RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
22ème Chambre B
ARRÊT DU 30 Novembre 2007
(no , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 05/00529
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 5 Octobre 2004 par le conseil de prud'hommes de PARIS RG no 02/06616
APPELANTES
Société EDELWEISS FRANCE
...
75009 PARIS
représentée Mme X..., Directrice et, par Me Ernest SFEZ, avocat au barreau de PARIS, toque : C 2042
SA CHAUSSEE D'ANTIN venant aux droits de la société DAFE EDELWEISS
57-59-61 rue Henri Barbusse
92110 CLICHY
représentée par Me Ernest SFEZ, avocat au barreau de PARIS, toque : C 2042
INTIMÉE
Madame Nacira Y...
...
93100 MONTREUIL
représentée par Me Pierre-Robert AKAOUI, avocat au barreau de PARIS, toque : C 673 substitué par Me Valérie-Ann Z..., avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du nouveau Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 Octobre 2007, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Daniel FONTANAUD, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Brigitte BOITAUD, Présidente
Monsieur Philippe LABRÉGÈRE, Conseiller
Monsieur Daniel FONTANAUD, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffière : Mademoiselle Ingrid JOHANSSON, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par Monsieur Daniel FONTANAUD, Conseiller
- signé par Madame Brigitte BOITAUD, Présidente et par Mademoiselle Ingrid JOHANSSON, greffière présente lors du prononcé.
Exposé des faits et de la procédure
Mme Nacira Y..., engagée par la société SA DAFE EDELWEISS rachetée par la SA CHAUSSÉE D'ANTIN à compter du 25 août 1973, en qualité de vendeuse, au dernier salaire mensuel brut de 1.440,64 euros, a été licenciée pour motif économique par lettre du 23 janvier 2001 énonçant le motif suivant :
"...Notre décision est motivée par la réorganisation et la restructuration de nos différents services auxquelles nous procédons.
Si nous avons pu au cours de l'année 99 maintenir sensiblement notre chiffre d'affaires au niveau de l'année précédente, cette stagnation ne nous a pas permis, malgré les différentes mesures que nous avons prises en matière de gestion et de réorganisation du travail de relancer notre activité.
Nos résultats d'exploitation sont négatifs depuis plusieurs années (- 609.863 frs au 1er janvier 1998, - 60.006 frs au 1er janvier 1999, - 42.584 frs au 1er janvier 2000) malgré les mesures prises pour réduire nos charges d'exploitation et l'activité de l'année 2000 qui enregistre une chute de près de 20% du chiffre d'affaires par rapport à l'année 1999, ne fait que confirmer cette situation en ne laissant aucune perspective de reprise et ne nous permettant aucun espoir d'un renversement de tendance significatif
Compte tenu de cette situation, malgré une diminution constante de l'ensemble de l'activité et donc des différents services, nous avons jusqu'à présent cherché à sauvegarder les emplois en recentrant l'activité des différents services et en procédant à des réorganisations des tâches et de leur répartition entre le personnel afin notamment de limiter les suppressions de poste.
Malgré l'ensemble des mesures que nous avons prises afin de nous adapter au marché et aux demandes et souhaits de la clientèle, nous ne sommes pas parvenus à relancer ni même à maintenir notre activité dans un secteur particulièrement concurrentiel auquel nous ne sommes plus actuellement en mesure de pouvoir faire face.
Dès lors, nous ne sommes pas davantage en mesure de poursuivre notre activité dans ses conditions actuelles et sommes contraints de procéder à une restructuration complète de celle-ci et par voie de conséquence de nos services.
Dès lors il apparaît que votre poste ne se justifie plus et aucune possibilité de reclassement n'a pu valablement être retenue.
Par ailleurs, les contacts extérieurs que nous avons pris sont restés vains en raison de la conjoncture économique difficile dans notre secteur spécifique d'activité..."
Par jugement du 5 octobre 2004, le Conseil de prud'hommes de PARIS statuant en formation de départage a condamné la société CHAUSSEE D'ANTIN venant aux droits de la société DAFE EDELWEISS au paiement d'une somme au titre des heures supplémentaires effectuées de 1997 à 2001 ainsi que d'une somme pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en application de L.122-14-5 du Code du Travail. Il a écarté toute condamnation à l'encontre de la société EDELWEISS FRANCE au motif que cette société n'avait rien à voir dans la décision de licenciement.
La société CHAUSSEE D'ANTIN venant aux droits de la société DAFE EDELWEISS en a relevé appel.
