Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
15ème Chambre- Section B
ARRET DU 21 DECEMBRE 2007
(no07 /, pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 06 / 13845
Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 Juin 2006- Tribunal de Grande Instance de PARIS- RG no 04 / 17190
APPELANTS
Madame Chantal X... épouse Y...
...
75020 PARIS
représenté par la SCP VERDUN- SEVENO, avoués à la Cour
assisté de Me Dominique TROUVE, avocat au barreau de CRETEIL, toque : PC 30
Monsieur William Y...
demeurant ...
94000 CRETEIL
représenté par la SCP VERDUN- SEVENO, avoués à la Cour
assisté de Me Dominique TROUVE, avocat au barreau de CRETEIL, toque : PC 30 DE LA SCP HADENGUE
INTIMEE
S. A. CREDIT INDUSTRIEL ET COMMERCIAL " CIC " prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège ...
75009 PARIS
représentée par la SCP GRAPPOTTE BENETREAU JUMEL, avoués à la Cour
assistée de Me Isabelle A..., avocat au barreau de PARIS, toque : D0578, de la SCP HADENGUE
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 16 Novembre 2007, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Claire DAVID, Conseiller faisant fonction de président
Madame Marie- Christine DEGRANDI, Conseiller
Madame Evelyne DELBES, Conseiller
qui en ont délibéré
Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues par l'article 785 du nouveau Code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Marie- Claude B...
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile.
- signé par Madame Claire DAVID, Conseiller faisant fonction de président, et par Melle Sandrine KERVAREC, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
****
La SNVB avait ouvert des comptes au nom de M. et Mme Y..., comptes joints ou comptes séparés.
Le CIC est venu aux droits de la SNVB.
A l'occasion du fonctionnement des comptes, des difficultés sont apparues et M. et Mme Y... ont saisi le tribunal de grande instance de Paris qui, par jugement du 14 juin 2006, les a solidairement condamnés à payer au CIC les sommes de 35 795, 95 €, 1 898, 50 €, 12 038, 57 €, 29 856, 06 €, 2 949, 54 € et 6 945, 75 €, le tout avec intérêts au taux de 11 % à compter du 19 février 2005.
Par déclaration du 24 juillet 2006, M. et Mme Y... ont interjeté appel de cette décision.
M. et Mme Y..., dans des dernières écritures du 5 octobre 2007, demandent à la Cour :
- d'infirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a reconnu une faute de la banque quant à l'inscription au fichier de la Banque de France,
En conséquence,
- de condamner le CIC à effectuer les formalités de modification de l'inscription sur le fichier risques de la Banque de France, sous astreinte de 1 000 € par jour,
- de condamner le CIC à leur payer à chacun la somme de 250 000 € à titre de dommages et intérêts,
- d'ordonner la publication de la décision dans les notes d'information du CIC et dans la revue Que Choisir,
- de condamner le CIC à leur payer la somme de 7 000 € au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Le CIC, dans des dernières conclusions du 16 octobre 2007, demande à la Cour :
- de confirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a dit que la banque avait commis une faute,
- d'ajouter la capitalisation des intérêts aux condamnations prononcées par le tribunal,
- de condamner in solidum M. et Mme Y... à lui payer la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts et celle de 4 000 € en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
CELA ÉTANT EXPOSÉ,
LA COUR,
Considérant que M. et Mme Y... formulent des griefs à l'encontre du CIC, qu'il convient d'examiner successivement ;
Sur les mouvements bancaires
Considérant que M. et Mme Y... reprochent à la banque de prélever des sommes au titre d'" Opér. Diverses Interne- Régul. IAR " sur le compte professionnel de M. Y... ouvert sous l'intitulé " Au plaisir de l'artiste " et d'avoir procédé de la même manière sur leur compte joint pour 2 000 € environ ;
Mais considérant que les échéances des prêts ont été prélevées sur le compte courant de la société conformément aux stipulations du contrat de prêt ; que les échéances impayées ont ensuite été portées par la banque au crédit du compte courant et inscrites au débit d'un compte spécial ;
Que ces opérations portées provisoirement au débit du compte courant professionnel de M. Y... et annulées ultérieurement pour figurer au débit du compte interne affecté aux créances impayées ne constituent pas une faute de la banque et révèlent bien la volonté de la banque de réduire le solde débiteur du compte courant de son client ;
