Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
15ème Chambre - Section B
ARRÊT DU 13 SEPTEMBRE 2007
(no 07- , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 06/15432
Sur renvoi après cassation par arrêt de la Cour de cassation du 27 juin 2006, de l'arrêt rendu par la Cour d'appel d'Orléans le 23 décembre 2004, sur appel du jugement du 04 Septembre 2003 rendu par le Tribunal de Grande Instance de TOURS - RG no 00/01270
DEMANDEUR A LA SAISINE
S.A. SOCIETE GENERALE prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège 29 boulevard Haussmann
75009 PARIS
représentée par la SCP HARDOUIN, avoués à la Cour
assisté de Me Guillaume X..., avocat au barreau de TOURS, de la SCP COTTEREAU - MEUNIER - X...
DÉFENDEURS A LA SAISINE
Monsieur Bertrand Y...
demeurant ...
37250 MONTBAZON
représenté par la SCP GUIZARD, avoués à la Cour
assisté de Me Stéphanie Z..., avocat au barreau de TOURS, de la SCP GROGNARD-LEPAGE-BAUDRY
Madame Christine A... épouse Y...
demeurant ...
37250 MONTBAZON
représentée par la SCP GUIZARD, avoués à la Cour
assistée de Me Stéphanie Z..., avocat au barreau de TOURS, de la SCP GROGNARD-LEPAGE-BAUDRY
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 14 Mai 2007, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Patrick HENRY-BONNIOT, Président
Madame Claire DAVID, Conseiller
Madame Evelyne DELBES, Conseiller
qui en ont délibéré
Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues par l'article 785 du nouveau Code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Melle Sandrine KERVAREC
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile.
- signé par M. Patrick HENRY-BONNIOT, président, et par Melle Sandrine KERVAREC, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
****
En novembre 1995, MM. B..., Y... et C... ont créé la SA C2S qui avait pour objet la fabrication et le conditionnement de savons. M. B... était le dirigeant de la société.
Par acte sous seing privé du 24 janvier 1997, M. Y... s'est porté caution solidaire à l'égard de la Société Générale, à concurrence de 400 000 francs (60 979,61 €) en principal, du remboursement d'un concours financier accordé à la société C2S le 10 avril 1997.
Lors de sa signature, la première page de l'acte de caution portait mention de l'obligation garantie de 400 000 francs, alors que le prêt a été consenti à hauteur de1 200 000 francs, et indiquait la Société Générale comme banque garantie. Les noms des deux autres banques qui participaient au prêt, à hauteur chacune de 400 000 francs également, ainsi que le montant total du prêt ont été ajoutés sur l'acte postérieurement à la signature par M. Y... de son engagement.
La société C2S a été mise en liquidation judiciaire le 28 octobre 1997.
C'est alors que les trois banques ont mis en demeure M. Y... de régler à chacune d'elles la somme de 400 000 francs.
A la réception de ces courriers, M. Y... a déposé plainte pour faux et usage de faux contre la Société Générale.
Cette plainte n'a pas abouti, le tribunal correctionnel de Tours ne caractérisant pas l'intention frauduleuse du préposé de la banque lorsqu'il a modifié la 1ère page de l'acte de caution.
La Société Générale a procédé à des mesures d'exécution forcée sur les biens des époux Y..., dont la mainlevée a été ordonnée le 5 septembre 2002 par la cour d'appel d'Orléans, au motif que l'acte de cautionnement était manifestement nul.
La Société Générale a alors assigné M. et Mme Y... en exécution de l'engagement de caution.
Par jugement du 4 septembre 2003, le tribunal de grande instance de Tours a débouté la Société Générale de ses demandes, en considérant que l'acte de caution était nul.
Sur appel de la Société Générale, la Cour d'appel d'Orléans a confirmé le jugement par arrêt du 23 décembre 2004.
Sur pourvoi de la Société Générale, la cour de cassation a, par arrêt du 27 juin 2006, cassé en toutes ses dispositions l'arrêt de la cour d'appel d'Orléans.
Par déclaration du 25 juillet 2006, la Société Générale a saisi la Cour d'appel de Paris désignée comme Cour de renvoi.