Il est expressément fait référence au jugement pour l'exposé des faits et de la procédure ainsi que, pour les prétentions et moyens des parties, aux conclusions visées et soutenues oralement et contradictoirement le 26 octobre 2007.
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Discussion
Sur la rupture
Argumentation de la société CHAUSSEE D'ANTIN venant aux droits de la société DAFE EDELWEISS et de la société EDELWEISS FRANCE
Les sociétés CHAUSSEE D'ANTIN et EDELWEISS FRANCE soutiennent que la salariée a bien été licenciée pour des motifs économiques. L'employeur produit en cause d'appel son bilan pour la période ayant trait au licenciement de Mme Y... qui confirme la situation catastrophique de l'entreprise et l'imminence d'un dépôt de bilan. Il explique que c'est en mars 2001, soit postérieurement à la notification du licenciement qu'une opportunité s'est présentée dans le cadre d'une cession globale des titres de la société. Il fait valoir que le licenciement de Mme Y... notifié le 23 janvier 2001 l'a été dans une période de difficultés économiques graves et qu'un tel contexte ne saurait être remis en cause par la cession ultérieure de titres au profit d'une autre entité exerçant une activité différente, intéressée par la situation géographique du local et qui a entraîné la fermeture pour travaux pendant près d'un an.
Argumentation de Mme Y...
Mme Y... soutient que son licenciement économique est intervenu en vue de faire échec aux dispositions de l'article L. 122-12 du code du travail, à savoir le maintien de son contrat de travail suite au transfert de l'entreprise. Elle expose que son licenciement est intervenu le 23 janvier 2001 à quelques jours de l'assemblée générale du 1er février 2001 ayant modifié la dénomination sociale de la SA DAFE EDELWEISS en SA CHAUSSEE D'ANTIN. Elle reconnaît qu'elle n'était plus titulaire d'un contrat de travail à la date de modification de la situation juridique de l'employeur intervenue en date du 20 février 2001. Mais elle soutient que la rupture du contrat a eu pour objet de faire échec à l'application de l'article L. 122-12 du code du travail. En conséquence, la salariée sollicite une somme correspondant à six mois de salaire pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Position de la Cour
Il résulte de l'ensemble des éléments versés aux débats que l'existence des difficultés économiques de la société DAFE EDELWEISS était avérée et n'est d'ailleurs pas contestée. A cet égard, l'employeur produit en cause d'appel le bilan pour l'année 2000 qui confirme un résultat d'exploitation négatif et en très forte baisse. Cependant, en application de l'article L. 321-1 du code du travail, le licenciement pour motif économique doit résulter d'une suppression, d'une transformation d'emploi ou d'une modification du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques. Or, en l'espèce, aucun élément ne permet d'établir que, conformément aux termes de la lettre de licenciement, la société DAFE EDELWEISS a dû procéder à une restructuration de ses services et à la suppression du poste de Mme Y.... A cet égard, la société CHAUSSEE D'ANTIN qui a acheté la société DAFE EDELWEISS, n'a pas produit le livre du personnel sur la période, ni de justificatif de la suppression du poste de Mme Y.... Au surplus, la proximité dans le temps entre l'établissement de la lettre le 23 janvier 2001 et l'assemblée générale du 1er février 2001 ayant modifié la dénomination sociale de la SA DAFE EDELWEISS en SA CHAUSSEE D'ANTIN, puis de la vente du fonds, montrent le contexte dans lequel s'est située la rupture du contrat de travail de la salariée qui avait 28 ans d'ancienneté. Ainsi, au vu des éléments versés aux débats, la rupture avant la cession a permis de faire échec au droit de la salariée qui pouvait prétendre au maintien de son contrat de travail suite au transfert de l'entreprise.
Il s'ensuit que le licenciement est dépourvu de motif économique au sens de l'article L. 321-1 du code du travail et, conséquence, c'est à juste titre que les premiers juges ont jugé que le licenciement de Mme Y... ne procédait pas d'une cause réelle et sérieuse.
Compte tenu de l'ancienneté de la salariée et au vu de l'ensemble des éléments versés aux débats, le Conseil de prud'hommes a fait une juste appréciation du préjudice subi en application de l'article L.122-14-5 du code du travail en condamnant la société CHAUSSEE D'ANTIN venant aux droits de la société DAFE EDELWEISS au paiement d'une somme à titre de dommages-intérêts correspondant à six mois de salaire. Il y a lieu de confirmer le jugement sur ce point.
