RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
22ème Chambre B
ARRÊT DU 23 Novembre 2007
(no , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 05/08115
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 18 Février 2005 par le conseil de prud'hommes de PARIS RG no 02/04934
APPELANT
Monsieur Salah X...
...
93500 PANTIN
comparant en personne, assisté de Me Corinne Y...
Z..., avocat au barreau de PARIS, toque : P 373
INTIMÉE
SARL LES DEUX FRÈRES
11 avenue Corentin Cariou
75019 PARIS
représentée par M. Yazid HADDADOU, gérant et par Me Bélaid MAZNI, avocat au barreau de PARIS, toque : D 1654
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du nouveau Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Octobre 2007, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Brigitte BOITAUD, Présidente, chargée d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Brigitte BOITAUD, Présidente
Monsieur Philippe LABRÉGÈRE, Conseiller
Monsieur Daniel FONTANAUD, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffière : Mademoiselle Ingrid JOHANSSON, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par Monsieur Daniel FONTANAUD, Conseiller
- signé par Madame Brigitte BOITAUD, Présidente et par Mademoiselle Ingrid JOHANSSON, greffière présente lors du prononcé.
M Salah X... et M.Pascal B..., ont été engagés à compter du 2 septembre 1996, le premier en qualité de Directeur de restaurant, le second en qualité de chef de rang, par la société HR and Co, société de restauration à l'enseigne " IN VINO VERITAS", créée en janvier 1994 et débutant son activité en février 1995.
Le 12 février 1998, cette société était mise en redressement judiciaire. Messieurs X... et B... se portaient candidats à la reprise de la société en septembre 1999. Cependant par jugement du 23 septembre 1999, un plan de continuation était accepté pour permettre la poursuite de l'activité avec son dirigeant M.Quertain.
Le 30 octobre 1999 un protocole d'accord était signé par les associés de la société aux termes duquel ils s'engageaient à verser à hauteur de 50% pour chacun des salariés une somme totale de 400 000 FR en cas de vente du restaurant ou en cas de départ des salariés " pour quelque motif que ce soit".
Par jugement du 30 août 2001 la liquidation judiciaire de la société était prononcée. La société LES DEUX FRERES faisait une offre de reprise qui était préférée à l'offre de reprise à nouveau présentée par messieurs X... et B....
C'est dans ces circonstances que les contrats de travail des deux salariés étaient repris par la société LES DEUX FRERES, ce dont ils étaient informés par courrier du 13 décembre 2001. Une mise au chômage technique jusqu'au 1er janvier 2002 était rendue nécessaire pour effectuer les démarches liées à la mutation de la licence.
Par lettre du 21 décembre 2001 présentée le 27, messieurs X... et B... étaient convoqués à un entretien préalable à leur licenciement prononcé le 14 janvier 2002 pour le motif économique énoncé "
- la pérennité de l'entreprise nous oblige à une restructuration et à la suppression de doublons pouvant mettre en danger les emplois et la santé financière de la société,
- l'établissement que nous venons de reprendre accumule des pertes depuis plusieurs années, le dernier exercice social se soldant par un déficit de plus de 50 000 euros ,
- nous constatons que la masse salariale est trop importante pour un établissement comme le notre et que certains postes ne sont pas indispensables pour la bonne marche de l'entreprise, ainsi l'équipe de direction compte déjà deux membres actionnaires en plus des deux cadres inscrits, pour un effectif total de 6 personnes,
votre poste n'étant pas indispensable et relevant des critères de cette restructuration; conséquemment nous sommes dans l'obligation de le supprimer..."
Messieurs X... et B... étaient en arrêt-maladie du 2 au 16 janvier 2002. Au cours de cet arrêt-maladie, les salariés recevaient une proposition de modification de leur rémunération à la baisse avec effet rétroactif au 13 décembre 2001 ainsi qu'un avis de répartition des pourboires sur l'ensemble du personnel en contact avec la clientèle conformément aux dispositions légales.
A leur retour le 16 janvier 2002, les salariés déclaraient à leur employeur qu'ils refusaient la modification de leur rémunération . Ils quittaient l'entreprise, déposaient une main courante dénonçant des menaces et insultes des repreneurs, les frères Haddadou, et écrivaient à ces derniers qu'ils étaient mis dans l'impossibilité de reprendre leur poste du fait de l'employeur.
Après avoir mis en demeure les intéressés de reprendre leur poste, la société LES DEUX FRERES notifiait aux salariés par lettre du 31 janvier 2002, la rupture des relations contractuelles pendant le préavis " pour abandon de poste".
Par jugement du 18 février 2005, le conseil de prud'hommes de Paris déboutait M. X... de ses demandes.
M. X... en relevait appel.
Pour les prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux conclusions visées et reprises oralement le 19 octobre 2007.
* *
*
Sur le bien fondé du licenciement
Si le nouvel employeur conserve le droit de rompre le contrat de travail du salarié transféré, il fait échec aux dispositions d'ordre public de l'article L 122-12 du Code du travail lorsque le licenciement intervient pour des difficultés économiques qui sont à l'origine de la cession.
La société LES DEUX FRERES affirme que le motif économique du licenciement était sérieux en raison de la mauvaise situation financière de l'entreprise, le fonds venant d'être racheté à la suite d'une liquidation judiciaire, que le maintien des salaires élevés des intéressés était incompatible pour le redressement de l'entreprise ; qu'enfin, messieurs X... et B... étaient les "vrais animateurs et dirigeants de fait de la société HR and CO" qui avaient tenté à deux reprises de racheter le fonds et n'acceptaient pas leur échec; que leur gestion n'a pas permis un redressement de la situation déficitaire du restaurant et qu'ils n'ont jamais travaillé pour le nouvel employeur; que le fonds de commerce "a renoué avec les bénéfices dès l'exercice 2002 avec un résultat bénéficiaire de 22 201 euros avant provisions".
En l'espèce les termes de la lettre de licenciement établissent précisément que la cause économique énoncée du licenciement est celle-là même qui a conduit au prononcé de la liquidation judiciaire et à la cession de la société HR and CO dans des conditions dont le repreneur avait connaissance. En considérant que les postes des intéressés, qualifiés de "doublons" n'étaient pas "indispensables" et en convoquant messieurs X... et B... à un entretien préalable au licenciement dés le 21 décembre 2001 soit à peine deux mois après la cession, la société LES DEUX FRERES entendait faire échec à son obligation de reprise des contrats de travail et contrevenait aux dispositions d'ordre public de l'article L 122-12 du code du travail. Le licenciement de M. X... est donc sans cause réelle et sérieuse et ouvre droit à réparation.
Sur la rupture de préavis
La société LES DEUX FRERES soutient que messieurs X... et B... éconduits par le juge commissaire dans leur offre de reprise, n'entendaient pas reprendre le travail avec les nouveaux acquéreurs; qu'ils se sont fait prescrire un arrêt de travail d'une même durée; qu'ils n'ont eu de cesse d'entraver le bon fonctionnement du service, augmentant les salaires du personnel et s'octroyant une prime exceptionnelle en novembre 2001 alors même que la société était en redressement judiciaire et proférant des menaces; que ces éléments démontrent qu'ils n'avaient pas l'intention d'exécuter le préavis.
Il ressort des pièces du dossier que le jour de sa reprise du travail le 16 janvier 2002, M.AIT-IDIR a déclaré à son nouvel employeur qu'il refusait la modification de sa rémunération au pourcentage par une rémunération fixe, modification qui lui avait été proposée par lettre du 7 janvier 2002. M.AIT-IDIR a adressé le jour même une lettre à ses employeurs pour se plaindre des pressions et menaces qu'il avait subies ce jour là " en présence de l'ensemble du personnel" , pour l'aviser qu'il ne se présenterait plus sur son lieu de travail, et que cette circonstance ne pouvait être assimilé à un abandon de poste. Il effectuait le jour même une déclaration de main courante. Mais ni cette déclaration ni l'attestation de Mlle X..., dont le contrat de travail a été également repris par la société LES DEUX FRERES, ne peut suffire à établir la réalité et l'importance du grief de pressions et menaces justifiant la rupture des relations contractuelles pendant le préavis à l'initiative du salarié. Cette dernière ne précise pas l'absence de lien de parenté avec le directeur du restaurant licencié et l'autre salariée qui atteste, a seulement assisté à l'entretien " concernant la notification du licenciement pour faute grave " au cours duquel l'incident du 16 janvier 2002 a été relaté " insultes et menace physique de la direction suite à la modification de contrat...". Elle n'en a pas été le témoin direct. Il s'ensuit que c'est à juste titre que l'employeur, après avoir mis en demeure M.AIT-IDIR de reprendre son poste, l'a licencié pour faute grave pendant le préavis, pour abandon de poste.
Il n'est en conséquence pas fait droit à la demande en paiement d'indemnité de préavis.
Sur le protocole d'accord
La société LES DEUX FRERES fait observer que rien ne justifiait que la société HR and Co alors même qu'elle était en redressement judiciaire par voie de continuation avec le personnel présent, fasse le "cadeau" d'une indemnité de rupture pour les deux salariés, au surplus quelque soit le motif de cette rupture, cession, départ volontaire, sans contrepartie; que les salariés ne sauraient évoquer leur contribution "exceptionnelle" compte tenu de l'état financier dans lequel se trouvait la société; que le fonds de commerce "a renoué avec les bénéfices dès l'exercice 2002 avec un résultat bénéficiaire de 22 201 euros avant provisions"
La société LES DEUX FRERES soutient encore que ce protocole, certes daté du 30 octobre 1999, a en réalité été établi avant le jugement du Tribunal de commerce du 29 septembre 1999 arrêtant le plan de continuation; qu'ainsi ce protocole est nul pour avoir été conclu au cours de la période suspecte; qu'en outre cet accord ne constitue pas un avenant au contrat de travail opposable au repreneur mais bien d'un accord auquel le repreneur n'a pas été partie et qui lui est inopposable conformément aux dispositions de l'article 1165 du code civil; qu'elle n'a eu connaissance de cet accord verbalement que dans le cadre de la procédure d'offres ; qu'il s'agit en réalité d'un "montage" pour permettre aux salariés, dirigeants de fait, de s'octroyer une libéralité et de se porter acquéreurs du fonds de commerce; qu'en tout état de cause, le gérant ne pouvait engager la société sans une délibération spéciale sur ces engagements "exorbitants" que la société ne pouvait régler.
Il ressort des pièces du dossier que, dans un contexte où le plan de redressement par voie de continuation proposé par la société HR and CO était préféré à l'offre de reprise de messieurs C... IDIR et B..., un protocole rappelant ce contexte, a été signé le 30 octobre 1999 par les associés de la société HR and CO, reconnaissant la contribution de ces derniers depuis leur embauche à l'augmentation du chiffre d'affaires. Aux termes de ce document contractuel, il était prévu " Dans l'hypothèse où le restaurant "IN VINO VERITAS" serait vendu, qu'il s'agisse de la vente des parts sociales de la société ou du fonds de commerce, il serait versé à messieurs D... -IDIR et B..., à concurrence de 50% chacun, une somme de quatre cent mille francs (400 000 FF), payée comptant dès l'encaissement du prix de cession...l'engagement de la société est garanti par un nantissement en premier rang sur le fonds de commerce exploité ... ainsi que cela a été autorisé par une assemblée des associés en date du...". L'hypothèse du départ des messieurs X... et B... était également mentionnée avec le même engagement de paiement garanti par un nantissement. S'ils décidaient "d'arrêter d'exercer leur fonctions au sein de l'entreprise ...pour quelque motif que ce soit, la société HR and CO leur verserait immédiatement" cette même somme. Le même engagement était pris si c'était la société qui leur demandait de quitter l'entreprise.
Ni le jugement arrêtant le plan de continuation le 23 septembre 1999 par le Tribunal de commerce ni le jugement du 30 août 2001 prononçant la liquidation judiciaire ne font allusion à l'existence d'un tel engagement. Aucun élément ne permet de dire que le protocole a été signé voir même convenu avant que le plan de continuation de l'activité, proposé par le dirigeant, ne soit retenu. La date de cessation des paiements a été fixée provisoirement au 31 décembre 2000 par le jugement du 30 août 2001. Le moyen tiré de la nullité de l'acte conclu en période suspecte n'est pas fondé.
Le 2 novembre 2001 le mandataire liquidateur de la société LES DEUX FRERES adressait au juge-commissaire une requête faisant état de l'offre de reprise du fonds de commerce par messieurs X... et B... et de leur "renonciation au versement de l'indemnité conventionnelle de 400 000 francs selon le protocole en date de 30 octobre 1999" . La décision du juge-commissaire du 6 novembre 2001 ordonnant la vente du fonds de commerce de la société HR and CO à Messieurs HADDADOU karim et Yazid avec reprise de six contrats de travail en indiquant simplement " Disons que l'acquéreur fait son affaire personnelle de la reprise des six contrats de travail conformément à l'article L 122-12 du contrat de travail" sans une mention quelconque sur le devenir des engagements du précédent employeur dans le protocole du 30 octobre 1999.
L'article L122-12 du Code du travail déroge à l'effet relatif des contrats et c'est en vertu de la loi que les contrat de travail en cours subsistent à l'égard du nouvel employeur , ce dernier ne pouvant prétendre être un tiers au contrat conclu avec le précédent employeur.
Le protocole litigieux instaure une indemnité de rupture notamment en cas de départ des salariés "pour quelque motif que ce soit". Il s'agit d'un élément contractuel de la relation de travail opposable au nouvel employeur.
Cependant le montant de cette indemnité, rapporté au prix de la cession (800 000 francs), est manifestement excessif et constitue pour partie une pénalité. Il convient de réduire cette indemnité à la somme de 10 000 €.
Sur le harcèlement moral
Le salarié n'a jamais travaillé avec le repreneur. Le seul incident du 16 janvier 2002 ne permet pas de caractériser des faits de harcèlement moral . M. X... est débouté de sa demande.
Sur le montant du dernier salaire moyen
Les parties diffèrent sur le salaire de base à prendre en considération: 1 861,46 euros pour la société LES DEUX FRERES, 3 957 euros pour le salarié.
Pour la détermination de ce montant il y a lieu de tenir compte du salaire mensuel moyen calculé hors la dernière période affectée par les effets de la cession et du chômage technique subi par l'intéressé, soit un salaire moyen de 3 957 euros calculée sur la période du 1er décembre 2000 au 30 novembre 2001.
Sur le montant de l'indemnité de licenciement et des dommages et intérêts pour rupture abusive
Il reste dû à M. X... une somme de 93,84 euros sur la base du salaire ci-dessus indiqué au titre de l'indemnité de licenciement.
M. D... IDIR n'a retrouvé un emploi que le 2 février 2004 après avoir perçu des allocations chômage. La cour fixe à 15 000 euros le montant des dommages et intérêts pour rupture abusive sur le fondement de l'article L 122-14-5 du code du travail.
Sur la régularité de la procédure
La lettre de convocation à l'entretien préalable, envoyée le 21 décembre 2001, a été présentée le 27 décembre 2001 pour un entretien ayant lieu le 28 décembre 2001, soit un délai que la cour juge insuffisant même si, dans la législation en vigueur, aucun délai minimal n'était fixé. Une somme de 500 euros est allouée à ce titre.
PAR CES MOTIFS
REFORME le jugement,
CONDAMNE la société LES DEUX FRERES à payer à M C... IDIR :
- 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,
- 93,84 euros à titre de complément d'indemnité de licenciement,
- 10 000 euros au titre de l'indemnité spécifique de rupture,
- 500 euros au titre de l'irrégularité de procédure,
- 1 500 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
ces sommes avec intérêts au taux légal conformément aux articles 1153 et 1153-1 du code civil,
CONFIRME le jugement en ses autres dispositions,
ORDONNE la remise des documents sociaux conformes au présent arrêt,
MET les dépens à la charge de la société LES DEUX FRERES.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE