RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
21ème Chambre C
ARRET DU 11 Septembre 2007
(no , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 06/01499
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 11 Mai 2005 par le conseil de prud'hommes de PARIS section activités diverses RG no 04/09071
APPELANT
1o - Monsieur Pablo X...
...
95100 ARGENTEUIL
comparant en personne, assisté de Me Jean-Marie GUILLOUX, avocat au barreau de PARIS, toque : G0818,
INTIMEE
2o - S.A. SONY BMG MUSIC ENTERTAINMENT FRANCE
20-26, rue Morel
92111 CLICHY CEDEX
représentée par Me Hélèna DELABARRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L.237
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 05 Juin 2007, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Marie-Pierre DE LIEGE, Présidente
Mme Irène LEBE, Conseillère
Madame Marie-Christine DEGRANDI, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier : Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, lors des débats,
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile.
- signé par Mme Marie-Pierre DE LIEGE, présidente et par Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LES FAITS :
Le 11 juin 2001, M Pablo X..., artiste chanteur, a conclu un contrat d'enregistrement exclusif avec la SAS SONY BMG MUSIC ENTERTAINMENT FRANCE anciennement dénommée SONY MUSIC ENTERTAINMENT FRANCE. Aux termes de ce contrat, l'artiste et la société s'engageaient à enregistrer un premier album d'oeuvres nouvelles et inédites interprétées par l'artiste. Le contrat prévoyait également que l'artiste consentait à Sony Music quatre options de contrats distincts et successifs d'une durée minimale de 14 mois chacun, pour la réalisation de quatre autres albums, chacun dans les termes et conditions du contrat initial.
Le premier album de M. Pablo X... était produit et commercialisé en novembre 2001. Le 17 octobre 2001 la Société SONY BMG MUSIC adressait une lettre recommandée à M. Pablo X... pour lui notifier sa décision de lever l'option pour le deuxième album. Un certain nombre de dispositions étaient prises de part et d'autre en vue de la production de ce deuxième album, la société versant à ce titre à M. X..., une avance de 22.867 Euros correspondant à la moitié de l'avance contractuelle. La production de cet album n'avait toutefois pas encore abouti lorsque, en mars 2004, M. Pablo X... demanda à la Société SONY BMG MUSIC de suspendre le projet d'enregistrement du deuxième album ainsi que l'exclusivité qui le liait à cette dernière, pour lui permettre de participer à un projet de comédie musicale «le Graal».
Après divers échanges de mails intervenus à cette époque entre les parties, aux termes desquels la Société SONY BMG MUSIC s'engageait à reporter au 1er mai 2005 l'exercice de son option pour le deuxième album, le projet de comédie musicale étant provisoirement abandonné, M. Pablo X... demanda finalement en juin 2004 à Sony Music de reprendre la production de ce deuxième album. La Société SONY BMG MUSIC informait alors l'artiste qu'elle renonçait à lever l'option pour le premier contrat optionnel. Par courrier du 17 juin 2004, M. Pablo X... notifiait à Sony music qu'il considérait que cette décision constituait en réalité une "rupture brutale et injustifiée du contrat d'enregistrement". Par courrier du 1er juillet 2004 Sony music répliquait que les parties avaient d'un commun accord reporté le délai d'exercice de cette option et qu'elle était, dès lors, en droit de notifier aux demandeurs qu'elle n'entendait plus lever cette option.
M. Pablo X... saisissait le conseil de prud'hommes de Paris lui demandant de qualifier en contrat de travail à durée déterminée unique le contrat d'enregistrement du 12 juin 2001 et de lui allouer du fait de la rupture prématurée de ce contrat à durée déterminée diverses sommes à titre de dommages et intérêts.
Le conseil de prud'hommes, par décision du 11 mai 2005, a débouté M. Pablo X... de l'ensemble de ses demandes, considérant que le contrat du 12 juin 2001 n'emportait accord entre les parties que pour le premier album et ouvrait quatre options de contrats distincts et successifs pour la suite, options s'analysant comme une promesse unilatérale de contrats de la part de l'artiste, Sony music ne s'étant pas engagé, et l'option pour la fabrication du deuxième album ayant été repoussée au 30 juin 2005.
