Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
1ère Chambre - Section B
ARRET DU 14 SEPTEMBRE 2007
(no 213 , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 05/07011
Décision déférée à la Cour : Jugement rendu le 13 Décembre 2004 par 1ère Chambre/3ème section du Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG no 03/14029
APPELANT
Monsieur Gilles X...
demeurant 11 Résidence les Hortensis
33500 LIBOURNE
représenté par la SCP MOREAU, avoués à la Cour
assisté de Maître Jasna Hadley STARK, avocat au barreau de PARIS, toque : U0005
INTIMES
- Monsieur le Maire de la COMMUNE DE SAINT AUBIN DE MEDOC
demeurant Hôtel de Ville
33160 ST AUBIN DE MEDOC
représentée par la SCP PETIT-LESENECHAL, avoués à la Cour
assistée de Maître Lionel BERNADOU, avocat au barreau de BORDEAUX, plaidant pour la SCP FROIN-GUILLEMOTEAU-BERNADOU-RAFFY
- CENTRE HOSPITALIER CHARLES PERRENS
ayant son siège 121 rue de la Béchade
33076 BORDEAUX CEDEX
représenté par la SCP BAUFUME - GALLAND - VIGNES, avoués à la Cour
ayant comme avocat Maître Yvon COUDRAY, du barreau de RENNES, qui a fait déposer son dossier
- Monsieur L'AGENT JUDICIAIRE DU TRESOR
représentant l'Etat Français
dont les bureaux sont sis Bâtiment Condorcet -TELEDOC 353
6 rue Louise Weiss
75703 PARIS CEDEX 13
représenté par Maître Frédéric BURET, avoué à la Cour
assisté de Maître Fabienne DELECROIX, avocat au barreau de PARIS, toque : R 229
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 785, 786 et 910 du nouveau Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 Juin 2007, le rapport préalablement entendu, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Michel ANQUETIL, Président, et Michèle BRONGNIART, Conseiller, chargés du rapport
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Michel ANQUETIL, Président,
Michèle BRONGNIART, Conseiller,
Marguerite-Marie MARION, Conseiller,
Greffière lors des débats : Régine TALABOULMA
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé en audience publique par Marguerite-Marie MARION, Conseiller
- signé par Marguerite-Marie MARION, Conseiller, pour le Président empêché
et par Régine TALABOULMA, greffière présente lors du prononcé.
* * *
Par jugement contradictoire rendu le 13 décembre 2004, le Tribunal de Grande Instance de PARIS, statuant sur les demandes indemnitaires formées par Monsieur Gilles X... en raison de la mesure d'internement d'office dont il avait fait l'objet le 8 octobre 1993,
- s'est déclaré compétent pour statuer sur le bien fondé de cette mesure,
- a dit n'y avoir lieu à statuer sur l'exception d'incompétence relative aux irrégularités formelles qui auraient entaché l'interpellation et le transfert de Gilles X... à l'établissement,
- a déclaré irrecevable l'action engagée par Gilles X... contre l'AGENT JUDICIAIRE DU TRÉSOR, le MAIRE DE LA COMMUNE DE SAINT AUBIN DE MEDOC et le CENTRE HOSPITALIER CHARLES PERRENS, pour cause de prescription de sa créance,
- a débouté le MAIRE DE LA COMMUNE DE SAINT AUBIN DE MEDOC et le CENTRE HOSPITALIER CHARLES PERRENS de leurs demandes pour frais irrépétibles
- a condamné Gilles X... aux dépens;
Les premiers juges avaient été saisis dans les circonstances suivantes:
Gilles X... avait fait l'objet d'un arrêté du Préfet de Gironde en date du 8 octobre 1993 ordonnant son hospitalisation d'office au CHS CHARLES PERRENS, établissement public de soins; il avait été interpellé dans la soirée de ce 8 octobre 1993 à son domicile par la police municipale et conduit à la Mairie de SAINT AUBIN DE MEDOC où une ambulance l'attendait pour le transférer au CHS CHARLES PERRENS ;
La mesure avait été renouvelée le 8 novembre 1993 puis levée le 21 décembre suivant; Gilles X... avait été alors placé sous le régime de l'hospitalisation sur demande d'un tiers puis avait quitté l'établissement hospitalier le 21 janvier 1994 dans le cadre d'une sortie d'essai;
