RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
18ème Chambre B
ARRÊT DU 11 Octobre 2007
(no , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 04/43637
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 02 Mars 2004 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de PARIS(1ère Section) RG no 25002/01
APPELANTE
CAISSE NATIONALE D'ASSURANCE VIEILLESSE (CNAV)
110, avenue de Flandre
75951 PARIS CEDEX 19
représentée par Mme RISSELARD en vertu d'un pouvoir général
INTIME
Monsieur X... CISSE
Résidence MORAND
...
75011 PARIS
représenté par Me Jean François GONDARD, avocat au barreau de SEINE SAINT DENIS, toque : Bob15 (bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2004/025253 du 24/09/2004 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)
Monsieur le Directeur Régional des Affaires Sanitaires et Sociales - Région d'Ile-de-France (DRASSIF)
...
75935 PARIS CEDEX 19
Régulièrement avisé - non représenté.
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 13 Septembre 2007, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Bertrand FAURE, Président
Monsieur Bernard SELTENSPERGER, Conseiller
Madame Bernadette VAN RUYMBEKE, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier : Monsieur Krishna KANTE, lors des débats
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Nouveau Code de Procédure Civile.
- signé par Monsieur Bertrand FAURE, Président et par Madame Claire AUBIN- PANDELLÉ, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Les faits, la procédure, les prétentions des parties :
Les faits de la cause ont été précisément exposés dans l'arrêt susvisé auquel il est fait expressément référence à cet égard ; il suffit de rappeler qu'ayant quitté l'administration militaire sans droit à pension, Tafsir Z..., a sollicité la validation de ses périodes militaires par le régime général de sécurité sociale.
Les périodes de service militaire légal ainsi que celles effectuées en Algérie en temps de guerre ont été assimilées à des périodes d'assurance en application des articles L 351-3, L 161-19 et D 351-1 du code de la sécurité sociale ; pour les périodes accomplies en France, du 17 septembre 1959 au 17 janvier 1961, elles ont donné lieu à rétablissement dans les droits au titre de l'article D 173-16 dudit code ; en revanche, pour les périodes hors guerre, accomplies entre le 3 février 1961 et le 3 octobre 1963 au Cameroun, au Tchad et au Sénégal, et pour lesquels l'article D 173-16 ne peut recevoir application du fait que, le régime général de la sécurité sociale française n'a jamais fonctionné dans ce pays ; monsieur Z... a souhaité en obtenir la validation par le biais d'un rachat de cotisation au titre de l'article L 742-2 du code de la sécurité sociale qui dispose :
"Les travailleurs salariés ou assimilés mentionnés au troisième alinéa de l'article L 742-1 qui adhèrent à l'assurance volontaire peuvent, pour les périodes durant lesquelles ils ont exercé, depuis le 1e juillet 1930, une activité salariée hors dut territoire français, acquérir des droits à l'assurance vieillesse moyennant le versement des cotisations afférents à ces périodes. La même faculté est offerte, dans les mêmes conditions, aux personnes de nationalité française qui ont exercé leur activité" hors du territoire français et au conjoint survivant des salariés qui auraient pu bénéficier du présent titre".
Par décision du 20 septembre 2001, la Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse (CNAV) a refusé à monsieur Z... le rachat de cotisation, en se fondant sur l'absence de la nationalité française de l'intéressé au moment de la demande ; cette décision a d'ailleurs été confirmée en date du 15 octobre 2002 par la Commission de Recours Amiable (CRA) de Paris.
Pour contester la décision de la CRA, monsieur Z... a saisi le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de Paris (TASS) ; par le jugement déféré, les premiers juges ont annulé la décision de la CRA, fondée exclusivement sur la nationalité du requérant, et renvoyé l'intéressé devant la Caisse pour un réexamen de ses droits à rachat de cotisations au regard des autres conditions d'admission.
