RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
18ème Chambre D
ARRET DU 16 Octobre 2007
(no , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 06/13968
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 05 Septembre 2006 par le conseil de prud'hommes de Paris section activités diverses RG no 05/08524
APPELANT
Monsieur Gilbert X...
...
93400 SAINT- OUEN
comparant en personne, assisté de Me Blandine Y..., avocat au barreau de PARIS, toque : R.286
INTIMEE
SARL PUBLICIS CONSULTANTS FRANCE
15, rue Bleue
75431 PARIS CEDEX 09
représentée par Me Alain SUTRA, avocat au barreau de PARIS, toque : P 171 substitué par Me Sophie Z..., avocat au barreau de PARIS, toque : P171
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 11 Septembre 2007, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Elisabeth PANTHOU-RENARD, Présidente
Madame Michèle BRONGNIART, Conseillère
Madame Michèle MARTINEZ, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier : Mlle Chloé FOUGEARD, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile.
- signé par Mme Elisabeth PANTHOU-RENARD, présidente, et par Mlle Chloé FOUGEARD, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA COUR
M. X... a été engagé en exécution d'un contrat initiative emploi le 9 avril 1996 par la société Verbe en qualité de technicien d'entretien coefficient 200 de la convention collective nationale des entreprises de la publicité et assimilés.
Selon son contrat de travail ses fonctions devaient consister principalement en "l'entretien et la réparation des locaux de la société : menuiserie, peinture, plomberie, électricité, etc...".
Sa rémunération mensuelle brute a été fixée à 10 000 francs pour un horaire hebdomadaire de 39 heures.
* * *
Le 10 mars 2000, le syndicat CFDT a donné mandat à M. X... pour notamment négocier et signer un protocole d'accord préélectoral en vue de l'organisation d'élections professionnelles dans l'entreprise et négocier un accord de réduction du temps de travail.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 6 février 2001 le syndicat CFDT a désigné M. X... en qualité de délégué syndical dans l'entreprise.
Sur demande d'annulation de la société Verbe de cette désignation, celle-ci a été validée par jugement rendu par le tribunal d'instance du XIVe arrondissement de Paris le 26 avril 2001.
M. X... a été élu membre de la délégation unique du personnel aux élections de juin 2002 puis délégué du personnel suppléant à celles de décembre 2004.
Le contrat de travail de M. X... a été dans le même temps transféré à la société Mediasystem par l'effet de l'article L.122-12 alinéa 2 du Code du travail.
L'inspecteur du travail, par décision du 20 décembre 2004, a refusé d'autoriser le licenciement de M. X... par la société Mediasystem puis par décision du 19 décembre 2005, sa mise à la retraite, après avoir constaté un lien entre les décisions envisagées et les mandats détenus par le salarié.
A compter du 29 novembre 2006, M. X... est devenu délégué du syndicat FILPAC-CGT.
Il a été désigné le 3 août 2007 représentant de ce syndicat au comité d'entreprise de la société Publicis consultants France venue aux droits de la société Mediasystem.
* * *
Entre temps le 7 juillet 2005, M. X... avait saisi le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes de Paris aux fins notamment de paiement par son employeur de dommages et intérêts pour discrimination syndicale d'une part et pour harcèlement moral d'autre part.
En l'absence de conciliation, la section des activités diverses du conseil par jugement rendu le 5 septembre 2006 mettant hors de cause la société Verbe et déboutant le syndicat national de la publicité CFTC intervenant de ses demandes, a condamné la société Mediasystem à payer à M. X... avec intérêts de droit la somme de 18 000 € à titre de dommages et intérêts pour discrimination syndicale, débouté la défenderesse au paiement de la somme de 500 € en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
M. X..., le 4 décembre 2006, puis la société Publicis consultants France aux droits de la société Mediasystem, le 13 décembre 2006, ont interjeté appel de ce jugement qui leur avait été notifié respectivement le 14 novembre 2006.