Qu'en procédant de cette manière, la banque n'a pas commis de faute, d'autant que les conventions d'ouverture de comptes stipulent en leur article 2 : " Pour la commodité des écritures du client et pour certaines opérations, il sera parfois ouvert... des comptes particuliers, soumis à des règles différentes, mais qui resteront des branches annexes d'un même compte courant général. La banque aura, à tout moment et sans formalité, la faculté de considérer ces comptes particuliers comme fusionnés, et d'en retenir un solde unique " ;
Considérant qu'il est également reproché à la banque d'avoir opéré une fusion entre les différents comptes ouverts au nom de chaque époux pour ne retenir qu'un solde unique ;
Mais considérant que l'article 2 des conventions autorise la fusion de tous les comptes au moment de leur clôture ; que la banque n'a donc pas commis de faute ;
Sur les rejets de chèques et les refus de prélèvement
Considérant que M. et Mme Y... reprochent à la banque d'avoir rejeté des chèques alors que leurs comptes étaient créditeurs ou d'avoir refusé des prélèvements au profit du CIC ; qu'ils donnent l'exemple du rejet d'un chèque de 200, 86 €, mais n'indiquent pas d'autres chèque ou prélèvement ; qu'ils exposent qu'ils bénéficiaient d'une autorisation de découvert tacite ;
Considérant que par courrier du 29 avril 2004, le CIC a indiqué à M. Y... que la situation de son compte professionnel qui présentait un solde débiteur de 327, 84 €, n'a pas permis de payer le chèque de 200, 86 € qui a été rejeté le 27 avril 2004 ;
Mais considérant que M. Y... expose qu'il disposait d'une autorisation de découvert tacite ; qu'il résulte des pièces que ce compte ne bénéficie pas d'autorisation de découvert ;
Considérant que le relevé de compte de M. Y... produit par la banque indique qu'au 27 avril, le compte présentait effectivement un solde débiteur de 451, 67 € ;
Considérant que la situation a ensuite été régularisée et le chèque litigieux a été débité du compte le 9 juin 2004 ;
Considérant que l'analyse des relevés du compte professionnel de M. Y... fait apparaître des soldes débiteurs en fin de mois pour les mois d'avril, juin, septembre, octobre et novembre 2000, février, avril, mai, juin, août, septembre, novembre et décembre 2001, janvier, février, mars, mai, août, octobre, novembre et décembre 2002 ; que pour l'année 2003, le compte a présenté un solde débiteur de 6 515 € en mars, de 6 975 € en mai, de 10 986 € en juin, de 578 € en septembre, de 6 676 € en octobre, de 11 110 € en novembre et de 1 002 € en décembre ; qu'au cours des trois premiers mois de l'année 2004, le compte n'a pas été débiteur en fin de mois ;
Considérant qu'aucun courrier n'a été adressé par la banque demandant à M. Y... de régulariser la situation lorsque les soldes de son compte étaient débiteurs, à l'exception d'une lettre datée du 2 juin 1998 ; qu'il résulte donc de ces éléments que M. Y... bénéficiait d'une autorisation de découvert tacite, ne permettant pas à la banque de rejeter sans préavis le chèque litigieux ; qu'elle a donc commis une faute en opérant ce rejet, alors que le solde débiteur de 327, 84 € était très en- dessous du solde débiteur moyen des mois précédents ;
Considérant que le 16 décembre 2004, le CIC a rejeté trois chèques de 72 €, 300 € et 141, 92 € émis par Mme Y... de son compte 00011290306, alors que les pièces produites révèlent que le compte présentait au 16 décembre 2004 un solde créditeur de 2 292, 51 € ;
Que la faute de la banque est certaine ;
Sur les prélèvements de frais de caution
Considérant que M. Y... fait grief au CIC de continuer à prélever sur son compte professionnel des frais de caution de 14, 37 € par mois, alors que la banque n'était plus tenue par son engagement de caution bancaire depuis le 4 janvier 1994 ;
Considérant que le CIC s'est portée caution de M. Y... envers son bailleur pour le paiement de ses loyers professionnels le 4 mai 1990 ; que M. Y... a cédé son bail commercial le 31 juillet 1991 qui a été cédé à nouveau le 8 juillet 1992 ;
Considérant que si le 4 janvier 1994, le CIC a été informé de la cession du fonds de commerce, il n'est pas établi qu'il ait été déchargé de son engagement par le bailleur ; que si la SNVB a écrit à l'administrateur de biens afin de lui indiquer que la caution était devenue sans objet, aucune réponse n'a été apportée à ce courrier ; que la banque n'a donc pas commis de faute en continuant à prélever des frais contractuellement prévus à l'acte de caution, tant qu'il n'était pas déchargé ; qu'il appartenait à M. Y..., s'apercevant que les frais de caution continuaient à courir, de faire lever l'engagement de caution auprès de son précédent bailleur ;
