétés opérant dans des secteurs d'activités variés : emballage, hôtellerie, industrie du bois, immobilier, aquaculture, viticulture, et capital risque, appartient au groupe Verneuil, composé notamment des sociétés Verneuil Participations, Verneuil et Associés, et Foch Investissements, dirigées par M. François X..., également président-directeur général de la société EEM.
À compter du 21 février 2005, la société EEM a été cotée au Premier Marché d'Euronext Paris. Elle l'est désormais au compartiment C de l'Eurolist d'Euronext.
Les sociétés Verneuil Participations, Verneuil et Associés, et Foch Investissements avaient pris, en accord avec la banque KBL France (ci-après la KBL), des positions acheteuses importantes au Service à Règlement Différé, ces positions étant couvertes par des titres peu liquides, comme ceux de Verneuil Participations ou d'EEM. Au cours du second semestre 2002, les comptes des sociétés présentaient des soldes débiteurs importants. Après avoir mis M. X... en demeure de réduire ses positions, la KBL a, le 17 avril 2003, commencé à vendre les titres EEM couvrant le compte Verneuil Participations, et, accessoirement, celui de Foch Investissements.
Au cours du mois de mai 2003, M. X... a rencontré à deux reprises -soit le 13 et le 19- le journaliste Nicolas A..., directeur de rédaction de revues financières, pour lui exposer la situation de la société EEM et, plus particulièrement lors de la seconde entrevue, l'entretenir de l'activité de la société et de ses filiales, sa stratégie et ses dividendes futurs.
Le 20 mai 2003, à 14 heures, M. A... a signalé aux auditeurs du service Audiotel de son groupe une opportunité d'investissement très intéressante sur le titre EEM. Cette information était reprise le 22 mai 2003 à l'intention des lecteurs de la lettre "confidentielle" hebdomadaire "La Bourse". A l'appui de ses recommandations d'achat, M. A... faisait état de cessions d'actifs intéressant la société EEM, effectuées ou en voie de l'être, et dont les produits permettraient de valoriser le titre aux alentours de 40/45 euros, soit le double du cours négocié le 20 mai 2003.
A cette date, le cours de l'action, légèrement en retrait jusqu'à 10 heures, a fortement progressé pour atteindre à la clôture un gain de 10 %, à 22,85 euros, par rapport à la veille. Sur les 12 297 titres échangés durant la séance, 82 % ont été traités après 14 heures. Une fois la séance clôturée, le journaliste a réitéré auprès des auditeurs son conseil d'intervenir à l'achat sur le titre.
Entre le 20 et le 26 mai 2003, le marché a été particulièrement animé par une multitude d'acheteurs isolés, essentiellement des particuliers, et le cours a progressé de 31 %, 28 450 titres étant négociés chaque jour. Lors des quatre séances qui ont suivi celle du 23 mai, le cours de l'action n'a cessé de progresser, pour atteindre le niveau le plus haut depuis le début de l'année, soit 27,21 euros.
Du 26 mai 2003 au 16 juin 2003, les sociétés Verneuil Participations et Verneuil Finance ont, sur instructions de M. X..., vendu respectivement 27 528 titres et 9 680 titres.
C'est dans ce contexte que la Commission des opérations de Bourse (ci-après la COB) a ouvert une enquête sur le marché du titre à compter du 1er janvier 2003.
Le 16 février 2006, la commission spécialisée du collège de l'Autorité des Marchés Financiers (ci-après l'AMF), organisme qui avait succédé à la COB en vertu de la loi no 2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière, a notifié à M. X..., personnellement, deux griefs pris de manquements au règlement COB no 98-07 pour avoir communiqué des informations inexactes, imprécises ou trompeuses sur la vente par EEM de ses hôtels situés au Vietnam et de l'hôtel particulier de la rue Vernet à Paris (articles 2 et 3), et pour s'être abstenu d'informer le public du caractère inexact et trompeur des informations diffusées par le journaliste (article 4).