SUR QUOI,
Vu les conclusions du 11 septembre 2007, au soutien de ses observations orales à l'audience, de M. X... qui demande à la cour, par réformation partielle du jugement déféré, de condamner la société Publicis consultants France à lui payer la somme de
160 000 € à titre de dommages et intérêts pour discrimination syndicale et d'ordonner à la société de lui fournir des tâches correspondant à sa fonction de technicien de maintenance et conformes aux dispositions de son contrat de travail et de lui procurer les outils et moyens d'effectuer son travail sous astreinte de 500 € par jour de retard, de condamner la société Publicis consultants France à lui payer la somme de 3 000 € en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, aux moyens essentiels que :
* il a représenté pendant des années la seule présence syndicale dans l'entreprise,
* il a exercé plusieurs mandats de représentants du personnel à compter de l'année 2000 et ainsi a été à l'origine de toutes les demandes de négociation dans l'entreprise comme constaté par l'inspecteur du travail dans sa décision du 19 décembre 2005 portant refus de sa mise à la retraite, est à l'origine d'un accord sur les salaires et d'un accord sur la participation, a incité l'employeur à respecter la législation en matière de durée du travail, d'heures supplémentaires, en matière d'hygiène et de sécurité et conditions de travail, s'est engagé dans la défense du droit syndical, est à l'origine de la mise en place du comité d'entreprise et du CHSCT lorsque l'entreprise a atteint l'effectif de 50 salariés, de la mise en place des affichages réglementaires,
* les sociétés Verbe, Mediasytem, Publicis consultants France ont successivement multiplié les actes de discrimination syndicale à son encontre, à savoir des :
- procédures disciplinaires abusives et insultes,
- tentatives de congédiement dont le lien avec son mandat de délégué syndical a été établi par l'inspecteur du travail et confirmé par le ministre de l'emploi, en septembre 2004 et novembre 2005,
- isolement et brimades,
- retrait de ses tâches contractuelles remplacées par des travaux de manutention et de nettoyage,
- suppression de la mise à disposition de vêtements et d'outils de travail, notamment après le déménagement de l'entreprise dans les locaux de la société Mediasytem en septembre 2004, d'un local de travail,
- entraves à l'exercice de son mandat, par l'attribution, après injonction de l'inspecteur du travail, d'un local syndical exigu, sans fenêtre, ligne téléphonique et ordinateur ; omission de le convoquer à des réunions du comité d'entreprise ; entrave à sa liberté d'aller et venir en qualité de délégué syndical,
- blocage de sa rémunération et de sa carrière ; déclassement,
Vu les conclusions du 11 septembre 2007, au soutien de ses observations orales à l'audience, de la société Publicis consultants France qui demande à la cour, par réformation partielle du jugement déféré, de condamner M. X... de l'ensemble de ses prétentions, aux moyens essentiels que :
* l'appartenance syndicale de M. X... a changé à plusieurs reprises (CFDT Betor jusqu'en janvier 2001 ; CFTC après retrait du mandat de la CFDT ; CGT après révocation par la CFTC),
* M. X... n'était pas seul représentant syndical,
* l'entreprise a évolué et a pu adopter ses structures sociales de son propre chef avec notamment l'augmentation de ses effectifs par la suite de la fusion intervenue ; elle n'a eu aucune hostilité à la mise en place des institutions représentatives du personnel, notamment en 2002 ; elle n'a jamais fait grief à M. X... de son implication syndicale ; l'inspecteur du travail n'a sollicité que des explications à la suite des nombreux courriers que lui avait adressés le salarié, sans jamais dresser de procès-verbal,
* M. X... était en arrêt de travail quand lui a été adressé une convocation à une réunion du 30 septembre 2004 par lettre recommandée qu'il n'a pas retirée,
* le salarié a adopté notamment vis à vis de la clientèle et de sa hiérarchie, un comportement outrancier ; des avertissements ont dû lui être notifiés à compter de mai 2000 ; il avait fait l'objet de remarques dès avant son mandat syndical ; il refusait de rendre compte,
* aucun acharnement disciplinaire n'est avéré, aucune sanction n'ayant été prise à son encontre depuis octobre 2001,
* la société a pris acte des refus de l'inspecteur du travail concernant le congédiement de l'intéressé,