Sur les découverts des comptes courants
Considérant que M. et Mme Y... reprochent au CIC de les avoir menacés d'inscription au fichier des incidents de la Banque de France, alors qu'ils disposaient d'une autorisation de découvert de 6 400 € ;
Mais considérant que la menace de dénonciation auprès de la Banque de France n'est pas justifiée ;
Et considérant que si M. et Mme Y... exposent que la banque a rompu brutalement et sans préavis ses concours, cette affirmation est contredite par les courriers de la banque du 2 avril 2004 qui demandent à Mme Y... de ramener ses comptes personnel et professionnel en position créditrice à compter du 2 juin 2004 ; qu'en consentant à Mme Y... un délai de préavis de 60 jours, la banque a respecté les dispositions de l'article L313-12 du Code monétaire et financier ;
Considérant par contre que M. Y... n'a été destinataire que d'un courrier du 6 octobre 2004 lui enjoignant de régulariser le solde débiteur de son compte arrêté à 4, 02 € ;
Considérant que M. Y... n'a donc pas été informé qu'il devait régulariser la situation du compte joint ; qu'il ne prétend cependant pas que le compte a été brutalement clôturé par le CIC ;
Sur les crédits
Considérant que M. et Mme Y... reprochent à la banque de leur avoir proposé de réaménager leurs crédits en janvier 2002, puis de ne pas y avoir donné suite et de les avoir aidés, sans passer par un prêt immobilier, à acquérir un immeuble en l'état futur d'achèvement à Charenton, à hauteur de 1 400 000 francs, alors qu'ils ne disposaient pas des capacités suffisantes pour assumer cette charge ; qu'il reprochent à la banque le non- respect de son devoir de mise en garde, alors qu'ils sont emprunteurs non avertis et soulèvent la disproportion de leurs engagements ;
Mais considérant que le réaménagement de crédits n'est jamais une obligation pour l'établissement de crédit qui n'est pas tenu d'y faire droit ; que de même, il ne peut pas être fait grief à la banque d'exiger des garanties importantes, dès lors que le créancier ne commet pas de faute en s'entourant de toutes les garanties qu'il estime utiles ;
Considérant que les deux prêts contestés par M. et Mme Y... ont été consentis pour 1 300 000 francs et pour 300 000 francs, destinés selon eux à combler un découvert bancaire, permettant ainsi à la banque d'éviter de leur consentir un prêt immobilier classique qui n'aurait pas été possible au vu de leurs facultés financières ; qu'ils soulèvent ainsi la disproportion de leurs engagements et reprochent ainsi à la banque de leur avoir consenti des découverts bancaires importants et d'avoir ensuite octroyé des prêts afin de combler ces découverts ;
Considérant que le prêt de 1 300 000 francs a été consenti le 23 mars 1993 par acte notarié et est réalisé sous la forme d'une ouverture de crédit et d'un versement au compte de l'emprunteur ;
Considérant que le prêt de 300 000 francs a été octroyé le 5 mai 1998 et a pour objet la consolidation des échéances impayées sur le prêt de 1 300 000 francs ;
Considérant que pour justifier de leurs revenus et de leur patrimoine lors de la signature des contrats de crédit, M. et Mme Y... produisent des avis d'imposition sur le revenu ; qu'il en résulte qu'ils ont perçu en 1992 les sommes de 97 105 francs pour M. Y... et de 264 487 francs pour Mme Y... ; qu'ils n'indiquent pas leurs revenus en 1997 ou 1998, ni leurs revenus actuels ;
Considérant qu'au vu des éléments dont la Cour dispose, la disproportion alléguée n'est pas établie ; que dès lors, la banque n'avait pas d'obligation de mise en garde particulière à sa charge ;
Sur les inscriptions au fichier des crédits de la Banque de France
Considérant que Mme Y... reproche à la banque d'avoir inscrit au fichier de sa propre activité professionnelle un crédit à court terme, alors qu'elle- même n'a souscrit qu'à un crédit affecté à une opération immobilière et que les crédits à court terme ont tous été consentis à M. Y... seul ; qu'elle produit le récapitulatif de déclarations de créances faite par le CIC auprès de la Banque de France à la date du mois de décembre 2005 qui indique que Mme Y... a obtenu un crédit court terme de 153 000 € ; qu'elle soutient ensuite que le CIC n'avait pas le pouvoir de procéder aux inscriptions auprès de la Banque de France, dès lors que les crédits consentis à l'origine par la SNVB n'ont pas été cédés régulièrement ;