Il a assigné les 27 et 29 août 2003 l'AGENT JUDICIAIRE DU TRÉSOR, le MAIRE DE LA COMMUNE DE SAINT AUBIN DE MEDOC et le CHS CHARLES PERRENS en réparation de son internement qu'il estimait illégal et abusif;
Il a également saisi le 4 mai 2006 le Tribunal Administratif de Bordeaux d'une requête en annulation des arrêtés préfectoraux des 8 octobre et 8 novembre 1993 et par jugement du 15 mars 2007, cette juridiction :
- a dit que la contestation du bien fondé de l'arrêté du 8 octobre 1993 était rejetée comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître,
- et a annulé l'arrêté du 8 novembre 1993 pour défaut de motivation;
C'est du jugement du 13 décembre 2004 du Tribunal de Grande Instance de PARIS que Gilles X... est appelant; dans ses dernières écritures du 18 mai 2007, il demande à titre principal d'appliquer les dispositions de l'article 1142-28 du Code de la Santé Publique et de constater que la prescription décennale a été interrompue par l'action introduite devant le Tribunal de Grande Instance de PARIS; à titre subsidiaire d'appliquer la Jurisprudence de la présente chambre et constater que la prescription quadriennale n'a pas commencé à courir; à titre infiniment subsidiaire de constater que si ladite prescription a commencé à courir, elle a été interrompue par l'assignation délivrée le 31 juillet 1998 à l'encontre du Docteur F... médecin réquisitionné par l'Administration;
Il demande au fond de dire irréguliers et injustifiés son transfert et son admission au CHS CHARLES PERRENS, illégaux et abusifs son enfermement et son maintien dans cet établissement, de déclarer que ces faits ont constitué une violation des dispositions de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales; il demande de condamner in solidum l'AGENT JUDICIAIRE DU TRÉSOR, le MAIRE DE SAINT AUBIN DE MEDOC, le CHS CHARLES PERRENS à lui verser la somme de 8000€ à titre de dommages-intérêts en raison du préjudice né des irrégularités de forme du transfert et de l'admission au CHS, de 500 000€ à titre de dommages-intérêts en réparation de ses préjudices physique, moral, professionnel social et familial liés à l'hospitalisation psychiatrique, de 4500€ à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice né de l'Administration de médicaments sous la contrainte ainsi que de l'absence de toute information et recherche de consentement préalables;
Il sollicite 4000€ pour ses frais irrépétibles et la condamnation des défendeurs aux dépens;
Par dernières conclusions du 29 mai 2007, l'AGENT JUDICIAIRE DU TRÉSOR demande de confirmer le jugement en ce qu'il a constaté la prescription de l'action de Gilles X..., de le débouter de ses demandes, de constater la non-application de l'article L1142-28 du Code de la Santé Publique aux faits de la cause, subsidiairement de constater le bien fondé de la mesure d'internement et très subsidiairement, de dire que Gilles X... ne justifie pas d'un préjudice, de le débouter et de le condamner aux dépens;
Par dernières conclusions du 31 mai 2007, le CHS CHARLES PERRENS demande la confirmation de la décision entreprise, de débouter Gilles X... et le condamner à lui verser 2500€ pur ses frais irrépétibles et à régler les dépens;
Par dernières conclusions du 1er juin 2007, le MAIRE DE LA COMMUNE DE SAINT AUBIN DE MEDOC demande la confirmation de la décision dont appel, de déclarer irrecevable l'action engagée par Gilles X..., à titre subsidiaire de mettre la commune hors de cause et débouter l'appelant en le condamnant à lui verser 2000€ pour ses frais irrépétibles et régler les dépens;
SUR CE, LA COUR,
Considérant que seules les mesures litigieuses de placement et de maintien en hospitalisation d'office peuvent être reprochées aux personnes appelées à la cause; que la mesure d'hospitalisation à la demande d'un tiers leur est étrangère et ne saurait engager leur responsabilité;
qu'il en résulte que le dommage invoqué par Gilles X... a été subi du 8 octobre au 21 décembre 1993, date de la mainlevée de la mesure d'internement d'office;
que toutefois, il convient de relever que Gilles X..., du fait de la mesure d'hospitalisation à la demande d'un tiers n'a quitté le CHS CHARLES PERRENS que le 21 janvier 1994 en sortie d'essai, et que cette mesure a pris fin le 16 septembre 1996;
Sur la demande en réparation du dommage qui résulterait de la mesure d'internement d'office ordonnée le 8 octobre 1993 par le PREFET de la GIRONDE:
Considérant que cette mesure étant attentatoire à la liberté individuelle, il appartient aux juridictions judiciaires d'en apprécier le bien fondé;
que la légalité formelle de cet arrêté préfectoral n'a pas été critiquée devant le Tribunal Administratif de Bordeaux;
Considérant que cette mesure est un acte administratif émanant de l'autorité préfectorale;
Que, par suite, et contrairement à ce que soutient Gilles X..., l'action tendant à en contester le bien fondé ne relève ni de la mise en oeuvre de la responsabilité d'une autorité médicale, de sorte que l'article L1142-28 du Code de la Santé Publique ne peut recevoir application, ni de la mise en oeuvre de la responsabilité d'une personne civile, de sorte que l'article 1382 du Code Civil ne peut davantage recevoir application;
Qu'il y a lieu d'appliquer les articles 1er et suivants de la loi no68-1250 du 31 décembre 1968, comme le soutiennent les intimés;
Considérant qu'en vertu de ce texte, la déchéance quadriennale à l'encontre d'un créancier agissant en réparation d'un dommage résultant d'un internement d'office, commence à courir le premier jour de l'année au cours de laquelle s'est produit le fait générateur du dommage allégué; que le point de départ de ce délai doit être fixé à la fin des mesures d'internement, sauf si le créancier n'a pu alors agir pour cause de force majeure ou par ignorance de sa créance;
Que le défaut de notification de la mesure n'était pas de nature à faire ignorer à Gilles X..., à l'issue de son hospitalisation, la mesure dont il avait fait l'objet;
Que c'est donc par une juste analyse des faits de la cause et du droit, que la Cour fait sienne, que les premiers juges ont dit que le délai de prescription avait couru à compter du 1er janvier 1997, l'hospitalisation à la demande d'un tiers s'étant achevée en septembre 1996 de sorte que tout obstacle à l'action avait alors disparu;
Que Gilles X... ne peut prétendre que l'action qu'il a introduite le 31 juillet 1998 à l'encontre du Docteur F..., a interrompu la prescription quadriennale, alors que selon l'assignation délivrée, la responsabilité de celui-ci était recherchée pour faute professionnelle grave et qu'une telle action est donc sans portée sur le présent litige dont l'objet est autre;
Que la prescription était acquise le 1er janvier 2001 et qu'en août 2003, Gilles X... a donc introduit son action en responsabilité tardivement;
Que la décision des premiers juges sera confirmée;
Considérant que pour les mêmes motifs tirés de la prescription quadriennale, Gilles X... ne peut non plus critiquer les conditions d'exécution de la mesure susvisée, tant par la MAIRIE DE SAINT AUBIN DE MEDOC (qui avait reçu à cette fin une ampliation de l'arrêté préfectoral ainsi qu'il résulte de la lettre de la DASS de Gironde du 8 octobre 1993) que par le CHS CHARLES PERRENS qui a reçu le patient; que ses demandes seront rejetées;
Sur la demande en réparation du dommage qui résulterait de l'arrêté maintenant la mesure d'internement d'office, pris le 8 novembre 1993 par le PREFET de la GIRONDE;
Considérant que cet arrêté a été annulé pour défaut de motivation par le Tribunal Administratif de Bordeaux par jugement du 15 mars 2007; que cette décision constitue un fait nouveau intervenu pendant la procédure d'appel;
Considérant que, sans avoir à rechercher si l'arrêté du 8 novembre 1993 était bien fondé ou non, son annulation par la juridiction administrative est suffisante pour consacrer d'une part l'atteinte à la liberté individuelle subie par Gilles X... du 8 novembre au 21 décembre 1993, date de la mainlevée de la mesure d'hospitalisation d'office, et d'autre part son droit à réparation, né de la décision qui a prononcé l'annulation;
Que cette action en réparation, qui relève de la compétence des juridictions judiciaires, n'est pas prescrite, la décision d'annulation étant du 15 mars 2007;
Qu'elle est fondée en son principe à l'encontre de l'AGENT JUDICIAIRE DU TRÉSOR, mais non à l'encontre du MAIRE de SAINT AUBIN DE MEDOC, resté étranger à la décision annulée, ni du CHS CHARLES PERRENS qui n'a fait que l'exécuter dans le cadre de sa mission;
Considérant, sur la réparation, que Gilles X... ne justifie pas d'un préjudice économique spécifique à la mesure annulée;
Qu'il invoque à bon droit la privation de liberté d'aller et venir, avec ses diverses conséquences morales, psychologiques, familiales et sociales, ainsi que la prise de médicaments sans consentement suffisant, et les effets secondaires se rattachant à ces médicaments (prise de poids), le CHS ne contestant pas la prise de ces produits;
Que toutefois ces préjudices sont relatifs, car englobés dans les effets de la mesure initiale de la mesure de placement en hospitalisation d'office, et ceux de la mesure postérieure d'hospitalisation à la demande d'un tiers;
Qu'il lui sera alloué la somme de 2000€, que l'AGENT JUDICIAIRE DU TRÉSOR devra lui régler;
Considérant que l'équité commande de faire application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile dans les termes du dispositif du présent arrêt;
PAR CES MOTIFS,
et ceux non contraires du premier juge,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il s'est déclaré compétent pour statuer sur le bien fondé de la mesure d'hospitalisation d'office dont a fait l'objet Gilles X... le 8 octobre 1993, et en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action indemnitaire engagée par Gilles X... contre l'AGENT JUDICIAIRE DU TRÉSOR, le MAIRE de la COMMUNE de SAINT AUBIN DE MEDOC et le CHS CHARLES PERRENS, pour cause de prescription de sa créance;
L'infirmant pour le surplus,
Constate que le Tribunal Administratif de Bordeaux, par jugement du 15 mars 2007 a annulé l'arrêté préfectoral du 8 novembre 1993 maintenant la mesure d'hospitalisation d'office dont Gilles X... faisait l'objet;
Dit en conséquence que Gilles X... a été victime d'une atteinte à sa liberté individuelle du 8 novembre au 21 décembre 1993, dit son action en réparation non prescrite et fixe son préjudice à la somme de 2000€;
Condamne l'AGENT JUDICIAIRE DU TRÉSOR à lui payer cette somme;
Déboute Gilles X... de ses demandes à l'encontre de la COMMUNE de SAINT AUBIN DE MEDOC et du CHS CHARLES PERRENS;
Condamne en outre l'AGENT JUDICIAIRE DU TRÉSOR à payer à Gilles X... la somme de 1500€ en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile;
Rejette les autres demandes fondées sur ce texte;
Condamne l'AGENT JUDICIAIRE DU TRÉSOR aux dépens de première instance et d'appel et dit que le montant de ces derniers pourra être recouvré directement par les avoués de la cause, dans les conditions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.
LA GREFFIÈRE P/LE PRÉSIDENT
EMPÊCHÉ