RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
21ème Chambre C
ARRET DU 09 Octobre 2007
(no , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 06/02672
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 02 Septembre 2005 par le conseil de prud'hommes de PARIS section encadrement RG no 03/16993
APPELANTE
1o - Madame Sophie X... Y...
...
31530 ST PAUL SUR SAVE
comparant en personne, assistée de Me Isabelle PONTONE, avocat au barreau de PARIS, toque : C77,
INTIMEE
2o - SA STUDIO CANAL
Espace Lumière - 5/13 boulevard de la République
92514 BOULOGNE BILLANCOURT CEDEX
représentée par Me Bernard DARTEVELLE, avocat au barreau de PARIS, toque : P 327 substitué par Me Stéphanie ZAKS, avocat au barreau de PARIS, toque : E.327,
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 04 Septembre 2007, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Marie-Pierre DE LIEGE, Présidente
Mme Irène LEBE, Conseillère
Mme Hélène IMERGLIK, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier : Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile.
- signé par Mme Marie-Pierre DE LIEGE, présidente et par Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LES FAITS :
Mme Sophie C... a été engagée par la société UGC selon contrat à durée déterminée comme assistante de promotion le 5 octobre 1995 jusqu'au 31 mai 1997. Elle a ensuite intégré la SA STUDIO CANAL filiale du groupe Canal+ à compter du 1er juin 1997 et a été promue au poste d'assistante marketing statut employée jusqu'au 31 décembre 1997. À compter du 1er janvier 1998 et elle a occupé les mêmes fonctions sous le statut d'agent de maîtrise jusqu'au 31 décembre 1999. À compter du 1er janvier 2000 et jusqu'au 31 décembre 2001 elle a occupé des fonctions de responsable marketing statut cadre. Elle a enfin été promue au poste de directrice adjointe du service "archives et documentation Studio Canal" le 1er février 2002. Elle gérait alors une équipe de 16 personnes placées sous sa responsabilité.
L'entreprise qui emploie plus de 11 salariés relève de l'accord d'entreprise du 11 février 1991.
A compter du mois de janvier 2002, la société STUDIO CANAL a effectué une opération de fusion avec la société Intemporel. M. Stanislas D... qui en était le gérant a alors été embauché par la société STUDIO CANAL au poste de directeur. Il a rejoint l'équipe au mois de mai 2002, alors que Mme Sophie C... était en congé maternité depuis le 14 avril 2002 jusqu'au 30 septembre 2002.
La salariée relate qu'à partir du 10 décembre 2002 elle s'est heurtée selon elle à une succession de difficultés témoignant d'une détérioration importante de ses conditions de travail détérioration dont elle estime que M. D... est responsable : difficultés relationnelles dénigrements ouverts de la salariée auprès de son équipe, stratégie d'isolement par rapport à l'information et vis-à-vis des autres services... Ces agissements qui selon elle constituent un harcèlement moral, ont eu des effets sur la santé de la salariée et se sont traduits notamment selon le constat du médecin du travail fin mars 2003 par un «état dépressif consécutif à l'ambiance professionnelle»... Mme Sophie C... sera arrêtée à plusieurs reprises courant 2003 jusqu'à ce que le premier juillet 2003, alors qu'elle était en arrêt de travail, son poste soit supprimé dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi. De retour de congé le 20 août 2003, elle se voit proposer le 8 septembre 2003 un reclassement qu'elle refuse considérant qu'il ne correspondait pas à ses compétences. Le 23 septembre 2003 elle s'adresse à la direction des ressources humaines pour l'interroger sur les modalités de son poste et les tâches qui lui incombent, puis est déclarée inapte par la médecine du travail le 24 septembre 2003. Sa direction l'informe alors par courrier du 25 septembre 2003 qu'elle envisage de la placer en «dispense d'activité» du fait du plan social et de la suppression de son poste jusqu'à la notification de son licenciement.
Mme Sophie C... qui est à nouveau en congé maternité à compter du 7 décembre 2003, saisit le conseil de prud'hommes le 23 décembre 2003 sollicitant des dommages et intérêts pour préjudice moral à la suite d'un harcèlement.
Mme Sophie C... reçoit notification de ce licenciement économique et le 19 février 2005.