M. Pablo X... a régulièrement fait appel de cette décision. Il demande à la cour de :
- dire que le contrat d'enregistrement 669 conclu avec la société Sony music est un contrat à durée déterminée d'usage ;
- dire que les options consenties par M. Pablo X... ne constituent pas des promesses unilatérales d'embauches et de constater que dans la relation contractuelle entre les parties, aucun contrat distinct et successif au contrat d'enregistrement initial n'a été formé ;
- dire que les stipulations portant sur les options sont illicites et par conséquent nulles et non écrites ;
- constater que dès lors le contrat d'enregistrement 669 a pour terme la réalisation de son objet c'est-à-dire la réalisation de cinq albums ;
- constater qu'il a été rompu, de manière anticipée et abusive, à l'initiative de Sony music hors des cas prévus par l'article L.122-3-8 du code du travail ;
- condamner en conséquence Sony music à lui verser la somme de 187.119,60 Euros à titre de dommages et intérêts en application des dispositions de l'article L.122–3-8 du code du travail, ainsi que la somme de 762.400 Euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral et de carrière ;
- condamner Sony music à lui verser la somme de 10.000 Euros en contrepartie du respect de la clause de non concurrence
- et 5.000 Euros en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La SAS SONY BMG MUSIC ENTERTAINMENT FRANCE, a régulièrement formé le présent appel contre cette décision.
Elle soutient que le contrat du 12 juin 2001 comporte l'engagement ferme et réciproque des parties d'enregistrer un premier album ainsi que quatre options pour des contrats successifs et distincts ouvrant la possibilité pour Sony music d'exercer ou non lesdites options. Elle plaide par ailleurs que la levée d'options pour le deuxième album a été rendue caduque suite à la demande de report M. X... et que sa décision, par conséquent, de ne pas exercer l'option, ne saurait s'analyser comme une rupture de contrat. Faisant valoir que les budgets prévus pour la production et la promotion de chaque album ne constituent pas un gain dont M. X... aurait été privé, et que la clause figurant à l'article 3. 02 du contrat du 12 juin 2002 ne constitue pas une clause de non concurrence, la Société SONY BMG MUSIC demande à la cour de débouter M. X... de toutes ses demandes fins et prétentions, de confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Paris le 11 mai 2005, et de condamner M. Pablo X... à lui régler la somme de 8000Euros en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
LES MOTIFS DE LA COUR :
Vu le jugement du conseil de prud'hommes, les pièces régulièrement communiquées et les conclusions des parties, soutenues oralement à l'audience, auxquels il convient de se référer pour plus ample information sur les faits, les positions et prétentions des parties.
Sur la nature et la portée du contrat du 12 juin 2001 :
La question qui se pose à ce sujet est celle de savoir si la conclusion de ce contrat a entraîné, ipso facto, la naissance d'un contrat de travail à durée déterminée jusqu'à l'issue de la procédure de fabrication du cinquième album.
La cour considère que c'est après une analyse précise et exacte des faits et du contrat litigieux et en fonction de motifs justes et pertinents qu'elle reprend à son compte, que le conseil de prud'hommes a dit que le contrat du 12 juin 2001 portait accord des deux parties pour la production d'un premier album et aménageait l'ouverture de quatre options de contrats distincts et successifs selon l'article 3. 03.01 dudit contrat, aux termes d'une promesse unilatérale de l'artiste, actée au contrat du 12 juin 2001, mais que la société d'édition était libre d'accepter ou non selon un calendrier précisément établi.
Ce contrat du 12 juin 2001 était donc d'une nature mixte, -contrat de travail à durée déterminée pour la fabrication du premier album, et convention portant les clauses de référence sur lesquelles pourraient s'adosser les éventuels contrats à durée déterminée que les parties, sous réserve que la Société SONY BMG MUSIC lève les options, pourraient être amenées à mettre en oeuvre ultérieurement.
La cour confirme donc le conseil de prud'hommes et dit, d'une part, que le contrat de travail à durée déterminée qui avait pris naissance avec l'accord du 12 juin 2001 avait pris fin après la réalisation du premier album et, d'autre part, que l'entrée en vigueur de chacun des quatre «contrats distincts et successifs, d'une durée minimale de 14 mois chacun» (article 3.03.01 du contrat du 12 juin 2001) était subordonnée à une expression claire de la volonté de la Société SONY BMG MUSIC de lever l'option qui lui était ouverte.