Par arrêt avant dire droit du 9 juin 2006, la Cour tout en ordonnant la communication du dossier au Ministère public a présenté une enquête confiée à la Direction Régionale des Affaires Sanitaires et Sociales (DRASSIF) avec pour mission "de savoir si monsieur Z... peut se prévaloir des dispositions de l'article L 742-2 du code de la sécurité sociale pour faire valider les périodes accomplies entre le 3 février 1961 et le 3 octobre 1963 au Cameroun, au Tchad et au Sénégal".
L'inspecteur de la (DRASSIF) a déposé son rapport le 7 décembre 2006 et conclu comme suit :
"Le refus opposé par la CNAV à monsieur Z... d'adhérer au régime d'assurance volontaire vieillesse peut être effectivement considéré comme une "mesure discriminatoire" au regard des dispositions combinées de l'article 14 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales et de l'article 1 du Protocole additionnel du 20 mars 1952 ; dans la mesure où ce refus n'est fondé que sur le seul critère de la nationalité. En conséquence, il est proposé de suivre sur ce point le jugement du TASS de Paris du 2 mars 2004"
La CNAV fait déposer et soutenir oralement par son représentant des conclusions où il est demandé à la Cour :
"D'infirmer le jugement dont appel ;
De recevoir la CNAV en son appel, réformant la décision déférée, dire et juger que monsieur Z... ne peut prétendre au bénéfice des dispositions de l'article L 742-2 du code de la sécurité sociale".
Monsieur X... CISSE fait déposer et soutenir oralement par son conseil des conclusions où il est sollicité ce qui suit :
"Débouter la CNAV de son appel ;
Confirmer le jugement entrepris ;
Dire que monsieur Z... sera renvoyé devant la Caisse pour un réexamen de ses droits à rachat sous astreinte de 200 € par jour de retard un mois à compter de la notification de l'arrêt ;
Condamner la CNAV aux entiers dépens de première Instance et d'Appel."
Le représentant du Ministère Public a déposé des observations allant dans le même sens, ses conclusions étant les suivantes :
"Que le droit au rachat des cotisations, préalable au bénéfice de l'assurance vieillesse, doit être considéré comme faisant partie d'un droit patrimonial de monsieur Z... protégé par l'article 1 du 1er Protocole de la Convention Européenne des Droits de l'Homme ;
Qu'il résulte de l'article 14 de la même Convention que ce droit doit être exercé sans discrimination ;
Que monsieur Z..., se trouve dans une situation analogue à celle des français et des autres ressortissants communautaires ;
Qu'aucun motif objectif et raisonnable ne permet de traiter différemment monsieur Z... du seul fait de sa nationalité ; qu'il est donc victime d'une discrimination ;
Il est donc demandé à la Cour de confirmer le jugement entrepris".
Il est fait référence aux écritures déposées par la CNAV et par monsieur Z... pour un plus ample exposé des moyens et arguments proposés par ces derniers à l'appui de leurs prétentions.
Sur quoi la Cour :
Considérant que l'article L 742-2 du code de sécurité sociale, ouvre aux seuls nationaux la faculté de rachat de cotisations.
Considérant qu'aux termes de l'Annexe VI du règlement CE 1408/71 du 14 juin 1971, cette faculté a été offerte aux ressortissants communautaires ayant exercé une activité hors de France et de leur pays d'origine à la condition qu'à la date de leur demande, ils justifient avoir résidé en France pendant une durée de dix années, consécutives ou non, ou qu'ils aient été pendant la même durée soumis à la législation française à titre obligatoire ou facultatif ; qu'en l'espèce, monsieur Z..., du fait de sa nationalité, ne peut bénéficier de l'application de l'article L 742-2 du code de la sécurité sociale.
Considérant que la Convention de sécurité sociale signée le 29 mars 1974 entre la France et le Sénégal exclut les militaires de son champ d'application, et que sa compétence territoriale est limitée à la France et au Sénégal ; que monsieur Z... était militaire, et qu'il a notamment travaillé au Tchad et au Cameroun ; qu'en conséquence, il ne peut prétendre au bénéfice de la Convention susvisée ; celle-ci est inapplicable au cas présent.
Mais, considérant que les dispositions combinées de l'article 14 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme (CEDH) du 4 novembre 1950 qui dispose :
"La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune fondée, notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes les autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation" ;
et de l'article 1er du Protocole no1 du 20 mars 1952 de la CEDH. Protection de la propriété :
"Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amandes".
Considérant que le droit d'adhérer à l'assurance volontaire de vieillesse peut être considéré comme un droit patrimonial, et que la notion de "bien" doit être interprétée largement, en ce sens, qu'elle n'est pas limitée à la propriété des biens corporels ou aux biens actuels, mais qu'elle est indépendante des qualifications formelles du droit interne ; qu'elle peut également recouvrir des valeurs patrimoniales, y compris des créances, en vertu desquelles le requérant peut prétendre avoir au moins une "espérance légitime" et raisonnable d'obtenir la jouissance effective d'un droit de propriété ; que par ailleurs, une distinction est discriminatoire au sens de l'article 14 de la CEDH du 4 novembre 1950 si elle manque de justification objective et raisonnable, c'est-à-dire, si elle ne poursuit pas un but légitime ou s'il n'y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
Considérant que l'article L 742 du code de la sécurité sociale a été adopté pour permettre aux français expatriés d'accéder à l'assurance vieillesse française, cette disposition palliant ainsi les insuffisances des régimes locaux dont ils dépendaient normalement, cette faveur a été offerte du seul fait de leur nationalité ; elle est l'expression d'un système de solidarité nationale à l'égard de tous les français, quand bien même ils n'auraient jamais résidé et ne résideront jamais ne France.
Considérant que les exigences européennes ont permis d'étendre cette possibilité aux ressortissants des Etats membres mais ils doivent toutefois remplir certaines conditions notamment de résidence ; qu'à cet égard ils ne sont pas traités comme les français.
Considérant que l'article L 742-2 du code de la sécurité sociale qui favorise les français, du seul fait de leur nationalité, ne peut être considéré comme une justification raisonnable et objective au sens de l'article 14 du 4 novembre 1950 et de l'article 1er du Protocole du 20 mars 1952, de la CEDH ; qu'en conséquence, le refus opposé à monsieur Z... reposant uniquement sur sa nationalité et ce, sans justification objective et raisonnable, il est constitutif d'une discrimination au sens des dispositions de la CEDH.
Considérant qu'enfin l'article 55 de la Constitution française du 4 octobre 1958 dispose :
"Les traités ou accords, régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie" ;
et que, la CEDH a été régulièrement ratifiée en France, et, est appliquée par les autres parties signataires du traité.
Considérant que les dispositions de l'article 14 du 4 novembre 1950 et de l'article 1er du Protocole du 20 mars 1952, de la CEDH ont une valeur supérieure au droit interne ; qu'à bon droit donc, le TASS de Paris a annulé la décision de la Commission de Recours Amiable fondée exclusivement sur la nationalité du requérant, et renvoyé l'intéressé devant la Caisse pour un réexamen de ses droits à rachat de cotisations au regard des autres
conditions d'admission.
Considérant qu'en conséquence, la décision déférée ne peut qu'être confirmée.
Considérant que la demande d'astreinte de monsieur Z... doit être rejetée, une telle contrainte n'ayant lieu d'être envisagée à l'encontre de la Caisse.
PAR CES MOTIFS
Déclare la Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse, recevable mais mal fondé en son appel ; l'en déboute ainsi que de ses demandes.
Confirme le jugement entrepris.
Déboute monsieur Z... de sa demande d'astreinte.
Dispense la Caisse appelante du paiement du droit d'appel prévu par l'article R 144-10 alinéa 2 du code de la sécurité sociale.
Le Greffier, Le Président,