Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
1ère CHAMBRE - Section N
REPARATION DES DETENTIONS PROVISOIRES
DECISION DU 19 DECEMBRE 2007
No du répertoire général : 06/15777
Décision contradictoire en premier ressort
Nous, Renaud BLANQUART, Conseiller à la Cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Gilles DUPONT, Greffier lors des débats et du prononcé, avons rendu la décision suivante :
Statuant sur la requête déposée au greffe le 8 août 2006 par Maître Isabelle X..., avocat substituant Maître Léon FORSTER, avocat de Monsieur Johan Y..., demeurant chez Madame Z..., 89 bis Edouard Vaillant 92300 LEVALLOIS PERRET;
Vu les pièces jointes à cette requête ;
Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire du Trésor notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les conclusions du requérant notifiées par lettre recommandée avec avis de réception;
Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception;
Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 21 novembre 2007 ;
Vu l'absence de Monsieur Johan Y... ;
Ouï Maître Isabelle X..., avocat substituant Maître Léon FORSTER, avocat représentant Monsieur Johan Y..., Maître Gauthier B..., avocat plaidant pour la SCP NORMAND ET ASSOCIES, avocat représentant Monsieur l'Agent Judiciaire du Trésor, ainsi que Madame Lydia GÖRGEN, avocat général, les débats ayant eu lieu en audience publique, le 21 novembre 2007, le conseil du requérant ayant eu la parole en dernier ;
Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R. 26 à R. 40-7 du code de procédure pénale ;
* *
Monsieur Y..., né le 9 septembre 1975, a été mis en examen du chef d'assassinat le 20 avril 2000 et a été placé, le jour même, en détention provisoire. Il a fait l'objet d'une décision d'acquittement par arrêt du 20 février 2003, après, donc, une incarcération de 2 ans et 10 mois, ou 1.036 jours, cette décision étant définitive.
Monsieur Y... n'avait pas été précédemment détenu.
Par requête déposée le 8 août 2006, aux fins de réparation à raison d'une détention, Monsieur Y... fait valoir :
- S'agissant de son préjudice économique :
qu'au moment de son incarcération, il était en arrêt de travail et percevait des indemnités de 2.350 € par mois ; qu'il travaillait auparavant, avec le statut d'intermittent du spectacle, en qualité d'acteur de complément, percevant des ressources composées de cachets et de compléments versés par l'ASSEDIC ; qu'en l'absence de cotisations pendant le temps de sa détention, il n'a pu prétendre, une fois libéré, qu'à une allocation d'insertion à taux réduit, au lieu de l'allocation unique dégressive, d'un taux supérieur ; que son préjudice, de ce chef, est constitué par une perte de salaires pendant son incarcération, une diminution de ses revenus pendant le temps qui a suivi cette incarcération et en la perte de 10 trimestres au titre de la retraite.
Il sollicite un indemnité de 125.000 € à ce titre.
- S'agissant de son préjudice moral :
qu'il a dû supporter pendant plus de 1.000 jours les contraintes, humiliations, privations, violences, angoisses et souffrances psychologiques liées au régime de la détention, puis, après sa détention, les séquelles traumatiques, troubles du sommeil, peurs invalidantes et un état dépressif caractérisé par le sentiment d'être encore enfermé.
Il réclame la somme de 100.000 €, de ce chef.