Dès lors, M. Pablo X..., n'est pas fondé à demander des dommages-intérêts pour la rupture d'un contrat à durée déterminée supposé englober la production des cinq albums successifs.
Sur l'exercice de la première option concernant la fabrication du second album, telle qu'envisagée par le contrat du 12 juin 2001 :
Il est constant que la Société SONY BMG MUSIC avait notifié par lettre recommandée en date du 17 octobre 2002 à M. Pablo X... sa «décision de lever la première des quatre options de contrats dont nous bénéficions conformément à l'article précité». Dès lors l'engagement unilatéral pris par M. X... aux termes du contrat du 12 juin 2001, la Société SONY BMG MUSIC confirmant son accord, donnait naissance à un nouveau contrat de travail à durée déterminée.
Il est également constant que l'engagement de la production du second album avait, d'une part, donné lieu à un début d'exécution par chacune des parties, -la Société SONY BMG MUSIC ayant confié la préparation des maquettes à M. Bruno Berberes en qualité de producteur exécutif, maquettes qui avaient été achevées en septembre 2003-, et d'autre part entraîné le versement d'une avance de 22 867 Euros à l'artiste, avant que le projet ne prenne quelque retard dont les parties se rejettent maintenant la responsabilité. Ce retard, qui ne semble pas avoir posé problème à l'époque, a amené M. Pablo X... a envisager de participer à un autre projet la comédie musicale «le Graal», pour lequel il a demandé le report de la suite de l'exécution de l'option.
La question qui se pose est de savoir si, comme le soutient la société Sony music, cette option après avoir été valablement levée, s'est trouvée caduque du fait de la demande formulée en mars/avril 2004 par l'artiste, d'en reporter la mise en oeuvre, ou simplement suspendue dans son exécution.
Or l'examen des différentes pièces versées aux débats par les parties, démontre que par mail du 22 mars 2004 adressé par la Société SONY BMG MUSIC au conseil de M. X... il était dit : «nous avons pris bonne note de votre demande de dérogation à notre exclusivité afin de permettre à M. Pablo X... de participer au projet de comédie musicale intitulée «le Graal» comme indiqué dans votre e-mail si avant. L'ensemble des enregistrements de la comédie musicale... (suivaient plusieurs conditions relatives à l'articulation entre l'exploitation commerciale de la comédie musicale et de l'album à venir de M. X....)...".
...."La levée d'options sur le premier contrat optionnel (pour l'enregistrement du LP2 de l'artiste) est annulée, ce droit d'option est reporté à la fin de la dérogation à notre exclusivité soit au 1er mai 2005 ; nous aurons jusqu'au 30 juin 2005 pour notifier à l'artiste notre décision de lever l'option sur le premier contrat optionnel".
Par mail du 7 avril 2004 le conseil de M. Pablo X... répondait : « Pablo est disposé à accepter « votre marché » concernant l'option levée et qui ne le serait en réalité plus compte tenu du Graal, si vous renoncez à l'override de 2%", proposition de l'artiste qui répondait à l'une des conditions posées à la Société SONY BMG MUSIC pour différer la production du second album.
La Société SONY BMG MUSIC n'a jamais répondu à cette demande de M. Pablo X... et aucun avenant modifiant la situation contractuelle entre les parties n'a suivi ces échanges de mails, Pablo X... y ayant perdu intérêts dans la mesure où le projet de spectacle auquel il voulait participer avait été provisoirement abandonné.
Faute de nouvel accord contractuel intervenu valablement entre les parties, la cour considère donc que l'option levée par la Société SONY BMG MUSIC en octobre 2002 est restée en vigueur et devait continuer à régir les rapports entre les parties.
Dès lors, la Société SONY BMG MUSIC ayant, par lettre du 1er juillet 2004, notifié à l'artiste sa décision de renoncer à la levée d'option, procédait en réalité à la rupture unilatérale et abusive du second contrat de travail à durée déterminée qui avait pris vie entre les parties le 17 octobre 2002, pour la réalisation du second album.