* l'objection de M. X... du retrait de ses tâches n'est pas sérieuse alors que lui-même refuse de les accomplir, malgré de nombreux rappels ; la société a dû sans cesse le relancer pour rentrer le mobilier de jardin, changer des ampoules, nettoyer l'allée du jardin, lessiver le mur des toilettes ; ses tâches par ailleurs ont été confiées à des entreprises extérieures dès lors que l'effectif de la société s'est développé et les locaux se sont agrandis,
* il appartenait à M. X... qui avait été informé de la procédure à suivre de déménager ses effets personnels lors du transfert de locaux intervenu les 18 et 19 septembre 2004,
* M. X... a aussitôt après ce déménagement bénéficié d'un local syndical ; la situation a été contrôlée par l'inspecteur du travail ; les réclamations du salarié ont toutes été satisfaites,
* M. X... n'a jamais contesté son coefficient ; il a été engagé au coefficient le plus important à l'époque des employés de services généraux puis classé au niveau 1.4 de la nouvelle classification à effet du 1er décembre 2004 ; il a refusé fin 2004 la signature d'un avenant l'intégrant à la catégorie de "techniciens et agents de maîtrise", et non plus d'employé ; ses tâches ont simplement évolué avec le développement de l'entreprise et de fait l'intervention d'entreprises extérieures, ce dont elle a informé l'inspecteur du travail,
Considérant qu'en application de l'article L.412-2 du Code du travail, il est interdit à tout employeur de prendre en considération l'appartenance à un syndicat ou l'exercice d'une activité syndicale pour arrêter ses décisions en ce qui concerne, notamment, la conduite et la répartition du travail, la formation professionnelle, l'avancement, la rémunération, l'octroi d'avantages sociaux, les mesures de discipline et de congédiement ;
Que toute mesure prise par l'employeur en violation de ces dispositions est considérée comme abusive et donne lieu à des dommages et intérêts ;
Qu'en l'espèce, M. X... exerce depuis l'année 2000 des mandats de représentant du personnel successifs ; que dans sa décision du 13 décembre 2005 portant refus d'autorisation de la mise à la retraite du salarié par la société Mediasystem, l'inspecteur du travail constate l'action de M. X... en vue de négociations dans l'entreprise tant concernant les négociations annuelles obligatoires que celles au titre du "contrat mutuelle" ou de l'aménagement du temps de travail ;
Que M. X... produit aux débats des courriers en tant que représentant du personnel concernant notamment l'affichage syndical (courrier du 21 novembre 2001), la participation des salariés aux élections prud'homales (courrier du 23 avril 2002), le fonctionnement du comité d'entreprise (courrier du 28 novembre 2002), la négociation annuelle obligatoire sur les salaires (courrier du 17 mars 2003), la durée du travail et les heures supplémentaires (courrier du 10 avril 2006) ;
Qu'il justifie de sa saisine de l'inspection du travail concernant l'affichage réglementaire, la sécurité et les conditions de travail par un courrier de l'inspectrice du travail en date du 24 mars 2006, de son intervention lors du transfert des contrats de travail à la société Publicis consultants France par un courrier du 6 avril 2007 ;
Que la prise en considération contre lui par l'employeur de l'exercice de son activité syndicale est mise en évidence par l'inspecteur du travail dans sa décision du 20 décembre 2004 portant refus d'autoriser son licenciement pour faute grave fondée sur des faits non établis et dans celle du 19 décembre 2005 portant refus d'autoriser sa mise à la retraite ;
Que dans cette dernière décision l'inspecteur du travail, qui précise s'être rendu dans l'entreprise, constate que M. X... ne se voyait depuis novembre 2004 attribuer aucune tâche correspondant à son contrat de travail, constate l'absence de poste informatique à sa disposition et de ligne téléphonique propre pour sa section syndicale ; que l'inspecteur rappelle que sur saisine de M. X... invoquant un harcèlement moral et syndical, la commission paritaire de conciliation de la publicité a le 6 janvier 2005 demandé à la direction de la société Mediasystem de mettre tout en oeuvre pour que
M. X... soit rétabli dans ses droits au regard de son statut de délégué syndical ;
Que les explications des parties à l'audience révèlent qu'à ce jour M. X... n'a pas été réintégré dans ses fonctions contractuelles ;
Que M. X... démontre que l'engagement de deux procédures de rupture fait suite à de nombreuses sanctions amnistiées ;
