Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
1ère CHAMBRE - Section N
REPARATION DES DETENTIONS PROVISOIRES
DECISION DU 7 NOVEMBRE 2007
No du répertoire général : 06/03620
Décision contradictoire en premier ressort
Nous, Renaud BLANQUART, Conseiller à la Cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Gilles DUPONT, Greffier lors des débats et du prononcé, avons rendu la décision suivante :
Statuant sur la requête déposée au greffe le 1er mars 2006 par Maître Stéphane GOLDENSTEIN, avocat de Monsieur Serge X..., élisant domicile au cabinet de son avocat au 67 boulevard Lannes 75116 PARIS ;
Vu les pièces jointes à cette requête ;
Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire du Trésor notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les conclusions du requérant notifiées par lettre recommandée avec avis de réception;
Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 19 septembre 2007 ;
Vu l'absence de Monsieur Serge X... ;
Ouï Maître Stéphane GOLDENSTEIN, avocat représentant Monsieur Serge X..., Maître Carole PASCAREL, avocat plaidant pour la SCP UETTWILLER GRELON GOUT CANAT ET ASSOCIES, avocats associés représentant Monsieur l'Agent Judiciaire du Trésor, ainsi que Madame Lydia GÖRGEN, avocat général, les débats ayant eu lieu en audience publique, le 19 septembre 2007, le conseil du requérant ayant eu la parole en dernier ;
Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R. 26 à R. 40-7 du code de procédure pénale ;
* *
Monsieur X..., né le 28 août 1955, a été mis en examen le 28 décembre 2001 pour tentative d'assassinat et a été placé en détention provisoire. Il a fait l'objet d'une décision d'acquittement par arrêt de la Cour d'assises de Seine Saint Denis du 14 juin 2004, après, donc, une incarcération de 30 mois et 15 jours, pendant laquelle il a purgé des peines distinctes du 29 avril au 14 juin 2004, puis du 20 mars 2005 au 24 janvier 2006. Appel ayant été interjeté contre cet arrêt, la Cour d'assises de Paris l'a déclaré coupable par défaut, et l'a condamné à la peine de 20 années de réclusion criminelle. Interpellé le 29 mars 2005, il a été écroué le 30 mars 2005 et, ayant fait opposition à l'arrêt d'appel, a comparu à nouveau devant la Cour d'assises de Paris, qui l'a acquitté le 24 janvier 2006. Il a, donc, subi une détention provisoire supplémentaire de 9 mois et 24 jours.
Sa détention provisoire totale, à raison des faits considérés, est de 40 mois et 9 jours, s'il n'est pas tenu compte des détentions exécutées alors, à d'autres titres, ou de 11 mois et 16 jours, si ces détentions sont déduites.
Par mémoire déposé le 1er mars 2006, aux fins de réparation à raison d'une détention, Monsieur X... fait valoir :
- S'agissant de son préjudice moral :
qu'il a souffert d'être accusé de faits extrêmement graves,
qu'il a particulièrement souffert des 10 derniers mois de sa détention, après qu'il ait été acquitté en première instance,
qu'il a subi deux périodes d'incarcération qui doivent être distinguées,
- que la première période a été subie alors qu'il purgeait des peines distinctes et subissait une détention provisoire ordonnée dans le cadre d'une autre affaire, alors qu'il aurait pu ne pas être placé en détention pour la présente affaire, compte tenu de ces circonstances, qu'il n'a pu demander au juge de l'application des peines des mesures de libération anticipée du fait de cette détention provisoire, qu'il a été jugé à deux reprises pour des faits de nature délictuelle alors qu'il était sous le coup d'un mandat de dépôt criminel, ce qui a porté atteinte à sa présomption d'innocence, qu'il n'a pas demandé de confusion de ses peines distinctes, qu'il a été détenu pour des faits qu'il n'a pas commis et a été présenté au tribunal correctionnel sous le coup d'un mandat de dépôt criminel, qu'il doit, dès lors, être tenu compte d'une détention 30 mois et 15 jours qu'il a purgée,
- que, s'agissant de la seconde période de détention, il doit être tenu compte, que son principe et sa longueur n'étaient pas justifiés, qu'il a multiplié les demandes de mise en liberté,
que les arrêts de la chambre de l'instruction ont motivé son maintien en détention alors que sa culpabilité ne reposait que sur un arrêt rendu par défaut sans la présence de jurés populaires,
qu'il vivait une véritable injustice à chaque lecture des arrêts de la chambre de l'instruction qui commettait à son égard un véritable déni de justice, qu'aucun conseiller n'a accéléré la mise en place d'une audience de la cour d'assises de manière urgente, que le dossier de la procédure n'a pas été ouvert lors de la rédaction d'arrêts de la chambre de l'instruction,
que cette période de détention a été un calvaire pour lui tant en raison de sa privation de liberté qu'en raison du fait que ses juges ne l'écoutaient pas, qu'il a fait l'objet de mesures spéciales de surveillance du fait qu'il ne s'était pas présenté devant la Cour d'assises et multipliait les demandes de mise en liberté, que les parloirs avec sa concubine ont été distribués au compte goutte, que le caractère hors norme de cette procédure justifie que l'arrêt à intervenir soit hors norme.
Il sollicite l'allocation de la somme de 145.750 €, de ce chef.