Considérant qu'il n'est pas établi qu'un crédit de ce montant a été consenti à Mme Y... à titre professionnel et à court terme ; que le CIC a donc commis une faute en faisant des déclarations erronées auprès de la Banque de France ;
Sur la carte bleue
Considérant que M. Y... reproche à la banque d'avoir bloqué le terminal carte bleue de la société Au Plaisir de l'Artiste le 14 novembre 2005, sans préavis, alors que la location était payée jusqu'au 31 décembre 2005 ;
Considérant que si le contrat a été résilié par la banque le 21 octobre 2005, elle n'établit pas en avoir préalablement informé M. Y... ; qu'elle ne produit pas plus le contrat de carte bleue permettant à la Cour de vérifier les conditions de résiliation de ce contrat ;
Considérant par contre que M. Y... justifie avoir payé les frais de location du terminal de paiement électronique jusqu'au 31 décembre 2005 ; que le CIC a donc commis une faute en résiliant subitement le contrat ;
Sur le préjudice allégué par M. et Mme Y...
Considérant qu'ils demandent globalement l'octroi de la somme respective de 250 000 € ; que Mme Y... explique principalement qu'elle a été dans l'impossibilité d'obtenir des crédits des autres établissements bancaires ; que M. et Mme Y... indiquent au surplus, qu'ils se sont retrouvés criblés de dettes ;
Considérant que les fautes retenues par la Cour portent sur les rejets de chèques opérés sur le compte de M. Y... et la résiliation du contrat de carte bleue, ainsi que l'inscription au fichier de la Banque de France de crédits non consentis à Mme Y... ;
Considérant que les rejets de trois chèques émis par Mme Y... ont pu légitimement lui causer un préjudice vis- à- vis de ses créanciers ; que de même l'inscription erronée au fichier de la Banque de France lui a causé du tort, qui est d'ailleurs établi par des courriers émanant d'autres banques lui refusant tout octroi de crédit au vu de sa situation ; que ces préjudices peuvent être légitimement compensés par l'octroi de la somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts ;
Considérant que la perte de son terminal de paiement électronique a pu causer un préjudice à M. Y... ; qu'il produit d'ailleurs un courrier d'une cliente qui se plaint de ce dysfonctionnement, mais n'établit pas qu'il a perdu des clients à raison de la perte de ce mode de paiement ; que son préjudice est justement réparé par l'allocation de la somme de 1 000 € à titre de dommages et intérêts ;
Considérant que la demande de publication de l'arrêt dans la presse ne peut pas prospérer, dès lors que ce mode de réparation constitue une sanction qui n'a aucune raison d'être appliquée en l'espèce ;
Sur la créance du CIC
Considérant que la créance du CIC n'est pas contestée en son quantum ; que le jugement doit être confirmé sur ce point ; que la capitalisation des intérêts sollicitée est de droit ;
Considérant que la compensation doit être ordonnée entre les créances réciproques ;
Considérant en conséquence que le jugement doit être partiellement confirmé ;
Considérant que l'exercice d'une voie de recours ne saurait constituer un abus de droit, en l'absence de malice, de mauvaise foi ou d'une erreur grossière, équipollente au dol qui ne sont pas ici démontrées ; que le CIC doit donc être débouté de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Considérant qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de chaque partie les frais qu'elle a pu engager ;
Considérant que chacune des parties succombant partiellement en ses demandes, les dépens sont partagés par moitié ;
PAR CES MOTIFS,
Confirme le jugement entrepris en ses dispositions concernant la créance de la banque,
Y ajoutant,
Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du Code civil,
Réforme le jugement du chef des demandes de M. et Mme Y...,
Et statuant à nouveau,
Condamne le CIC à payer à Mme Y... la somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts et à M. Y... la somme de 1 000 € à titre de dommages et intérêts,
Ordonne la compensation entre les créances réciproques,
Rejette toutes autres demandes,
Fait masse des dépens de 1ère instance et d'appel, qui sont partagés par moitié par M. et Mme Y... et par moitié par le CIC, avec distraction au profit des avoués concernés dans les conditions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,