La cour considère que M. Pablo X... est donc fondé dans sa demande de dommages et intérêts pour rupture anticipée et abusive de ce contrat à durée déterminée en application de l'article L. 122-3-8 du code du travail. Compte tenu des circonstances de l'espèce, des différentes dispositions inscrites au contrat du 12 juin 2001, des conditions dans lesquelles a abouti la fabrication et la diffusion du premier album, des avances tant en termes de mobilisation des moyens qu'en termes d'avances financières au profit de l'artiste qui ont été engagées par la Société SONY BMG MUSIC pour la fabrication du deuxième album, la cour fixe forfaitairement la réparation due à ce titre à M. Pablo X... à la somme de 50.000 Euros.
Sur l'indemnisation du préjudice moral et de carrière :
La rupture prématurée, des relations contractuelles entre l'artiste la société Sony music, ayant occasionné nécessairement un préjudice moral et au-delà, tout particulièrement, un préjudice professionnel et de carrière à M. X..., dans la mesure où celui-ci a perdu une chance de pouvoir produire au cours des années à venir, un ensemble de quatre albums dans les conditions avantageuses prévues par le contrat de juin 2001 qui le liait à la société Sony music, et de poursuivre ainsi dans des conditions garanties a priori un développement de carrière prometteur, la cour alloue à M. Pablo X... à ce titre, toutes causes confondues, la somme de 50.000 Euros
Sur la demande de contrepartie financière pour respect de la clause de non concurrence :
M. Pablo X..., rappelant l'article 3. 02 du contrat d'enregistrement de juin 2001 qui fixait une «durée minimale d'exclusivité de fixation de 14 mois à compter de la signature des présentes» période portée à "12 mois après la date de sortie commerciale de l'album", considère que cette clause s'analyse comme une clause de non concurrence dans la mesure où elle interdit à l'artiste de conclure, avec tout autre producteur de son choix pendant cette durée, clause qu'il dit renforcée par l'article 2. 05 qui interdit pendant sept ans à l'artiste, à compter de la fin de la durée de l'exclusivité, de réenregistrer, sous son nom ou sous un pseudonyme ou anonymement, l'une quelconque des oeuvres qu'il aura enregistrées pour la société Sony music.
La cour relevant d'une part, que l'article 3.02 ne prévoit l'exclusivité que pendant la durée du contrat de travail à durée déterminée et non pas, comme le ferait une clause de non concurrence, à l'issue du contrat de travail, et considérant d'autre part que les dispositions de l'article 2.05 constituent le prolongement de la cession de droits consentie par M. X... sur ses interprétations au titre de l'article 7 du contrat du 12 juin 2001, dit qu'aucune de ces deux clauses ne saurait s'interpréter comme une clause de non concurrence et déboute en conséquence M. Pablo X... de sa demande à ce titre.
Sur la demande de dommages et intérêts au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile :
La Cour considère que, compte tenu des circonstances de l'espèce, il apparaît inéquitable de faire supporter par M. Pablo X... la totalité des frais de procédure qu'il a été contraint d'exposer. Il lui sera donc alloué une somme de 2.000 Euros, à ce titre pour l'ensemble de la procédure
PAR CES MOTIFS,
En conséquence, la Cour,
Confirme la décision du Conseil de prud'hommes en ce qu'il a jugé que le contrat signé le 12 juin 2001 entre M. X... et la Société SONY BMG MUSIC ne pouvait être requalifié en un seul contrat à durée déterminée pour la durée de la production des cinq albums envisagés ;
L'infirme pour le surplus.
Statuant à nouveau et y ajoutant :
Dit que la Société SONY BMG MUSIC a rompu de manière anticipée et abusive le second contrat de travail à durée déterminée qui la liait à M. Pablo X... en application de la levée d'option qu'elle lui avait signifiée le 17 octobre 2002.
Condamne en conséquence la dite société à verser à M. Pablo X... les sommes suivantes :
- 50.000 Euros (CINQUANTE MILLE EUROS) à titre de dommages et intérêts en application de l'article L.122-3-8 du code du travail ;
- 50 .000 Euros (CINQUANTE MILLE EUROS) à titre de dommages et intérêts pour préjudice distinct moral et professionnel en application de l'article 1134 du Code civil.
Déboute les parties du surplus de leurs demandes.
Condamne la Société SONY BMG MUSIC à régler à M. Pablo X... la somme de 2.000 Euros (DEUX MILLE EUROS) en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile pour l'ensemble de la procédure.
La condamne aux entiers dépens.
LE GREFFIER, LA PRESIDENTE,