Dans ses dernières conclusions au sens de l'article 954 du nouveau Code de procédure civile, déposées le 24 avril 2007, la Société Générale demande à la Cour :
- d'infirmer la décision du tribunal de grande instance de Tours du 4 septembre 2003,
- de condamner M. Y... à lui payer la somme de 79 192,37 € avec intérêts au taux conventionnel de 12 % à compter du 10 février 2000 et capitalisation des intérêts,
- de condamner M. et Mme Y... à lui payer la somme de 6 000 € en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions au sens de l'article 954 du nouveau Code de procédure civile, déposées le 2 mai 2007, M. et Mme Y... demandent à la Cour :
- de confirmer le jugement,
A titre principal :
- de dire que Mme Y... est hors de cause n'ayant souscrit aucun engagement de caution au profit de la Société Générale,
- de prononcer la nullité de l'acte de cautionnement consenti par M. Y...,
- de débouter la Société Générale de toutes ses demandes,
A titre subsidiaire :
- de constater que la Société Générale a soutenu abusivement la société C2S,
- de condamner la Société Générale à payer à M. Y... la somme de 79 192,37 € outre les intérêts avec capitalisation annuelle au taux de 12 %,
- d'ordonner la compensation de cette somme avec la somme que M. Y... pourrait devoir à la Société Générale,
Plus subsidiairement :
- de constater que la Société Générale a manqué à son obligation de surveillance quant à l'affectation des fonds prêtés,
- de condamner la Société Générale à payer à M. Y... la somme de 79 192,37 € à titre de dommages-intérêts,
- d'ordonner la compensation de cette somme avec les sommes que M. Y... pourrait devoir à la Société Générale,
A titre encore plus subsidiaire :
- de réduire les prétentions de la Société Générale au tiers de l'obligation garantie, soit à 20 236,54 €,
- de condamner la Société Générale à payer 3 000 € à Mme Y... et 4 000 € à M. Y... au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
CELA ÉTANT EXPOSÉ,
LA COUR,
Considérant que Mme Y..., qui a donné son consentement à l'engagement de son époux, ne s'est pas portée elle-même caution à l'égard de la Société Générale ; qu'elle doit donc être mise hors de cause ;
Considérant que la Cour de cassation a cassé l'arrêt de la Cour d'appel d'Orléans pour avoir rejeté les demandes de la Société Générale "sans examiner, dès lors que la banque sollicitait seulement l'exécution de l'engagement pris par M. Y... à son égard, si par son contenu, l'aveu invoqué n'établissait pas qu'à la date de l'acte irrégulier, son auteur avait connaissance de la nature et de l'étendue de l'engagement en faveur de cette banque" ;
Considérant que la Cour de renvoi, statuant dans les limites de la cassation, doit examiner la teneur et la portée de la connaissance par M. Y... des engagements de la société C.S.S. ;
Considérant que M. Y... expose qu'il n'a pas eu connaissance lors de la signature de son engagement de la nature et de l'entendue de ses obligations ; qu'il en conclut que l'acte, atteint dans sa validité même, est nul pour défaut de cause et d'objet ;
Considérant que le 4 juin 1998, M. Y... a fait les déclarations suivantes devant le juge d'instruction : "Il était par ailleurs prévu de faire un emprunt bancaire de 1 200 000 francs" ; "M. B... nous avait dit que le prêt allait être consenti par plusieurs banques qui seraient représentées par la Société Générale. C'est ainsi que le 24 janvier 1997, j'ai signé dans le bureau de M. B... en présence de M. D..., attaché commercial à la Société Générale de Tours, un cautionnement solidaire concernant le prêt de 1 200 000 francs. Il était stipulé que je me portais caution des obligations de C. S. S. à hauteur de 400 000 francs en principal outre frais et accessoires." ; "Je ne conteste pas mon engagement vis à vis de la Société Générale, mais ce que je ne peux pas admettre, c'est qu'une mention figurant en 1ère page de l'acte que j'ai signé ait été changée à mon insu, ni que le Crédit Mutuel et le Crédit Agricole dénaturent mon engagement et me réclament chacun 400 000 francs." ;
Considérant que la déclaration effectuée devant le juge d'instruction établit ainsi qu'à la date de l'acte litigieux, M. Y... savait que le montant total du prêt serait consenti par plusieurs banques pour la somme totale de 1 200 000 francs, même s'il ne connaissait pas encore l'identité de deux de ces banques ; que d'ailleurs, si deux autres banques ont participé au financement de l'emprunt total, la Société Générale envers laquelle il s'est seulement engagé, a pour sa part réellement accordé un prêt de 400 000 francs à la société C.S.S., comme indiqué dans l'acte de caution qui lui a été remis lors de sa signature, conformément au contrat de prêt du 8 avril 1997 ; que l'acte de caution n'est donc pas nul ;
Considérant que si cet acte est considéré comme irrégulier, dès lors qu'il a été modifié ultérieurement en sa première page, il résulte de l'aveu fait devant le juge d'instruction, qu'à la date de la signature de son engagement en faveur de la seule Société Générale, M. Y... avait connaissance de la nature et de l'étendue de l'engagement total de la société C.S.S., débitrice principale ;
Considérant que la demande de nullité de l'acte doit être rejetée ;
Considérant que M. Y... reproche, en deuxième lieu, à la Société Générale d'avoir soutenu abusivement la société C.S.S., alors que la situation de la société était irrémédiablement compromise, situation qui était connue de la banque ;
Considérant que si la date de cessation des paiements a été fixée au 30 septembre 1997, cet élément est insuffisant pour établir que la société C.S.S. était dans une situation irrémédiablement compromise lors de l'octroi des prêts en avril 1997 ; que M. Y... ne produit aucune pièce permettant d'apprécier la situation comptable et financière de la société lors de l'octroi des prêts ;
Considérant que M. Y... fait grief, en troisième lieu, à la Société Générale de ne pas avoir respecté son obligation de veiller à l'affectation des fonds prêtés ; qu'il expose que si le crédit avait été accordé à la société C.S.S. pour reconstituer ses fonds de roulement, la somme de 517 629,43 francs (79 912,10 €) a été prélevée pour payer un créancier de la société, la Sogebail, et la Société Générale a elle-même d'office effectué des virements les 4 et 5 février 1997 ;
Mais considérant que même si les conditions particulières du contrat de prêt prévoyaient une affectation des fonds prêtés à une fin spécifique, il ne peut être déduit de cette clause une obligation à la charge du banquier de vérifier l'affectation des fonds prêtés, dès lors qu'il ne peut s'immiscer dans la gestion des affaires de son client ;
Que les fautes alléguées à l'encontre de la Société Générale ne sont donc pas établies ;
Considérant que le 24 décembre 1997, la Société Générale a déclaré régulièrement sa créance au passif de la société C.S.S. pour la somme de 354 748,16 francs (54 081,01 €) ; qu'elle a joint à la déclaration un relevé de compte faisant apparaître les intérêts pour mémoire, ainsi que le contrat de prêt et le tableau d'amortissement ; que la somme due par M. Y... s'élève donc à cette somme augmentée des intérêts contractuels postérieurs à la déclaration de créance ; que la capitalisation des intérêts demandée est de droit ;
Considérant que M. Y... demande de diviser la créance de la Société Générale par 3 ;
Mais considérant que s'étant porté caution solidaire à l'égard de la Société Générale pour la somme de 400 000 francs, il est tenu au paiement de la totalité de la créance de cette banque ;
Considérant en conséquence qu'il convient d'infirmer le jugement ;
Considérant qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de la Société Générale les frais qu'elle a pu engager, M. Y..., qui succombe en ses prétentions étant condamné aux dépens ;
Considérant qu'il apparaît équitable d'allouer à Mme Y... la somme de 1 000 € au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, dès lors que c'est sans fondement que la Société Générale l'a assignée en paiement des sommes dues par son époux ;
PAR CES MOTIFS,
Infirme le jugement du tribunal de grande instance de Tours du 4 septembre 2003 en toutes ses dispositions,
Et statuant à nouveau,
Met hors de cause Mme Y...,
Condamne M. Y... à payer à la Société Générale la somme de 54 081,01 € avec intérêts contractuels à compter du 24 décembre 1997,
Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du Code civil,
Condamne la Société Générale à payer à Mme Y... une somme de 1 000 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Rejette les autres demandes,
Condamne M. Y... aux dépens de 1ère instance, aux dépens d'appel de l'arrêt cassé et du présent arrêt, avec distraction au profit des avoués concernés dans les conditions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,