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07/11/2007 | FRANCE | N°06/07736

France | France, Cour d'appel de Paris, Ct0089, 07 novembre 2007, 06/07736


Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

1ère CHAMBRE - Section N

REPARATION DES DETENTIONS PROVISOIRES

DECISION DU 7 NOVEMBRE 2007

No du répertoire général : 06/07736

Décision contradictoire en premier ressort

Nous, Renaud BLANQUART, Conseiller à la Cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Gilles DUPONT, Greffier lors des débats et du prononcé, avons rendu la décision suivante :

Statuant sur la requête déposée au greffe le 3 mai 2006 par Maître C

hristine ELBE, avocat substituant la SCP MAIRAT ET ASSOCIES, avocats associés de Monsieur Khaled Z..., demeurant ....

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

1ère CHAMBRE - Section N

REPARATION DES DETENTIONS PROVISOIRES

DECISION DU 7 NOVEMBRE 2007

No du répertoire général : 06/07736

Décision contradictoire en premier ressort

Nous, Renaud BLANQUART, Conseiller à la Cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Gilles DUPONT, Greffier lors des débats et du prononcé, avons rendu la décision suivante :

Statuant sur la requête déposée au greffe le 3 mai 2006 par Maître Christine ELBE, avocat substituant la SCP MAIRAT ET ASSOCIES, avocats associés de Monsieur Khaled Z..., demeurant ... SOUS BOIS ;

Vu les pièces jointes à cette requête ;

Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire du Trésor notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les conclusions du requérant notifiées par lettre recommandée avec avis de réception;

Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 19 septembre 2007 ;

Vu la présence de Monsieur Khaled Z... ;

Ouï Monsieur Khaled Z..., Maître Pierre MAIRAT, avocat assistant Monsieur Khaled Z..., Maître Carole A..., avocat plaidant pour la SCP UETTWILLER GRELON GOUT CANAT ET ASSOCIES, avocats associés représentant Monsieur l'Agent Judiciaire du Trésor, ainsi que Madame Lydia GÖRGEN, avocat général, les débats ayant eu lieu en audience publique, le 19 septembre 2007, le requérant ayant eu la parole en dernier ;

Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R. 26 à R. 40-7 du code de procédure pénale ;

* *

Monsieur Khaled Z..., né le 30 octobre 1962, a été mis en examen le 15 novembre 2002, des chefs de vol à main armée, vol avec violences, association de malfaiteurs en vue de la préparation de crimes ou délits punis d'au moins 5 ans d'emprisonnement et vol commis avec usage d'une arme. Il a été placé en détention provisoire le jour même. Il a été mis en liberté et placé sous contrôle judiciaire le 20 novembre 2003. Il a fait l'objet d'une décision de relaxe par jugement du tribunal correctionnel de Paris le 16 novembre 2005, décision devenue définitive. Il a subi une incarcération de 1 an et 5 jours ou de 8 mois et 5 jours, déduction faite de l'exécution, pendant sa détention provisoire, d'une peine de 4 mois d'emprisonnement prononcée pour des faits commis pendant le cours de sa détention.

Monsieur Z... avait été détenu du 11 décembre 1989 au 31 octobre 1990, ayant été condamné, le 25 octobre 1990, à deux ans d'emprisonnement dont un an avec sursis, pour vol.

Par requête déposée le 3 mai 2006, aux fins d'indemnisation à raison d'une détention, Monsieur Z... fait valoir qu'il a été condamné pendant le cours de sa détention pour avoir refusé de se soumettre à un prélèvement biologique du fait qu'il était séropositif et avait été contaminé par transfusion en 1984.

Il ajoute,

S'agissant de son préjudice moral :

que lors de son placement en détention, il était marié et père de 5 enfants dont 4 mineurs, qu'il se savait en sursis du fait de sa maladie, qu'il était particulièrement isolé en détention du fait de son état de santé et pratiquement rejeté par les autres, par ignorance, qu'une expertise psychiatrique a été diligentée au cours de la procédure, qui a confirmé son anxiété justifiant la prise de psychotropes.

Il sollicite une indemnité de 50.000 €, de ce chef.

S'agissant de son préjudice corporel :

"qu'il vivait avec la certitude que tous les soins nécessaires à combattre sa maladie ne lui étaient pas donnés en détention", que son interpellation et son placement en garde à vue se sont accompagnés de violences policières.

Il réclame une indemnité de 30.000 €, de ce chef.

S'agissant de son préjudice économique :

qu'il a cessé de percevoir son salaire mensuel de 1.676, 94 € pendant 13 mois.

Il réclame une indemnité de 21.800, 22 €, de ce chef.

Il ajoute qu'il a été privé d'une somme de 12.490 €, saisie lors d'une perquisition à son domicile, qui ne lui a été restituée que le 23 février 2006, que les intérêts, au taux légal, de cette somme bloquée, doivent lui être alloués à concurrence de 1.037, 78 €,

que, de même, deux comptes bancaires ont été bloqués le 15 novembre 2002 et débloqués le 26 janvier 2006.