Qu'il produit des courriers des 21 avril et 28 mai 2004 quant à la modification de ses fonctions, notamment concernant l'intervention d'un fournisseur sans qu'il l'ait sollicité ; des attestations de salariés sur le retrait de ses tâches à compter de sa désignation en tant que délégué syndical CFTC en février 2001, sa "mise au placard", l'absence de travail, l'obligation pour lui de ne faire que des heures de présence (attestations Garçon, Monplet, Rizkallah) ; son courrier du 3 février 2005 sur l'enlèvement par benne de ses effets personnels lors du déménagement de l'entreprise dans de nouveau locaux ; des attestations sur l'absence d'attribution dans un premier temps d'un bureau (attestations Otero, Monplet) ; le courrier d'intervention du 8 octobre 2004 de l'inspecteur du travail sur ses nouvelles conditions de travail ; un deuxième courrier de l'inspecteur du travail en date du 29 août 2006 faisant état de l'injonction faite à son employeur concernant ses conditions de travail ; un troisième courrier du 22 janvier 2007 de cet inspecteur constatant que la société Publicis consultants France n'avait pas encore remédié à l'absence de conformité de son poste de travail ;
Qu'enfin, M. X... établit que son salaire brut de base mensuel soit 10 350 F lors de l'embauche n'a pas évolué en onze années, notamment avec l'aménagement du temps de travail dans l'entreprise ; qu'il n'a fait l'objet sur onze ans que d'une évaluation en 2006 ;
Qu'il démontre qu'une salariée ayant le même âge que lui et répondant aux mêmes conditions d'ouverture de droits à pension n'a pas fait l'objet d'une procédure de mise à la retraite ;
Que l'ensemble de ces éléments caractérise des violations répétées par les sociétés Verbe, Mediasystem puis Publicis consultants France des dispositions de l'article L.412-2 précité portant interdiction de la prise en considération par l'employeur de l'exercice d'une activité syndicale ;
Que l'argumentation devant la Cour de la société Publicis consultants France tirée tant de faits amnistiés et non démontrés que du recours prétendu à des entreprises extérieures, son allégation de refus de tâches, au demeurant non contractuelles pour la plupart, par
M. X... ne justifient pas que les mesures prises à l'encontre de celui-ci étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination fondée sur l'appartenance syndicale ;
Que l'obligation de balayer des allées, de rentrer des meubles de jardin, porter des colis, sans lien avec la compétence de M. X..., constitue dans le contexte précité autant de mesures vexatoires ;
Que du fait de l'attitude de son employeur, du préjudice de carrière qu'il subit, des menaces réitérées de rupture de son contrat de travail, M. X... subit un préjudice tant matériel que moral dont la réparation compte tenu de la gravité des faits, de leur réitération et de leurs conséquences, doit être portée à la somme de 75 000 € au regard des éléments que la Cour trouve en la cause ;
Considérant en outre, que M. X... doit être réintégré sous astreinte à la charge de l'intimé dans ses fonctions contractuelles ;
Que la société Publicis consultants France compte tenu de l'importance de ses locaux et de ses effectifs n'établit pas l'impossibilité pour elle de fournir au salarié le travail convenu en menuiserie, plomberie, peinture, électricité ;
Qu'en l'absence d'avenant au contrat de travail, le moyen tiré du recours à des entreprises extérieures n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS
Réformant partiellement le jugement déféré,
Condamne la société Publicis consultants France à payer à M. X... la somme de
75 000 € (soixante-quinze mille euros) à titre de dommages et intérêts pour violation des dispositions de l'article L.422-12 du Code du travail, cette somme portant intérêts au taux légal à compter du 5 septembre 2006 sur la somme de 18 000 € (dix-huit mille euros) et à compter de ce jour pour le surplus,
Ordonne à la société Publicis consultants France de réintégrer M. X... dans ses fonctions contractuelles en lui en fournissant les moyens sous astreinte de 150 € (cent cinquante euros) par jour de retard passé le délai de quinze jours à compter de la notification de cet arrêt,
Confirme les autres dispositions du jugement,
Y ajoutant,
Condamne la société Publicis consultants France aux dépens d'appel,
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, la condamne à payer à M. X... la somme complémentaire de 2 000 € (deux mille euros) à ce titre.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT