RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
18ème Chambre B
ARRÊT DU 08 Novembre 2007
(no , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 06/01079
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 07 Novembre 2006 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de CRÉTEIL RG no 20300380CR
APPELANT
Monsieur Jean Paul X...
...
94160 ST MANDE
représenté par Me Clotilde SAINT RAYMOND, avocat au barreau de PARIS, toque :
R 075
INTIMÉE
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU VAL DE MARNE (CPAM 94)
1-9, Avenue du Général de Gaulle
94031 CRETEIL CEDEX
représentée par Mme BAILLET-TROUDART en vertu d'un pouvoir général
Monsieur le Directeur Régional des Affaires Sanitaires et Sociales - Région d'Ile-de-France (DRASSIF)
58-62, rue de Mouzaia
75935 PARIS CEDEX 19
Régulièrement avisé - non représenté.
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du nouveau Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 Octobre 2007, en audience publique, les parties représentées ne s'y étant pas opposées, devant Madame Marie-Christine LAGRANGE, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Bertrand FAURE, Président
Madame Bernadette VAN RUYMBEKE, Conseiller
Madame Marie-Christine LAGRANGE, Conseiller,
Greffier : Madame Claire AUBIN-PANDELLÉ, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Nouveau Code de Procédure Civile.
- signé par Monsieur Bertrand FAURE, Président et par Madame Claire AUBIN- PANDELLÉ, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Monsieur Jean-Paul X..., psychiatre, qui exerce à la Clinique neuro-psychiatrique Jeanne d'Arc à SAINT MANDE, a fait l'objet d'un contrôle réalisé en mars 2002 à l'issue duquel la C.P.A.M. 94 Val de Marne l'a mis en demeure de rembourser la somme de 9 050,06 € au motif qu'il a dispensé certains actes non conformes à la Nomenclature Générale des Actes Professionnels et d'autres dont la matérialité n'est pas démontrée.
Saisie par Monsieur le Docteur Jean-Paul B..., la Commission de recours amiable a rejeté le recours dans sa séance du 3 mars 2003.
Monsieur le Docteur Jean-Paul B... a alors sais le tribunal des affaires de sécurité sociale de CRETEIL.
Par jugement en date du 21 octobre 2003, le tribunal a fait droit à la demande de la Caisse et a sursis à statuer dans l'attente de la décision du Conseil Régional de l'Ordre des Médecins d'Ile de France auprès duquel la Caisse avait déposé une plainte à l'encontre du médecin.
Le Conseil régional a rendu une décision le 13 octobre 2004 dont Monsieur le Docteur Jean-Paul B... et la Caisse ont respectivement interjeté appel.
Dans sa décision en date du 15 septembre 2005, le Conseil National de l'Ordre a annulé la décision déférée et, statuant à nouveau, a infligé au Docteur Jean-Paul B... une interdiction du droit de donner des soins aux assurés sociaux pendant deux mois dont un avec sursis.
Monsieur le Docteur Jean-Paul B... a formé un pourvoi en cassation et, par arrêt en date du 27 avril 2006, le Conseil d'Etat a considéré qu'aucun des moyens soulevés n'était de nature à permettre l'admission de la requête.
La C.P.A.M. 94 ayant fait rétablir l'affaire au rôle, le tribunal des affaires de sécurité sociale de CRETEIL, par jugement en date 7 novembre 2006, a rejeté les demandes de Monsieur le Docteur Jean-Paul B... et a condamné celui-ci a verser la somme de 9 050,06 €.
Par déclaration reçue au Greffe le 6 décembre 2006, Monsieur le Docteur Jean-Paul B... a régulièrement interjeté appel de ce jugement.
Dans ses dernières conclusions reçues au Greffe le 2 octobre 2007 et soutenues oralement à l'audience par son Conseil, Monsieur le Docteur Jean-Paul B... demande à la Cour, infirmant le jugement entrepris, de dire que les cotations retenues par lui étaient parfaitement justifiées au regard de la Nomenclature Générale des Actes Professionnels et, en conséquence, rejeter la demande de remboursement formée par la C.P.A.M. 94-Val de Marne.