Il sollicite également la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
Dans ses conclusions du 19 avril 2007, Monsieur l'Agent judiciaire du Trésor, estimant la requête recevable, fait valoir :
- S'agissant du préjudice économique invoqué :
que le requérant ne justifie pas du montant de l'indemnité qu'il réclame ; que son arrêt maladie s'étant poursuivi jusqu'au 13 mars 2000, l'indemnisation dont il a bénéficié a pris fin au 31 décembre 1999 ; qu'il ne justifie du versement d'indemnités de l'ASSEDIC que jusqu'au 17 mai 1999, date de son accident de travail ; qu'il n'est pas établi qu'il était en droit de percevoir de telles indemnités ; qu'il n'est pas établi que le versement au requérant d'une allocation d'insertion à taux réduit lors de sa remise en liberté ait eu pour seule cause la détention provisoire qu'il a subie et non son arrêt de travail antérieur ; que le requérant justifie du fait que ses revenus mensuels entre avril 1998 et mai 1999 étaient de 1.327, 06€ ; qu'il a subi un arrêt maladie de 10 mois avant sa détention provisoire et ne bénéficiait d'aucun engagement ultérieur ; qu'il ne peut, donc, invoquer que la perte d'une chance d'exercer son activité d'acteur de complément, profession, par définition, irrégulière ; qu'il n'apparaît pas avoir eu des difficultés à se réinsérer dans son univers professionnel, puisqu'il a perçu une rémunération totale de 11.020 € pendant 10 mois en 2003 ; que le requérant ne démontre pas la baisse de ses revenus pour la période ayant suivi sa libération; que l'indemnité réclamée, de ce chef, doit être fortement réduite ; que l'indemnisation permettra au requérant de racheter les points de retraite que lui aurait fait perdre l'incarcération.
- S'agissant du préjudice moral :
que le requérant n'apporte aucun élément attestant des conséquences psychologiques de sa détention provisoire ; qu'il doit être tenu compte de la durée particulièrement longue de la détention considérée.
Il estime que ce préjudice peut être réparé par une indemnité de 45.000 €.
Monsieur le Procureur Général fait valoir, estimant la requête recevable,
- S'agissant du préjudice matériel :
qu'il y a lieu d'indemniser la perte de chance de percevoir des revenus liés au métier de comédien subie par le requérant,
- S'agissant du préjudice moral :
qu'il doit être tenu compte de ce que, lors de son incarcération, le requérant était âgé de 24 ans, célibataire et n'avait jamais été détenu.
SUR QUOI,
Sur la requête
Attendu que la présente requête est recevable au regard des dispositions des articles 149 à 149-2 du Code de procédure pénale ;
Sur le préjudice matériel
Attendu que le requérant justifie du fait qu'intermittent du spectacle, il percevait des indemnités journalières au moment de son incarcération au titre d'un arrêt de travail de près de 10 mois dont le terme était prévu au mois de mars 2000 à la suite d'un accident, qu'il avait précédemment perçu pendant 13 mois, les sommes de 16.862, 04 € à titre de cachets et de 10.882, 42 € à titre d'indemnités, lorsqu'il était en activité ; qu'il justifie du caractère régulier de son activité avant son incarcération et de la reprise de cette activité après sa libération ; qu'il y a lieu de lui allouer, au titre de la perte de chance de reprendre plus rapidement son activité de comédien, une indemnité de 66.330, 60 € ; que le requérant ne justifie pas que sa détention serait la cause directe des autres préjudices matériels qu'il invoque ;
Sur le préjudice moral
Attendu que le choc carcéral incontestable qu'a subi Monsieur Y..., du fait de sa détention, doit donner lieu à réparation ;
Que le requérant était âgé de 24 ans lorsqu'il a été placé en détention pour une durée de 1.036 jours à raison de la présente affaire ; qu'il doit être tenu compte, pour fixer le montant de cette réparation, des circonstances d'aggravation du préjudice considéré et, plus particulièrement, du fait qu'il n'avait jamais été incarcéré ; qu'il y a lieu de faire droit à sa demande, de ce chef, en lui allouant la somme de 62.160 € ;
Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de Monsieur Y... les frais irrépétibles qu'il a exposés pour la présente instance ; qu'il lui sera alloué, de ce chef, la somme de 2.000 € ;
PAR CES MOTIFS
Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R. 26 à R. 40-7 du code de procédure pénale ;
Disons la requête recevable,
Allouons à Monsieur Y... :
- une indemnité de 66.330, 60 €, en réparation de sa perte de chance de reprendre plus rapidement son activité professionnelle,
- une indemnité de 62.160 €, en réparation de son préjudice moral,
- la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du NCPC.
Décision rendue le 19 décembre 2007 par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau code de procédure civile.
LE GREFFIER LE MAGISTRAT DELEGUE