Il sollicite également la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
Dans ses conclusions du 21 décembre 2006, Monsieur l'Agent judiciaire du Trésor, estimant la requête recevable, fait valoir :
que les moyens tirés des éventuels dysfonctionnements ou des délais de procédure ne sauraient être examinés en l'espèce, au regard des dispositions de la loi applicable à la présente procédure,
que le quantum du préjudice moral doit être indemnisé sur une période allant du 29 avril au 14 juin 2004, puis du 20 mars 2005 au 24 janvier 2006, soit pour une période de 11 mois et 15 jours, déduction faite des autres causes de détention du requérant pendant le temps séparant sa mise en examen de ses libérations,
- S'agissant du préjudice moral invoqué :
qu'il doit être réparé en tenant compte de cette durée de détention de 11 mois et 15 jours et des incarcérations précédemment subies par le requérant,
Il estime à 7.000 € le montant de l'indemnité qui peut être alloué de ce chef et considère que le quantum de la demande fondée sur l'article 700 du NCPC doit être réduit.
Monsieur le Procureur Général fait valoir, estimant la requête recevable, que la durée de détention devant donner lieu à indemnisation est de 11 mois et 13 jours, déduction faite de la durée des deux détentions subies en même temps pour autres causes,
- S'agissant du préjudice moral :
qu'il doit être pris en considération le fait que le requérant était âgé de 48 ans en 2004, vivait en concubinage, avait un enfant à sa charge âgé de 18 mois, que le choc carcéral a été atténué à raison des incarcérations précédemment subies par le requérant,
que les préjudices résultant d'un fonctionnement défectueux du service public à le supposer établi, de délais d'audiencement ou de l'absence de demande de confusion de peines ne peuvent donner lieu à réparation.
SUR QUOI,
Sur la requête
Attendu que la présente requête est recevable au regard des dispositions des articles 149 à 149-2 du Code de procédure pénale ;
Sur la présente procédure
Attendu que les dispositions de l'article 149 du Code de procédure pénale sont fondées sur une responsabilité sans faute de l'Etat à raison d'une détention provisoire abusive qui consacre un droit à une réparation intégrale, assorti d'exceptions limitativement énumérées; que la loi du 30 décembre 2000 a institué, à travers ces dispositions, un système de garantie sociale, basé sur le principe de l'indemnisation systématique ; que, dans le cadre de cette procédure, seul le préjudice causé par une détention peut donner lieu à une réparation ;
Que la réparation du préjudice moral doit tenir compte des circonstances dans lesquelles la détention a été effectuée, les dommages subis à l'occasion de cette détention, l'éloignement de la famille du requérant par rapport au lieu de détention et la pluralité des placements en détention dans une même procédure, entrecoupés de périodes de liberté ;
Que cette réparation doit aussi tenir compte de la personne du demandeur, de son âge, de ses éléments de personnalité, de son environnement familial et social, de l'existence ou non de précédentes incarcérations et de l'existence éventuelle de séquelles psychologiques ;
Sur le préjudice moral
Attendu qu'il n'y a lieu de prendre en considération, dans le cadre de la présente procédure, le préjudice né des accusations portées contre le requérant, la détention subie à raison d'affaires distinctes, la pertinence des placements en détention dans cette affaire, l'absence de demande, par l'intéressé, de mesures d'aménagement de peines distinctes, les condamnations subies par lui à raison de faits distincts, le rejet de ses demandes de mise en liberté, la motivation de ces décisions de rejet, qui constituent des décisions de justice, l'attitude prêtée à des "conseillers", s'agissant de l'audiencement de l'affaire considérée et les conditions d'examen des demandes de mise en liberté de l'intéressé ;
Attendu que la seule durée de la détention pouvant être indemnisée est celle accomplie pour la seule affaire considérée, soit 11 mois et 16 jours ;
Que les détentions distinctes subies par le requérant ont pour origine les faits à l'origine des condamnations qui les ont suivis et non la détention provisoire ayant précédé son acquittement définitif ;
Que le choc carcéral incontestable qu'a subi Monsieur X..., du fait de sa détention, doit donner lieu à réparation ;
Que le requérant était âgé de 46 ans lorsqu'il a été placé pour la première fois en détention à raison de la présente affaire et de 49 ans, lors qu'il a été placé à nouveau en détention ;
Qu'il doit être tenu compte, pour fixer le montant de cette réparation, des circonstances d'aggravation du préjudice considéré et, plus particulièrement, du fait que, lors de son placement en détention, Monsieur X... avait un enfant à charge, âgé de 18 mois ;
Qu'il doit être également tenu compte du fait que le requérant a été réincarcéré à raison des faits considérés, après avoir été une première fois libéré, cette circonstance aggravant le préjudice moral né de la détention ;
Qu'à l'inverse, il y a lieu de tenir compte, comme facteur d'atténuation du choc carcéral, du fait que Monsieur X... avait déjà été détenu avant le 28 décembre 2001, pour une durée d'un an et un mois en 1975, de 9 mois en 1976, de 1 an et 3 mois en 1976, de 6 ans en 1982, de 10 ans et de 3 ans en 1986, de 15 ans en 1987, de 8 ans en 1988, de 5 ans en 1994 et de 3 ans en 1998 ;
Qu'il y a lieu de faire droit à sa demande, de ce chef, en lui allouant la somme de 13.230€;
Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de Monsieur X... les frais irrépétibles qu'il a exposés pour la présente instance ; qu'il lui sera alloué, de ce chef, la somme de 1.500 € ;
PAR CES MOTIFS
Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R. 26 à R. 40-7 du code de procédure pénale ;
Disons la requête recevable,
Allouons à Monsieur X... :
- une indemnité de 13.230 €, en réparation de son préjudice moral,
- la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du NCPC.
Ainsi fait, jugé et prononcé par le magistrat délégué soussigné, le 7 novembre 2007, où étaient présents : Monsieur Renaud BLANQUART, Conseiller, Madame Lydia GORGEN, Avocat Général et Monsieur Gilles DUPONT, Greffier.
LE GREFFIER LE MAGISTRAT DELEGUE