Monsieur le Docteur Jean-Paul B... soutient que le tribunal des affaires de sécurité sociale est seul compétent pour examiner les problèmes d'interprétation alors qu'il a sursis à statuer dans l'attente des décisions ordinales et que la Cour n'est pas tenue par celles-ci.
Concernant la cotation de la consultation sortie, l'appelant fait valoir que la Caisse n'en conteste pas la matérialité mais la considère à tort, tout comme le tribunal, comme une consultation de surveillance et non comme une véritable consultation cotée CPSY telle qu'elle est définie par la Nomenclature Générale des Actes Professionnels.
Concernant les honoraires de surveillance et la prise en charge des phénomènes de décompensation psychique brutale, l'appelant soutient que, certes, il n'existe aucune trace écrite, mais qu'il produit son contrat d'exercice lui imposant de voir les malades tous les jours ainsi que des attestations de patients et du personnel soignant.
Subsidiairement, il ajoute que la Cour n'étant pas tenue par la jurisprudence du Conseil d'Etat, peut ordonner une expertise et il fait observer que lors de contrôles antérieurs de la clinique la Caisse n'a formulé aucune observation.
Sur interrogation de la Cour, Monsieur le Docteur Jean-Paul B... précise qu'il a les patients sous sa surveillance tout au long de leur hospitalisation jusqu'à leur sortie.
A l'audience, la Caisse primaire d'assurance maladie 94-Val de Marne dûment représentée demande à la Cour de confirmer le jugement entrepris.
Après avoir rappelé la décision du Conseil d'Etat ayant dit n'avoir lieu à statuer sur le pourvoi formé par Monsieur le Docteur Jean-Paul B..., la Caisse soutient que celui-ci ne démontre pas que la consultation de sortie obéit aux critères de la CPSY de la Nomenclature Générale des Actes Professionnels et que le mécanisme de la facturation systématique de surveillance par jour et par malade, dont on ne trouve en outre aucune trace écrite, n'est pas justifiée par l'appelant.
SUR CE
1/. Sur la compétence du tribunal des affaires de sécurité sociale et de la Cour de Céans.
Considérant que, par lettre datée du 21 août 2002, la Caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne a notifié à Monsieur le Docteur Jean-Paul B... une créance s'élevant à la somme de 9 050,06 € et correspondant à des facturations d'actes professionnels non justifiés ; que, dans sa séance du 3 mars 2003, la Commission de recours amiable a rejeté le recours du praticien ;
Considérant que l'article L 133-4 du code de la sécurité sociale dispose que l'organisme de prise en charge des actes professionnels médicaux recouvre l'indu auprès du professionnel concerné en cas d'inobservation de la Nomenclature Générale des Actes Professionnels ; qu'il est expressément disposé que "les litiges nés de l'application du présent article sont portés devant les tribunaux des affaires de sécurité sociale"
Considérant, en conséquence, que l'appréciation de la conformité des actes professionnels tarifés par un médecin aux critères retenus par la Nomenclature est de la seule compétence de la juridiction judiciaire ;
Considérant que l'inobservation de la Nomenclature constitue une fraude au sens de l'article L 145-1 du code de la sécurité sociale qui justifie la saisine de la section du conseil régional de discipline des médecins ; que, pour autant, cette fraude n'existe que si l'inobservation des règles de la Nomenclature a été constatée par le tribunal des affaires de sécurité sociale ;
Considérant, dès lors, que le tribunal aurait dû statuer sur le présent litige opposant Monsieur le Docteur Jean-Paul B... à la Caisse primaire d'assurance maladie, sans avoir à prononcer un sursis à statuer dans l'attente de la décision des autorités ordinales et du Conseil d'Etat ; qu'il ne pouvait pas plus fonder sa décision sur les dispositions et motivations de l'arrêt rendu par ce dernier dès lors qu'il était de sa seule compétence d'apprécier la validité des tarifications d'actes pratiquées par Monsieur le Docteur Jean-Paul B... ;
Considérant, de surcroît, que le juge judiciaire n'est pas tenu par les décisions du Conseil National de l'Ordre des Médecins ni par celles de la juridiction administrative, eu égard à la stricte séparation des deux ordres juridictionnels ;
Considérant que la Cour de Céans est donc compétente pour statuer en toute autonomie sur la tarification des actes pratiqués par Monsieur le Docteur Jean-Paul B... ;
2/. Sur la tarification des "consultations de sortie".
Considérant que Monsieur le Docteur Jean-Paul B..., médecin spécialisé en psychiatrie, a coté CNSPY les consultations données dans la clinique neuro-psychiatrique Jeanne d'Arc à SAINT MANDE le jour de la fin d'hospitalisation de vingt deux patients et donc lors de leur sortie de l'établissement ; que la Caisse primaire d'assurance maladie a limité sa participation à la cotation C x 1 correspondant à la rémunération d'honoraires de surveillance au motif que le praticien ne fait que s'assurer de l'état du malade à l'issue de son hospitalisation dont il a eu la responsabilité et la surveillance ;
Considérant que la Nomenclature, en son article 2, dispose que la consultation effectuée par "le médecin psychiatre qualifié" est cotée CNPSY ; qu'en son article 15, elle définit le contenu de la consultation en ce qu'elle "comporte généralement un interrogatoire du malade, un examen clinique et, s'il y a lieu, une prescription thérapeutique" ; qu'elle précise que la consultation effectuée par un médecin spécialiste qualifié comporte "également les actes de diagnostic courant propre à sa spécialité" ;
Considérant que le contrat d'exercice conclu le 29 octobre 1998 entre la Clinique Jeanne d'Arc et Monsieur le Docteur Jean-Paul B... stipule en son article 7 que ce dernier s'engage à tenir à jour le dossier médical de chaque patient hospitalisé et à adresser un compte-rendu d'hospitalisation, avec diagnostic de sortie au praticien désigné par le patient ou son représentant légal dans les huit jours succédant à la sortie ; que la nécessité d'un "diagnostic propre à sa spécialité" est contractuellement imposée à Monsieur le Docteur Jean-Paul B... ;
Considérant que Monsieur le Docteur Jean-Paul B... produit aux débats les dossiers médicaux de quatre de ces vingt deux patients ayant fait l'objet d'un examen de sortie litigieux ; que chacun de ces dossiers comprend un "compte-rendu d'hospitalisation" qui démontre que le praticien a examiné attentivement chacun de ses patients la veille de sa sortie pour établir des prescriptions médicamenteuses et que même, pour l'une d'entre elles, il a reporté la date de sortie en raison de son état d'anxiété ressortant de l'entretien qu'il avait eu avec elle ; que l'examen de sortie incluait donc bien un entretien, un diagnostic propre et éventuellement une prescription thérapeutique ;
Considérant, en tout état de cause, qu'il est inconcevable qu'un médecin psychiatre remette dans la vie sociale un patient dont il n'aurait pas auparavant sérieusement contrôlé l'absence de dangerosité et la capacité à se réintégrer dans son milieu familial, professionnel et plus généralement social même s'il a suivi ce malade tout au long de son hospitalisation dès lors que la sortie est un acte grave pouvant affecter l'ordre public et la sécurité du patient lui-même;
Considérant, pour l'ensemble de ces motifs, que les vingt deux consultations de sorties effectuées par Monsieur le Docteur Jean-Paul B... sont conformes aux critères de la cotation CNPSY de la Nomenclature ; que la Caisse n'est donc pas fondée à demander le remboursement d'un indu à ce titre ; que le jugement sera donc réformé en ce sens ;
3/. Sur la facturation des actes de surveillance (C1) et de la prise en charge intensive continue d'un épisode de décompensation psychique (CNPSY 0,8).
Considérant, comme l'a retenu le tribunal, que le litige porte sur la réalité des actes facturés au titre de la surveillance quotidienne des patients et de la prise en charge intensive et continue d'épisodes de décompensation psychique ;
Considérant que les remboursements d'un indu de facturation à ce titre portent sur cinquante six patients recensés par la Caisse primaire d'assurance maladie du Val de marne ;
* Sur les actes de surveillance :
Considérant que l'article 20 de la Nomenclature dispose que les honoraires de surveillance médicale ne peuvent être perçus que par un seul praticien par jour et par malade examiné, que cet honoraire de surveillance est de C x 1 à condition que le nombre de médecins de l'établissement qualifiés en neuropsychiatrie ou en psychiatrie, assurant la surveillance constante dans cet établissement soit au moins d'un médecin pour trente malades ;
Considérant qu'il n'est pas contesté que la clinique Jeanne d'Arc a la capacité de 110 lits et que six psychiatres ou neuropsychiatres y exercent leur activité ; que les critères d'application de l'article 20 sont dès lors remplis ; que, cependant, même si cet article 20 n'impose pas de trace écrite, encore faut-il que les actes de surveillance soient démontrés comme ayant été réalisés dès lors qu'il ne s'agit que d'une surveillance de routine ;
Considérant que le contrat d'exercice susvisé stipule en son article 1 que "le Docteur Jean-Paul X... s'engage à voir ses patients hospitalisé chaque jour" ; que, cependant, l'appelant ne conteste pas ne pas avoir laissé de traces écrites de ses visites quotidiennes de surveillance ;
Considérant, en outre, qu'il est produit aux débats des attestations d'anciens patients ou du personnel soignant confirmant la matérialité des visites quotidiennes du Docteur Jean Paul X... ;
Considérant, cependant, que les dossiers médicaux produits aux débats dont certains sont ceux de patients ayant délivré les attestations visées ci-dessus, montrent que Monsieur le Docteur Jean-Paul B... y inscrivait ses visites qui parfois étaient quotidiennes ; que l'absence de traces écrites pour les autres surveillances quotidiennes systématiques invoquées ne permet pas de retenir la matérialité de celles-ci ; que la Caisse est donc fondée à demander le remboursement des actes de surveillance cotés C x 1 dont il n'existe pas de trace écrite ;
* Sur la prise en charge des épisodes de décompensation psychique brutale :
Considérant que la circulaire du 2 avril 1997 de la C.N.A.M.T.S. précise que l'acte forfaitaire spécifique coté CNPSY 0,8 par jour de prise en charge intensive correspond à des situations cliniques évolutives et donne des exemples de situations cliniques d'applications de cet acte très précisément décrites ; qu'il convient donc d'examiner les "fiches patients" établies par la Caisse primaire de sécurité sociale du Val de Marne au soutien de sa demande de remboursement d'indu pour apprécier si les situations cliniques justifiaient ou non l'application d'une cotation CNPSY 0,8 ;
Considérant que les 36 dossiers litigieux à ce titre font état de situations, parfois associées à des addictions difficiles à sevrer, ainsi réparties:
- dix cas de troubles dépressifs plus ou moins sévères,
- trois cas de troubles bipolaires,
- neuf cas de troubles anxio-dépressifs,
- deux cas de dysthymie,
- cinq cas de schizophrénie sévères,
- deux cas de troubles psychotiques,
- un cas d'hystérie ;
Que , cependant si ces situations correspondent à celles visées par la circulaire citées ci-dessus, l'absence de traces écrites aux dossiers médicaux pour certains de ces actes est insuffisante en soi pour retenir la matérialité de ces actes ;
Considérant, en conséquence, que la Caisse est bien fondée à demander le remboursement des actes de prise en charge des épisodes de décompensation psychique dont il n'existe pas de trace écrite ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant publiquement et contradictoirement,
INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Et statuant de nouveau,
DIT que la Caisse primaire d'assurance maladie 94 Val de Marne est fondée à demander le remboursement de l'indu pour les honoraires de surveillance facturés selon la cotation C x1 ainsi que pour les honoraires de prise en charge des épisodes de décompensation psychique dont il n'existe pas de trace écrite,
DÉBOUTE les parties du surplus de leur demande.
Le Greffier, Le Président,