Par jugement du 2 septembre 2005, le conseil de prud'hommes de Paris, section encadrement chambre trois, relevant que les parties produisaient des témoignages contradictoires et que par courrier du 17 juillet 2003, M. E..., avait rappelé à Mme Sophie C... qu'elle pouvait saisir le «comité des sages externes» afin qu'il émette un avis sur les effets qu'elle dénonçait, mais que celle-ci s'était abstenue d'une telle saisine, considérant que le harcèlement moral envers Mme Sophie C... n'était pas établi, la déboutait de ses demandes.
Mme Sophie C... a régulièrement fait appel de cette décision. Considérant avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral et considérant que la société STUDIO CANAL est directement engagée par les agissements de son directeur adjoint Stanislas D..., qui exerçait une autorité hiérarchique sur elle et a commis ces faits de harcèlement, elle demande à la société STUDIO CANAL de lui verser la somme de 28.000 Euros au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice qui en découle avec intérêts au taux légal à compter du 24 décembre 2003, ainsi que la somme de 3.000 Euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société STUDIO CANAL, qui souligne avoir été saisie de plaintes émanant tout à la fois de Mme Sophie C... , mais aussi de M. D..., chacun se plaignant du comportement de l'autre, estime avoir pris ses responsabilités en organisant des entretiens avec les protagonistes, proposant à Mme Sophie C... par courrier du 17 juillet 2003 de provoquer la réunion du "comité des sages externes" afin qu'un avis extérieur lui soit donné, puis en offrant diverses solutions de reclassement à Mme Sophie C... dans le cadre du plan social, avant de la dispenser d'activité sans diminution de salaire ni avantages. Soutenant que la salariée n'apporte pas de preuve d'un quelconque harcèlement, elle demande en conséquence à la cour de confirmer la décision du conseil des prud'hommes de Paris et de débouter Mme Sophie C... de l'ensemble de ses demandes, tout en lui réclamant 1500 Euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Le salaire brut moyen mensuel de Mme Sophie C... est de 2.882 Euros
LES MOTIFS DE LA COUR
Vu le jugement du conseil de prud'hommes, les pièces régulièrement communiquées et les conclusions des parties, soutenues oralement à l'audience, auxquels il convient de se référer pour plus ample information sur les faits, les positions et prétentions des parties.
L'article L.120-4 du code du travail dispose que le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi. Par ailleurs l'article L.122-49 du même code précise qu'"aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel".
Le jugement rendu par le conseil des prud'hommes reprend en détail les faits qualifiés de harcèlement par la salariée sur lesquels elle base sa demande de dommages et intérêts, ainsi qu'un ensemble d'attestations produites par la salariée à
l'appui de sa thèse et par l'employeur pour sa défense.
Sans qu'il soit nécessaire de reprendre les détails des divers documents produits à l'appui de la procédure, la cour relève que si ces attestations démontrent qu'une "ambiance assez tendue s'était installée" après l'arrivée du nouveau directeur, alors que celui-ci tentait d'apporter un certain nombre de modifications à la répartition des tâches et aux manières de travailler de l'équipe en général et de Mme Sophie C... en particulier, pour autant, le caractère contradictoire de ces différentes attestations produites par l'une ou l'autre partie, démontre, que, de manière évidente, un rapport de force s'était engagé entre la salariée et une partie de son service et son supérieur hiérarchique, mais empêche la cour de se forger une opinion définitive quant aux responsabilités de l'un ou de l'autre, M. D... ou Mme Sophie C..., dans ce conflit et quant à la réalité du harcèlement évoqué par la salariée. Ces différents témoignages, rendent plutôt compte d'un mode de management, développé par M. D..., sensiblement différent de celui pratiqué par Mme Sophie C..., manière de pratiquer à laquelle la salariée a tenté, un temps et avec ses moyens, de s'opposer, avant de subir plusieurs arrêts de travail, adoptant elle-même une attitude qui, selon certains témoins, aurait contribué à "ce sentiment de déstabilisation et de tension dans le service".
Il ressort également des éléments produits que pendant la première quinzaine de mars 2003, le directeur général adjoint et la responsable des ressources humaines de société STUDIO CANAL, ont reçu successivement, Mme Sophie C..., deux autres salariés se plaignant des agissements et de l'attitude de M. D..., le médecin du travail puis M. D... lui-même ; qu'à la suite de ces entretiens ils ont demandé à chacun d'eux «adopter un comportement responsable et irréprochable à l'égard de tous dans le respect des principes et des règles en vigueur au sein du groupe Canal+» tout en recherchant dès ce moment pour l'une des salariés concernés "des solutions de détachement temporaire au sein d'un autre service"... et en étudiant «un projet de réorganisation globale des activités de servicing au sein du groupe STUDIO CANAL qui devrait être mis en oeuvre au cours du second semestre de l'année 2003.
Il est par ailleurs constant que le 28 avril 2003 Mme Sophie C... a été reçue par sa direction et que le 17 juillet 2003 M. E... lui écrivait que l'enquête qu'il avait menée à la suite des plaintes de la salariée faisait "essentiellement apparaître des divergences de management, inhérentes à toute entreprise et ressenties subjectivement"entre Mme Sophie C... et son supérieur hiérarchique, "sans jamais que n'apparaisse une quelconque volonté délibérée de (lui) nuire personnellement".
M. E... terminait en précisant qu'il n'avait pas l'intention de donner suite à ces dénonciations ajoutant toutefois : "je vous rappelle cependant que, conformément à la procédure mise en place dans notre groupe, vous avez la possibilité de me demander de provoquer la réunion du «comité des sages externes» afin qu'il émette un avis sur les faits que vous dénoncez». L'employeur précisait en outre qu'à la suite de doutes formulés par la salariée, relatifs à une éventuelle fraude dans l'achat de la société Intemporel, la direction de l'audit de Vivendi Universel avait été saisie mais n'avait pas constaté d'éléments significatifs donnant crédit à sa thèse.
La cour considère que c'est après une analyse exacte des faits et en fonction de motifs justes et pertinents qu'elle reprend à son compte, que le conseil de prud'hommes a considéré que ce que Mme Sophie C... ressentait comme un harcèlement, n'était pas spécialement dirigée contre la salariée mais contre toute l'équipe et révélait davantage un comportement de M. D... dénotant une manière de diriger autoritaire, -que d'aucuns ont pu trouver choquante, qu'une stratégie de harcèlement moral, la cour ajoutant que le changement voire la maladresse dans le management, n'est pas pour autant synonyme ou constitutif de harcèlement moral.
Elle considère en outre, qu'alertée de ces tensions, la direction a agi comme le devait, procédant à une enquête approfondie, entendant toutes les parties impliquées dans le conflit, ce qui l'avait amenée à considérer que le harcèlement moral n'était pas établi.
Elle relève toutefois que cette même direction, tout en communiquant ses conclusions à la suite de son enquête, a pris la précaution de rappeler à Mme Sophie C... qu'elle avait la possibilité de demander qu'il en soit référé au "comité des sages externes".
La cour constate qu'en dépit de cette offre formulée clairement par M. E... dans son courrier du 17 juillet 2003, Mme Sophie C... n'a pas donné suite à cette proposition, ne sollicitant pas la saisine du comité des sages, ce qu'elle aurait pu faire de manière simple et en dépit du fait qu'elle était à ce moment en congé, soit immédiatement soit lors de sa reprise de poste.
La cour rappelle enfin que pour tenter de régler le problème l'employeur a ensuite proposé à Mme Sophie C... de la reclasser sur un autre poste dans le cadre du plan social, proposition qu'elle a refusée, puis l'a ensuite dispensée de travail compte tenu de la situation.
La cour en conséquence, considère d'une part qu'en dépit des tensions au sein du service dont la preuve est rapportée, pour autant, les faits de harcèlement moral à l'encontre, particulièrement de Mme Sophie C... ne sont pas établis, que d'autre part, l'employeur a pris de manière appropriée les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de sa salariée. En conséquence elle déboute Mme Sophie C... de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral.
Sur les demandes de dommages et intérêts au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :
La Cour considère que, compte tenu des circonstances de l'espèce, il n'apparaît pas inéquitable de laisser chaque partie supporter les frais de procédure qu'elle a été contrainte d'exposer.
PAR CES MOTIFS,
En conséquence, la Cour,
Confirme la décision du Conseil de prud'hommes
Déboute Mme Sophie C... de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral ;
Déboute les parties de leur demande de dommages et intérêts en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Laisse les éventuels dépens à la charge de Mme Sophie C....
LE GREFFIER, LA PRESIDENTE,