Il sollicite à titre d'indemnité, le montant des intérêts qu'auraient dû générer ces comptes, au taux légal, à concurrence de 25.723 € et 404, 97 €.

Il fait valoir également que son incarcération à nui à l'activité de la société dont son épouse est gérante et dont il est salarié, que de nombreux clients ont déserté son commerce, qu'il a dû regagner la confiance des clients et du voisinage, son préjudice commercial étant certain.

Il sollicite l'allocation de la somme de 20.000 € de ce chef.

Il demande, enfin, que lui soit allouée la somme de 3.588 € sur le fondement "de l'article 475-1 du Code de procédure pénale."

Dans ses conclusions du 25 septembre 2006, Monsieur l'Agent judiciaire du Trésor, estimant la requête recevable, fait valoir :

S'agissant du préjudice moral :

qu'il doit être tenu compte de la situation familiale du requérant et de son état de santé, mais aussi de fait qu'il lui avait été proposé de poursuivre son traitement par tri-thérapie, de bénéficier d'un suivi psychologique et d'une consultation spécialisée et que Monsieur Z... avait déjà été incarcéré.

Il estime que l'indemnité, de ce chef, peut être fixée à 15.000 €.

S'agissant du préjudice corporel :

qu'aucune pièce ne justifiant d'une quelconque aggravation de l'état de santé du requérant en détention, il n'y a lieu de faire droit à sa demande, de ce chef.

S'agissant du préjudice économique invoqué :

qu'il ne s'oppose pas à l'indemnisation de la perte de salaire invoquée, à condition qu'elle se limite à la durée de la détention et au montant net de la rémunération, que la privation d'intérêts de sommes saisies ou bloquées n'est pas démontrée et n'a pas pour origine la détention du requérant, que la demande, de ce chef, doit être rejetée, que le préjudice commercial invoqué n'est démontré par aucun justificatif,

Il ajoute que la demande fondée sur l'article 475-1 du Code de procédure pénale doit être requalifiée ou rejetée.

Monsieur le Procureur Général fait valoir, estimant la requête recevable, qu'il y a lieu de soustraire de la détention considérée la durée d'exécution de 4 mois d'une peine distincte,

S'agissant du préjudice matériel :

qu'il y a lieu de faire droit à la demande d'indemnisation pour perte de salaires, qu'aucun document ne démontre le préjudice commercial invoqué, que la saisie d'une somme d'argent, le blocage de comptes ou la médiatisation de l'affaire sont sans rapport avec la détention ici indemnisée.

S'agissant du préjudice corporel :

qu'aucune preuve d'un manque de soins ou d'une aggravation de l'état de santé du requérant en détention n'est fournie, la demande devant être rejetée, de ce chef.

S'agissant du préjudice moral :

qu'il doit être tenu compte du fait que, lors de son placement en détention, le requérant était âgé de 40 ans, marié, père de 5 enfants dont 4 mineurs, était malade et avait été préalablement incarcéré le 11 décembre 1989, jusqu'au 31 octobre 1990.

SUR QUOI,

Sur la requête

Attendu que la présente requête est recevable au regard des dispositions des articles 149 à 149-2 du Code de procédure pénale ;

Sur la durée de la détention indemnisable

Attendu que Monsieur Z... a été placé en détention provisoire le 15 novembre 2002 et libéré le 20 novembre 2003 ;

Que, pendant le cours de cette détention, il a également été détenu à raison de la mise à exécution d'une peine distincte de 4 mois, prononcée à raison d'une infraction distincte commise pendant cette période ;

Que la durée de cette détention distincte, qui trouve son origine, non dans la détention provisoire de l'intéressé, mais dans la commission d'une infraction étrangère à celles qui ont conduit à son placement en détention provisoire, ne peut donner lieu à indemnisation;

Que c'est, donc, une détention provisoire de 8 mois et 5 jours qui doit, ici, être indemnisée;

Sur le préjudice moral

Attendu que le choc carcéral incontestable qu'a subi Monsieur Z..., du fait de sa détention, doit donner lieu à réparation ;

Que le requérant était âgé de 40 ans lorsqu'il a été placé en détention pour une durée de 8 mois et 5 jours, à raison de la présente affaire ; qu'il doit être tenu compte, pour fixer le montant de cette réparation, des circonstances d'aggravation du préjudice considéré et, plus particulièrement, du fait que, lors de son placement en détention, Monsieur Z... était marié, père de 5 enfants dont 4 mineurs, âgés de 3, 7, 9, 15 et 18 ans et était malade ;

Qu'une expertise médicale déposée le 23 juin 2003, pendant le cours de la détention du requérant mentionnait qu'il était HIV positif depuis 1989, après avoir été transfusé en 1984, qu'il avait été traité depuis 1999 et était suivi à l'Hôpital Américain, qu'il avait arrêté son traitement en détention le 15 novembre 2002, n'avait pas voulu faire de bilan biologique, ne s'était pas rendu à quatre consultations qui lui étaient fixées et avait précisé qu'il souhaitait faire la grève des soins et de sa prise en charge médicale ;

Que l'expert concluait, le 23 juin 2003, que le requérant semblait avoir repris son traitement depuis avril 2003 et être disposé à consulter un médecin et un psychiatre, mais apparaissait déprimé ; qu'il recevait en détention les soins adaptés à son état, mais que la prise de médicaments et l'acceptation des consultations dépendaient de sa décision ;

Que l'inquiétude du requérant, détenu alors qu'il se savait séropositif, doit être prise en considération, ainsi que l'isolement qu'il a dû subir à raison de son état de santé ;

Qu'il doit être tenu compte, en revanche, comme facteur d'atténuation du choc carcéral, du fait que Monsieur Z... avait été précédemment détenu du 11 décembre 1989 au 31 octobre 1990 ;

Qu'il y a lieu de faire droit à sa demande, de ce chef, en lui allouant la somme de 15.000€;

Sur le préjudice corporel

Attendu que les conditions d'interpellation et de placement en garde à vue de Monsieur Z... ne peuvent donner lieu à indemnisation dans le cadre de la présente procédure, qui n'a trait qu'à la réparation des préjudices nés de la détention ;

Attendu que le requérant fait valoir que, pendant le cours de sa détention, il "vivait avec la certitude que tous les soins nécessaires à combattre sa maladie ne lui étaient pas donnés en détention";

Qu'à la lecture de l'expertise précitée, il y a lieu de constater qu'ont été proposés, en détention, à Monsieur Z... les bilans, traitements, soins et consultations nécessaires; que si sa maladie et son état dépressif ont été pris en considération pour indemniser son préjudice moral, il n'y a lieu à indemnisation complémentaire, soit à raison d'une absence de soins, dès lors qu'ils étaient refusés, soit à raison d'une dégradation de l'état de santé du requérant, alors que cette dégradation n'est pas établie et qu'une éventuelle dégradation pourrait trouver son origine dans ce refus ;

Que la demande, de ce chef, sera rejetée ;

Sur le préjudice matériel

Attendu que la saisie d'une somme d'argent ou le blocage de comptes bancaires appartenant à Monsieur Z... n'ont pas pour origine la détention provisoire de ce dernier, mais les investigations conduites pendant l'enquête et l'information qui le concernait ;

Qu'il y a lieu de rejeter la demande, de ce chef, sans rapport avec la présente procédure ;

Attendu que le requérant produit, à l'appui de sa demande de réparation d'un préjudice économique, des bulletins de salaires justifiant du fait qu'avant d'être détenu, il percevait une rémunération mensuelle nette de 1.676, 94 € ;

Qu'il y a lieu de lui allouer, en réparation de sa perte de salaire, pendant la durée de sa détention indemnisable, soit 8 mois et 5 jours, une indemnité de 13.695, 01 € ;

Attendu que le requérant justifie du fait qu'il a constitué, le 1er avril 1996, avec son épouse, une SARL "ALLO PIZZA RAPIDO", dont cette dernière est gérante et dont il est salarié;

Que l'activité de cette société a manifestement décru pendant le cours de l'année 2003, puisque son bénéfice, de 22.345 € pour l'exercice 2002, était de 2.764 € pour l'exercice 2003 ;

Que cette baisse d'activité peut s'expliquer par le choix qu'a fait la gérante de la SARL de ne pas embaucher de salarié en remplacement de Monsieur Z... pendant la durée de son absence ;

Que le requérant ne peut être indemnisé, à la fois, à raison du non versement, par la SARL, de son salaire et à raison du fait que cette dernière a fait le choix de ne pas embaucher de salarié pour le remplacer ;

Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de Monsieur Z... les frais irrépétibles qu'il a exposés pour la présente instance ; qu'il lui sera alloué, de ce chef, sur le fondement de l'article 700 du NCPC, la somme de 1.500 € ;

PAR CES MOTIFS

Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R. 26 à R. 40-7 du code de procédure pénale ;

Disons la requête recevable,

Allouons à Monsieur Z... :

- une indemnité de 13.695, 01 €, en réparation de sa perte de salaires,

- une indemnité de 15.000 €, en réparation de son préjudice moral,

- la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du NCPC,

Rejetons les autres demandes.

Ainsi fait, jugé et prononcé par le magistrat délégué soussigné, le 7 novembre 2007, où étaient présents : Monsieur Renaud BLANQUART, Conseiller, Madame Lydia GORGEN, Avocat Général et Monsieur Gilles DUPONT, Greffier.

LE GREFFIER LE MAGISTRAT DELEGUE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Ct0089
Numéro d'arrêt : 06/07736
Date de la décision : 07/11/2007

Références :

Décision attaquée : Tribunal correctionnel de Paris, 16 novembre 2005


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.paris;arret;2007-11-07;06.07736 ?
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