Par décision du 19 décembre 2006, la commission des sanctions de l'AMF a mis M. X... hors de cause pour ce qui est du premier grief, pris de la méconnaissance des articles 2 et 3 du règlement COB no 98-07, mais a déclaré le second grief établi et a prononcé contre M. X... une sanction pécuniaire de 150 000 euros, assortie de la publication de la décision au BALO ainsi que sur le site Internet et dans la revue de l'AMF.
LA COUR :
Vu le recours en annulation, subsidiairement en réformation, de cette décision, formé par M. X... le 11 janvier 2007 ;
Vu le mémoire déposé le 25 janvier 2007 par lequel M. X... demande à la cour d'annuler la décision, subsidiairement de la réformer et de dire qu'il n'y a pas lieu à sanction à son encontre ;
Vu les observations écrites de l'AMF en date du 30 mai 2007 ;
Vu les observations écrites du ministère public, mises à la disposition des parties à l'audience ;
Vu les écritures et les pièces déposées par M. X... à l'audience ;
Ouï à l'audience publique du 4 décembre 2007, en leurs observations orales, le conseil du requérant, qui a été mis en mesure de répliquer, les représentantes de l'AMF ainsi que le ministère public ;
SUR CE :
- sur la recevabilité des écritures et des pièces déposées le 4 décembre 2007
Considérant qu'il résulte de l'article R. 621-46, I du code monétaire et financier, d'une part, que lorsque la déclaration ne contient pas l'exposé des moyens invoqués, le demandeur doit, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, déposer cet exposé au greffe dans les 15 jours qui suivent le dépôt de la déclaration, d'autre part, que les pièces et documents justificatifs produits au soutien du recours doivent être remis au greffe en même temps que la déclaration de recours ; que ces règles ne souffrent d'exception que lorsque les moyens et les pièces en cause, soit sont relatifs à des faits révélés postérieurement à la déclaration, soit, bien qu'étant relatifs à des faits déjà connus à cette date, n'ont pu, en raison d'un empêchement légitime, être produits dans le délai précité, soit encore ont pour objet de répondre à des moyens invoqués devant la cour ; que, de même, les délais fixés en vertu de l'article R. 621-46, IV du même code par le premier président ou son délégué pour le dépôt des observations écrites sont impératifs, à moins que ne soit démontrée l'une des hypothèses énoncées ci-dessus ;
Qu'il s'ensuit, la déclaration de recours de M. X... ayant été reçue le 11 janvier 2007 et le magistrat délégué ayant, par ordonnance du 12 février 2007, fixé au 6 novembre 2007 la date limite à laquelle le requérant pouvait déposer ses observations en réplique, que sont irrecevables tant le "mémoire en réplique" que les documents y annexés, qui ont été déposés à l'audience le 4 décembre 2007 et qui articulent un nouveau grief pris de la partialité du rapporteur, sans que le requérant prétende être dans l'un des cas précités ;
- sur la régularité de la procédure suivie devant l'AMF
Considérant que M. X... invoque tout d'abord une irrégularité de la procédure en ce que des pièces -très importantes selon lui en ce qu'elles lui avaient été réclamées par les enquêteurs- qu'il avait adressées à l'AMF le 12 septembre 2005, ont été "occultées" pendant l'enquête et l'instruction ; qu'il expose à cet égard que ces documents ne figurent pas en annexe au rapport d'enquête, lequel énonce d'ailleurs faussement qu'il ne les a pas fait parvenir aux services des enquêtes comme il s'y était engagé, et que le rapporteur s'est abstenu de les exploiter ; qu'il en déduit que la procédure est viciée, le principe du contradictoire ayant été méconnu ;
Mais considérant que l'erreur prétendument imputée aux services des enquêtes est sans conséquence dès lors que M. X... souligne lui-même que le rapporteur précisait, en page 8 de son rapport, que ces pièces étaient cotées au dossier de la procédure ; que le principe de la contradiction, selon lequel les parties à un procès ont le droit de prendre connaissance de toute pièce ou observation soumise au juge en vue d'influencer sa décision, et de la discuter, n'est pas violé du seul fait, dénoncé par le requérant, que des pièces, présentes au dossier, n'ont été "ni interprétées ni exploitées" ; qu'à supposer que ce soit une violation des droits de la défense que le requérant entende dénoncer, cette atteinte n'est pas davantage démontrée dès lors qu'il lui était loisible de viser ces documents au soutien de sa défense et d'attirer l'attention de la commission des sanctions sur la portée probatoire qu'il estimait devoir leur être donnée en l'état des poursuites dont il était l'objet ;
Considérant que M. X... se prévaut ensuite d'une violation du principe d'impartialité posé par l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'il précise à cet égard qu'il a fait l'objet de deux poursuites simultanées de la part de l'AMF, au cours desquelles le rapporteur désigné dans l'une faisait partie de la commission des sanctions qui a jugé l'autre ; qu'il cite l'attestation d'un ancien directeur général puis président de la KBL (France), selon laquelle ce dernier, à l'époque où il exerçait ses fonctions, a constaté que les contrôles effectués par la COB sur les opérations de bourse effectuées par M. X... au sein de l'établissement étaient "permanents, systématiques et menés manifestement à charge" ; qu'invoquant le principe selon lequel "un simple doute, aussi peu justifié soit-il, suffit à altérer la partialité du Tribunal", et faisant valoir que ses relations avec l'AMF sont tendues, qu'il est déjà arrivé à cette autorité de commettre des erreurs de calcul à son préjudice, ainsi dans "le cadre de l'enquête initiée sous le titre Eurotunnel", et qu'il a eu le sentiment, dans cette affaire, de ne pas être cru par le rapporteur, cependant que figurait dans la composition de la commission des sanctions celui qui, dans un autre dossier instruit simultanément par l'AMF, l'avait entendu en qualité de rapporteur et avait rédigé un rapport réfutant ses arguments, il estime que l'impartialité n'a pas été garantie dans cette procédure et que la décision doit être annulée ;
Mais considérant, tout d'abord, que M. X... ne précise pas la date et les références de la seconde procédure qu'il invoque et ne verse aux débats aucun document au soutien de ses allégations, permettant à la cour d'en vérifier l'exactitude ; que la situation qu'il invoque serait-elle établie, il n'en demeure pas moins que le texte conventionnel invoqué n'a pas pour effet d'interdire aux membres d'un tribunal de juger une personne au seul motif qu'ayant précédemment eu à connaître d'une autre affaire la concernant, que ce soit en qualité de rapporteur ou de juge, ils lui auraient donné tort ;
Que la procédure est donc régulière ;
- Sur le fond
Considérant que, pour réfuter le grief qui lui est fait de ne pas avoir apporté un démenti aux informations erronées diffusées par M. A..., à savoir que la vente de l'hôtel particulier de la rue de Vernet à Paris était intervenue, portant les liquidités d'EEM de 4 à 8,2 millions d'euros, et que des négociations en cours avec le groupe Accor portant sur des hôtels détenus par EEM au Vietnam allaient aboutir de manière imminente de sorte que les liquidités seraient portées à 32 millions d'euros, alors que c'est l'acquisition de l'hôtel particulier qui était en train de se faire et non la cession de ce dernier, qui a été conservé jusqu'en 2005, et que les ventes d'hôtels au Vietnam étaient fortement compromises en raison du SRAS, M. X... fait valoir :
- qu'il existe des contradictions dans le rapport, qui affectent nécessairement la décision, quant à la preuve de l'origine des informations ;
- que la preuve n'est pas rapportée que c'est lui qui a provoqué l'entretien avec M. A..., ni que les informations diffusées par ce dernier l'ont été de son fait ;
- qu'il existait des raisons conjoncturelles précises justifiant la volatilité du titre EEM, en dehors des informations diffusées par M. A..., en particulier la valeur d'actif et la situation nette comptable publiées par la société à l'époque des faits et la perspective d'une prise de contrôle du groupe Gascogne par elle, se traduisant par une offre publique d'échange sur les titres Gascogne, laissant augurer un potentiel significatif de développement ;
- que sa réaction a été adaptée et proportionnée au caractère inexact des informations communiquées par M. A..., dès lors qu'il a été procédé à la diffusion sur le site "Boursorama" de messages qui réfutaient les informations communiquées ;
- qu'il n'a pas été tenu compte par la décision du fait qu'il avait procédé, dans le même temps, à des cessions, mais également à des achats de titres EEM ;
- que la preuve n'est pas rapportée d'un quelconque lien entre les initiatives de M. A... et son propre intérêt personnel ;
- qu'un émetteur n'est pas tenu de corriger une information erronée ou déformée que la presse choisit de diffuser, en dehors de tout communiqué de sa part ;
Considérant, en premier lieu, que c'est de façon inopérante que M. X... invoque de prétendues contradictions au sein du rapport, étrangères à la décision attaquée ;
Considérant, en second lieu, que c'est à juste titre que la décision retient qu'il résulte de l'article 4 du règlement COB no 98-07, applicable aux faits de la cause, que lorsqu'un émetteur a contribué à la diffusion d'informations trompeuses susceptibles d'avoir une influence significative sur le cours du titre concerné, il lui appartient de les rectifier, l'inexactitude des informations constituant le fait important devant être porté à la connaissance du public, au sens du texte précité ;
Qu'à cet égard, outre les déclarations précises de M. A... quant à l'initiative des rencontres et l'origine des informations qu'il a diffusées, M. X... lui-même a admis que c'était lui qui avait pris l'attache de ce journaliste (cote R 169), cependant que la diffusion des informations litigieuses, effectuée par M. A... le 20 mai 2003, soit le lendemain même de son entretien avec M. X..., confirme leur origine ;
Qu'au surplus, le graphique d'évolution des cours entre le 1er janvier 2003 et le 21 juillet 2003, ainsi que les constatations, non contestées, de la décision à cet égard, attestent de la concomitance de la diffusion des informations trompeuses avec la hausse du cours du titre d'EEM, et partant, du lien de causalité entre ces deux événements, excluant les autres causes invoquées par le requérant ;
Qu'enfin, M. X... n'est pas fondé à soutenir que sa "réaction (...) a été adaptée et proportionnée au caractère inexact des informations communiquées" par M. A... au motif que M. Baudoin de B..., à l'époque directeur général délégué de la société EEM, aurait diffusé des messages qui réfutaient les informations communiquées, alors que c'est par une appréciation pertinente, que la cour adopte, des capacités de diffusion respectives des supports en cause que la décision retient que la mise au point effectuée par le directeur général délégué, afin de "ne pas laisser croire à la lune", sur un forum de discussion du site Internet "Boursorama.com", à un instant donné, ne pouvait compenser l'effet des informations diffusées par M. A... sur son service Audiotel et dans sa revue hebdomadaire, ne valait pas comme communication officielle de l'émetteur et, de toute façon, n'exonérait pas le requérant de l'obligation qui pesait sur lui d'aviser le public que la cession annoncée de l'hôtel particulier à Paris ne serait pas réalisée et que de lourdes incertitudes affectaient les autres ventes mentionnées, faits importants qui étaient de nature à enrayer la hausse du cours du titre consécutive à l'annonce mensongère ;
Considérant, en troisième lieu, que, faute de préciser de quels achats de titres EEM il se prévaut exactement, M. X... ne permet pas à la cour d'apprécier la pertinence de sa contestation de ce chef ;
Considérant, en dernier lieu, que les cessions massives de titres EEM ordonnées par M. X... pour satisfaire la KLB quelques jours seulement après les manoeuvres en cause caractérisent l'intérêt personnel de ce dernier à voir le cours du titre monter en conséquence des informations mensongères diffusées par M. A... sur son incitation ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le recours n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS
Déclare irrecevables le mémoire et les pièces déposés par M. X... le 4 décembre 2007 ;
Rejette le recours de M. X... contre la décision de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers du 19 décembre 2006 ;
Condamne M. X... aux dépens ;
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,