Sur la demande au titre des heures supplémentaires
Argumentation
L'employeur fait valoir que les décomptes manuscrits établis par la salariée sont incomplets et ne sont pas contresignés par l'employeur. Il soutient que l'horaire hebdomadaire que la salariée indique avoir effectué est incompatible avec le planning d'affectation et les horaires d'ouverture du magasin. Il indique que le projet de contrat faisant état d'un horaire hebdomadaire de 41 heures n'a pas été signé par l'employeur et n'aucune valeur probante. Il conclut au débouté de la salariée sur ce point.
Position de la Cour
Il résulte de l'article L. 212-1-1 du Code du travail que la preuve des heures de travail effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties et que l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande.
Il résulte des bulletins de salaire de Mme Y... que celle-ci était rémunérée sur la base de 39 heures par semaine. Le projet de contrat produit par la salariée, et qui n'est pas signé par l'employeur, n'a aucune valeur probante en ce qui concerne la réalité des heures effectuées par la salariée. Cependant, en l'espèce, la salariée produit un relevé journalier du nombre d'heures effectuées entre mai 1997 et décembre 1999, puis en janvier 2001. Ces relevés manuscrits sont précis et indiquent un nombre d'heures journalier variant de 8 heures à 8 heures 30. Ils ne couvrent pas l'ensemble de la période considérée mais sont des éléments suffisants pour étayer la demande, alors même qu'ils ne sont pas contresignés par l'employeur. De plus, la salariée produit l'attestation d'un ancien cadre de la société qui certifie que Mme Y... effectuait habituellement au moins 41 heures par semaine. Enfin, nonobstant les allégations de l'employeur, le fait que le magasin soit ouvert du lundi au vendredi de 10 heures à 19 heures et le samedi matin n'est pas incompatible avec les prétentions de la salariée qui a d'ailleurs sollicité le paiement d'heures supplémentaires effectuées mais non rémunérées préalablement à son licenciement, par lettre recommandée avec accusé de réception du 16 janvier 2001. De son côté, l'employeur ne produit pas d'autres éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. C'est, dès lors, à juste titre que le Conseil de prud'hommes, au vu de l'ensemble des éléments versés aux débats, a retenu que la salariée effectuait un horaire hebdomadaire de 40 heures et a condamné l'employeur au paiement d'une somme de 2 153,32 euros correspondant aux heures supplémentaires effectuées par la salariée entre 1997 et 2001 et non rémunérées. Le jugement du Conseil de prud'hommes sera donc confirmé sur ce point.
Sur la demande de restitution d'un trop perçu au titre de la prime d'ancienneté
Argumentation
La société CHAUSSEE D'ANTIN venant aux droits de la société DAFE EDELWEISS demande un remboursement de trop perçu sur une prime d'ancienneté pour la période de mai 1997 à janvier 2001.
Position de la Cour
Au vu de l'ensemble des éléments versés aux débats, c'est à juste titre que le Conseil de prud'hommes, après avoir constaté que la salariée avait obtenu une prime d'ancienneté à un taux supérieur à celui prévu par la convention collective nationale, a estimé que le versement continu de cette prime avait nécessairement été contractualisé et demeurait donc acquis à la salariée.
En conséquence, le jugement du Conseil de prud'hommes sera confirmé sur ce point.
Sur la mise en cause de la société EDELWEISS FRANCE
Il résulte des éléments versés aux débats que c'est la société SA DAFE EDELWEISS qui a embauché la salariée et qui a employé l'intéressée jusqu'au rachat de cette entité par la SA CHAUSSÉE D'ANTIN qui vient aux droits de la société SA DAFE EDELWEISS. C'est donc à juste titre que le Conseil de prud'hommes a mis hors de cause la société EDELWEISS FRANCE qui a été créée postérieurement au licenciement par l'ancien propriétaire de la société SA DAFE EDELWEISS. Le jugement sera donc confirmé sur ce point.
Sur la demande au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile
L'équité commande qu'il soit fait application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile au profit de Mme Y....
PAR CES MOTIFS
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
CONDAMNE la société CHAUSSEE D'ANTIN venant aux droits de la société DAFE EDELWEISS à payer à Mme Y... la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
DEBOUTE les parties du surplus des demandes,
LAISSE les dépens à la charge de la société CHAUSSEE D'ANTIN venant aux droits de la société DAFE EDELWEISS.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE